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09/01/2012

Le Saint-Siège : il faut "revenir à la primauté de la politique sur l'économie et la finance" - Explication de texte (1)

la crise,christianisme,catholicisme,social,économieDe Mgr Toso, après la note de Justice & Paix sur la finance mondiale:


Une "explication de texte" par le secrétaire du Conseil

(traduction Liberté politique

 

 

Nature de la déclaration du Conseil pontifical Justice et Paix

 

«Une petite erreur commise au début devient une grande erreur à la fin» enseigne Aristote.[1] Pour commencer, il semble donc utile de réfléchir sur la nature et sur la vocation de la Note offerte par le Conseil pontifical Justice et Paix à propos de la réforme du système monétaire et financier mondial.[2]

Puisqu'il s'agissait de choisir le genre de déclaration sur un thème important et crucial pour le développement intégral des peuples, il a été concordé avec les organismes compétents du Saint-Siège de ne pas opter pour l'élaboration d'une Note formellement adoptée par celui-ci, contrairement à il y a quelques années, lors de la Note sur la Conférence de l'Assemblée générale des Nations Unies à Doha,[3] elle aussi élaborée par les experts du Conseil pontifical Justice et Paix. La raison en est que – pour des motifs évidents - le Saint-Siège n'aurait pas participé au G20 de Cannes qui, comme on le sait, s'est déroulé du 3 au 4 novembre 2011. Ainsi, la Note devait s'inscrire dans le cadre de simples réflexions rédigées par le Conseil pontifical, sous la responsabilité de celui-ci, et selon la compétence caractérisant un Dicastère dont l'une des finalités est de diffuser et approfondir la Doctrine sociale de l'Eglise, ainsi que de contribuer à son expérimentation.

Selon certains commentateurs, cela aurait limité l'importance de la déclaration, comme s'il s'agissait d'une expression marginale du Saint-Siège.

Certes, il faut relever qu'il ne s'agit pas d'un texte signé par le Souverain Pontife, comme le sont les encycliques ou le Message désormais traditionnel pour la Journée mondiale de la Paix. Et ce n'est pas non plus, comme on l'a dit plus haut, un texte-document officiel du Saint-Siège.

Il s'agit précisément d'une Note présentée par un dicastère du Saint-Siège. Une Note qui, bien que n'ayant pas été formellement souscrite par d'autres organismes supérieurs, est le fruit de la pratique caractéristique des documents des Dicastères de la Curie romaine, qui prévoit une consultation préalable et permanente, ainsi que l'autorisation des organismes compétents du Saint-Siège. Cela afin de garantir la spécificité des rôles, en même temps que l'homogénéité de la pensée.

Ceci étant dit, il ne semble pas inutile de noter aussi que, pour être évalué correctement dans son autorité, un texte devrait être lu en tenant compte du rôle institutionnel du sujet qui le rédige. Toutefois, il doit surtout être jugé en vertu de son contenu, de sa cohérence avec le magistère de l'Eglise, de sa raison et de sa consistance par rapport au thème qu'il traite. Et c'est à ce niveau que s'est situé le Conseil pontifical, en élaborant une réflexion en accord avec sa compétence propre - morale et religieuse – et dans la fidélité à la Doctrine sociale de l'Eglise et au magistère de Benoît XVI.

 

 

Les raisons de la déclaration

 et la continuité avec l’encyclique 'Caritas in veritate'

 

L’élaboration d'une Note – qui devait être brève et centrée sur un unique problème important – avait un but très simple[4] : il s'agissait d'offrir une série de réflexions approfondies, rédigées grâce à la contribution d'experts internationaux très compétents, et ayant pour objectif de développer l'analyse, le jugement et la programmation déjà esquissés dans Caritas in veritate (CIV)[5] quant à la crise des systèmes monétaires et financiers dans le contexte de la mondialisation.

Le Conseil pontifical y a été poussé en vertu de son engagement institutionnel, mais aussi de la durée de la crise économique et financière, et de la déclaration d'intention souscrite par les leaders du G20 célébré en 2009, où il était affirmé : «the economic crisis demonstrates the importance of ushering in a new era of sustainable global economic activity grounded in responsibility».[6]

C'est donc dans une telle perspective que l'on a voulu recueillir l'appel de Benoît XVI, selon lequel la crise actuelle «nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient (...) une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets» (CIV 21).

En outre, l'intention était d'approfondir ce que propose le Souverain Pontife au n° 57 (c'est-à-dire la nécessité d'une Autorité qui gouverne la mondialisation selon le principe de subsidiarité et de façon polyarchique) et au n° 67 (que nous reportons ici et qui est omis par certains parce qu'il exprimerait des contenus en contraste avec le paragraphe précédent) :

 «Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des nations, trouve un large écho. On ressent également fortement l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions communes. Cela est d’autant plus nécessaire pour la recherche d’un ordre politique, juridique et économique, susceptible d’accroître et d’orienter la collaboration internationale vers le développement solidaire de tous les peuples. Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pourassainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondialetelle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du bien commun, s’engager pour la promotion d’un authentique développement humain intégral qui s’inspire des valeurs de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous, jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits. Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux. En l’absence de ces conditions, le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants. Le développement intégral des peuples et la collaborationinternationaleexigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation et que soit finalement mis en place un ordre social conforme à l’ordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale, entre le politique et la sphère économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations Unies.»

