25/02/2013
Libéralisme : les imposteurs sont toujours là
...et parlent des Français avec condescendance :
Un essai vient de paraître, qui a pour auteur un idéologue libéral et le président de... l'Institut du virtuel. Des extraits sont en ligne. Ils n'appellent pas de commentaires (c'est un verbiage creux), sauf pour ceci :
<< La mondialisation qui aujourd’hui fait trembler les Français n’est pas la force destructrice que nos politiques agitent comme un chiffon rouge. C’est un vaste mouvement de stimulation, de création de richesse, d’intelligence et d’innovation. Le jour où la France acceptera de s’y plonger, le jour où elle aura pour cela su dépasser les soubresauts de sa crise d’adolescence, elle pourra comme les autres profiter de ses opportunités. Lorsque nous aurons surmonté nos habitudes et nos atavismes, lorsque nous serons parvenus surtout à nous défaire de l’idéologie nécrosante du tout-État pour accepter de donner leur chance aux individus et à l’ordre qu’ils font naître, par leurs actions, alors nous inaugurerons une ère nouvelle de liberté, la seule capable d’offrir aux citoyens la pleine maîtrise de leur destin.>>
Sur cette enfilade de slogans libéraux que l'on croyait remisés depuis la crise, faisons neuf observations :
1. la mondialisation serait « un vaste mouvement de stimulation, de création de richesse, d’intelligence et d’innovation »... si elle n'était pas au service du casino financier, né de l'ultralibéralisme et vampirisant l'économie réelle ;
2. qualifier de « crise d'adolescence » l'angoisse des Français (devant le déménagement de leur potentiel économique au profit des pays à main d'oeuvre esclave), est proprement insoutenable ;
3. inviter les Français à l'audace de se « plonger » enfin dans la mondialisation ultralibérale, alors que les dés sont pipés (et qu'on subit les dégâts depuis quinze ans), revient à se foutre du monde ;
4. dire qu'alors la France « pourra comme les autres profiter [des] opportunités » de la mondialisation, c'est avouer qu'on ne fait pas très attention à ce qui se passe dans l'économie mondiale ;
5. employer la formule polémique « le tout-Etat », c'est l'arme sempiternelle des libéraux. Ils n'en veulent pas aux excès du dirigisme d'Etat (introuvable en 2013), mais... à l'Etat lui-même, en tant qu'outil du bien commun : la notion de « bien commun » étant incompatible avec le libéralisme, qui ne connaît que les intérêts privés ;
6. « donner leur chance aux individus » est un pet de lapin conceptuel. Comment « les individus » auraient-ils une chance face à la machinerie du casino global, produit du putsch ultralibéral des années 1990 et destructeur de l'économie réelle ? Ce système n'est pas à l'échelle humaine. Il disloque les communautés et écrase les individus – tout en leur chantonnant qu'ils sont des petits rois, comme dans Le Meilleur des Mondes.
7. « ...et à l'ordre qu'ils font naître » : autre pet de lapin. Les individus ne font naître aucun ordre. Quand un ordre naît, il naît de communautés qui se fédèrent et se dotent d'un organe de régulation commun ! Aucune société n'a jamais été composée « d'individus »... Mais cette évidence (attestée depuis l'origine de l'homme) est niée depuis deux siècles par l'idéologie libérale : c'est au nom de « l'individu » que 1791 a interdit les associations ouvrières, et il a fallu un siècle de luttes sociales pour qu'un ordre naisse... de la concertation (obtenue à l'arraché) entre les organisations de partenaires sociaux et l'Etat. Nous proposer aujourd'hui d'en revenir à « l'individu » comme en 1791, est soit une insolence, soit une ignorance.
8. Que le retour au chaos individualiste puisse apporter aux citoyens « la pleine maîtrise de leur destin », face à l'inhumaine machinerie globale que vient de décrire le rédacteur en chef de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (j'en parlerai bientôt), est une bouffonnerie.
9. Prendre un ton condescendant pour raconter de telles âneries à « la France », et penser qu'elle va les croire, c'est la traiter par le mépris.
On connaît le mépris des libéraux envers « ce pays », comme ils disent [*]. Le mépris envers « la France », c'est le langage d'une droite qui remercie Taylor le Butor pour ses coups de pied au cul. Le mépris envers les personnes en chair et en os (et leurs solidarités) au nom d'un « individu » théorique (né orphelin et vivant célibataire), c'est une idéologie définitivement incompatible avec la pensée sociale catholique.
