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21/02/2013

Le changement de pape, la question lefebvriste et la leçon de Jonas dans la Bible

Il est temps de voir cette affaire avec un peu de recul :

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Jonas furieux que Dieu ait d'autres idées que lui.

 


Selon La Croix, Mgr Müller (Congrégation de la foi) et Mgr di Noia (affaires traditionalistes) ont écrit le 8 janvier à Mgr Fellay (FSSPX) pour lui dire de prendre une décision avant le 22 février. La renonciation de Benoît XVI et l'imminence d'un nouveau pontificat ont d'abord paru faire de cette lettre un ultimatum, jusqu'à ce que le P. Lombardi dégonfle les baudruches journalistiques en apportant, ce matin, la précision suivante   : « A propos de la Fraternité St.Pie X, la date butoir du 22 avancée par la presse n'est que pure hypothèse, Benoît XVI ayant décidé de remettre la question à son successeur. Il est donc inutile d'attendre un règlement de la situation avant la fin de ce pontificat. »

Mgr Fellay saisira-t-il un jour la main que lui tendait le pontife ? Aura-t-il le courage de se rallier presque seul (le reste du lefebvrisme ayant dérivé trop loin de l'Eglise pour revenir s'y amarrer) ?

À Dieu tout est possible ! Une grâce de conversion peut venir bousculer la véhémence antiromaine des derniers sermons de Mgr Fellay [1]. Même si, dans celui du 27 janvier prononcé à Paris, il répondait à la lettre romaine du 8 janvier en ces termes

<< ...C'est notre histoire, celle de la Fraternité, celle de notre fondateur. Et cette histoire, mes bien chers frères, elle continue. Je dirais même que, devant cette réalité sublime, parler d’accords ou pas avec Rome, est une bagatelle. Défendre la foi, garder la foi, mourir dans la foi, voilà l'essentiel ! On a l'impression que les autorités romaines ne nous comprennent pas, parce qu'elles n'ont pas compris que, pour garder cette foi catholique, nous sommes prêts à tout perdre. Nous ne voulons absolument pas lâcher la foi. Or malheureusement c'est un fait que l'on constate tous les jours, avec le Concile, par le Concile, et dans le Concile, ont été introduits des poisons qui sont dommageables à la foi, qui conduisent les âmes dans l'erreur, qui ne les défendent plus, qui ne les protègent plus dans leur foi. Nous dénonçons cela, et c'est pour cela qu'on nous condamne. Encore aujourd'hui, la condition que l'on veut nous imposer pour nous reconnaître le titre de catholique, c'est d'accepter ces choses-là qui justement démolissent la foi. Mais nous ne pouvons pas, c'est tout, c'est simple ! >>

Plutôt que de regarder le clan lefebvriste, regardons les millions d'incroyants qui ignorent tout du christianisme. Ceux d'entre eux qui entendent parler de cette affaire en retirent l'impression (suggérée par les journaux de droite et de gauche) que Rome s'est polarisée sur un microcosme antipathique, au lieu d'aller aux vrais problèmes de notre temps. C'est une impression fausse : mais elle est excusable, puisque les médias parlent peu des interventions de l'Eglise dans les grandes questions d'aujourd'hui.

Il faut donc expliquer aux non-catholiques pourquoi Benoît XVI, avec une patience inlassable (et une belle insensibilité aux bêtises insolentes), aura persisté à offrir aux lefebvristes une réconciliation dont ils ne voulaient apparemment pas. Est-ce parce qu'il verrait en eux on ne sait quel purisme conservé ? Evidemment non : il connaît le mélange très suspect qui compose l'idéologie d'Ecône.

