07/06/2012
L'histoire réelle démythifie "l'Etat chrétien"
Les mémoires de Saint-Simon confirment la vision de Maurice Zundel (note d'hier) sur les ravages du politico-religieux dans les Etats dits "chrétiens" :
1705 – L'archevêque d'Arles François de Maillly et le pape Clément XI échangent quelques lettres de piété. Colère de Louis XIV :
<< La cour regardait comme un crime tout commerce direct d'un évêque avec Rome ; ce qui regardait les bénéfices, ils le traitaient par des banquiers ; sur toute autre matière, ils étaient obligés de passer par la permission du Roi et par le secrétaire des affaires étrangères. Ecrire directement au Pape, à ses ministres, ou à des personnes en place dans cette cour, ou en recevoir des lettres, sans qu'à chacune le Roi et son secrétaire d'Etat sût pourquoi, et l'eût permis, c'était un crime d'Etat qui ne se pardonnait point, et qui était puni de sorte que l'usage s'en était entièrement aboli. [Néanmoins l'archevêque d'Arles échange des lettres avec le pape au sujet de « saint Trophime l'apôtre », et Versailles l'apprend]. Torcy, par ordre du Roi, en écrivit très fortement à l'Archevêque, et en parla au Nonce sur le même ton, qui vint tout courant me le conter. Nous eûmes grand-peine à le1 tirer d'affaires ; il en fut pourtant quitte pour une dure réprimande, et pour un ordre bien exprès de prendre garde de plus avoir aucun commerce avec Rome, sous peine de l'indignation du Roi. L'Archevêque fit l'ignorant, le piteux, le désespéré d'avoir déplu au Roi pour une bagatelle qu'il avait crue innocente... >>
1706 – A l'assemblée du clergé (limitée en principe aux questions matérielles), le cardinal de Noailles s'est permis de proposer des réformes de morale et de discipline. Indignation de Louis XIV :
<< Le cardinal de Noailles sortit donc de cette assemblée fort mal avec le Roi, qui prit contre lui les plus forts soupçons de jansénisme, et qui, profondément ignorant sur ces matières, élevé dans le préjugé le plus extrême là-dessus, ne consulta jamais personne qui pût l'éclairer, et ne permit même jamais à personne d'ouvrir la bouche devant lui qui pût lui donner la moindre lumière. Ainsi on avait beau jeu à lui faire passer pour tel, soit choses, soit gens ; et ils [les manipulateurs] avaient, de plus, usurpé cet incomparable avantage, que choses et gens donnés pour tels demeuraient proscrits sans examen, sans information et sans ressource. Le cardinal de Noailles trempait donc dans un état de disgrâce intérieure qui, pour ne paraître pas au dehors et ne changer rien à ses audiences du Roi de toutes les semaines, n'en était pas moins douloureux et embarrassant... >>
Etc, dans les huit tomes de la Pléiade.
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1. L'archevêque d'Arles. (Saint-Simon a l'habitude de ces ellipses de syntaxe).
09:38 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : catholicisme, église, chrétienté, louis xiv, jansénistes
Commentaires
UN FAIT
> Fait significatif : les grands saints du XVIIe siècle, comme saint Vincent de Paul, se recrutaient dans les anciens milieux ligueurs.
BJL
[ De PP à BJL - Cependant le phénomène ligueur avait été d'une extrême ambiguité. On y trouvait une forme d'anarchisme chrétien (entre le prophétisme et la dérive homicide !). Mais on y trouvait aussi la reproduction et même l'aggravation (à l'échelon des Guise et autres "grands" manipulateurs la Sainte Union) de la volonté de contrôle du religieux par le séculier. On ne peut donc pas dire que Vincent de Paul, puis les "dévots", aient été en continuité avec l'esprit de la Ligue, quoiqu'ils en aient été issus sociologiquement. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 07/06/2012
PARALLÈLE
> A l'époque de la Réforme, le refus du dogme de la présence réelle et celui de la monarchie sacrée étaient conjoints. Et c'est pourquoi François Ier a eu la main aussi lourde. La monarchie française a progressivement élaboré tout un système théologique parallèle - sinon parasite - de la foi chrétienne.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 07/06/2012
Vanités du pouvoir et de l'idolâtrie !
> Au temps de Louis XIV toute ville française d'une certaine importance était pourvue d'une place publique avec en son centre le portrait équestre du souverain. De cette façon, Louis XIV, par le biais de ces simulacres, démultipliait sa présence physique sur toute l'étendue du royaume. Il ne se déplaçait plus comme ses prédécesseurs, mais il était partout à la fois. De même que les magistrats du royaume, depuis longtemps déjà, se flattaient d'être les émanations du corps du roi ; c'était le roi lui-même qui, par leurs soins, rendait la justice...
Il s'agit là d'une bien piètre parodie du mystère eucharistique.
Dans la chapelle de Versailles, d'ailleurs, les fidèles n'étaient pas orientés en direction de l'hostie, mais du roi. Le corps du roi tenait lieu de corps eucharistique !
Et puisque nous parlons de Versailles, citons l'indispensable Louis Marin ('Politiques de la représentation', Paris, 2005, p. 260) :
« […] A la différence des conceptions du Bernin, ainsi à Rome avec la colonnade de la place Saint-Pierre, où l'espace universel est saisi dans une sorte d'embrassade physique comme avec des bras qui l'envelopperaient en développant le grand geste ostentatoire baroque de la charité catholique et romaine, à Versailles le Roi est à la fois partout et nulle part. Il n'est pas dans l'espace ou plutôt il n'y est présent que comme un regard dominant qui en "développe" le lieu classique. [...] c 'est bien l'ensemble du monde qui se trouve architecturé en lieu du Roi et transsubstantié en corps monarchique sous les espèces optiques de son portrait, c'est-à-dire de son regard omnivoyant : production symbolique du lieu royal exemplaire. »
Le royaume de France, corps transsubstantié du roi !