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[*] Ils n'osent plus dire ouvertement "New York est la capitale du monde", comme en l'an 2000, mais ils continuent à le croire.
10:03 Publié dans Idées, La crise | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : libéralisme
Commentaires
LEUR NOVLANGUE
> Pas facile, la novlangue libérale. On ne peut qu’être surpris lorsque l’auteur de l’article nous incite à nous débarrasser de « l’idéologie nécrosante du tout-État ». Alors que la domination néo-libérale s’est justement accompagnée de l’accroissement exponentiel des lois et des règlements les plus tatillons, des évaluations à n’en plus finir, au niveau national, communautaire, mondial …
Il faut sans doute comprendre que l’Etat, « en tant qu'outil du bien commun », est devenu inacceptable ; qu’il doit être remplacé par un Etat-entrepreneur, arbitre ou jouet des intérêts concurrents. Mais nous sommes déjà bien engagés sur cette voie. Evidemment, comme l’ordre libéral repose sur les désirs et que les désirs sont infinis, l’élève-France « peut mieux faire ».
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Écrit par : Blaise / | 25/02/2013
PRESQUE HALLUCINANT
> C'en est presque hallucinant de lire ces mots aujourd'hui.
Je leur enverrai bien un programme de visites des merveilles de la mondialisation vécue aujourd'hui : en France d'abord avec la visite d'un chômeur de 50 ans et ses 4 enfants obligés de faire les poubelles "parce que les pneus sont moins chers en Chine". Du coup petit détour par la Chine avec une belle usine de production remplie à ras-bord d'enfants affairés à produire encore et toujours, quitte à y laisser la vie, parce qu'il faut nourrir sa famille (grand-mère, parents, frères et sœurs, neveux et nièces inclus) qui trime à la campagne où plus rien ne pousse parce que l'usine à charbon du coin stérilise la nature en même temps qu'elle tue papa à petit-feu sur son lit.
Après ça, si ils veulent nous pourrons aller voir un gentil européen affalé devant sa télé, une main tripotant sa console de jeu "made in China", l'autre attrapant les chips qui lui détruisent peu à peu l'aorte. Lui au moins, comprend ce que c'est que ce p... de tout-Etat.
S'ils ont un cœur, ils pourront pleurer mais j'en doute.
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Écrit par : Vincent / | 25/02/2013
@ Vincent,
> à la lecture d'un programme sur les merveilles de la mondialisation en 2013, le libéral, armé d'une batterie de pirouettes rhétoriques extensibles comme ses désirs à l'infini, il vous rétorquera et vous démontrera avec un aplomb argumentaire sans faille, que tout cela ne résulte en rien du libéralisme, mais de son scandaleux bridage par l'Etat socialiste omniprésent.
Largement insensible à la paire de gifle évangélique que dans un intense combat intérieur vous brûlez d'infliger à l'enfant gâté afin de l'obliger à abaisser son noble regard vers le réel, il vous expliquera avec sa morgue professorale acquise bien avant même ses études de droit à Assas, que le libéralisme, le vrai, c'est la vertu, la responsabilité individuelle, et l'Etat de droit.
Si les ruses aussi flatteuses et séductrices que mensongères du démon ont un visage en notre temps, le jeune trentenaire libéral dynamique doit y ressembler d'assez près.
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Écrit par : Serge Lellouche / | 25/02/2013
PEU ONT COMPRIS
> en effet, peu ont compris, que cela soit du bord libéral ou du bord apparemment opposé (genre Mélenchon), que l'État en pleine déconfiture. s'est allié aux multinationales pour affamer le peuple. Il est urgent de sortir de cette fausse alternative État/Libéralisme qui n'en n'est pas une. Benoît XVI l'a magistralement exprimé dans son encyclique sociale.
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Écrit par : Ludovic / | 25/02/2013
@ PP
> Vous dites : "la notion de « bien commun » étant incompatible avec le libéralisme, qui ne connaît que les intérêts privés."
Je suis totalement d'accord avec votre formulation, et c'est me semble-t-il le coeur du problème de cette idéologie perverse qui établit dans les esprits une invisible et monumentale muraille entre l'individu et la communauté humaine. Et la bêtise libérale est devenue telle, que dans son optique étroite, franchir cette barrière, signifie adhérer au collectivisme sous le mode nord-coréen.
