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01/05/2012

Ce que cache le lourd hommage de Hollande à Bérégovoy

En choisissant d'aller (à Nevers) rendre hommage à feu Bérégovoy, François Hollande fait un aveu.  Involontaire ?

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Avril 1992 : Pierre Bérégovoy présente son gouvernement à François Mitterrand. Deuxième à partir de la droite : Dominique Strauss-Kahn. C'est l'engrenage de la dérégulation financière ultralibérale.


 

Oublions la mort de Bérégovoy, suicidé le 1er mai 1993 par désespoir d'avoir été lâché par François Mitterrand. Oublions la raison de ce lâchage : l'affaire Traboulsi1 et ses suites, qui avaient révélé – de la part de Bérégovoy – une certaine naïveté en matière d'argent. Oublions aussi que ces événements préludaient à une débâcle électorale, et que Bérégovoy s'est suicidé un 1er mai : ce qui rend bizarre la prestation dont François Hollande nous a régalés ce matin... Oublions ces histoires parce qu'elles sont vieilles, et que la gauche est loin d'en avoir le monopole. (Et n'allons pas plus loin dans ce constat, qui nous ferait accuser – comme il est de règle – de pratiquer le « tous pourris » : on sait que toute affaire financière touchant un politicien constitue un cas unique, et ne saurait faire système avec d'autres).

En revanche, ce qui est oublié dans le grand public et qu'il convient de rappeler, c'est le rôle de Bérégovoy et de son gouvernement (Dominique Strauss-Kahn aux Finances) au service de la dérégulation financière ultralibérale, avec les conséquences ravageuses que l'on subit aujourd'hui.

Je laisse la parole à Patrick Fauconnier du Nouvel Observateur, 16/09/2011 :

<< Arnaud Montebourg, intervenant devant la rédaction du Nouvel Observateur mardi 6 septembre, et exposant son programme de "démondialisation", a cité les travaux de Rawi Abdelal, professeur à Harvard, spécialiste de politique économique. Ce chercheur très peu connu en France a écrit en 2005 un document de 130 pages titré "Le consensus de Paris, la France et les règles de la finance mondiale", dans lequel il démontre que c’est la gauche française qui a agi avec le plus de ténacité, en Occident, "de façon paradoxale", en faveur de la dérégulation libérale des marchés financiers.

"A la fin de la décennie 80, écrit Abdelal,  les dispositions de l’Union européenne et de l’OCDE, qui avaient ralenti le processus de mondialisation des marchés financiers, sont réécrites pour épouser une forme libérale. Grâce à ce changement, qui concernait  70 à 80 % des transactions de capitaux dans le monde, la mondialisation financière va progresser à grands pas dans le cadre de règles libérales (…) Cette évolution n’a pu se faire que grâce à l’intervention de trois personnages : Jacques Delors, en tant que président de la Commission européenne, Henri Chavranski,  président des mouvements de capitaux à l’OCDE de 1982 à 1994, et Michel Camdessus, président du FMI de 1987 à 2000 ( …) Sans eux, un consensus en faveur de la codification de la norme de la mobilité des capitaux aurait été inconcevable. Ces trois hommes ont beaucoup de points communs, mais il en est un qui saute aux yeux : ils sont Français. Voilà qui est tout à fait curieux car pendant plus de 30 ans la France, plus que tout autre pays, avait multiplié les obstacles à toute modification des textes en faveur de la mobilité des capitaux."

Faisant remarquer que c’est François Mitterrand qui a nommé Camdessus gouverneur de la Banque de France, Abdelal parle de "paradoxe français d’autant  plus fort que Delors était une importante figure socialiste et que (…) les Français n’y ont pas été forcés par les Etats Unis, au contraire". Il poursuit : "c’est le 'consensus de Paris' et non celui de Washington, qui est avant tout responsable de l’organisation financière mondiale telle que nous la connaissons aujourd’hui, c'est-à-dire centrée sur des économies donc les codes libéraux constituent le socle institutionnel de la mobilité des capitaux".(…)

"Entre 1983 et 1988 les Français ont laissé faire l’internationalisation et lui ont même réservé bon accueil. En 1988 (réélection de F. Mitterrand, NDLR) , ils se sont lancés dans une nouvelle mission internationale. Des personnalités françaises (il cite Lamy en plus de Delors et Camdessus) ont alors joué un rôle de premier plan dans le mouvement pour rendre la mondialisation possible..."