L'explication est dans l'Evangile. Par exemple la règle d'or indiquée par le Christ en Matthieu 7, 12 : « Faites pour les autres tout ce que vous voudriez qu'ils fassent pour vous, car c'est là tout l'enseignement de la Loi et des prophètes... » C'est ainsi que Dieu aime : Il n'attend pas que nous fassions le premier pas, mais Il prend l'initiative quelle que soit notre attitude. Comme dit l'exégète, « la bonté du disciple de Jésus ne doit pas dépendre du caractère aimable de celui qu'il aime : conscient de sa propre indignité, il doit apprendre à aider son frère et agir pour le bien d'autrui. Un tel amour n'est pas aveugle : il demeure lucide, à la manière de celui dont témoigne, à notre égard, le Père qui sait ce qui est bon pour nous. »

La leçon de Jonas

Le disciple doit obéir à Dieu même quand Dieu donne des directives déconcertantes – comme d'aller porter Sa parole chez « l'ennemi », au lieu de rester confiné à l'intérieur du petit clan des Purs et des Fidèles.

C'est la leçon de l'histoire de Jonas, dans l'Ancien Testament. Livre de Jonas, 3, 1-10 :

<< La parole du Seigneur fut adressée à Jonas: «Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne pour elle.» Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande: il fallait trois jours pour la traverser. Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant: «Encore quarante jours, et Ninive sera détruite!» Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, prirent des vêtements de deuil. La chose arriva jusqu’au roi de Ninive. Il se leva de son trône, quitta son manteau, se couvrit d’un vêtement de deuil, et s’assit sur la cendre. Puis il fit crier dans Ninive ce décret du roi et de ses grands: «Hommes et bêtes, gros et petit bétail, ne goûteront à rien, ne mangeront et ne boiront pas. On se couvrira de vêtements de deuil, hommes et bêtes, on criera vers Dieu de toute sa force, chacun se détournera de sa conduite mauvaise et de ses actes de violence. Qui sait si Dieu ne se ravisera pas, s’il ne reviendra pas de l’ardeur de sa colère? Et alors nous ne périrons pas!» En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés. >>

Or Jonas avait essayé de ne pas accomplir cette mission, parce que les gens de Ninive (les Assyriens) étaient l'ennemi héréditaire d'Israël, et que Jonas était un « national-religieux » particulièrement crispé, chantre des guerres de reconquête du roi Jéroboam II (793-753 av. JC) : 2R 14,25. C'est à la capitale du féroce empire assyrien que Dieu envoie soudain ce Jonas « assyrophobe » pour y proclamer un message ! Jonas commence par se rebeller contre l'ordre de Dieu et s'enfuir par mer dans la direction opposée ; le début du récit raconte comment Dieu le rattrape et le renvoie à Ninive, où Jonas finit par aller. Il y va contre son gré et affirme que ces païens ne méritent pas qu'on aille leur porter la bonne parole, qui sera sans effet sur eux : « ceux qui s'attachent à de vaines idoles se privent de la grâce », prétend-il (2,9). Mais quand sa prédication réussit à Ninive – ce à quoi il ne s'attendait pas – son tempérament national-religieux ressurgit : voyant les Assyriens se bien comporter, eux qui ne sont pas du peuple d'Israël (et sont même ses ennemis), il entre en fureur devant un miracle divin qui n'est pas conforme à ses désirs. Quoi ! Les Ninivites font pénitence et Dieu renonce à les châtier ? « Jonas le prit très mal et se mit en colère. Il adressa cette prière à l'Eternel : "Ah, Eternel ! Je l'avais bien dit quand j'étais encore dans mon pays. Et c'est pour empêcher cela que je me suis enfui à Tarsis. Car je savais que tu es un Dieu plein de grâce et de compassion, lent à se mettre en colère et riche en amour, et que tu renonces volontiers aux menaces que tu profères. Maintenant, Eternel, prends-moi donc la vie, car la mort vaut mieux pour moi que la vie !" »

(On pense à Mgr Fellay proférant la même idée furibonde et sinistre dans son sermon du 27 janvier : «mourir... » « nous sommes prêts à tout perdre... »)

Mais Dieu, avec une fermeté patiente qui fait penser à celle de son serviteur Benoît XVI, donne une leçon au mauvais prophète qui préfère son petit clan à l'apostolat chez les païens. C'est l'épisode du « ricin » (une plante à croissance rapide), qui pousse en une nuit et donne une ombre bienfaisante, puis meurt subitement : ce qui jette Jonas dans un nouvel accès de rage et de désir de mort, auquel Dieu répond paisiblement : « Tu t'apitoies sur ce ricin... et tu voudrais que moi, je n'aie pas pitié de Ninive, de cette grande ville où vivent plus de cent vingt mille personnes qui ne savent pas distinguer le bien du mal, sans compter des animaux en grand nombre ! » Et c'est sur cette phrase de bienveillance universelle (étendue aux animaux) que s'achève le livre. On ne sait pas quelle réponse fera Jonas, ni s'il prendra conscience d'avoir été un mauvais prophète, préférant ses propres opinions aux directives de Dieu...

