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01/05/2012

Religiosités : les marronniers de la presse papier

Pourquoi perd-elle son combat contre l'Internet ?


 

960-jerome-bosch---tentation-de-saint-antoine---monstre-messager---pm-300-300.jpg...Parce qu'elle est répétitive, partiale et et paresseuse. Ce n'est pas chez elle que se passent les nouveautés : son système consiste à ressortir (de saison en saison) les mêmes marronniers depuis vingt-cinq ans.

Dernier exemple en date : l'enquête publiée le 14 avril dans le supplément hebdomadaire du Monde sous le titre : Petits arrangements entre croyants. Le sujet de l'article est la « nouvelle conscience religieuse ». Mais dès l'introduction on croit relire un magazine de la fin des années 1980. Voilà ce que ça donne :

« Une pincée de culture juive, un zeste de christianisme, le tout saupoudré d'esprit zen... De plus en plus de croyants s'éloignent des dogmes établis pour se construire une religion à la carte. Enquête sur ces fidèles d'une nouvelle Eglise : la leur. »

On serinait déjà ça dans les sessions de l'artificieuse Fondation Saint-Simon à l'époque où j'y participais ! (C'était aux temps – lointains – où Bérégovoy à Matignon et DSK à Bercy instauraient la dérégulation financière). Vers 1990, cette idée fixe de la décomposition-recomposition du spirituel (décomposition des « dogmes », recomposition individualiste autour des pulsions du consommateur) avait déjà pour chantres Danièle Hervieu-Léger de l'EHESS, ou Martine Cohen du CNRS. En avril 2012, l'enquête du Monde magazine nous les ressert sur un plateau : pour nous surprendre avec cette immense nouveauté, la décomposition-recomposition du spirituel, le magazine est allé chercher, devinez qui ?  « Martine Cohen, chercheuse au CNRS » et « Danièle Hervieu-Léger, sociologue à l'EHESS » ; on prend les mêmes et on recommence.

Je ne veux aucun mal à Mmes Cohen et Hervieu Léger : elle ont le droit d'en rester à la vision pan-consumériste à la mode sous Bérégovoy.

Je constate simplement qu'elles n'ont réussi à fournir à la journaliste du Monde magazine qu'un seul exemple du gloubi-boulga censé être le stade suprême de la religiosité à l'ère de la grande distribution. Et cet exemple n'est pas convaincant.

C'est celui de Bégonia Agiriano, 59 ans, « professeure de français et adepte du zen ». Mais qu'en est-il exactement de Bégonia ? D'abord cette honorable dame frise la soixantaine, ce qui ne fait pas d'elle – sauf le respect que je lui dois – un signe des temps nouveaux. Ensuite sa vision du zen ne l'a pas éloignée du catholicisme, mais l'a « réconciliée » avec celui-ci ! (On a envie d'expliquer à la journaliste qu'être éprise d'un « Dieu amour » n'est pas le contraire du « dogme » chrétien comme elle semble le croire). Enfin sa vision du zen est bien éloignée du zen véritable, si elle consiste à explorer le silence et à rendre grâce : choses que pratiquent les moines catholiques à longueur de temps. Bref : le seul exemple fourni ne fonctionne pas.

Je dis « le seul exemple »... Il y en a deux dans cet article, mais l'autre est carrément hors sujet.

C'est celui d'Etienne Levi, 50 ans. Ce Parisien est converti du judaïsme au christianisme protestant évangélique. Il explique clairement les choses : pour lui, tout a commencé avec la découverte du texte du Nouveau Testament. « C'est l'histoire d'un juif, écrite par des juifs pour la plupart, et ça se passe en Israël. J'avais toujours cru que c'était une histoire de catholiques. Quelle claque ! L'Ancien Testament, c'st un peu comme si Dieu avait envoyé des lettres pour nous donner rendez-vous, et j'ai eu le sentiment que nous, les juifs, n'étions pas venus à ce rendez-vous. » Etienne Levi a reçu le baptême chrétien, et dit : « j'appartiens toujours au peuple juif. » Autrement dit il parle comme feu Jean-Marie Aaron Lustiger, cardinal archevêque de Paris... Et voilà ce que Le Monde magazine appelle «faire valser les dogmes », « bricoler les religions », « faire des mélanges », « chercher quelque épice ailleurs », « faire leur petite cuisine... » Vocabulaire de marketing, pas très différent de cette affiche qu'on voit en ce moment dans le métro parisien : « Une envie de nouvelle salle de bains, c'est un besoin de s'exprimer ».

