Baie de Lannion : vive la lutte du "Peuple des Dunes"

 

 

Productivisme agro-industriel contre biodiversité marine et vie locale : face au projet qui menace la baie de Lannion, le mouvement "Peuple des Dunes en Trégor" mobilise :

 

http://lepeupledesdunes.com

 

Quatre kilomètres carrés en baie de Lannion : c'est juste à côté de l'Île-Grande et des Sept-Îles, sanctuaire des oiseaux marins créé après les marées noire de 1967 (Torrey Canyon), 1978 (Amoco Cadiz) et 1980 (Tanio) ; et juste au dessus des fonds où habitent les lançons que mangent l'oiseau de mer, le lieu, le turbot, la raie et le bar... Porter atteinte à cette zone, c'est nuire à des espèces menacées (ornithologiques et halieutiques), nuire à la biodiversité, et nuire aux artisans marins-pêcheurs déjà en difficulté.

Or c'est ce que veut faire une filiale du groupe agro-industriel Roullier (2 milliards d'euros de CA consolidé) : « connu pour sa forte culture du secret » comme dit Le Journal des entreprises (3/02/2012), Roullier fait dans les produits minéraux industriels, l'agrofourniture, la nutrition animale, l'agro-chimie, l'agro-alimentaire pour humains... toute l'usine à gaz du productivisme, de quoi rendre jaloux Xavier Beulin. C'est ce géant, via l'une de ses filiales baptisée CAN (Compagnie armoricaine de navigation), qui projette d'extraire chaque année – pendant vingt ans – 400 000 m3 de sable coquillier de la baie de Lannion. Destiné seulement « à amender des sols agricoles », ce sable serait prélevé sur la dune sous-marine où vivent les lançons, base de la chaîne alimentaire des oiseaux de la réserve des Sept-Îles... et des poissons dont vivent cinquante bateaux pêcheurs.

Selon le Conseil économique, social et environnemental régional de Bretagne (décembre 2011), « l'extraction des matériaux marins peut avoir des conséquences, à long terme, sur la stabilité des cordons littoraux. » Autrement dit : le trou creusé en vingt ans par les dragues de la CAN ébranlerait la configuration géologique du rivage.

Sans compter la défiguration de la baie par cette mainmise industrielle, avec effets sur le tourisme et les villégiatures – donc les activités locales.

Et sans compter l'avis des professionnels des fonds marins : car l'activité des navires sabliers s'accompagne d'un « nuage de turbidité » (particules fines de sédiments) qui polluent une surface 25 fois supérieure à celle de la zone d'extraction autorisée : « ce nuage, on le craint, il se baladera, chargera la flotte, recouvrira notre zone de plongée et tuera la faune et la flore », explique au JDD (15/07) le directeur du Centre Activités Plongée de Trébeurden. Confirmé par les océanographes scientifiques, ce danger concerne la biodiversité des deux zones Natura 2000 « Côte de Granit rose » et « Baie de Morlaix ».

D'où la mobilisation contre le projet Roullier. Le mouvement a pris le nom de Peuple des Dunes en Trégor, pour imiter le Peuple des Dunes du Morbihan qui a forcé l'omnipotent groupe des ciments Lafarge à abandonner un projet similaire au large de Gâvres en 2009. Le mouvement trégorrois unit les comités des pêches (Côtes-d'Armor et Finistère) à une cinquantaine d'associations d'écologistes et de professionnels du tourisme et de la plaisance.

La mobilisation – expliquent ses militants – s'est déclenchée à partir « d'un scandale » : l'avis favorable donné à la CAN par le commissaire-enquêteur, en novembre 2010, malgré : a) les treize communes consultées par l'enquête, qui avaient rejeté le projet CAN par 1132 avis défavorables sur 1403 ; b) l'Ifremer*, qui avait fait connaître ses « réserves » à l'encontre dudit projet.

Le contentieux a été transmis au ministère sarkozyste de l'Ecologie, qui l'a évidemment enterré. Faut-il attendre autre chose de Delphine Batho, préposée par Ayrault aux bons procédés envers Shell** ?

En mai dernier, trois mille riverains ont manifesté contre Roullier sur la plage de Trébeurden. Aujourd'hui, le président de la communauté d'agglomération Lannion-Trégor, Joël Lejeune, déclare aux médias parisiens : « après les marées noires et les algues vertes, maintenant, ça suffit ! on est prêt à utiliser tous les moyens légaux pour empêcher ce projet d'aboutir. »

Question naïve : qu'est-ce qui empêche Roullier de draguer plus au large ?

Réponse réaliste : ce serait plus cher.

 

_________

* Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer.

** L'homme de « l'aéroport de trop »...

*** Notre blog, note du 25/06.

 

        La manif des trois mille riverains sur la plage de Trébeurden (mai dernier).