17/11/2012
Réponse à un "catholique de sensibilité tradi" qui déplore les polémiques actuelles
Mais qui "ne fout plus les pieds à l'église
que pour les enterrements" :
<< Bonjour, je suis royaliste "camelot du roi", tendance Bernanos - d'Estienne d'Orves, gaulliste fils et petit-fils de Français(e)s Libres monarchistes AF... Aussi, catholique de sensibilité tradi, de l'armée de ceux qui ne foutent plus les pieds dans une église que pour les enterrements... Ces échanges me le confirment, le christianisme n'est même plus l'écume de la nuit française. >>
Bonjour. Vous m'avez envoyé ce message dans le fil de commentaires, mais avec une telle carte de visite ("tendance Bernanos - d'Estienne d'Orves") que je tiens à vous répondre ici, et tout au long.
Le sentiment que vous exprimez, je le comprends très bien parce que je l'ai partagé. J'avais vingt-trois ans et c'était en 1970 : au moment où les "échanges" entre catholiques atteignaient une violence que vous n'imaginez pas si vous ne l'avez vécu. "Progressistes" contre "traditionalistes", l'époque était baston : on s'empoignait, on interrompait les réunions à coups de chaise sur la figure, on terminait la nuit au commissariat de police. Notre-Dame-de-Liesse, 1966.... Mutualité des Intellectuels catholiques, 1967... (Plus personne aujourd'hui n'aurait l'idée de se cogner entre cathos, Dieu soit loué). Les uns accusaient les autres de détruire le catholicisme ; les autres accusaient les uns de ne rien comprendre au réel. Vint 1968, qui fut une lame de fond anti-spirituelle contrairement à ce que crut voir Maurice Clavel. Pris dans la lame, j'ai cru comprendre – comme une grande partie de ma génération – que les progressistes et les intégristes avaient raison dans leurs griefs réciproques, et que le catholicisme tout entier, c'est-à-dire le christianisme, "n'était même plus l'écume de la nuit* française". Je suis donc parti vent arrière dans les eaux philosophiques les plus antichrétiennes, et il m'a fallu quinze ans de péripéties désertiques pour redécouvrir le christianisme. Ce sont les mystères de l'existence.
Vous devinez que les "échanges" de 2012 – à propos des lefebvristes et du pape – ne me font pas le même effet qu'à vous.
Vous vous en tenez, pour votre part, à vous définir comme "un catholique de sensibilité tradi, de l'armée de ceux qui ne foutent plus les pieds dans une église que pour les enterrements". Que reprochez-vous à ce qui se fait dans les églises entre les enterrements, c'est-à-dire chaque dimanche et même en semaine ? On ne s'y livre à aucun "échange" acerbe, ce n'est pas le genre... Et si vous êtes "de sensibilité tradi", un grand nombre de chapelles (et même d'églises paroissiales), accueillent les messes selon la forme dite extraordinaire, et ça se passe plutôt bien, même si les communautés tradi ont du mal à baisser la garde. Je me demande donc – excusez m'en – si vos raisons de ne pas mettre les pieds dans une église tiennent vraiment à la vigueur des "échanges" actuels, ou s'il n'y a pas un facteur plus profond.
N'être pas croyant est un droit absolu de la liberté personnelle. Je l'ai été assez longtemps pour le savoir. Mais dans ce cas, on ne peut pas – on ne devrait pas – faire la leçon aux catholiques en leur reprochant des dissensions que l'on ne veut pas comprendre. Les catholiques du courant central, ceux qui sont à l'écoute de l'Eglise, ont de solides raisons de colère à l'encontre des extrémistes qui n'écoutent qu'eux-mêmes – voir le sermon surréaliste de Mgr Fellay le 11 novembre à St-Nicolas-du-Chardonnet. L'enjeu n'est pas mince : il s'agit de ne pas laisser les schismatiques et leurs amis infiltrés (il y en a plus qu'on ne croit) défigurer un peu plus l'Eglise de France, déjà en difficulté pour de multiples raisons. Cette défiguration n'était pas possible quand j'avais vingt ans, parce que l'internet n'existait pas ; aujourd'hui elle l'est et c'est tout le problème. A l'heure où les catholiques devraient faire du porte-à-porte pour parler de la foi à des milliers de gens qui n'en ont pas idée, le devant de la Toile est occupé par des énergumènes ; d'où ironie des médias : "c'est ça les catholiques...". Avouez qu'on ne l'a pas beau, comme dirait Saint-Simon.
Dans ces conditions, il faut comprendre pourquoi une partie des blogueurs catholiques réagit pour mettre les choses au point. Ça donne l'impression d'une division inutile ? ce n'en est pas une. C'est une controverse qui touche à l'essentiel. Que voudriez-vous ? Que les cathos français marchent au pas et tous en bloc ? Pour faire quoi, aller où ? Nous ne sommes pas l'aumônerie (ou le coin aux souvenirs) d'on ne sait quelle "Grande Droite". Nous sommes chargés par Jésus-Christ d'allumer un feu sur la terre, ce n'est pas la même chose...
Voilà ce que je tenais à vous dire, parce que vous vous mettez sous le patronage de Bernanos.**
Bernanos a porté cet insigne. Nous aussi, entre 1968 et 1970...
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* jolie formule : allusion au roman d'Alain Page sur Saint-Germain-des-Prés (2009) ?
** Relisez ce qu'il dit des bien-pensants (clergé et laïcs) dans ses écrits de combat : voilà de sacrés "échanges", et d'une virulence à laquelle notre malheureux blog est loin de prétendre.
