06/12/2012
Le 13 janvier et Notre-Dame-des-Landes
Une réflexion de notre ami "Luc2" (Bruxelles) :
...en écho au fil de débat sur les catholiques par rapport à ces deux luttes :
<< Serge soulève une vraie question que je me suis souvent posée moi aussi: pourquoi a-t-on l'impression que les catholiques ne se mobilisent que sur les sujets de moeurs? Je précise "l'impression", parce que l'ineffable Cécile Duflot m'a au moins permis de découvrir que les cathos français (affreux petits bourgeois coincés incapables de danser la zumba dans leur très large majorité), répondent quand même pas mal présent pour peu qu'on les y pousse un peu, et vont même jusqu'à faire ami-ami avec le SDF chinois alcoolo du coin - et tout ça discrètement sans la ramener. Ils seraient même des dizaines de milliers comme ça, si j'en crois Le Figaro. Tout n'est donc pas perdu
Quelques éléments d'explication qui me sont venus à l'esprit et qui n'ont pas été évoqués ici.
1. En premier lieu: le Magistère. Ce que je vais dire est un constat, pas un reproche: si les catholiques se mobilisent surtout pour des sujets de moeurs, cela tient, à mon avis, en partie au Magistère.
On sera excommunié si on participe à un avortement, on ne le sera pas si on vote Paul Ryan (et à vrai dire, on ne le sera même pas si on EST Paul Ryan !)
Au delà de la boutade, je veux dire par là qu'il n'y a pas tellement de sujets dont la réponse soit simple et univoque. Il se trouve que l'avortement ou le mariage homosexuel en font partie. Si un croyant se tourne vers l'Eglise pour savoir qu'en penser, il aura sa réponse nette et sans bavure: c'est non. Si par contre, il se pose la question: "faut-il construire un nouvel aéroport près de chez moi ?"... eh bien, il sera renvoyé à son discernement, éclairé par des principes clairs mais de portée générale. Et c'est tant mieux que l'Eglise soit parcimonieuse dans ses interdits et que, dans la plupart des cas, elle laisse leur autonomie de pensée à ses fidèles. De là le fait que les analyses divergent et aussi qu'il y ait, sur certains sujets, des croyants plus informés que d'autres. Même sur ce blog, on voit bien que des gens sensibles aux mêmes questions ont des points de vue différents (et encore en reste-t-on ici, en général, aux débats d'idées : je pense que les divergences seraient plus marquées encore si on passait à la mise en oeuvre de solutions concrètes).
Alors évidemment, il est plus difficile de fédérer autour d'un mot d'ordre que chacun interprète à sa manière. (Et entendons-nous bien: je ne dis pas que tout le monde a raison, je constate simplement que le message de l'Eglise est moins univoque)
2. Je pense que les catholiques ont aussi le sentiment justifié que, sur ces sujets, ils seront seuls ou presque à réagir. Et qu'ils auront quasi tout le monde contre eux. Et méchamment. Avec un mot d'ordre unique: fermez-la. Alors, ils n'ont guère d'autre choix, pour conserver leur liberté de penser, que de dire MERDE publiquement et bien fort. C'est en tout cas une des raisons qui ont pu me motiver, personnellement, à parfois m'afficher publiquement. La simple idée qu'il m'était insupportable d'avoir peur de le faire (et plus insupportable encore: d'accepter d'avoir honte, comme tout le monde autour de moi aurait tant voulu que ce soit le cas).
Ont-ils raison, ont-ils tort? Dans mon cas, j'avoue avoir trouvé cela fondamentalement sain. Et j'ai le sentiment très net que c'est parfois aussi ce que fait, délibérément, Mgr Léonard en Belgique. Il ne cherche pas en soi à choquer, mais il s'interdit de ne pas dire ce qu'il pense simplement parce que l'air du temps réagira à une parole vraie avec l'hystérie de barbus face à un blasphème.
Kant a dit, paraît-il, un truc du genre: "la plus haute marque de respect que l'on puisse témoigner à quelqu'un, c'est d'oser lui exprimer son désaccord". Sauf son respect, je lui témoigne mon total accord sur ce point. C'est je pense, une forme de véritable respect pour autrui que d'oser parfois publiquement et bien fort lui dire merde.
Dernières petites réflexions perso, en vrac et à casser, où chacun trouvera ce qu'il veut.