A cet égard, je ne vois pas plus grande tragédie spirituelle que de voir autant de catholiques ayant succombé à une idéologie donnant l'illusion séductrice d'être au service de l'individu, alors qu'elle l'enferme dans la contemplation de son moi infantile tout-puissant, et par-dessus-tout le coupe de sa joie la plus profonde : être pleinement révélé à lui-même par ce lien si mystérieux qui en Christ l'unit à l'ensemble de la communauté humaine, à la fois dans sa souffrance et dans son espérance.
A cet égard, j'ai été vraiment bouleversé par la lecture récente du livre du cardinal Henri de Lubac, "Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme". Sans doute un livre que j'attendais depuis longtemps. Il montre si bien que l'esprit du catholicisme nous conduit vers cette joie de la fraternité universelle, et que sa dimension sociale, au sens le plus profond du terme, n'est pas une option, mais est au coeur même du catholicisme, en cela intrinsèquement antinomique de l'imposture libérale.
Il développe des pages admirables sur les pères de l'Eglise chez qui le salut universel de l'humanité non seulement ne s'opposait pas au salut personnel, mais en orientait le vrai sens mystique.
Et de citer saint Augustin, plus que jamais d'actualité : "Nous qui étions dissociés et opposés par les voluptés, les cupidités et les impuretés diverses de nos péchés, purifiés par le Médiateur, nous nous élancerons en plein accord vers la même béatitude, et fondus comme en un seul esprit par le feu de la charité, nous serons alors devenus un, non seulement par l'effet de notre commune nature, mais par les liens d'une commune dilection".
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Écrit par : Serge Lellouche / | 25/02/2013
LIRE ZUNDEL
> Comme je partage votre analyse à tous deux, chers PP et Serge!
Pour moi c'est la lecture de Zundel qui m'ouvre à un personnalisme universaliste, à l'opposé de l'individualisme qui pulvérise l'homme, le désintègre en mécanique.
Dans "Croyez-vous en l'homme?",où il médite pour nous sur l'exemple de François d'Assise, je cite:
"La seule expression où Dieu puisse se faire jour,(...) est une vie sans frontière(...) Ce qui exige que l'on fasse de soi le noyau (ou le ferment) d'une transmutation par laquelle l'humanité, d'espèce biologique où les individus s'agglomèrent par leurs servitudes, soit promue au rang de communauté libre dont chacun est le centre, parce-que le bien qui en est le lien-l'amour en personne- n'y peut circuler qu'à travers le don que chacun lui doit faire de soi pour avoir prise sur lui et le pouvoir communiquer."
Cette prise en charge de tous, à travers le bien confié à la conscience de chacun et que chacun n'assimile que par la saisie désappropriée -issue de l'intimité divine- où il s'universalise, est symbolisée et renouvelée dans les sacrements, que l'on déracine de la vie dès qu'on cesse d'en percevoir l'horizon humain."
Il nous montre ensuite en partant de l'Eucharistie, comment tous les sacrements sont en vue de la communauté tout entière.
Et c'est là peut-être ce qui stérilise la vie sacramentelle de tant de catholiques aujourd'hui: ils en ont fait une affaire privée, si bien qu'elle ne peut rejaillir sur la communauté, non plus davantage féconder leur propre vie, si ce n'est par auto-suggestion artificielle et vaine.
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Écrit par : Anne Josnin / | 25/02/2013
@ Anne,
> Quel souffle se dégage de ces extraits de Zundel! C'est réjouissant. Quel renversant paradoxe chrétien dans lequel, l'expérience intérieure de Dieu que fait la personne au plus intime, est rétablissement par le Christ de son lien à la communauté, toujours plus universellement reconnue.
Et ce que tu dis de cette contamination des esprits par le libéralisme jusque dans la vie sacramentelle, en partie devenue affaire privée (au même titre que MON salut à MOI), m'évoque ce long chapitre de Lubac sur le sens universel des sacrements. Je le cite : «Etant les moyens du salut, les sacrements doivent être compris comme des instruments d'unité. Réalisant, rétablissant ou renforçant l'union de l'homme au Christ, ils réalisent, rétablissent ou renforcent par la même son union à la communauté chrétienne. Et ce second aspect du sacrement, aspect social, est si intimement uni au premier, qu'on peut dire quelque fois tout aussi bien ou même qu'en certains cas on doit dire plutôt, que c'est par son union à la communauté que le chrétien s'unit au Christ. Tel est l'enseignement constant de l'Eglise. »
A la suite de Saint-Paul (« Nous formons un seul corps, participant tous à un même pain»), il montre que l'Eucharistie est par excellence le sacrement de l'unité et que tous les Pères s'accordaient en ce sens : « Car lorsque le Seigneur appelle son corps le pain qui est fait de beaucoup de grains réunis, il signifie par là l'union de tout le peuple chrétien, qu'Il portait en Lui. Et lorsqu'il appelle son sang le vin qui, de nombreux raisins, ne fait qu'un seul breuvage, Il signifie encore que le troupeau que nous sommes provient d'une multitude ramenée à l'unité» (Saint-Cyprien). C'est magnifique!
