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07/06/2012

Témoignage : ce qui se passe à Montréal

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          Un ami québécois du blog résume la situation :



 

D’abord une mise en contexte : depuis plusieurs années, les frais de scolarité québécois sont les plus faibles en Amérique du Nord. Plusieurs considèrent qu’il est nécessaire de garder les frais à un bas niveau pour ne pas compromettre le rattrapage que le Québec effectue par rapport à ses voisins au niveau de l’éducation supérieure (le taux de diplomation universitaire des Québécois est historiquement beaucoup moins élevé que ceux du reste du Canada, même s’il a beaucoup progressé depuis une cinquantaine d’années). En même temps, les universités québécoises souffrent d’un certain sous-financement ce qui pousse celles-ci à mille et une acrobaties pour rester « compétitives » avec celles du reste du Canada et des États-Unis. Elles ont ainsi tendance à se compétitionner entre elles en sortant de leur territoire naturel en allant installer des campus secondaires à plus de 100, voire plus de 200 km de leur lieu d’origine. Également, pour attirer plus d’étudiants étrangers, certaines universités francophones commencent à offrir des programmes entièrement en anglais (même à Québec).

Dans le but d’améliorer la situation financière des CÉGEPS et université du Québec, le gouvernement a donc décrété il y a quelques mois une hausse de 75% des frais sur une courte période de cinq ans ce qui a poussé une partie (minoritaire) des étudiants à déclencher un mouvement de grève au début du mois de février dernier.

C’est peu dire que cette crise a été mal gérée. Le premier ministre (Jean Charest – parti libéral) a refusé de rencontrer les leaders étudiants jusqu’à la semaine dernière. En avril, il s’est même permis de faire des blagues sur une manifestation qui tournait au grabuge alors qu’il s’adressait à des gens d’affaires. Ceci dit, le gouvernement a fait de réels compromis durant cette crise, comme d’étaler la hausse sur une plus longue période, bonifié le régime de prêts et bourses et prévu de moduler le remboursement des dettes en fonction des futurs revenus. Malheureusement, le discours officiel par rapport à l’éducation est qu’il s’agit d’un investissement et que d’aller à l’Université c’est bien, car cela permet de s’enrichir. Toutes choses vraies, mais qui en l’absence d’un discours plus vaste donnent l’impression de faire affaire avec des vendeurs d’automobiles plutôt qu’à des hommes et des femmes d’Etat. Cela est particulièrement ressenti chez les étudiants des sciences sociales et humaines qui représentent la plupart des étudiants en grève. L’impression de certains commentateurs est que le gouvernement ne veut pas obtenir un règlement négocié pour pouvoir exploiter cet enjeu lors de l’élection qui devrait avoir lieu cet automne. Ainsi, le gouvernement a déjà bousillé une entente survenue le mois passé. La ministre de l’Éducation a ainsi eu l’imprudence de donner plusieurs entrevues où elles se vantaient presque ouvertement que le gouvernement avait eu le dessus sur les étudiants (j’exagère à peine). Les étudiants en grève, comme on peut s’en douter, n’ont guère apprécié et ont rejeté l’entente à une forte majorité.

Jeudi passé (31 mai), le gouvernement a rompu les négociations qui avaient repris trois jours auparavant alors que la différence entre les positions des deux parties s’était beaucoup réduite. Les étudiants réclamaient un gel des frais de scolarité pour les deux prochaines années tout en acceptant des hausses substantielles (254 $ par cours suivi) à partir de la troisième année. Comme le gouvernement désirait une hausse de 100$ par cours suivi dès la première année, les étudiants ont suggéré que le gouvernement réduise le crédit d’impôt pour frais de scolarité dont bénéficient les étudiants. Ainsi le « gel » pour les deux prochaines années aurait été virtuel, mais les étudiants y tenaient, sans doute parce qu’il aurait été plus facile pour un autre gouvernement de revenir sur la hausse.

Malgré les faibles droits de scolarité du Québec, les étudiants québécois ne sont pas particulièrement privilégiés. Ainsi 55 % d’entre eux travaillent contre 25 % il y a 25 ans. Le taux de décrochage scolaire est particulièrement élevé même si plusieurs « décrocheurs » reviennent étudier quelques années plus tard. L’endettement moyen des étudiants québécois à la sortie de leurs études est de 15 000 $. Ceci dit, la position des leaders étudiants n’est pas toujours facile à défendre. Outre l’idée de réduire le crédit d’impôt pour les frais de scolarité, ils ont également proposé de sabrer dans le programme d’épargne étude, deux mesures qui pénaliseraient les étudiants les moins fortunés.

