03/09/2012
Pourquoi la campagne présidentielle américaine est aussi nulle sur le plan économique
Obama patauge, Romney promet la lune, Ryan prône comme recette-miracle les causes mêmes de la crise :
Pour comprendre cette impasse, il faudrait lire Age of Greed ("L'ère de la cupidité") : un livre publié en 2011 par l'économiste et historien Jeff Madrick. Il met en lumière les causes de la récession actuelle. En quarante ans, la spéculation financière a pris le pouvoir sur l'économie américaine et mondiale. Un micro-groupe d'idéologues et de milliardaires pétroliers texans (le groupe "pas plus grand qu'une écharde" que dénonçait Eisenhower en 1954 *) "a su reconfigurer la structure même de l'économie américaine et imposer son mode de pensée, fondé sur la dérégulation extrême, jusque dans les têtes de ses adversaires", expliquait l'an dernier Madrick cité par Sylvain Cypel (Le Monde, 17/08/11). "Jusque dans les têtes de ses adversaires" ! D'où la nullité de la politique économique d'Obama. Lequel se retrouve maintenant accusé d'être "le fauteur de la récession"... Et accusé par qui ? Par les Romney-Ryan, qui oublient que la récession vient de la crise - et que la crise vient de la folie financière décuplée sous G.W. Bush !
Mais les démocrates ne sont pas innocents. Le début de la catastrophe fut sous Clinton, quand l'administration démocrate s'inféoda aux friedmaniens : "c'est Robert Rubin, secrétaire au Trésor démocrate de l'administration Clinton, qui dérégula les produits financiers dérivés et qui fit abolir, en 1999, le Glass Steagall Act, une loi qui imposait une séparation étanche entre banque de dépôt et banque d'affaires. La première conséquence de l'abrogation de cette loi fut de permettre la création de la plus grande banque américaine hybride, Citygroup. La même qui, huit ans plus tard, affichera les pertes maximales pour son secteur dans la crise financière..." La machine infernale explosera sous Bush, apothéose de l'ultralibéralisme : "plus les produits financiers étaient dérégulés et se multipliaient, plus la Bourse régentait l'économie et imposait sa volonté aux politiques..." **
En 2012, rien n'a changé de ce système : "l'idéologie qui l'a accompagné, un moment ébranlée sous l'effet de la crise financière, est parvenue à préserver son influence non seulement sur les grandes lignes de la pensée économique américaine mais aussi, sans doute, sur les perceptions populaires." **
L'Amérique "n'a pas tourné la page", écrivait Madrick.
"Je n'ai aucun enthousiasme à l'idée de réduire l'importance relative du système financier dans l'économie", dit le secrétaire au trésor d'Obama : Tim Geithner, simple rouage de Wall Street...
Si Obama est battu le 4 novembre, il l'aura bien mérité.
Le gag est que le programme de ses deux adversaires et éventuels vainqueurs (le vieux beau et le pervers) consiste à aggraver encore le système.
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* ''Si un parti cherchait à abolir la Social Security ou l'assurance-chômage, à éradiquer les lois du travail et les subventions aux agriculteurs, vous n'en entendriez plus jamais parler dans notre histoire politique. Certes, il existe un groupe pas plus grand qu'une écharde qui croit en ces choses : quelques milliardaires pétroliers texans... Mais leur nombre est négligeable et ils sont stupides.'' (Dwight D. Eisenhower, lettre du 8 novembre 1954).
** Sylvain Cypel, ib.
00:00 Publié dans Idées, La crise | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : états-unis, obama, romney, ryan, ultralibéralisme
Commentaires
SPECTACLE ET QUESTION
> C'est en assistant, impuissant, à ce genre de spectacle lamentable, que je m'interroge (dans les moments où les humeurs tristes me submergent) sur l'intérêt d'une "Nouvelle évangélisation".
Même si le"God" US est plus proche du G.A.D.L.U. maçon que du Dieu de Jésus- Christ, on ne peut nier que les Etats-Unis sont le pays le plus évangélisé de la terre. Et tout ça pour quoi ? Pour que, il y a quelques années de cela, un banquier de Goldman Sachs déclare (en étant sincère, j'en suis persuadé) : "je suis un banquier qui fait le travail de Dieu". En se diffusant dans la société, les valeurs évangéliques n'entraînent-elles pas quasi-automatiquement l'orgueil ?
F.
[ De PP à F. :
- Oui, si l'on réduit l'Evangile à des "valeurs" : c'est-à-dire à des mots, manipulables par nature.