A la suite des Pères, le moyen-âge latin vécut de cette doctrine, avant que lentement, explique Lubac, les habitudes mentales ne changent et que les rapports entre le corps physique du Christ, comme présence réelle dans l'Eucharistie, et son corps mystique ne se trouvent dissociés, en même temps que la foi rétrécie.
Les messes des tous premiers siècles furent profondément imprégnées par ce mystère d'unité dans le sacrement. En témoigne, la plus vieille formule eucharistique qui ait été conservée, et que cite Lubac : «Comme ce pain était dispersé sur les montagnes et que, rassemblé, il est devenu un, ainsi, que soit rassemblée ton Eglise, des extrémités de la terre, en ton Royaume !...Souviens-toi Seigneur, de ton Eglise, et rassemble-la des quatre vents, sanctifiée, en ton Royaume ! ».
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Écrit par : Serge Lellouche / | 25/02/2013
@ Blaise
> Vous touchez un point capital. Le monde financier se fait des lois sur mesure mais écrase le reste par des règlements qui contribuent à tuer les petits structures qui ne peuvent avoir les juriste et spécialistes de procédures de toutes sortes qui sont indispensables dans ce maquis.
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Écrit par : Pierre Huet / | 25/02/2013
LA BONNE PAROLE
> Il est vrai que les catholiques, dans leur grande majorité, ne font pas le lien entre (ultra)libéralisme et "culture de mort", cette dernière étant vue, trop souvent, uniquement des points de vue de la bioéthique et de la conception de la famille.
Entendu par une personne de mon entourage, à la manif du 13 janvier (en substance) : "ce sont les curés de gauche qui nous ont mis dans cette m..." A mon sens : un peu court, comme explication...
Mais bon, il est vrai que beaucoup de gens peuvent être rebutés par l'anticatholicisme à peine voilé d'une grande partie du milieu "objecteur de croissance". Ainsi, tel (assez) célèbre magazine alternatif qui présente - sans ironie- le planning familial comme un mouvement faisant partie de la Décroissance... ça ne facilite pas plus que ça les ralliements !
feld
[ De PP à Feld :
- Bien entendu. Mais si les cathos ne peuvent fréquenter que des gens déjà évangélisés, ce ne sont plus des évangélisateurs, c'est un club du troisième âge... Et ce troisième âge-là peut englober des gens de vingt-cinq ans. Hélas.
- Dire que le malthusianisme fait partie de la décroissance, c'est dire que le productivisme fait partie de l'écologie. Contradiction insoutenable.
- Cependant, une grande partie du milieu écolo pense comme l'hypermarché (non comme l'écologie) dès qu'on en vient aux problèmes de confort personnel, abusivement étendus à la bioéthique.
- Mais les écologistes radicaux, c'est-à-dire cohérents, appliquent l'écologie à l'humain AUSSI.
Et n'adhèrent pas au planning familial, qui n'est rien d'autre que le consumérisme appliqué à la famille...
- Qui peut expliquer ça aux écologistes non cohérents ? Personne d'autre que les écologistes cohérents.
- Qui peut refuser d'aller porter la bonne parole aux incohérents ? Des gens que la propagation de la bonne parole n'intéresse pas...
- ...ou qui ont intérêt à maintenir l'amalgame entre natalisme et libéralisme : invraisemblance à faire hennir les constellations, mais avalée sans frémir par le catho moyen.
- Conclusion : en avant pour propager la bonne parole. Boia chi molla. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Feld / | 25/02/2013
@ Serge et Anne
> Je crois que les catho-libéraux tirent parti de l'affirmation "Dieu ne sait compter que jusqu'à un" pour asséner l'idée selon laquelle la doctrine sociale "n'est qu'une affaire d'individus-vertueux-qui-s'organisent-librement-sous-le-soleil-de-Dieu-et-hors-du-méchant-Etat...surtout s'il est Etat-providence".