- Il y a une grosse différence entre dire des choses vraies et dire la vérité. Si un ami me demande de parler de lui et que je ne fais qu'énumérer ses défauts, je n'aurai peut-être dit que des choses vraies, je n'aurai pas dit la vérité pour autant. Et comme catholique qui avons la prétention de La suivre, c'est la Vérité qui nous intéresse. Dire des choses vraies ne suffit pas.
- La radicalité pour la radicalité est une forme de paresse. C'est le juste milieu que nous avons à chercher. Il suffit de prendre un bâton tordu comme peut l'être la vie pour se rendre compte que ses extrémités sont beaucoup plus faciles à trouver que son point d'équilibre. Alors, on me dira: "Dieu vomit les tièdes". Certes, il y a des cas où le point d'équilibre, c'est l'extrémité. Quand l'un des côtés pèse un poids infini et l'autre, rien. Quand l'un des côtés est l'Amour, par exemple. Mais dans la plupart ces cas, la solution (théorique, parce qu'après, la pratique, c'est encore autre chose) n'est pas si simple et il nous est demandé humblement d'accepter de tâtonner indéfiniment pour nous en approcher.
Je sais, je sais, Léon Bloy, Georges Bernanos ... Et puis aussi: Dorothy Day*, la seule des trois qui va être canonisée, au final. Deux petits extraits de portraits d'elle et que je trouve intéressants:
" Because of her unusual love, Day always looked for the “better” in people, even when she knew they had flaws. Her daring political views—about war and economics—brought her into conflict with cardinal Spellman, yet she always defended his honor. “If anyone spoke against him, she’d always stand up for him,” said friend and biographer, Jim Forest, to author Rosalie Troester:
And it wouldn’t be in generalities. She told me once that Spellman had priests who didn’t like to receive calls to go down to the Bowery to administer last rites. He told the person answering the phone, ‘If any of those calls come through give them to me personally.’ Dorothy knew things like that about people, and she would tell them to show their good side. She was quite different than most of us. If we decide we don’t like somebody, we make it a kind of hobby to collect reasons to not to like that person. We develop quite a number of reasons to justify our irritation. Dorothy had a lot of reasons to dislike cardinal Spellman, but it was more her hobby to find out things to admire about him."
Ce qui ne l'empêchait pas d'être ferme sur ses positions ...
"Liberal** Catholics like to point out that Dorothy was not afraid to be critical of the Church. That is true, but one of the incidents they most like to cite in fact reveals her love for the Church and her respect for Church authority. In March 1951, during Francis cardinal Spellman’s tenure as Archbishop of New York, Dorothy received a letter from Monsignor Edward Gaffney, asking her to “drop by” the chancery. During their meeting he informed her that she would have to cease publication of Catholic Worker or change the name of the newspaper - ”Catholic” could not be used. Dorothy went home to discuss with the CW staff what response to give to the monsignor. In her journal she wrote: “Mike Harrington [later author of The Other America] urges me to fortitude and the fighting of obscurantism in the Church.” (Shortly thereafter, incidentally, Harrington ended his brief stint at the CW, complaining that Dorothy was not a socialist and was too Catholic.)
Several days later Dorothy sent her response to Gaffney. “First of all,” she wrote, “I wish to assure you of our love and respectful obedience to the Church, and our gratitude to this Archdiocese, which has often and so generously defended us from many who attack us.” As to the use of the word “Catholic,” she suggested that “I am sure no one thinks the Catholic War Veterans (who also use the name Catholic) represent the point of view of the Archdiocese any more than they think the Catholic Worker does.” She then dutifully requested a list of any scholarly mistakes or theological or spiritual errors the paper might have propounded. She slyly added that if CW were to cease publication, that “would be a grave scandal to our readers and would put into the hands of our enemies, the enemies of the Church, a formidable weapon.” She concluded the letter by promising to try to become a better editor. She never heard again from Monsignor Gaffney.
Dorothy was often asked what she would have done if the cardinal had insisted that she close down the CW. She told Robert Coles she would have obeyed - but would have also invited the CW readership, some ninety thousand, to join her in a day of fasting and prayer at St. Patrick’s Cathedral."
Luc2 >>
[ NDB :
* voir dans notre blog, note du 28/11.
** Aux lecteurs qui ne le sauraient pas : "liberal" en américain veut dire "progressiste". ]
09:17 Publié dans Ecologie, Eglises, Idées, La crise, Médias, Social, Société, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : catholiques, christianisme, mariage, notre-dame-des-landes
Commentaires
> ... et « progressiste » veut dire libéral! la boucle est bouclée.