Interviewé par l’agence Telos en octobre 2007, lors de la nomination de DSK à la tête du FMI juste après la chute de Lehman Brothers, Abdelal observe : "les fonctionnaires français ont emmené dans leurs bagages l’idée que la mondialisation pouvait être maîtrisée, ainsi que les instruments de cette maîtrise. Et pourtant, paradoxalement, en permettant aux organisations internationales de maîtriser la mondialisation, ils ont contribué à forger un monde plus libéral et plus mondialisé."   

Dans le cadre d’une analyse plus politique, il consacre plusieurs pages au tournant de 1983, au cours duquel Delors, alors ministre des Finances, Laurent Fabius, ministre du budget et Pierre Bérégovoy, ministre des Affaires sociales, ont convaincu François Mitterrand  d’accepter les contraintes du Système Monétaire Européen, qui a amorcé une politique de rigueur :"ils ont amené Mitterrand à choisir l’Europe et l’austérité". Pour lui, c’est Camdessus qui a convaincu Fabius du danger qu’il y aurait à laisser flotter le franc, et qui a ensuite "introduit de la pensée unique au FMI".

Selon lui, "Fabius, Bérégovoy et quelques autres avaient de bonnes raisons de se donner un programme libéral : se rallier à l’économie de marché permettait de se doter d’une identité politique attrayante, d’un profil "moderne", "compétent", qui tranchait avec l’image "archaïque" et excessivement idéologique d’un Chevènement ou d’un Marchais".

Et Rawi Abdelal poursuit :  "L’ardeur de la gauche française à surpasser la droite ne se borna pas à la finance et s’étendit à tous les domaines de la politique économique. Le programme appliqué par Delors, Fabius, Beregovoy allait bien au-delà d’une suppression du dirigisme".  Il cite Serge Halimi, patron du Monde diplomatique, qui voit dans cette politique "une ambition de faire ses preuves sur le terrain même de l’opposition : ce qui se traduit par une politique encore plus brutale que celle de la droite, quand il s’agit d’appliquer des politiques économiques orthodoxes..."  >>



> Pour la raison que j'indiquais vendredi au micro de RND (lien sur ce blog), je commente le moins possible les gesticulations de la présidentielle. Mais la prestation de Hollande à Nevers mérite cette mise au point.

 

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1. Wikipédia : << Pierre Bérégovoy est bien vite rattrapé par le cas de Samir Traboulsi, un financier libanais, ami de la famille qui, depuis 1989, se débat avec la justice dans l'affaire Pechiney-Triangle, un délit d'initié qui semblait mettre en cause également les milieux politiques. Alain Boublil, son directeur de cabinet, est également impliqué et contraint de démissionner. Dès l'instant où Bérégovoy avait été renommé ministre des Finances en 1991, on sait maintenant que, selon ses propres dires, il avait été littéralement harcelé par l'homme d'affaires qui, ne voulant pas être inculpé par le juge Edith Boizette qui instruisait l'affaire, semblait être en mesure de faire pression sur son ami. Ainsi, au moment où Samir Traboulsi est renvoyé devant un tribunal correctionnel en janvier 1993, il semble qu'il ait averti le Premier ministre qu'il dévoilerait que l'affaire dans laquelle il est incriminé aurait débuté lors du dîner d’anniversaire de mariage du couple Bérégovoy qui s'est tenu le 13 novembre 1988 au restaurant  Chez Edgar  Paris). Dans le même temps, éclate l'affaire du prêt Pelat, révélée par Le Canard enchaîné, en février 1993. Il s'agit d'un prêt d’un million de francs, sans intérêt, que Pierre Bérégovoy avait reçu en 1986 de Roger-Patrice Pelat, ami intime de Mitterrand, pour l’achat d'un appartement dans le 16e arrondissement, à Paris. Or cet ami, lui-même impliqué dans l'affaire Péchiney, se retrouve au centre d'une autre affaire de corruption, concernant l’entreprise de travaux publics Heulin, du Mans, qui constituera elle-même le point de départ de l'affaire Urba. En outre, pour ce prêt passé devant notaire et qualifié de légal par la Chancellerie, Pierre Bérégovoy n'aurait remboursé que partiellement la somme due, dont une partie prétendument « sous forme d’objets d’art et de meubles dont on ne connaît ni la nature, ni la valeur ». Le juge Thierry Jean-Pierre, qui instruit cette affaire complexe, découvre non seulement le prêt Pelat, mais aussi les nombreuses libéralités accordées à la famille Bérégovoy : ainsi la prise en charge financière par Roger-Patrice Pelat de vacances du couple Bérégovoy, entre 1982 et 1989 ; les versements d’argent effectués à Lise Bérégovoy, l’une des filles du Premier ministre, pour qui Pelat se portait également caution auprès des banques pour des emprunts répétés ou encore des billets d’avion gracieusement offerts à la jeune femme. Le juge Jean-Pierre met également en lumière la persistance de découverts bancaires jugés « faramineux» accordés par la SDBO, la filiale du Crédit Lyonnais, aux membres de la famille Bérégovoy. Apparaît ainsi un découvert de 199 737,20 F au mois d’avril 1993. Puis, de nouveau, on trouve la trace de prêts d’argent aux membres de la famille Bérégovoy, notamment à sa fille Lise, de cadeaux à son épouse Gilberte, ainsi que des aides ponctuelles consenties à Pierre Bérégovoy entre 1986 et 1988. Aucune action judiciaire n'est engagée contre lui et rien ne dit qu'il y avait matière, mais, à la veille d'une défaite électorale annoncée, le Premier ministre, qui se voulait exemplaire au point de prendre la tête d'une croisade contre la corruption, apparaît politiquement miné par ces affaires. >>