J'ai assisté - et un tout petit peu participé- à des échanges avec des héraults du "libéralisme chrétien" sur un célèbre forum (d'autres ont eu plus de courage que moi). Assez fascinant, quelque part. Les mecs sont indéboulonnables. Ne doutent de rien. C'est vrai que, d'une certaine façon, leur pensée est cohérente... Mais comme mon bagage philosophique est assez étique...et que je n'ai pas 10 ans d'escrime derrière moi, je préfère m'abstenir de ce genre de joutes (et comme je tape toujours à 2 doigts, ça me prend un temps fou- lol).
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Écrit par : Feld / | 25/02/2013
@ Anne
"(...) ll nous montre ensuite en partant de l'Eucharistie, comment tous les sacrements sont en vue de la communauté tout entière (...)
Autre grande référence : Eucharistie et mondialisation, de Cavanaugh
http://www.revue-resurrection.org/Eucharistie-et-mondialisation-La
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Écrit par : Feld | 25/02/2013
@ Feld
> « Je crois que les catho-libéraux tirent parti de l'affirmation "Dieu ne sait compter que jusqu'à un" ».
Effrayante vision pour eux que celle de la Sainte-Trinité, rouge expression d'un céleste collectivisme étatiste, ultime bastion de résistance aux "lois immuables du marché" (comme on dit on ne peut plus sérieusement sur le forum que tu cites).
Leur dernière roue de secours, pour préserver quelque temps encore le masque "catho" de leur libéralisme : une théologie au format Medef. Jésus, jeune entrepreneur dynamique et ambitieux, parcourant les chemins de la Galilée à Jérusalem en fustigeant toute entrave étatique aux forces conquérantes du marché et toute limite posée au règne de l'individu-roi.
Pour une saine relecture des Evangiles et de la foi catholique à la lumière de Milton Friedman, c'est ici : http://www.ndf.fr/poing-de-vue/24-12-2012/jesus-ce-liberal
(une perle ! Tout y passe...)
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Écrit par : Serge Lellouche / | 26/02/2013
> La mondialisation s'est établie par intimidation, effacement de toute opposition, bref terrorisme intellectuel, dans les années 90.
A ce moment il n'y avait que le FN et le PCF pour le dénoncer.
Du coup, celui qui était contre était réputé "extrémiste" et avec ça on avait tout dit.
RPR et Cie disaient : grâce au libéral-mondialisme on va supprimer toute possibilité de retour à l'internationale socialiste.
Le PS, lui, disait : grâce au libéral-mondialisme, on va supprimer toute possibilité de retour au nationalisme.
Résultat : on n'a jamais aussi bien établi la dictature à l'échelon planétaire qu'aujourd'hui et comme l'individualisme qui l'accompagne fait que chacun en est le führer-vojd, tout le monde est persuadé d'être libre.
La dictature librement acceptée par inconscience qu'il pourrait y avoir autre chose, par imprégnation complète: bref le totalitarisme libéral.
"la pire dictature naît de l'excès de liberté".
Surtout quand cette liberté est confondue avec la licence.
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Écrit par : E Levavasseur / | 26/02/2013
@ Feld et Serge
> En complément, on a le raisonnement suivant: les héraut de l'anti-libéralisme sont principalement de gauche, or la gauche c'est le diable incarné en politique, donc l'antilibéralisme est antichrétien dans son essence. Des discussions dont j'ai été témoin ressemblaient un peu à une partie de rugby tactique: dès que la question du libéralisme est évoquée, le catholique libéral dégage en touche, si possible dans le camp adverse. Si son contradicteur insiste, il passe aussitôt pour un horrible anti-provie qui n'est pas assez sensible au sort des enfants à naître. Imparable.
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Écrit par : Mahaut / | 26/02/2013
LE TOURNANT DE LA GAUCHE
> En effet! la Gauche vit sur un capital largement usurpé... Cela fait des décennies que les "hommes de gauche" ont rompu avec la parenthèse sociale-démocrate. Et ce tournant idéologique ne remonte pas aux années 90; il est bien plus ancien.