- Non, si l'on voit l'Evangile comme il doit être vu : un témoin de l'événement essentiel, l'incarnation-rédemption de Jésus-Christ. Donc aussi l'Eglise, sacrement issu de cet événement pour accompagner l'humanité à travers les siècles...
L'existence objective de l'Eglise-sacrement (auteur de l'Evangile !) empêche que l'on fasse dire n'importe quoi à l'Evangile, même quand on dirige la plus grosse banque des USA... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Feld / | 03/09/2012
IDEM EN FRANCE
> ...de même que ce sont les socialistes, avec ce pauvre Bérégovoy, qui l'ont fait en France. C'était logique: la gauche socialiste se voulait internationaliste, et quoi de plus international (en ce bas monde!) que l'argent ?
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Écrit par : Pierre Huet / | 03/09/2012
à Feld et PP :
> sauf si le "God" du banquier n'a rien à voir avec celui des deux Testaments. Ce qui est le cas : "in God we trust" est un slogan de loge, regardez le billet vert : oeil, pyramide... on est sous le maillet. Et en l'occurrence il s'agit de Mammon (non du Saint béni-soit-Il).
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Écrit par : sèlah / | 03/09/2012
INCROYABLE
> C'est incroyable que la crise des subprimes ait entraîné l'émergence du Tea Party et poussé le GOP vers plus une doctrine encore plus libérale...Je ne comprends pas ce qui pousse une personne qui fait deux emplois sous-payés, ou une autre obligée de revendre sa maison suite à la crise, à vouloir encore moins d'Etat et de protections.
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Écrit par : Gilles Texier / | 03/09/2012
à Gilles Texier
> C'est un processus mental : la dénégation du réel au nom de l'idéologie. C'est très profond aux USA parce que l'origine même des USA est idéologique : ce pays n'a d'autres racines que l'idéologie des fondateurs libéraux maçons, ce qui fait de son patriotisme quelque chose de très spécial, une réactivation perpétuelle de postulats idéologiques. Je m'étonne que des Français ne sachent pas cela ou ne veuillent pas le savoir.
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Écrit par : churubusco / | 03/09/2012
THE CAMPAIGN
- Le CEO de Goldman Sachs est un libéral-libertaire qui a financé une campagne télévisée (où il apparaît lui-même) en faveur du mariage homosexuel, "un bon business"...
- C'est frappant de voir les conservateurs américains les plus religieux invoquer les Pères fondateurs, tels des saints, alors qu'ils étaient maçons et sceptiques (certains le savent, mais souhaitent exploiter le mythe jusqu'au bout).
- Quand on voit des prêtres catholiques écrire des livres pour justifier le "free market" (et mettre sur le même plan le communisme, le nazisme, Ben Laden et Occupy Wall Street), on se dit que le libéralisme économique est vraiment inscrit dans les gènes US, qu'ils soient chrétiens, mormons, athées ou maçonniques: http://www.catholicvote.org/discuss/index.php?p=32232
- Pour avoir une petite idée de ce que peut être la politique américaine, allez voir "The Campaign" (mal traduit par "Moi député): c'est très vulgaire, mais la parodie de la politique-spectacle US, avec des électeurs peu cultivés et carburant à l''émotionnel (et des candidats imposés par Goldman Sachs) vise juste !
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Écrit par : Pierre J. / | 03/09/2012
MAURIZIO LAZZARATO
> Oui c'est une impasse, et elle a été méticuleusement construite. A cet égard, en complément du bouquin de Jeff Madrick que vous citez, je signale celui de Maurizio Lazzarato, "La Fabrique de l’homme endetté". Comment la finance a-t-elle pris le pouvoir ? Par l'esclavage de l'économie et de nos vies par la dette, coeur du projet néo-libéral. Ce système pervers de contrôle des Etats et des individus enferme l'horizon collectif et personnel derrière le fardeau du remboursment permanent. L'auteur dit : " Le remboursement de la dette, c’est une appropriation du temps. Et le temps, c’est la vie ". Et il rajoute ceci, qui en dit long sur le rapport au temps et à Dieu induit par le système-dette : "Certains textes du Moyen Âge expliquent que le crédit est un vol du temps. On disait alors que le temps appartenait à Dieu. Et que les créditeurs étaient des voleurs du temps de Dieu. Aujourd’hui, le temps appartient au capital. Avec le crédit, on fait une préemption sur l’avenir."
Le rapport social est de plus en plus manifestement structuré par cet antagonisme créditeurs/débiteurs. Vraiment à lire, cet interview : http://www.bastamag.net/article2561.html
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Écrit par : Serge Lellouche / | 07/09/2012
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