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Écrit par : Blaise / | 06/12/2012
STIMULANT
> Merci Luc pour votre réflexion stimulante. Juste un point rapide sur la question du Magistère que vous soulevez. Il me semble que la muraille séparant d'un côté "les 3 points non-négociables" autour des mœurs et de l'éthique, et les questions économiques et écologiques de l'autre, vacille sous nos yeux et ne tiendra pas bien longtemps. Voir à cet égard la « Note doctrinale concernant certaines questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique » publiée en 2002 sous l'autorité du cardinal Ratzinger. Cette note est résolument orientée vers « le bien intégral de la personne » et dans son énumération même elle met à plat le refuge complaisant dans « les trois points non-négociables ». La question de la dignité de la personne à l'aune de cette note ouvre grand la frontière entre questions éthiques-morales et questions socio-écolo-économiques...
http://www.doctrine-sociale-catholique.fr/index.php?id=7025
Autre point, et j'y reviendrai même si ça fait grincer des dents. Cette disproportion que vous pointez entre un surinvestissement catholique d'un côté et ce que j'appelle moi une large complaisance de l'autre, s'enracine dans une contradiction termes à termes, qui a un nom : la bourgeoisie-catholique. Et de grâce, arrêtons de tourner autour du pot en faisant croire que l'on réduit la foi catholique à la lutte des classes quand l'on nomme cette contradiction. Le Magnificat, c'est du marxisme ?
(vous voyez, on s'refait pas cher Denis...:)
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Écrit par : Serge Lellouche / | 06/12/2012
COMMENT FAIRE
> Je rejoins assez Serge sur les racines du problème, qu'il définit comme la "bourgeoisie catholique". Je me reconnais d'ailleurs très bien dans cette bourgeoisie, et je sais être largement en cause dans la détresse et le malheur de mon prochain. Tenter de sortir de cette bourgeoisie est un effort permanent, un aveu quotidien de faiblesse dans la charité.
Hier je passais l'après-midi, totalement par "hasard", avec l'antenne locale de la société St Vincent de Paul et ses bénéficiaires pour fêter la St Nicolas. Ce genre de coup de pouce de la Providence ne m'arrive pas assez souvent pour que j'en ressorte indemne.
Cet après-midi j'irai faire les courses de la semaine, et comme d'habitude, en sortant du magasin, j'oublierai vite combien je viens de dépenser... parce que ce n'est pas tellement un problème pour notre famille. Chaque jour je continuerai de manger à ma faim, de dormir au chaud. Je suis un de ces puissants du Magnificat, j'ai le pouvoir : pouvoir de subvenir à mes besoins, d'élever mes enfants comme je le souhaite, et même de me faire aimer. J'ai le pouvoir de dire ce que je pense, de faire jouer les trémolos ou la colère, comme l'exprime d'ailleurs si bien Natalia dans son dernier billet, elle qui - avec d'autres bourgeois en perpétuelle conversion - a récemment ouvert un service d'écrivains publics bénévoles dans son quartier. Hier avec les bénéficiaires de St Vincent de Paul, j'ai un peu chaviré de mon trône, bouleversé encore une fois par ceux qui sont tout cabossés par la vie. Mais je me relève vite, oh que oui. Et ma vie reprend, tranquille, sereine. Confortable. Riche.
La conversion est un lent et permanent travail, disais-je. Je ne dis pas tout ça pour attirer une quelconque complaisance à l'égard de cette bourgeoisie catholique que je représente trop bien. Non, surtout pas, au contraire. Je - et tous les catholiques comme moi - sont un scandale pour l'Eglise, pour le Christ, quand tant de pauvreté les entoure, quand tant de gâchis est fait. Et quand nous sommes tellement complices.