Jonas-Fellay a reçu une directive divine par la voix de notre pape Benoît : celle de quitter l'esprit de clan pour rejoindre l'apostolat universel de l'Eglise, dans le monde d'aujourd'hui « qui ne sait pas distinguer le bien du mal ». Comme le récit biblique, l'aventure s'achèvera-t-elle sans que le mauvais prophète fasse enfin confiance en l'Eternel ? Prions pour qu'il n'en soit pas ainsi, et advienne que pourra.

 

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[1] << Entre la Fraternité St-Pie X et le Vatican, la fracture peut-elle se réduire ? Cette fracture s'était ouverte en 1970, quand Mgr Lefebvre créa le séminaire suisse d'Ecône. Elle s'est aggravée vers 1980, quand le « lefebvrisme » a paru s'organiser en Eglise parallèle. Mgr Lefebvre avait lancé son mouvement pour sauver « l'Eglise de toujours » de ce qu'il appelait « larévolution conciliaire ». En effet, sa phobie était Vatican II : le grand concile de 1962-1965 auquel avaient pris part tous les évêques catholiques, dont Mgr Lefebvre lui-même – qui en avait voté presque tous les textes avant de se persuader (plus tard) qu'ils étaient catastrophiques. Cette évolution du vieil archevêque était venue de son entourage, plus radical que lui – et dont la radicalité allait s'accentuer au fil des ans. « Ça va mal tourner », disait dès 1974 le vieil exégète dominicain Ceslas Spicq qui venait, de son couvent de Fribourg, donner des cours à Ecône : « je n'aime pas certaines choses que j'entends ici... »Puis il rompit avec les lefebvristes.

Ceux-ci s'installaient en effet dans une ambiguité : ils recommandaient aux fidèles de ne pas mettre les pieds à la « messe de Paul VI », mais ils n'en démontraient pas l'invalidité ; ils condamnaient les actes des papes depuis Jean XXIII, tout en réaffirmant scrupuleusement la fidélité d'Ecône à Rome... Plus le lefebvrisme durait, plus il tendait à fonctionner comme un schisme – sans se l'avouer à lui-même. Quant il en vint à créer ses propres tribunaux ecclésiastiques dans les annulations de mariage (par méfiance envers « le laxisme romain »), ce symptôme devint alarmant. « Pourquoi vous organisez-vous hors de l'Eglise ? » demandait le Vatican. « Nous sommes dans l'Eglise de toujours ! », répondait Ecône, ce qui paraissait vouloir dire : « l'Eglise de toujours, c'est nous. » Cette prétention était grande... Si grande, en fait, qu'elle donnait un malaise à des traditionalistes modérés comme le P. Gérard Calvet, fondateur de l'abbaye bénédictine du Barroux en Provence, qui voyait venir la crise. Il finit par désavouer Mgr Lefebvre lorsque celui-ci sacra à Ecône, le 30 juin 1968, quatre évêques malgré l'interdiction de Jean-Paul II.

Faire des évêques malgré le pape est un geste gravissime dans l'Eglise catholique. Dès le 1er juillet, un décret du Vatican déclarait que Mgr Lefebvre et ses quatre évêques s'étaient excommuniés eux-mêmes par cet « acte schismatique ».

Vingt ans plus tard, le 21 janvier 2009, Rome levait l'excommunication pour pouvoir rétablir le contact. Le nouveau décret précisait : « On espère que ce pas sera suivi de la réalisation rapide de la pleine communion avec l'Église, de toute la Fraternité St Pie X ». Autrement dit : aux yeux du Vatican, la Fraternité St Pie X n'était pas « en pleine communion », mais elle allait pouvoir y rentrer – à condition de le vouloir. Quant à cet « on » anonyme, il désignait évidemment le pape Benoît XVI. Joseph Ratzinger tentait de fermer la plaie, pensant que cette tâche faisait partie de son devoir universel de pasteur. Mais comme le lefebvrisme repose sur le rejet de Vatican II, concile dont l'oeuvre irrigue aujourd'hui l'Eglise catholique, la réconciliation n'allait pas être facile. À quelles conditions ? En combien de temps ?