 

Commentaires

IL FALLAIT LE RAPPELER

> Merci de nous rappeler ce sinistre souvenir, et de l'apprendre aux plus jeunes.
Une remarque:
L'étude de Rawi Abdelal fait remarquer le rôle des Français dans la dérégulation de la finance mondiale. Il n'y a pas que cela à noter. Plusieurs des personnalités citées sont des catholiques jouissant d'une haute considération dans l'Eglise: Delors, Camdessus, Lamy. On notera que, bien entendu, ce sont des européistes convaincus.
Il faut s'incliner devant eux, ils ont réalisé une percée conceptuelle sans précédent, résolvant une question bimillénaire à laquelle même le Seigneur n'avait pas su apporter une réponse positive: comment servir à la fois Dieu et l'Argent.
Plus sérieusement: faut-il s'étonner que des foules de catholiques soient libéraux quand ils ont de tels exemples sous les yeux? Ce ne sont pas eux qu'il faut eng...ler.
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Écrit par : Pierre Huet / | 01/05/2012

SERVITEURS DE L'ULTRALIBERALISME

> La "gauche de gouvernement" féal serviteur de l'ultra-libéralisme depuis (au moins) le début des années 1990 : une vérité utile à rappeler. Je parlais dernièrement avec un sympathique jeune socialiste qui avait l'honnêteté de reconnaître que son candidat ne suscite aucun enthousiasme et n'a rien dit, ni rien proposé depuis 1 an de campagne, mais qui croyait encore (je le crois sincèrement) que son candidat allait représenter la première victoire en France de la "social-démocratie". Touchant, hormis que cette idée n'a aucun sens.
La social-démocratie (†) (1945-1992) était le système ouest-européen (essentiellement germanique et scandinave) consistant à répartir "équitablement" les "fruits de la croissance" (la croissance étant considérée comme le Souverain Bien) par une négociation entre le Gouvernement, le patronat et les syndicats. Aujourd'hui, la croissance est morte et ne reviendra jamais et les gens se rendent confusément compte qu'elle n'était pas le Souverain Bien. Les Gouvernements sont convaincus de leur propre nocivité et se défont volontiers de leurs derniers pouvoirs au profit du Marché. Les syndicats n'ont plus de membres. Même le patronat ne contrôle plus rien : il est tout autant l'esclave du Marché.
Par conséquent, ce qu'on feint d'appeler "sociaux-démocrates" depuis les années 1990 (DSK, Delors, etc) sont en fait des serviteurs zélés de l'ultralibéralisme contraints pour satisfaire leur base et tenter désespérément de divertir le peuple de sacrifier sur l'autel des Nouvelles Mœurs. Le meilleur (c'est à dire le pire) exemple étant Zapatéro.
La seule inconnue est la façon dont le nouveau président se couchera devant les marchés. Mitterrand le fit de manière insidieuse, DSK et ses amis de façon flamboyante. Le nouveau président le fera sans doute de manière plus médiocre et pathétique, mais il est absolument certain qu'il le fera.
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Écrit par : Thibaud / | 01/05/2012