Quand C. Duflot a fait son sketch dans la presse, ma première réaction ça a été de recompter combien de SDF je pourrais loger chez moi. Et de pleurer. Je ne sais pas comment faire. L'autre jour un SDF très très "abimé" est passé devant ma voiture, lors que je sortais du parking. Le temps que je me raisonne, que je me dise que je devrais lui proposer de venir à la maison, manger quelque chose, prendre une bonne douche chaude, quelques vêtements... je l'ai laissé filer. Comme un lâche. Je l'ai cherché plus tard, sans trop y croire. En vain. J'en vois qui essaient beaucoup mieux que moi : je vois tous ceux-là qui s'investissent au Secours Catholique, au CCFD ou ailleurs, et qui le soir rentrent aussi dans leur doux chez-eux - peut-être un peu plus blindés par le contact fréquent avec la misère qu'ils essaient méticuleusement d'endiguer. Cette incapacité peureuse, mécréante, à basculer radicalement dans le don de soi, celle du jeune homme riche de l'évangile, est une honte avec laquelle j'ai appris un peu à vivre - et c'est tragique. Repartir d'une journée comme hier sans avoir laissé tout ce que je possédais, tout ce qui me possède, à cette cinquantaine de personnes dans le besoin, est une honte. Alors forcément, j'imagine que pour beaucoup, ces bourgeois-là, les bénévoles pour qui cela est régulier, ces femmes de bourgeois, au foyer, qu'on retrouve dans tous ces mouvements, la ramènent moins. On les entend moins, comme l'a remarqué Luc2.
Pour répondre plus directement à Luc2, justement, le travail de conversion est lent et laborieux pour le français moyen. Et il demande un secours permanent de la grâce. Plus on s'y plonge, moins on a le temps de s'en indigner, en réalité. Enfin c'est ce que j'ai cru remarquer. Parce que j'en ai passé du temps, moi, à pester contre les autres dans tout un tas de domaines sociaux et politiques. Tiens, j'irai marcher le 13 janvier, parce qu'à part aimer ma femme et mes enfants du mieux que je le peux, je ne sais pas comment défendre cette chose si belle qu'est le mariage. Et je proteste contre mes élus qui mettent à sac la dignité humaine en laissant transformer les embryons en marchandise, parce qu'à part vivre autant que je peux la chasteté, et prier, je ne sais pas comment on défend autrement la vie commençante... Alors un soir, au lieu de m'abrutir devant la télé, j'écris une lettre. Ça je peux faire, c'est facile. Mais pour la pauvreté, oui c'est vrai que comme les autres bourgeois, je me tais. Parce que je ne fais presque rien et que je sais que c'est sur moi que ce problème repose, sur ma solidarité attendue et si peu donnée. Alors je peste contre moi-même, dans le silence de ma maison, bien au fond. Et du coup, je ne peste pas contre les autres bourgeois comme moi : d'abord je n'ai pas le temps, et surtout pas la conscience assez tranquille non plus pour le faire.
Sinon, je pourrais disserter des heures sur le discernement du magistère en certaines matières peccamineuses, qui conduisent souvent à réfléchir sur ce que cela suppose encore de conversion pour nous-mêmes, mais je crois que ça deviendrait un peu trop longuet. Je crois qu'on peut commencer par lui faire confiance, à ce magistère, et y trouver déjà une occupation suffisante à s'y convertir, plutôt qu'à se frustrer de ce qu'il n'est pas équilibré comme on l'aimerait.
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Écrit par : Pneumatis / | 06/12/2012
UN POINT
> Bien d'accord avec toi cher Serge, sauf sur un petit point : lorsque tu parles de surinvestissement. Je ne crois pas que ce terme soit juste, vu que les combats sociétaux sont aussi critiques que les combats économiques. Il faudrait juste que les catholiques soient aussi ardents sur les combats économiques qu'ils le sont sur les combats sociétaux.
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Écrit par : Gilles Texier / | 06/12/2012
LE NON-NEGOCIABLE
> Cher Gilles,
en fait par «surinvestissement» je ne voulais pas négliger l'importance du «sociétal», sûrement pas, mais juste souligner une disproportion au détriment de tout le reste. Tout l'engagement catholique devrait se réarticuler autour de la dignité de la personne humaine ; là est le non-négociable nous dit Benoît XVI.
Amitié
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Écrit par : Serge Lellouche / | 07/12/2012
SIMULTANEITE TROUBLANTE
> En tout cas, la simultanéité des deux débats dans l'actualité a quelque chose de troublant : défense des espaces naturels contre les libéraux d'un côté, défense de l'écologie humaine contre les libertaires de l'autre ! Et si l'un nous aidait à penser l'autre ? Dans les deux cas, une violence et un autoritarisme de la part du gouvernement. Dans les deux cas, un projet inutile et coûteux pour la société. Au fait, suis-je la seule à trouver que le nom même du site prévu pour l'aéroport n'est pas anodin ? Il semble que Notre-Dame s'invite dans le débat.
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Écrit par : MB / | 11/12/2012
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