11:14 Publié dans Histoire, Idées, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : catholiques, traditionalistes, foi, nouvelle évangélisation
Commentaires
EVOLUTION
> Merci pour cette remise en perspective toute personnelle. Les lecteurs attentifs et bienveillants de ce blog apprécient depuis ses débuts de bénéficier des fruits de cette évolution réfléchie et assumée qui garde la vigueur d'une foi toujours revivifiée. Merci.
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Écrit par : Christine | 17/11/2012
BERNANOS
> PS : J'aime beaucoup Bernanos aussi, et pourtant, souvent, je ne suis pas en accord avec ceux qui le citent.
[ De PP à C. - Souvent ceux qui le citent ne l'ont pas lu. Ils ne citent que son nom. Même chose avec Péguy... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Christine / | 17/11/2012
1972-1981
> Des eaux antichrétiennes ? qu'ès-aco ?
Ned
[ De PP à Ned - La "nouvelle droite", de 1972 à 1981. Un jeune modernisme de droite, post-nietzschéen et radicalement antichrétien, qui a intéressé pas mal d'étudiants au lendemain de 1968. Mais une impasse intellectuelle et un désert spirituel. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Ned / | 19/11/2012
CHAQUE DIMANCHE
> Cher ami de sensibilité tradi qui ne mettez plus les pieds à l'église que pour quelques occasions :
voulez vous découvrir quelque chose d'autre qui vous réconcilierait avec l'esprit de la tradition et qui serait non pas une forme sèche mais quelque chose de vivant, susceptible de vous montrer que la lumière du Christ brille toujours?
Et bien retrouvez Le ! Chaque dimanche à la messe... Essayer pendant un an par exemple.... : Relisez le catéchisme, celui que Jean-Paul II a donné à l’Église; allez à la messe (dans une paroisse catholique fidèle à Rome)... Pour vivre des Écritures et si vous êtes préparés de l'Eucharistie...
Vous y retrouverez plus qu'une tradition : la Tradition Vivante !
Vous pourriez être surpris.... Et dans le bon sens !
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Écrit par : Gégé / | 20/11/2012
@ Denis Blanc
« catholique de sensibilité tradi » tout comme vous, je m’applique à moi-même sans m’occuper de l'appliquer aux autres car c’est Dieu que cela regarde, la fameuse citation de saint Cyprien : « hors de l’Eglise, point de salut ! ».
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir vu les mêmes turbulences que Patrice de Plunkett (fin de mes études : mai 68 !) et d’avoir entendu moult arguments contradictoires. Alors je voudrais vous dire ceci : au fond, ces querelles n’ont jamais touché l’essentiel de la foi en la Révélation et l’intervention de Dieu dans l’histoire des hommes, mais la façon dont on devait vivre de cela, en particulier dans le champ le plus passionnel qui soit : le politico-social. Car c’est dans ce champ qu’on peut trouver des contradictions entre les périodes de l’enseignement de l’Eglise, notamment sur les fameuses questions de la liberté religieuse, des droits de l’homme ou de la laïcité de l’Etat. Et justement, Jean-Paul II en prononçant des repentances aux approches du nouveau siècle a, d’une certaine manière, désigné des domaines de faillibilité de l’Eglise.
Et de toute façon, être catholique n’est ni un exercice intellectuel ni une question de sensibilité artistique – on peut rester de marbre devant l’art abstrait qui nous a été si souvent imposé – c’est suivre le Christ en appartenant à une famille. On ne renie pas ses parents parce qu’il y a parfois des scènes de ménage à la maison ou que le nouveau papier peint de maman ne plait pas.
Vous vous réclamez de Bernanos et d’H. d'Estienne d'Orves . Il y a une différence essentielle entre les deux. Lors de la montée des péril, le premier a quitté son pays pour le Brésil, le second, marin en opération loin de nos côtes, y est revenu organiser un réseau de résistance au prix de sa vie.
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Écrit par : Pierre Huet / | 20/11/2012
INJUSTE
> à P. Huet - Je vous trouve injuste envers Bernanos. Il vivait en nomade : 30 déménagements dans son existence, ce qui relativise beaucoup son départ pour le Brésil en 1938. (En 1947, déçu par la France libérée, il repartira en Tunisie...) De 1934 à 1937 il avait vécu aux Baléares, qu'il venait de quitter parce que Franco avait mis un "contrat" sur sa tête. D'autre part il était écoeuré du pacifisme de la IIIe République (il est parti juste avant Munich). Ensuite, et de l'aveu même du Général, il fut beaucoup plus utile à la France Libre par ses écrits de combat que s'il était allé en France se faire arrêter par la Gestapo. En 1941, son fils Yves a rejoint les FFL à Londres. Son autre fils, Michel, jugé trop jeune par le Comité de la France libre de Rio, l'a suivi en 1942. Son neveu Guy Hattu, second-maître au commando Kieffer, a pris part au D-Day. En 1945, le Général, qui l'admirait profondément, a écrit à Bernanos : "votre place est parmi nous", en lui proposant un ministère que l'écrivain a évidemment refusé, ce n'était pas son genre, avant de refuser aussi la Légion d'honneur et l'Académie française. Et de partir pour la Tunisie.
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Écrit par : cénété / | 20/11/2012
@ cénété
> Oui, je sais, du reste j'avais révisé sa biographie (merci Wikipédia). Mais voyez-vous, je ne me sens pas en phase avec les gyrovagues qui ne s'attachent pas à ce qui est : ce qui affaiblit singulièrement ce qu'ils disent. Ce qui n'empêche pas l'admiration pour l'écrivain.
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Écrit par : Pierre Huet / | 21/11/2012
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