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02/10/2012

'La Nef' analyse les méfaits du libéralisme

Une revue catholique française accuse le système :

 


 La Nef, octobre 2012 - éditorial de Christophe Geffroy

 (les passages soulignés le sont par nous)

 

L’économie à la dérive

<< Deux ouvrages remarquables lancent simultanément un cri d’alarme contre notre système économique qui nous conduit droit à la catastrophe. Et tous deux pointent la même cause fondamentale : la concentration excessive des richesses et la montée des inégalités. Le premier est de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie ; le second de Paul Jorion, anthropologue et économiste – il a vécu pendant dix ans au cœur du système financier américain qu’il connaît parfaitement –, qui a été l’un des très rares observateurs à avoir annoncé la crise des subprimes et à décortiquer dans une œuvre magistrale de grande ampleur – et à mon sens d’une portée historique – les mécanismes de la « financiarisation » de l’économie et de ses dérives (1).

 Dans Le prix de l’inégalité (2), Joseph Stiglitz décrit comment les 1 % les plus riches de la société américaine s’approprient les richesses créées et ont réussi à imposer des règles du jeu politique qui soient à leur service, une partie croissante des Américains s’appauvrissant pendant ce temps : « Le 1 % supérieur a accaparé 93 % du supplément de revenu créé dans le pays en 2010, par rapport à 2009 » (p. 37), écrit Stiglitz. Et, poursuit-il, sur la longue période, « depuis trois décennies, les bas salaires (des 90 % inférieurs) n’ont augmenté que de 15 % environ, tandis que les salaires des membres du 1 % supérieur se sont accrus de près de 150 % et que dans le 0,1 % supérieur, leur augmentation dépasse 300 % » (p. 43). Le système perdure parce que beaucoup d’Américains croient encore à l’efficacité du marché. À l’aide de nombreux exemples, Stiglitz démontre que « le marché, de toute évidence, n’est pas efficace » (p. 10), qu’il a un besoin impératif d’ajustements (3).

  Dans Misère de la pensée économique (4), Paul Jorion rejoint totalement Stiglitz : la crise est fondamentalement due à la mise en place d’une « machine à concentrer la richesse » (p. 8). Le libéralisme qui s’impose dans les années 1980 (dérégulation, financière notamment, privatisations) et le changement de paradigme dans les grandes entreprises – Milton Friedman théorise à la même époque l’idée que l’entreprise ne fonctionne qu’au service exclusif de ses actionnaires – ont conduit à la situation présente : « Part toujours croissante ponctionnée sur les gains de productivité par les dividendes des actionnaires et par les rémunérations, bonus et stock-options extravagants des dirigeants des grandes entreprises » (p. 308). Le pouvoir d’achat d’une majorité de la population stagnant, il a fallu recourir inconsidérément au crédit, mais cela ne suffisant pas pour soutenir la demande, la production stagne, le chômage augmente, et faute de débouchés à ce niveau, l’argent en excès des plus riches alimente la spéculation qui finit par dérégler le mécanisme de la formation des prix – notamment ceux des matières premières (cf. Paul Jorion, p. 143).

  C’est donc bien la paupérisation de la classe moyenne qui est la principale cause de la crise. C’est pourquoi les politiques d’austérité mises en œuvre en Europe sont vouées à l’échec, car elles ne feront qu’amputer un peu plus la demande, encore baisser l’activité économique et donc aussi les recettes fiscales – c’est un autre prix Nobel d’économie, Paul Krugman, qui l’explique très clairement (5). Hélas ! Paul Jorion note que la « science » économique « a constitué en réalité un système de croyance fermé, bien plus proche d’une religion que d’une science, en raison de son caractère dogmatique » (p. 168-169), et que, par ses idéologies (marxisme, libéralisme), elle a davantage cherché à changer le monde qu’à le comprendre et le décrire. Et nos dirigeants occidentaux – dont beaucoup sont très liés à la finance – demeurent rivés aux schémas libéraux et sont incapables de sortir de la logique de la liberté des marchés, et donc d’aller de concert vers un juste protectionnisme européen (6) et un encadrement drastique, voire une interdiction de la spéculation financière – et bien sûr une sortie organisée de l’euro.

 Ce système économique – dont la « valeur » ultime est de gagner toujours plus – en arrive à pervertir ceux qui en profitent et qui en perdent tout sens moral : comment les banquiers pratiquant un « crédit prédateur » (Stiglitz) dont ils savaient qu’il allait ruiner de pauvres gens peuvent-ils n’avoir aucun sentiment de culpabilité ? Comment un PDG gagnant plus de 300 fois le salaire de base de l’un de ses employés peut-il délocaliser et licencier du personnel sans honte aucune ?

 Que l’on ne s’y trompe pas, le libéralisme économique qui prône la liberté des marchés est ontologiquement le même que celui qui appelle à la plus totale liberté des mœurs et des comportements : c’est à la base le même individualisme égoïste, l’individu-roi qui doit pouvoir faire tout ce qu’il veut, sans référence aucune à la notion de bien évacuée par le libéralisme !

 

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(1) La Nef publiera un grand entretien avec Paul Jorion le mois prochain.

(2) Les Liens qui Libérent, 2012 (sorti le 5 septembre), 512 pages, 25 €.