Une interminable négociation s'ouvrit alors. La bonne volonté du Vatican était évidente aux observateurs. Celle des lefebvristes l'était moins. Leurs chefs ne cessaient de répéter : « nous ne sommes pas demandeurs. » Leur supérieur général, Mgr Fellay, allait même dire, à propos du désir de réconciliation : « j'ai l'impression qu'ils l'ont plus que nous... » Cette phrase visait les interlocuteurs romains en général, et explicitement l'archevêque Di Noia, président de la commission romaine chargée des traditionalistes ; ce qui en disait long sur l'état d'esprit de la Fraternité St Pie X.

Dans une homélie du 1er novembre 2012 à Ecône, Mgr Fellay expliquera finalement que ces trois années de négociations avec Rome ne pouvaient aboutir à rien. Puisque Rome demandait des contreparties, révèlera-t-il, «j'ai répondu qu'on ne pouvait pas, qu'on n'allait pas sur cette voie. »

La « voie » que Mgr Fellay a rejetée, ce sont les trois conditions posées par Benoît XVI dans sa lettre du 30 juin 2012 : 1. admettre que le pape et les évêques sont « le juge authentique de la Tradition »; 2. admettre que Vatican II « fait partie intégrante de la Tradition »; 3. admettre que la messe dite  de Paul VI « est valide et licite ».La messe de Paul VI est une abomination aux yeux d'Ecône. Les deux premiers points aussi sont déclarés inadmissibles par Mgr Fellay : s'il reconnaît – en théorie – que seuls le pape et les évêques sont habilités « à dire ce qui fait partie de la Tradition », lui ne veut pas que Vatican II en fasse partie, donc il ne signera pas l'accord. « Les conditions que l’on trouve dans la lettre sont pour nous tout simplement impossibles... Nous répondons que nous ne pouvons pas. C'est tout. »

Que vont faire les lefebvristes ? Poursuivre les hostilités habituelles contre « l'Eglise conciliaire ». À Paris, le 11 novembre dernier, lors d'un sermon aux fidèles de Saint-Nicolas du Chardonnet, Mgr Fellay fait un parallèle aventureux entre la validité de la messe de Paul VI et la validité des messes noires. Et il reprend à son compte une révélation privée affirmant que Rome devient le siège de l'Antéchrist... Peu auparavant,le site internet du district de France – bastion de la Fraternité St Pïe X – accusait Benoît XVI de « mettre en doute la certitude de la foi elle-même ». Quant au supérieur de la Fraternité en Allemagne, il taxait d'hérésie le nouveau préfet de la Congrégation de la foi, Mgr Gerhard Müller : un ami personnel du pape.

Il faut dire que Mgr Müller porte peu d'affection aux lefebvristes. Le 6 octobre, à la radio Norddeutscher Rundfunk, il annonce l'échec des contacts avec la Fraternité St Pie X en ces termes :« Nous ne pouvons pas abandonner la foi catholique dans ces négociations, il n'y aura pas de compromis là-dessus. Je ne pense pas qu'il y aura de nouvelles discussions... » En clair : le concile Vatican II répond aux questions modernes par un retour aux racines du christianisme ; l'Eglise ne va pas se priver du concile pour faire plaisir aux lefebvristes.