BEREGOVOY

> Ce rappel sur la libéralisation des marchés financiers est toujours utile (surtout dans les dîners parisiens de gauche : je le sais, j'en suis !). Cela dit, en allant rendre hommage à Bérégovoy, Hollande ne cherche évidemment pas à rappeler cette grande farce libérale. Il se contente de marquer une fois de plus son tropisme mitterrandien. Bérégovoy, ce n'est pas seulement le financier naïf, c'est aussi l'ouvrier, l'ex-syndicaliste, etc. Et, entre nous, un gars capable de mettre fin à ses jours parce qu'il ne supporte pas de se voir soupçonner de malhonnêteté, ça a tout de même un petit côté antique étonnant (je ne mets pas Bérégovoy sur le même plan que Senèque ou Caton d'Utique, mais quand même...)
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Écrit par : Jérôme / | 02/05/2012

Sans commentaires.

> http://www.causeur.fr/pascal-lamy-a-matignon,17313

"François Hollande n’a, en réalité, qu’une alternative : nommer Dominique Strauss-Kahn ou Pascal Lamy à Matignon. Ce sont les deux seuls socialistes à peu près présentables sur la scène internationale. On me souffle à l’oreille que, pour Dominique Strauss-Kahn, ce ne sera pas trop possible. Fausse joie, donc. Nous reste dans le champ des possibles, Pascal Lamy.
Dispose-t-il de réseaux internationaux ? Cela ne souffre aucun doute : il dirige l’Organisation Mondiale du Commerce et, à l’heure actuelle, c’est certainement le Français le plus respecté par les gouvernements et les marchés au monde. Est-il socialiste ? Assurément. Mais d’un genre nouveau : ce n’est pas qu’il soit un fervent adepte de la troisième voie, cette réconciliation blairiste entre le libéralisme et le socialisme. Il est passé, comme Jacques Attali, à une vitesse supérieure : il frôle la 25e, si ce n’est la 30e voie. Pascal Lamy est non seulement le partisan, mais également le chef d’orchestre d’un socialisme ultra-libéral ou d’un ultra-libéralisme socialiste. Un truc maouss costaud, où la dérégulation est érigée comme règle ; et où toute règle est sujette à la dérégulation. Pascal Lamy est, dans le monde entier, le chantre de la «mondialisation heureuse »."
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Écrit par : Pierre Jovanovic / | 03/05/2012

ETRANGE

> Les suicides d'hommes politiques ont ceci d'étrange, c'est que jamais on connaît les raisons exactes, suicides ou assassinats. Quelques fois, ils se posent délicatement sur les rails de chemins de fer, d'autres se noient dans une cuvette d'eau en ayant pris soin d'enlever ses chaussures avant, certains s'envoient au ciel au sein même de l'Elysée; un général a perdu la vie sur la tombe de sa maîtresse, tandis qu'un président s'est esbaudi entre les cuisses d'une brave demoiselle. Deux morts qui avaient de la gueule, tout de même!.
Il n'est pas impossible que la mort de JFK résulte des mêmes causes que cette dérégulation libérale des marchés financiers dont un des moments forts sera l'abandon par l’État de son droit régalien de création monétaire au profit du système bancaire privé.
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Écrit par : blh / | 03/05/2012

PME

> La France n'a fait que suivre ce qui se faisait ailleurs. Ce n'est pas le MATIF qui a perverti l'économie française. Si Pierre Bérégovoy a échoué c'est dans sa tentative de sortir de l'esprit colbertiste. Notre industrie est faible par rapport à l'industrie allemande. Grandes écoles = grands projets = financements d'Etat. L'Allemagne a développé une économie d'entrepreneurs moyens et petits; elle réussit mieux que nous.
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Écrit par : cottineau / | 11/02/2015

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