07/08/2012
Le casino financier est au dessus des lois ?
Ses opérateurs ne le sont pas :
Lu dans La Tribune de Genève : débarquant récemment aux Etats-Unis, deux adolescents suisses, enfants d'un banquier genevois, ont été interpellés à leur descente d'avion par le FBI qui les a interrogés pendant six heures sur les activités de leur père ! En proie depuis dix ans à une évasion fiscale massive (sur laquelle l'administration républicaine fermait les yeux), les Etats-Unis tentent aujourd'hui de juguler des paradis fiscaux : en avril 2011 les banques suisses ont dû donner à Washington les noms de dix mille de leurs cadres en contact avec des clients américains. Ces cadres bancaires sont ainsi susceptibles d'être inculpés de « complicité d'évasion fiscale » par la justice américaine... Lors d'un séminaire de banquiers à Genève, un gestionnaire de fortune confiait au journaliste de La Tribune : « C'est bien simple, je ne mets plus les pieds aux Etats-Unis, j'ai peur de me retrouver les menottes aux poignets. »
La méthode pourrait s'appliquer (pour peu qu'on en ait le courage) aux autres paradis : par exemple à Singapour, où se sont réfugiés nombre de personnages du genre d'Eduardo Saverin, l'ex-associé de Mark Zuckerberg...*
On connaît la pusillanimité de l'administration US envers les fauteurs de crise de Wall Street. Mais ce qu'elle peut faire (souci budgétaire aidant) à la personne de cadres de banque, elle pourrait le faire – plus efficacement – à la personne des grands prédateurs financiers. Ils ne sont pas au dessus des lois, même si le casino global l'est encore. Pour s'en prendre à celui-ci, commencer par inquiéter ceux-là ?
_________
* Je me permets de reproduire ci-dessous un passage de mon bloc-notes du Spectacle du Monde de juin dernier :
<< WALL STREET, 23 MAI – La semaine dernière, la presse sonnait ses fanfares pour l'introduction en Bourse de Facebook. Par exemple cet éditorial : « le pari des investisseurs sur la capacité future de Facebook à transformer en dollars son audience (900 millions d'utilisateurs) est un pari sur la capacité de Facebook à transformer nos vies. Rien de moins. » Pour prétendre « transformer nos vies », qu'est-ce que Facebook ? Un réseau « social » : adjectif américain dénué de sens en français, notre idée du « social » n'ayant rien à voir avec ce réseau-patchwork de photos narcissiques, de listes d' « amis » qui ne se connaissent pas, et de messages à la limite inférieure du langage articulé. Grande machine d'illusion, Facebook n'est qu'un produit de l'ère du marketing des comportements : en prétendant vous faire jouir des émotions d'autrui, il agglutine un public énorme. Ce public, il le fournit aux publicitaires... Vendre du vent n'est pas de l'économie réelle ? Mais le vent d'un « réseau » – si on l'introduit en Bourse – peut gonfler une bulle spéculative.
Les méga-banques américaines, Morgan Stanley, JPMorgan Chase, Goldman Sachs, comptaient gonfler une bulle record avec Facebook. Elles avaient organisé l'affaire sur un pied utopique, voire monstrueux : la valorisation boursière du « réseau social » était annoncée à 104 milliards de dollars, une vraie boursouflure.
Voilà qu'au dernier moment, la baudruche crève ! « Il y a un côté noir dans tout ce battage », écrit l'analyste de Thomson Reuters. Les banques découvrent les prévisions d'exploitation de Facebook, qui les déçoivent ; elles en préviennent leurs clients courtiers (mais seulement les plus gros) ; l'arrivée en Bourse tourne alors à la catastrophe. Le titre perd 25 % en trois séances. Les acheteurs hurlent à la trahison et lancent une « class action » (plainte de masse) contre Facebook, Goldman Sachs, JPMorgan et Morgan Stanley. La SEC, gendarme américain de la Bourse, ouvre une enquête.
Mark Zuckerberg – le hacker à capuchon fondateur de Facebook – ne pourra plus crier « je suis le roi du monde ». Celui qui s'en tire bien, c'est son ex-associé Eduardo Saverin, autre hacker à capuchon. Après avoir gagné deux milliards de dollars en cinq ans avec Facebook, il a fui les Etats-Unis au mois de septembre dernier (juste avant l'annonce de l'introduction en Bourse), et il a abandonné la citoyenneté américaine pour s'installer à Singapour où les gains sur les capitaux ne sont pas taxés. Saverin voulait économiser 67 millions de dollars d'impôts... >>
10:41 Publié dans Idées, La crise, Société | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : évasion fiscale, spéculation, dérégulation, casino financier
Commentaires
UN ESPOIR
> Si l'espoir de reprendre le contrôle de la situation passe par ce type de méthodes, ayons-y recours. Ne nous abandonnons-pas au fatalisme.