Les négociations Rome-Ecône ont avorté : en ce mois d'octobre 2012, voilà une information. Pourtant elle est boudée par les journaux. Ils ont l'air de regretter cette fin-là. En attendaient-ils une autre ? Depuis plusieurs mois ils recevaient de mystérieux coups de téléphone, qui annonçaient toujours la signature imminente de l'accord. Qui donc appelait en secret les salles de rédaction ? Etait-ce la voix qui « informait » aussi Mgr Fellay en lui promettant des choses insolites, comme il l'a révélé dans son homélie du 1ernovembre ? « Cela venait par des canaux officieux, mais ''très proches du pape''. Je vous donne quelques-unes des phrases qui me parvenaient :''N'ayez pas peur, après [avoir signé l'accord] vous pourrez continuer à attaquer autant que vous voulez, comme maintenant...'' Et cette autre : ''Le pape est au-dessus de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Même si la Congrégation pour la doctrine de la foi prend une décision contraire pour vous, le pape passera par dessus...'' »  Promesses peu vraisemblables, et Mgr Fellay lui-même semble ne les avoir crues qu'à moitié. Pour finir il écrivit directement à Benoît XVI... et découvrit ainsi la réalité en recevant une réponse du pape, par la lettre du mois de juin contenant les fameuse « trois conditions ». Le supérieur lefebvriste savait dès lors à quoi s'en tenir. Mais jusqu'au dernier moment, raconte Mgr Fellay, le mystérieux informateur avait essayé de le convaincre de ne pas prendre au sérieux la lettre de Benoît XVI : «  Vous allez recevoir une lettre dure, mais restez calme ...  pas de panique... »

Pouvait-on penser que Benoît XVI voulait les lefebvristes à n'importe quel prix, quitte à « dégrader Vatican II »comme disait sans ambages Mgr Fellay ? Cette rumeur a séduit les médias, mais l'informateur discret mystifiait son monde : « il nous a enfumés »,dit avec agacement un vaticaniste.

Que le concile soit cause de tous les malheurs est une idée qui survit au delà des frontières de la Fraternité St Pie X, dans un courant informel que l'historien de l'Eglise appelle « intégrisme » et qui soutient plus ou moins, du dehors, la Fraternité St Pie X. Plus qu'une doctrine purement religieuse, l'intégrisme est un tempérament général, une nostalgie, un regret du monde simple des années 1950 : le monde de la guerre froide, où un camp politique du Bien était censé affronter un camp politique du Mal, et où l'Eglise était (imaginent certains) l'aumônerie du camp du Bien. Déjà inexacte pour le monde d'hier, cette vision correspond encore moins à celui d'aujourd'hui : un monde sans repères, aux quatre vents des incertitudes. Il y a donc un quiproquo entre Benoît XVI et les « intégristes ». D'une part, l'Eglise sait qu'elle doit trouver les moyens de se faire entendre du monde nouveau ; et le chef de ce chantier est le pape, avec ses livres, ses discours et ses encycliques. Mais certains, d'autre part, cherchent à « pousser le pape dans une meilleure direction » : selon eux, l'urgence ne serait pas d'évangéliser le monde actuel, mais de continuer à combattre un camp politique du Mal (après le péril rouge, il y aurait un péril vert : couleur de l'islam et/ou de « l'écologisme »). Et pour cette guerre ils pensent avoir besoin des plus durs : les lefebvristes, partisans de la guerre sainte, y compris la guerre dans l'Eglise catholique qu'ils déclarent peuplée d'agents du diable.

Mais les guerres intestines ont toujours nui à l'Eglise, comme le rappelle un prélat émérite : « le Saint-Siège sait depuis plus de cent ans (l'expérience de la crise « moderniste » de 1910) quels dégâts peuvent commettre les réseaux de désinformation, qu'ils soient de droite ou de gauche. Et la mission de l'Eglise est autrement plus vaste qu'une guerre politico-religieuse. ».

Le pape n'est pas ce que croient les « intégristes » ni les journaux. Il tient beaucoup au concile. Professeur de théologie, l'abbé Ratzinger voyait que les progressistes faisaient dire à Vatican II le contraire de ce qu'il avait dit. Préfet de la Congrégation de la foi, le cardinal Ratzinger ne cessait de pousser les catholiques à découvrir le vrai Vatican II. Devenu pape, Joseph Ratzinger demande qu'on lise le concile dans la continuité de la grande Tradition catholique : mais cette continuité est niée par les progressistes, qui rejettent la Tradition, et par les lefebvristes, qui rejettent le concile. D'où le blocage... Benoît XVI a certes rendu accès au rite ancien de la messe («question de continuité », dit-il dans son livre de 2010) ; mais la question de la messe est secondaire aux yeux des chefs lefebvristes, pour qui l'essentiel est de combattre « l'Eglise de Vatican II ».