L’intensité du mouvement de protestation tire en grande partie sa source du contexte politique général actuel. Ainsi, un chroniqueur du journal La Presse, qui dit ne pas croire que la hausse des frais de scolarité ait autant d’impact négatif sur la fréquentation des CÉGEPS et des universités, se réjouit néanmoins de la grève, car on exige des étudiants ce qu’on se refuse à faire avec les plus puissants et tout ce qui parle argent dans la société. Le gouvernement dit que les étudiants doivent payer leur juste part. Ce qui lui fait répliquer : « et la juste part des minières ?» Le gouvernement actuel a ainsi annoncé un plan de développement (lire d’exploitation) du Grand Nord québécois qui est fort contestable et contesté. Il a également cédé des droits de prospections aux compagnies gazières et pétrolières pour des redevances franchement ridicules par rapport à ce que d’autres gouvernements au Canada ont pu obtenir. http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/schiste-duplessis-serait-fier-de-nous/4631/. Ajoutez à cela une série de scandales liés à l’industrie de la construction et un taux d’impopularité record du gouvernement en place (et du gouvernement fédéral actuel pour en partie les mêmes raisons) et vous avez les ingrédients de ce qui est le plus grand mouvement de protestation depuis une quarantaine d’années.

Il y a trois semaines, le gouvernement a décidé de reporter la suite de la session d’hiver à la fin du mois d’août et de voter une loi spéciale pour encadrer les manifestations. Cette loi a finalement plutôt aidé les étudiants et mis mal à l’aise une partie de ceux qui appuient la hausse. Les dispositions les plus controversées sont les amendes très sévères imposées aux contrevenants, la responsabilité des organisations étudiantes par rapport à d’éventuels gestes illégaux commis par leurs membres lors de manifestations, et l’obligation d’avertir la police et de lui remettre un itinéraire de la manifestation au moins huit heures avant une manifestation de 50 personnes et plus. L’effet immédiat fut que les manifestations ont augmenté en intensité, du moins dans un premier temps, même s’il est possible qu’avec l’arrivée de l’été elles finissent par perdre en ampleur. Au niveau de l’opinion publique, la majorité appuie la hausse décrétée par le gouvernement (tout en critiquant sa gestion du conflit). Chez les moins de 35 ans cependant, un sondage publié quelques jours après l’adoption de la loi spéciale indiquait que les deux tiers s’opposaient à la hausse et jusqu’à 73 % étaient contre la loi spéciale elle-même, et ce, même si la majorité des étudiants ne sont pas en grève.

Une dernière réflexion. Plusieurs commentateurs font un parallèle entre le mouvement étudiant actuel et les événements de 1968. Christian Rioux, du journal Le Devoir, considère qu’au-delà de quelques similitudes apparentes les deux mouvements procèdent d’une logique et d’un contexte très différents. Mai 1968 prônait l’individualisme à tout crin et l’absence de contraintes dans un contexte de forte croissance économique. Les étudiants en 2012 veulent plus d’État, plus de « nous », dans un contexte de croissance anémique (et je rajoute, de remise en cause des modalités, voire du principe même de croissance).

 

Je vous laisse quelques liens pour ceux que le sujet intéresse :

Jean-François Lisée du magazine L'Actualité, plutôt du côté des étudiants :

http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/78-la-loi-...

http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/etudiants-...

Et Yves Boisvert, chroniqueur à La Presse, très critique d’un certain jusqu’au-boutisme des associations étudiantes (surtout la plus importante d’entre elles) :

http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/yves-boisvert/20...

 

                                                                                              François S.

 

Commentaires

AUTISME DES LIBERAUX

> Très intéressant, merci François S. C'est donc la même chose des deux côtés de l'Atlantique. Des libéraux autistiquement incapables de voir la société autrement que comme une chaîne de montage au profit du business (et d'avouer que ledit business a provoqué la crise générale).
Et par symétrie inverse : des syndicats crispés sur le "on ne lâche rien" qui ne tient pas compte de ladite crise générale ?
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Écrit par : fulup / | 07/06/2012

LE DEVOIEMENT

> Merci pour cet éclairage. On voit bien le dévoiement de l'université dans le monde, car quel que soit le pays, un chercheur en mathématique pure, physique fondamentale, philosophie ou patristique grecque gagne moins qu'un DRH ou un avocat d'affaires. L'université n'est pas un "investissement pour l'avenir", c'est d'abord un lieu de connaissance, comme l'avait si bien dit notre pape dans son beau discours au monde de la culture à Paris. Pas étonnant que les étudiants en sciences humaines soient les premiers à se révolter, mais ne nous voilons pas la face : physique et mathématiques ne sont guère en meilleure posture. Sans application technique immédiate, il devient de plus en plus difficile pour les chercheurs d'obtenir des crédits.
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Écrit par : L'oeil et l'esprit / | 07/06/2012

CHAREST

> L’ultralibéralisme est à l’œuvre au Canada, comme partout. Jean Charest qui a renoncé à faire carrière au niveau fédéral et sévit maintenant au Québec, en est un parfait représentant. La conclusion s’impose, mais les « Canadiens français » sont-ils prêts à la (ré)entendre avec nous (en prenant au préalable une grande goulée d’air frais du Saint-Laurent, ça pulse !) : « Vive le Québec… Vive le Québec libre ! »
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Écrit par : Denis / | 07/06/2012

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