(3) Stiglitz démontre aussi que les politiques de redistribution, outre leur nécessité de justice, sont également « rentables » d’un point de vue économique en contribuant à l’activité et en stimulant la demande – c’est aussi la démonstration de Paul Krugman (cf. note 5).

(4) Fayard, 356 pages, 19 e. A paraître en librairie le 3 octobre.

(5) Sortez-nous de cette crise… maintenant !, Flammarion, 2012, 272 pages, 19 €.

(6) Cf. de Ha-Joon Chang, Serge Halimi, Frédéric Lordon, François Ruffin et Jacques Sapir, Le protectionnisme et ses ennemis, Les Liens qui Libèrent, 2012, 96 pages, 6,80 €.  >>

 

http://www.lanef.net


 

Commentaires

REDISTRIBUTION ?

> Ce commentaire se rapporte plus à l'article de la Nef, mais les commentaires y sont fermés.
Quand Stiglitz et Krugman estiment que les politiques de redistribution sont également «rentables» d’un point de vue économique en contribuant à l’activité et en stimulant la demande, ce qui était déja la théorie du multiplicateur de Keynes, ce doit être nuancé: c'est vrai dans un système autarcique, mais pas dans un marché mondial et aux coûts réels ou apparent - problème des taux de change - complètement déséquilibrés. Si la redistribution sert à acheter des chaussettes chinoises (le cas des 2/3 des chaussettes mondiales) ou des des ordinateurs de Singapour, elle dépanne à court terme mais contribue alors à notre endettement.
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Écrit par : Pierre Huet / | 02/10/2012

LA COLLUSION

> Le problème est que la crise vient de la collusion entre cette finance ici dénoncée et des Etats prédateurs fiscalement au nom d'une redistribution qui a atteint des proportions délirantes, kafkaïenne pour enrichir ceux qui l'organisent (un exemple: les grands-parents financent leurs petits enfants qui eux même financent les retraites de leurs grands-parents !). On ne sortira donc de la crise qu'en coupant les deux. Si on se contente de viser les grandes multinationales, on ne vise que la moitié du problème, mais on ne résout pas la moitié du problème !
C'est bien le sens de l'encyclique sociale de Benoit XVI: libérer la société civile écrasée par un Etat omnipotent et une sphère économique rapace.
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Écrit par : ludovic / | 02/10/2012

NE PLUS NOURRIR LA SUPER-NOMENKLATURA

> Livres pertinents et urgents. Mentionnent-ils une racine du problème qui est la question de la motivation des personnes ?
Pour des raisons différentes, le libéralisme échoue à trouver les racines de la motivation humaine. Il croient que c'est l'appétit, le 'greed' : la pyramide de Maslow encore enseignée explique qu'il y a les besoins primaires et les besoins secondaires. Or c'est ensemble que ces besoins doivent être remplis : les premiers sont le signe des seconds, qui sont la véritable motivation humaine (cf. le syndrome d'hospitalisme où les enfants dépérissent quand les besoins primaires ne sont pas accompagnés des besoins secondaires).
Du coup, le libéralisme économique fait appel à une motivation malheureuse et institue la concurrence.
La concurrence, contrairement à ce que l'on en pense, fait augmenter les prix (composantes tarifaires comme la publicité, le marketing, le packaging, etc. etc. + construction d'infrastructures redondantes).
Attendons avec impatience le temps où nous pourrons venir avec nos récipients dans un magasin pour les remplir avec des produits fabriqués localement. Ainsi nous ne nourrirons plus cette super-nomenklatura qui empoche le dû de ceux qui font travail utile.
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Écrit par : Jean / | 03/10/2012

UN NOUVEAU BRETTON WOODS

> 1° les chaussettes de Singapour sont revendus par des intermédiaires qui sont sur le sol français.
2° l'effet multiplicateur est sans doute atténué par une économie "intégrée". Mais vous semblez dire que son effet peut être quasi-négatif dans ce cas. Pourquoi ?
3° Nous ne sommes plus dans un cas où la dépense publique peut avoir un rôle. Les politiques publiques en période de croissance ont été construite en utilisant du déficit. Le multiplicateur était alors utilisé à ce moment là, avec un effet quasi nul.
Il fallait faire de la rigueur au moment de la croissance pour se laisser une marge de manoeuvre au moment de la crise ... Cela est trop demandé à des gens élus pour 5 ans seulement ...
Il faudrait un nouveau Bretton Woods, cette fois-ci avec les pays africains et asiatique et reconstruire les bases d'une économie mondiale fondée notamment sur la gratuité et la solidarité. N'oublions pas l'extrême réserve d'énergie possédée par les non-possédant dans ce domaine de la gratuité...
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Écrit par : Spooner / | 03/10/2012

LE REPORTAGE D'ARTE

> A ce sujet à voir absolument en replay le passionnant reportage d'Arte diffusé hier soir :
http://videos.arte.tv/fr/videos/la-grande-pompe-a-phynances--6965918.html
Paul Jorion y intervient fréquemment. On devrait le faire visionner à tous nos énarques et autre pseudo experts qui nous ont mené là ou nous en sommes arrivé...
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Écrit par : Tangui / | 03/10/2012

Les commentaires sont fermés.