Comme l'a déjà souligné William Cavanaugh, nous assistons ici à un transfert de sacralité de l'Eglise vers l'Etat. Au bout du processus, l'Eglise est devenue inutile et plutôt gênante : on ne se contente plus de distendre les relations des évêques et du pape, de rogner par une demi-violence les prérogatives fiscales et spirituelles du Saint-Siège : l'Etat absorbe l'Eglise (Constitution civile du clergé), devient l'Eglise et exige un culte pour lui-même et ses martyrs. Les catholiques monarchistes et contre-révolutionnaires, qui subsistent ici ou là, devraient reconnaître cette vérité : la révolution française est l'aboutissement logique de l'ancien régime, de Charles VII à Louis XVI.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 07/06/2012
UNE PERVERSION
> Parfaitement d’accord avec BJL : à partir de Philippe le Bel, la royauté a commencé à prendre le pas sur la religion. La monarchie absolue est une perversion de la monarchie (telle qu’elle a été pratiquée tant bien que mal au moyen-âge), dans laquelle le roi se place au dessus de la religion (gallicanisme), trahissant la source dont il tire sa légitimité, et où les nobles abandonnent leurs rôles d’administrateur et défenseur de leurs sujets pour venir vivre à la cour. Cette noblesse pervertie portait déjà en elle 1789. Cela dit, je crois que contrairement au communisme, au nazisme et au capitalisme, la monarchie n’est pas une théorie intrinsèquement perverse. Seulement elle nécessite pour être juste une Eglise dont l’autorité spirituelle est supérieure au pouvoir temporel des nobles, pour pouvoir limiter les appétits des nobles et leur rappeler leurs devoirs. Bref, quel que soit le domaine dans lequel on se place (politique, social, écologique, artistique,..), on en revient toujours à la même conclusion : la seule et unique priorité du moment, c’est l’évangélisation.
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Écrit par : Gilles Texier / | 07/06/2012
LOUIS XIV
> "Le corps du roi tenait lieu de corps eucharistique !" Excellent Blaise ! Et j'aime aussi beaucoup l'expression "corps transsubstantié du roi !" Le paradoxe, dans cette affaire, c'est que Louis XIV ne communiait pas car il connaissait son indignité. Mais quel bonhomme quand même ! Mon fils me disait récemment : "C'est pas juste papa, Louis XIV est le roi préféré des Français alors qu'il a commis une énorme erreur en révoquant l'édit de Nantes et que les abus de Versailles ont préparé la révolution. Et c'est tombé sur ce pauvre Louis XVI qui était un homme humble et bon, et c’est à lui qu’on a coupé la tête". Je lui ai répondu : "Tu as raison mon fils, mais c'est le prestige qui marque les foules et l’histoire est rarement juste." Eh oui, le prestige est un attribut du pouvoir. Et il faut au pouvoir une "sacralité" comme vous dites. La république ne l'a pas oublié elle non plus, ni l’empereur Bokassa 1er. C'est le spectacle de la comédie humaine. Cela semble si dérisoire... et pourtant... la terre tourne ainsi.
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 07/06/2012
ET BOSSUET
> On pourrait parler aussi des erreurs de Bossuet, notamment sur les Quatre articles gallicans, et de la condamnation de Fénelon - qui, lui, était vraiment catholique - par le même Aigle de Meaux qu'à cause de son immense style, on vénère aujourd'hui sans la moindre réserve...
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Écrit par : JG / | 08/06/2012
LEGENDE ET HISTOIRE
> Y a-t-il plus mystique, plus profondément réformateur au sens plénier que la bienheureuse Marie de l'Incarnation, madame Acarie, amie de François de Sales, de Vincent de Paul, du cardinal Bérulle, introductrice visionnaire du Carmel réformé en France?
Elle aussi provenait (directement) d'un milieu de ligueurs.
Gare au simplisme a posteriori et aux antinomies anachroniques!... Ce que nous jugeons contradictoire ne l'était pas forcément. Même si cela nous gêne aujourd'hui!
C.
[ De PP à C :
- Veuillez relire ma réponse au premier commentaire de BJL.
- Rien ne nous "gêne". Nous faisons de l'histoire, pas de la légende dorée pour le Chardonnet. Si vous ne connaissez pas les contradictions internes du phénomène ligueur et celles de sa postérité, vous devriez lire des livres sur les guerres de religion. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Claude / | 09/06/2012
TYPIQUE
> Le message de Claude suit le réflexe du milieu réac : croire que ses fantasmes "gênent le conformisme". Ca lui permet de soutenir des choses impensables : inexistence de la crise environnementale, nocivité du souci social, et ici apparemment sainteté du duc de Guise ! On peut dire n'importe quoi, surtout aujourd'hui où la "sincérité" compte plus que la réalité.
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Écrit par : Obed Edom / | 09/06/2012
@ Obed Edom /
> Chaque milieu a ses réflexes et les réflexes des autres sont toujours des fantasmes. Prudence avant de dégainer!
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Écrit par : Pierre Huet | 09/06/2012
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