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06/03/2013

Une "sagesse pour les décideurs" ?

Idée sympathique mais creuse (pour l'instant) :



La "sagesse" se vend bien si elle reste vide : notre vieille grosse société riche ayant "perdu ses repères", la recette commerciale consiste à tromper la "faim de sens" par un bouillon léger, le plus léger possible : ne pouvant admettre une sagesse qui exigerait de nous des choix (chose "intolérante"), nous voulons bien ajouter à nos pulsions un parfum de "questions essentielles", mais il faut que ces pulsions restent illimitées – car l'illimité est la seule vraie norme : celle du business, qui est tout notre monde. Le ressort de la consommation est de nous persuader que nos désirs sont illimités et doivent être toujours comblés. D'où le succès depuis trente ans, au rayon "sagesses" des grandes surfaces, de petits livres rabâchant une philosophie consistant à ne surtout pas choisir.

D'où aussi, inversement, la surprise de découvrir ce soir sur le site de L'Express un texte intitulé "Pour une 'révolution culturelle' dans la formation de nos décideurs", et signé (nous dit L'Express) par l'auteur de Quand les décideurs s'inspirent des moines. Surprise d'autant plus forte que ce texte s'affiche sur la page L'Express emploi ! Si les "décideurs" s'inspirent des "moines" pour créer de l'emploi, nos entreprises vont devenir sociales et solidaires comme le souhaitait l'encyclique Caritas in Veritate – même si les moines en question sont plutôt du genre Kyoto.

Mais la sagesse, nous explique l'auteur, "est la capacité pour un décideur à prendre régulièrement du recul par rapport à son action, à en vérifier l'alignement [sur ?] ses valeurs essentielles, à rechercher sans cesse l'action et la pensée juste, avec la conscience de 'plus grand que soi'."

Or notre société ne veut pas que l'individu ait un "plus grand que soi". Elle nous gave du message opposé : il n'y a rien de plus grand que toi ! tes désirs font la loi ! reste toi-même ! ou la phrase des Inrocks : "chacun a le droit de faire ce qu'il veut de sa life" [1]. C'est la philosophie des marchés. L'auteur ne le nie pas : "Des signes forts que l'apprentissage de la sagesse devient une thématique importante pour certaines entreprises se multiplient. Pour exemple, la conférence Wisdom 2.0, qui vient de se tenir à San Francisco, a réuni .plusieurs grands noms de la Silicon Valley (Google, Twitter, Facebook, Linkedin, etc.) qui ont abordé cette notion ouvertement." Si Google, Twitter, Facebook, Linkedin et autres pièges à consommateur avaient abordé "ouvertement" la question du "plus grand que l'individu", alors c'est que Jonas aurait converti Ninive ; mais Larry Page (Google), Jack Dorsey (Twitter), Mark Zuckerberg (Facebook) ni Jeff Weiner (Linkedin) n'ont été vus repentants sous le sac et la cendre. Wisdom 2.0 est une imposture.

La sagesse est vitale pour les sociétés, mais ses origines (toujours extérieures à l'économique) et ses vertus (prendre du recul, penser à long terme) sont incompatibles avec le casino financier mondial, qui régente nos métiers et notre vie. Cela durera jusqu'à ce que le capitalisme tardif s'effondre sur nos têtes, et nous force à construire autre chose.

 

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[1] « sa life »... Remplacer un mot français de base par son équivalent en pidgin : tic de colonisé.

 

Commentaires

ARCHITECTURE

> Comme je crois l'avoir lu sur ce blog, croire faire de l'éthique dans le système économique actuel ce serait faire de l'architecture sous un bombardement.
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Écrit par : swami / | 07/03/2013

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