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Écrit par : Blaise / | 26/02/2013
LES ANNEES 1980
> On pourrait retenir la fin des années 70 comme le moment-bascule; ce que fait, par exemple, François Cusset dans son livre "La décennie : Le grand cauchemar des années 1980" http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_decennie-9782707153760.html. Pour la petite histoire, c'est en 1978-80 que Michel Foucault officialise sa conversion au néo-libéralisme...
A moins qu'on ne considère que "la grande bifurcation" ne se situe en 1968: c'est l'option retenue par un ouvrage collectif, " 1968, entre libération et libéralisation : La grande bifurcation" (PUR, 2010 http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2407)
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Écrit par : Blaise / | 26/02/2013
@ Blaise,
> Un tournant néo-libéral chez Michel Foucault ? Du quel parlez-vous ? Je ne vois pas bien...
Par ailleurs, je vous rejoins quant à ce tournant culturel que la gauche va prendre dans les années 70. Le basculement est je crois étroitement lié aux « effets secondaires » de la critique anti-totalitaire et à la réception en France de l'oeuvre grandiose d'Alexandre Soljenitsyne, en premier lieu de «l'archipel du goulag». Réception ô combien orientée idéologiquement, visant à établir dans les esprits ce schéma binaire parfaitement mensonger, dans lequel la gauche est tombée tête baissée (et nombre de catholiques avec, et en un sens moi-même un peu plus tard) : qui est contre le goulag et le totalitarisme soviétique sinon croit aux vertus démocratiques du capitalisme libéral, sinon les considère comme un moindre mal.
On a bien vite mis de côté la virulente critique de l'incivilisation industrielle dans son ensemble, sous régime communiste et capitaliste, menée par Soljenitsyne, déjà précurseur de la décroissance dans son pays.
De même en France, derrière des penseurs anti-totalitaires ô combien respectables comme Cornélius Castoriadis ou Claude Lefort, la scène médiatique a bien vite regorgé des petits roitelets de gauche au service de la nouvelle idéologie dominante : BHL, Glucksman, Kouchner et consorts.
Il est d'ailleurs frappant de voir que Mitterrand a été élu en 81, sur un programme et un style complètement à contre-courant de la révolution culturelle que la gauche avait déjà amorcé.
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Écrit par : Serge Lellouche / | 27/02/2013
@ Vincent
> "Si les ruses aussi flatteuses et séductrices que mensongères du démon ont un visage en notre temps, le jeune trentenaire libéral dynamique doit y ressembler d'assez près."
Cette phrase est d'une justesse absolue. De deux choses l'une, soit vous êtes un "ancien", éduqué à l'ancienne (humanités, universalisme), soit vous avec à peu près mon âge (37 ans), auquel cas c'est un constat vécu. La fréquentation de mes congénères m'en a convaincu : NON, l'entreprise n'est pas une "grande aventure humaine" : en vérité, c'est la fin de l'aventure, sinon même de l'humanité. Alors zut à l'entreprise et son affligeant baratin !
Bartleby est notre ami...
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Écrit par : Guit'z / | 27/02/2013
@ Serge Lellouche
> Je fais allusion au cours donné en 1978-79 au Collège de France par Michel Foucault sur la pensée néo-libérale : "La naissance de la biopolitique".
A mon avis, Michel Foucault, homme de gauche, n'a pas attendu la fin des années 70 pour se convertir au libéralisme; il a simplement « officialisé » cette conversion.
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Écrit par : Blaise / | 27/02/2013
@ Vincent et Guit'z
> Je souscris d'autant plus volontiers à vos propos que les libéraux (jeunes et anciens) ont réussi à faire disparaître toute réflexion sur le sens du travail au profit de valeurs fondées sur l'apparence. Au lieu de s'interroger sur ce qu'on fait, sur le domaine dans lequel on travaille, pour savoir si celui-ci au service du bien commun, il faut donner l'apparence d'être un bon petit soldat de l'économie: on bosse cinquante heures par semaine, on étale de partout les allusions aux réunions qui font finir tard et aux voyages à l'autre bout du monde qui privent les enfants de sa présence, on vante ses formidables capacités managériales, mais on ne sait même plus pourquoi on a choisi ce domaine professionnel plutôt qu'un autre. Être marchand d'armes ou trader n'est pas un crime. Travailler moins de quarante heures par semaine ou choisir un métier dans lequel les salaires sont peu élevés en est un, même si le métier en question est parfaitement compatible avec la doctrine sociale de l'Église.