Je disais plus haut que la presse est paresseuse. Si elle l'était moins, elle lirait des livres. Par exemple celui de Jacob Neusner, Un rabbin parle avec Jésus, où ce célèbre New-Yorkais constate (comme Etienne Levi) que Jésus et le Nouveau Testament sont parfaitement juifs, et que le passage du judaïsme au christianisme est cohérent quoique critiquable d'un point de vue rabbinique1. Ou le livre2 de David Neuhaus, juif israélien devenu jésuite... Je n'ose pas suggérer à mes confrères de jeter un coup d'oeil au catéchisme de l'Eglise catholique, qui souligne avec force la continuité des deux Testaments ; voire aux travaux du regretté Claude Tresmontant, qui explique les racines païennes de la judéophobie.3

Si Le Monde magazine n'a que l'exemple d'Etienne Levi (ou dans un autre genre celui de Bégonia Agiriano) pour nous convaincre que les grandes religions se dissolvent dans le consumérisme et que c'est vraiment sympa parce que c'est libéral (« individualisme, dérégulation des institutions, esprit critique et métissage »4, dit le magazine), conseillons-lui de refaire l'enquête.


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1. Ce livre (Cerf 2008) est recommandé par Benoît XVI, comme expression la plus nette de la confrontation religieuse du judaïsme et du christianisme.

2.  La terre, la Bible et l'histoire (Bayard).

3. « Ce qu'on appelle aujourd'hui improprement antisémitisme, qui est en fait anti-judaïsme, a ses racines dans des doctrines de type gnostique. La détestation de la Création, la détestation du Créateur unique, la détestation du peuple hébreu qui a porté le monothéisme, sont associées, liées, chez Valentin, chez Marcion et les gnostiques, chez Mani, chez les cathares, chez Kant, chez les maîtres de l'Idéalisme allemand, puis chez Nietzsche et Martin Heidegger... » (Judaïsme et christianisme, éd. FX de Guibert, 1996).

4. Dans le vocabulaire marketing, « métissage » ne veut pas dire « métissage », mais « cocktail de pulsions ». Rien à voir avec les minorités visibles des banlieues. Et si la journaliste du Monde allait assister à un culte chrétien en banlieue, elle serait déçue : ces fidèles croient vraiment en Jésus ressuscité. Pas de bricolage consumériste chez eux ! (Le bouddhisme de magazine féminin, c'est pour les Françaises de souche, catégorie seniors).


 

Commentaires

OEILLÈRES

> Je dirais plutôt que la presse a des œillères. La presse, mais on peut élargir à tout ce qui pense dans ce pays, culture, profs, intellectuels de tous poils, refusent, ou ne peuvent pas, ou n'osent pas poser un regard ne serait-ce que par curiosité, sur le monde catholique. Ce n'est pas leur esprit (qu'ils prétendent avoir le plus ouvert au monde) qui les en empêche, c'est leur cœur. Relier le coeur à l'intelligence est la chose la plus difficile au monde. C'est toujours effrayant, compromettant, quand on est dans le monde et DU monde, d'entr'ouvrir la porte de son cœur. "Il y a si peu d'amour dans le monde, disait Jacques Maritain, les cœurs sont si froids, si gelés, même chez ceux qui ont raison, les seuls qui pourraient aider les autres. Il faut avoir l'esprit dur et le cœur doux. Sans compter les esprits mous au cœur sec, le monde n'est presque fait que d'esprits durs au cœur sec et de cœurs doux à l'esprit mou."
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Écrit par : Frédéric Ripoll / | 01/05/2012

EN EFFET

> En effet, "si la journaliste du Monde allait assister à un culte chrétien en banlieue" elle verrait bien du métissage mais seulement celui des origines des fidèles et des prêtres, et il est bien réel. Et si elle venait aux veillées pascales, elle constaterait qu'on y baptise des occidentaux de familles déchristianisées, et aussi des convertis d'origine juive ou musulmane. Et tout ce petit monde qui vole beaucoup plus haut que Le Monde entre joyeusement dans "la régulation de l'institution".
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Écrit par : Pierre Huet/ | 01/05/2012

COMME EN 1970

> C'est comparable à la niaiseuse pub Citroën persistant (comme en 1970) à voir la musique contemporaine comme un "progrès" par rapport à la musique classique :

http://www.cath.ch/blog/sacree.musique/la-publicit%C3%A9-la-modernit%C3%A9-et-la-musique

(merci à Frédéric Ripoll).
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Écrit par : PP / | 02/05/2012

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