Le 7 octobre 2012, lendemain de l'annonce par Mgr Müller de la suspension sine die des discussions Rome-Ecône, s'ouvrait au Vatican le synode des évêques sur la « nouvelle évangélisation » : c'est-à-dire l'évangélisation d'une société « entièrement nouvelle », selon le mot célèbre du cardinal Lustiger. « Il ne s'agit pas seulement d'être croyants, mais d'être croyables  : les croyants ne doivent pas donner l'image d'un groupe fermé », avait dit un intervenant au synode. Le groupe lefebvriste s'est créé autour de l'idée que le catholicisme « agonise »par la faute du concile, mais le catholicisme n'« agonise » qu'en Europe : partout ailleurs il grandit, comme le soulignent les évêques d'Asie, d'Afrique et d'Amérique. Si le catholicisme européen va mal, c'est donc de la faute des Européens, catholiques ou non. Ce n'est pas de la faute du concile.

Evangéliser à nouveau l'Europe est le but de Benoît XVI. Le pape encourage les nouveaux mouvements et les nouvelles méthodes : « nous devons en permanence réformer notre langage, savoir vivre et parler de façon convaincante », expliquait Marc de Leyritz, l'un des laïcs invités au synode. Il est le fondateur en France des « parcours Alpha », ces dîners cordiaux (« venez comme vous êtes »)au cours desquels les gens découvrent ce qu'est la foi. Un millier de ces groupes fonctionnent aujourd'hui dans l'Hexagone. Pour les catholiques comme pour tout le monde, les querelles du siècle dernier ne sont plus de saison. >>

 

(PP, Le Spectacle du Monde, décembre 2012).

  

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"Cette grande ville qui ne sait pas distinguer le bien du mal..."

Commentaires

BAGATELLE

> Revenir à l'Eglise, une bagatelle...Ben voyons!
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Écrit par : Pierre Huet / | 21/02/2013

JOURNALISTES

> "la date butoir du 22 avancée par la presse n'est que pure hypothèse, Benoît XVI ayant décidé de remettre la question à son successeur. Il est donc inutile d'attendre un règlement de la situation avant la fin de ce pontificat." Ils ont l'air malin, les journalistes qui écrivaient (jusqu'à hier) que Benoit XVI allait tout tenter pour que l'accord soit signé avant son départ, ou même que sa décision de partir était sa dernière action pour tenter d'imposer la signature de l'accord !!!
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Écrit par : clerus / | 21/02/2013

UNE REFLEXION

> une réflexion évangélique sur la démission de Benoît xvi
L’édito de la semaine / Le Pape a démissionné… et alors ?
http://actualitechretienne.wordpress.com/2013/02/19/ledito-de-la-semaine-le-pape-a-demissionne-et-alors/
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Écrit par : thomas / | 21/02/2013

> Vous appelez ça une réflexion ? c'est grossier, agressif et creux.
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Écrit par : Alissa / | 21/02/2013

MERCI POUR CET EXPOSE

> C'est un détail, mais Mgr Müller est l'ex-évêque de Regensburg, où enseigna Joseph Ratzinger, et non de Munich.
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Écrit par : Monique T. / | 21/02/2013

BIBLE

> Pardon, HORS CONTEXTE mais trop beau pour la fête de la chaire de St-Pierre Apôtre et vue la teinte de ces jours-ci :
http://www.bibledespeuples.org/LecturesJour/Homel/_Mt_16.13-19.htm
Au passage : merci pour le travail que vous accomplissez.
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Écrit par : Gérald / | 22/02/2013

CONFLIT D'INTERÊTS

> Le conflit d'intérêts entre le service de Dieu et le service de la cité (ou ce qu'on prend pour tel) est une constante dans l'histoire, bien plus attestée que le pseudo-accord entre les deux domaines, accord très rarement réalisé contrairement à ce que prétend l'imagerie réac.
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Écrit par : Perrin / | 22/02/2013

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