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Écrit par : Mahaut / | 27/02/2013
@ Blaise,
> Un cours de M.Foucault que l'on peut d'ailleurs écouter ici en audio...
http://michel-foucault-archives.org/?Naissance-de-la-biopolitique
Ce cours consacré à la génèse du "pouvoir sur la vie", dont le libéralisme est le cadre général, est vue par Foucault comme une mutation majeure dans l'histoire humaine; il apparaît plus que jamais d'actualité.
Tant sa perspective est critique, je reste toutefois étonné que vous y voyez la marque d'un "tournant libéral" chez Foucault.
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Écrit par : Serge Lellouche / | 28/02/2013
@ Mahaut
> 100% d'accord avec ce que vous écrivez.
"ont réussi à faire disparaître toute réflexion sur le sens du travail au profit de valeurs fondées sur l'apparence."
j'aurais pu l'écrire.
Je suggère de faire connaitre la règle bénédictine et ce qu'elle dit du travail.
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Écrit par : E Levavasseur / | 28/02/2013
@ Mahaut (et Vincent) :
> A présent, "Être marchand d'armes ou trader n'est pas un crime. Travailler moins de quarante heures par semaine ou choisir un métier dans lequel les salaires sont peu élevés en est un (...)"
Autre aphorisme auquel je souscris sans réserve. Sur le même thème, quelque chose me frappe de plus en plus.
J’ai le sentiment que l’entreprise joue finalement contre elle-même et pas seulement contre nous. D’une part elle sollicite en nous l’ambition et l’âpreté au gain (ce boucher smithien qui est en chacun de nous), de l’autre elle nous veut ses prédicateurs, presque ses bénévoles… Ecartelés par ces incitations contraires, la plupart sont sceptiques ; d’autres s’avouent (en privé) carrément cyniques à son égard : c’est mon cas. Catéchumène vénal et mercenaire gratis, forcément ça ne va pas ensemble…
Marchand de nuages (et de sermons) dans la « com’digitale », pour demeurer un travailleur laïc – un esprit sain dans un monde d’abrutis rationnels – je suis devenu un pur schizophrène libéral, passant le plus clair de son temps à l’obscurcir… D’une main je me démène pour la seule cause réelle (la mienne), de l’autre je maquille mon absolu désintérêt – mon vif sentiment de tout enlaidir et de détruire le sens. Et je ne suis pas le seul ! L’exemple des cyniques d’en haut déteint sur les soutiers ; le parasitisme des imbus provoque la défection des modestes.
Or, si désastreuse soit la religion productiviste, avec son indigente liturgie corporate, nous avons tous, individuellement et collectivement, besoin de travailler, produire, vendre… Rien de mal ni de honteux à ça : au contraire ! Je crois que le détachement tendanciel des contremaîtres que sont les cadres – opérateurs indispensables à tout Système, de domination comme de production – nuira finalement plus à l’économie qu’à l’économisme.
Cette réflexion d’un cadre moyen mériterait sûrement d’être approfondie et relativisée…
Bon, j’arrête ici le pessimisme et le mauvais esprit.
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Écrit par : Guit'z / | 28/02/2013
@ Serge Lellouche
> Je connaissais aussi ce cours de Michel Foucault pour l’avoir écouté ; mais sa dimension critique ne m’a pas autant sauté aux yeux.
D’ailleurs, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie, qui a écrit un commentaire de ce cours, a une interprétation inverse de la vôtre : sans adhérer forcément au modèle économiciste d’un Hayek ou d’un Friedmann, Foucault les rejoignait quant à leur conception de l’homme et de l’émancipation de l’individu. C’est pourquoi, dans un Entretien avec les InRocks, Lagasnerie peut déclarer que Foucault ne se livre « ni [à] un éloge du néolibéralisme ni une dénonciation », – mais s’en sert « comme d’un outil pour penser autrement, interroger la philosophie politique et la théorie sociale, les concepts de pouvoir, de droit, d’Etat, d’émancipation. » :
http://www.lesinrocks.com/2012/11/12/actualite/foucault-a-ete-fascine-par-le-neoliberalisme-qui-a-fait-echo-a-ses-propres-questionnements-11322078/
Je pensais à Lagasnerie lorsque je soutenais que Foucault s’est officiellement converti au néo-libéralisme à la fin des années 70. Mais c’est en écoutant Michéa, que j’ai enfin retrouvé son nom : d’où ma réaction tardive.
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Écrit par : Blaise / | 06/03/2013
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