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05/09/2012

"Morale à l'école" ? Quelques bonnes questions

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...posées dans Libération, mais qui ne vont pas au coeur du problème :



L'enseignement de la « morale » à l'école est un marronnier. Chatel l'avait prôné. Peillon le prône.

Mais de quoi parle-t-on ?

Dans Libération de ce matin, le philosophe Ruwen Ogier (mieux inspiré que d'habitude) pose de bonnes questions :

<<  Dans l'école démocratique, laïque et pluraliste, il est légitime d'instaurer une instruction civique […] Mais la légitimité d'une éducation morale obligatoire, dont l'ambition serait de nous engager envers une certaine conception du bien, de la vie bonne ou heureuse, est beaucoup moins évidente. On reconnaît aux familles et à certaines associations le droit d'éduquer les jeunes dans le sens d'une religion plutôt que d'une autre. Mais pas à l'Etat démocratique, laïque et pluraliste. Il devrait en aller de même pour la vision du bien.... >>

Le bien, qu'est-ce que c'est ? Robert Maggiori (journaliste-philosophe) tente le tour du problème à la page suivante :

<< Le bien est ce qu'on fait. Il est, autrement dit, même si le terme a quelques rides, bien-faisance. Pour l'amour, de même : on n'aime pas son enfant parce qu'il est beau (parce qu'il posséderait préalablement la valeur de beauté), il est beau parce qu'on l'aime. Les choses, en droit, sont plus simples, parce qu'il suffit pour être ''dans le droit'' de respecter les règles qu'il prescrit […] L'acte moral, lui, n'a aucune règle à suivre : c'est pourquoi il est dérisoire, et vain, de vouloir de gré ou de force ''rendre les gens moraux''.  Il se définit comme moral lorsque, dans ses intentions, son déploiement et ses effets, il crée le bien, la charité, la générosité, l'amour, en aidant, en donnant, en pardonnant. […] Avoir fait ce qui pourrait être le bien ne me dispense pas de le faire et de le refaire – sans espérer ni paradis ni Panthéon d'ailleurs. Et là encore revient l'amour, qui ne peut qu'aimer davantage... La morale, c'est l'amour. Aussi ne peut-elle s'apprendre, ni s'enseigner – sauf à vouloir manipuler non ce que l'homme pense, mais ce qu'il ressent... >>

Ogien refuse à la société le droit de dicter à l'individu son for intérieur. Applaudissons. Maggiori dit que la morale est l'autre nom de l'amour. Applaudissons : sa morale sans paradis rejoint la morale de ceux qui espèrent le paradis, ce qui montre vers quoi est orientée (fût-ce inconsciemment) la nature humaine... « Tu nous as fait pour toi. Aussi notre cœur est-il inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi.* » - « En morale, chacun marche à son propre rythme. Mais la fin reste la même pour tous : le bonheur, que le Christ a révélé comme étant une vision divine, une entrée dans la communion trinitaire** ».

Quant à « l'éthique du code » qui avait envahi au XVIIe siècle jusqu'à la morale catholique, elle s'est « effondrée** » à la fin du XXe : et la nouvelle évangélisation ne saurait s'en réencombrer sans se tromper de but et d'époque. L'Eglise sait depuis toujours (et souligne depuis Vatican II) que ce qu'elle doit aux gens d'aujourd'hui est « le témoignage d'une foi vécue quotidiennement, comme le témoignage d'une annonce joyeuse du salut ***».

Cela dit, il y a un aspect du problème que Maggiori n'aborde pas, et qu'Ogien ne fait qu'effleurer quand il écrit : «ce projet de faire revenir la morale à l'école repose sur une idée profondément conservatrice : le principal problème qui se poserait à nos sociétés ne serait pas l'existence d'un système économique profondément injuste... » 

Non seulement ce système est injuste, mais il est totalitaire parce qu'il prétend « prendre en charge la direction du monde » (Daniel Cohen) en évinçant le politique, le culturel et le spirituel. Et il est mortifère, parce que sa prétention (être tout) ignore des besoins humains essentiels qui « ne s'inscrivent pas dans la logique marchande » (id.).

Et non seulement le système économique nie ces besoins essentiels (dont font partie la morale intime, le sens du bien, etc), mais il prétend les remplacer, dans la conscience du citoyen réduit au consommateur, par des faux-semblants : une « tolérance » relativiste, qui pousse au repli sur soi et à l'auto-idolâtrie pulsionnelle livrée au marketing ; une « authenticité » nombriliste, contraire de la véracité tournée vers autrui ; etc.

« Dans la conception chrétienne, la conscience ne ferme pas le sujet sur lui-même, mais l'ouvre à l'altérité et à la transcendance. Elle n'est pas à elle-même sa propre loi. Elle ne décide pas souverainement du bien, et du mal. Elle devient le témoin de la présence de Dieu en chaque homme », dit Mgr Bruguès**. « Un écho implique une voix ; une voix, quelqu'un qui parle. Celui qui parle, c'est Lui que j'aime et que je vénère », écrit Newman.

 

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* Saint Augustin (Confessions, I-1).

** Jean-Louis Bruguès, Dictionnaire de morale catholique (CLD 1991).

*** Jean-Marie Aubert, spécialiste de la théologie morale thomiste (Abrégé de la morale catholique, Desclée 1987).

 

Commentaires

CONSCIENCE

> Discours de Benoît XVI devant le Bundestag :
[la] «conscience» n’est autre que le «cœur docile» de Salomon, la raison ouverte au langage de l’être.
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Écrit par : isa / | 05/09/2012

ESQUIVE

> Certes un catholique ne peut pas nier le rôle de la responsabilité humaine (raison d'ailleurs pour laquelle l'écologie est un devoir chrétien). Mais un catholique ne peut pas non plus tomber dans ce sacrilège d'utiliser la "morale" comme esquive de la responsabilité. Or c'est ce qu'on fait quand on ramène tout à des questions morales individuelles, refusant ainsi de discerner le rôle du système économique actuel, cause des trois quarts des maux dont nous nous plaignons !
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Écrit par : l'exempt / | 05/09/2012

Les commentaires sont fermés.