______
Écrit par : philibert / | 07/08/2012
LE VATICAN ?
J'entends souvent dire que le Vatican est un paradis fiscal. Est-ce que vous en savez plus sur le sujet, s'il-vous-plaît ? (simplement me dire où me renseigner me suffit).
Merci d'avance,
______
Écrit par : Gilles Texier / | 07/08/2012
L'ANALYSE DE 'LA CROIX' EN 2010
> Analyse dans La Croix (30/12/10) :
" Benoît XVI a publié, jeudi 30 décembre, une Lettre apostolique en forme de « motu proprio » (décret) sur « la prévention et la lutte contre les activités illégales dans les domaines financier et monétaire ». Les institutions financières de l'État du Vatican et du Saint-Siège seront désormais soumises aux normes européennes de transparence financière
En application de la convention monétaire signée le 17 décembre entre l'État de la Cité du Vatican et l'Union Européenne, le motu proprio de Benoît XVI promulgue une loi « concernant la prévention et la lutte contre le blanchiment des capitaux d'origine criminelle et du financement du terrorisme ».
Il crée également une « Autorité d'information financière » (AIF). Cet organisme de contrôle interne devra veiller à l'application des nouvelles normes de transparence pour l'ensemble des institutions du Vatican et du Saint-Siège, dont l'Institut pour les oeuvres religieuses (IOR).
La « banque du Vatican » est actuellement soupçonnée par la justice italienne de ne pas avoir respecté la législation anti-blanchiment de 2007. Mis en examen, les dirigeants de l'IOR sont soupçonnés d'omissions sur les auteurs de certaines opérations. La justice italienne a mis sous séquestre 23 millions d'euros de l'IOR.
Quelles sont les conséquences de ce motu proprio ?
Le pape dit approuver l'engagement de la communauté internationale contre le blanchiment d'argent, et il souhaite que l'État de la Cité du Vatican fasse siennes les règles mises en place dans « l'utilisation des ressources matérielles qui servent au bon déroulement de sa propre mission et des devoirs de l'État de la cité du Vatican ».
Le document signé par le pape, qualifié d'« un peu insolite » par le P. Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, devrait permettre à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et au Groupe d'action financière internationale contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (GAFI) d'inscrire prochainement le Vatican sur leur « Liste blanche », mettant ainsi un terme aux accusations récurrentes de paradis fiscal.
L'IOR prévoit également de réduire drastiquement le nombre de ses comptes courants anonymes et numérotés attribués à des titulaires non religieux. Souvent ouverts par des personnalités italiennes proches de certains milieux catholiques, ils ont été utilisés, par le passé, pour des transferts financiers sans rapport avec des activités religieuses ou pastorales, qui sont statutairement l'objet de cette « banque pas comme les autres ». Depuis juin 2010, tout versement de plus de 5000euros à l'IOR devait déjà faire l'objet d'un justificatif détaillé.
Par ailleurs, en application des normes européennes, le Vatican devra mettre en libre circulation 51% des 2,3 millions d'euros frappés chaque année à l'effigie du pape, dont la diffusion était limitée jusque-là à des collectionneurs.
Pourquoi cet ajustement était-il nécessaire ?
À la source de cet ajustement juridique : le statut international particulier de l'IOR, bénéficiant de l'extraterritorialité propre au Vatican. Créée en 1872, réformée par Pie XII en 1942, cette banque est une institution privée dont le patrimoine était estimé en 2008 à 5 milliards d'euros. Elle gère 44 000 comptes courants destinés aux « oeuvres de religion et de charité ». Son accès est, en théorie, réservé aux résidents de la Cité du Vatican, aux membres de la Curie, ainsi qu'aux congrégations et ordres religieux.
En vertu du privilège d'extraterritorialité, l'IOR n'était pas tenue de respecter les normes financières en vigueur pour les établissements italiens et européens. Cette particularité facilitait les transferts financiers à destination d'institutions religieuses, notamment dans des pays aux gouvernements hostiles à l' Église. Mais elle a permis aussi des transferts inavouables, par exemple, dans les années 1980, à la suite de la faillite de la banque Ambrosiano.
Pour le P. Lombardi, à l'avenir, « les erreurs qui sont devenues si facilement des scandales pour l'opinion publique et les fidèles seront évitées. En somme, l' Église sera plus crédible, ce qui est d'une importance vitale pour sa mission évangélique. »
______
Écrit par : luça / | 07/08/2012
Les commentaires sont fermés.