A l'intention de ceux qui entendent approfondir le sens des affirmations de la Doctrine sociale de l'Eglise, qu'il soit permis d'observer qu'à propos du concept d'autorité politique il est impossible d'extraire du corpus du magistère social une seule affirmation ou un seul paragraphe des encycliques. Dans le cas présent, le numéro 57 de CIV, qui a été mis en relief par certains journalistes et commentateurs, doit être lu et interprété en liaison avec le numéro 67 de la même encyclique. Et ce n'est pas tout. En outre, ces deux numéros doivent être mis en rapport avec Mater et magistra et Pacem in terris auxquelles CIV se rattache, ainsi que le suggère le passage rapporté ci-dessus, dans le but de relancer la perspective d'une Autorité politique mondiale.

 

La constitution d'une Autorité politique mondiale,

 l’angle de l’approche,

 les raisons du bien commun et de la justice sociale

 

CIV, dont le thème central est donné par le développement intégral dans le contexte de la mondialisation, énumère une série de raisons de type moral plus que «technocratique» qui, pour finir, postulent la constitution d'une Autorité politique mondiale. Comme il ressort du numéro 67 reporté plus haut, celle-ci doit être comprise au sens déjà indiqué par Jean XXIII dans Pacem in terris. C'est-à-dire non comme une simple governance, une sorte d'autoréglementation du secteur monétaire et financier, ou d'une réglementation fruit de la collaboration spontanée entre les principaux Etats, conformément à ce que certains exégètes improvisés des textes du Magistère social ont voulu nous faire croire. Et non plus dans le sens d'une super puissance technocratique et monocratique ; mais bien dans le sens d'une force morale, d'un principe unifiant et coordinateur supérieur ayant la faculté d'exercer le commandement suivant la raison, mais aussi d'être coercitif, en vertu d'un ordre moral et juridique auquel il s'efforce de s'adapter toujours plus afin de le traduire dans des décisions concrètes, indispensables pour réaliser le bien commun. Tel est le sens de l'expression "Autorité politique mondiale" à laquelle se réfère CIV.

Mais revenons-en à la série de raisons énumérées dans CIV pour justifier la constitution d'une telle Autorité. Si on relit la totalité de l'encyclique, la liste du numéro 67 pourrait s'allonger avec la référence au taux élevé de chômage, à la priorité du travail pour tous, aux objectifs du dépassement de la pauvreté et de la faim, à l'urgence d'une green economy et de l'universalisation d'une welfare society. Il est pris acte des contenus actuels du bien commun mondial de la famille des peuples de la terre et des exigences morales qui en découlent. Ce sont justement ces exigences - dont l'importance est accrue par le contexte de la mondialisation – qui postulent la promotion d'Institutions politiques et économiques qui, en dépassant les nationalismes, sont véritablement supranationales.

Autrement dit, l'émergence toujours plus évidente de biens collectifs mondiaux qui, par de nouveaux contenus, alimentent le bien commun de toute l'humanité – les souverainetés nationales individuellement n'étant pas en situation de le garantir et de le promouvoir, ni seules ni en formant des groupes spontanés - postulent une Autorité de dimension adéquate, qui dispose donc de nouveaux organismes, de nouvelles structures et de nouveaux agents de façon à pouvoir traduire dans la réalité ces biens collectifs et le bien commun mondial. Dans une telle perspective, dont les racines sont ancrées dans des exigences morales objectives clairement énoncées dans la Note, l'«autorité» et la «souveraineté» mondiales ne sont pas des entités absolues, étrangères au bien humain universel. Leur nouveau profil vient se dessiner non pas simplement comme un ouvrage d'ingénierie institutionnelle et bureaucratique, mais avant tout sur la base de l'importance de ces exigences morales, inhérentes à des sujets libres et responsables, qu'il s'agisse de personnes ou de peuples, qui ont pour but essentiel leur réalisation au plan humain, caractérisée par la transcendance horizontale et verticale. On trouve donc dans la Note un lien étroit entre la proposition d'une Autorité politique mondiale et le bien commun, vu, certes, comme l'ensemble des conditions sociales permettant aux individus, aux familles et aux peuples de se réaliser pleinement sur le plan humain.

A ce point, et à propos des conditions sociales, il vient spontanément à l'esprit de souligner que, parmi les raisons sollicitant la constitution d'une Autorité politique mondiale, on trouve particulièrement celles – d'ailleurs déjà bien exprimées dans CIV – de la réalisation d'une justice sociale mondiale.

La question de la justice sociale, qui se pose pour les différents problèmes liés aux biens publics de l'air, de l'eau et de la paix, se pose aussi en référence aux autres biens publics, ceux constitués par les systèmes économiques, monétaires et financiers. Par exemple, il y a les questions de justice posées par la libéralisation des marchés, la délocalisation des entreprises, la libéralisation du mouvement des capitaux qui, grâce aux nouvelles technologies télématiques, peuvent être transférés immédiatement d'un point à l'autre du globe, en échappant à toute sorte de contrôle de la part des autorités nationales ; il y aussi des problèmes comme les crises financières périodiques et mondiales, qui créent des dommages très importants à l'économie réelle et à la croissance, avec des retombées dévastatrices sur les plus faibles. Il faut prendre acte en particulier de ce que la question de la justice sociale doit être affrontée et résolue aussi bien dans le cadre des différents secteurs économiques qu'au plan mondial, et que les réponses obtenues doivent être proportionnelles à son extension pour ce qui est du revenu mondial des peuples, aujourd'hui réunis dans une unique communauté.

L’activité financière est une activité humaine et elle a une fonction sociale indispensable au niveau mondial également. Aussi ne doit-elle pas être laissée à elle-même, sans aucune intervention qui fournisse discipline et orientation au plan national et mondial, du fait que, comme le reconnaissent les experts mêmes du secteur, l'autorégulation ne fonctionne pas toujours.[7] En outre, une réflexion sérieuse est nécessaire – comme celle effectuée en son temps par Quadragesimo anno à l'occasion de l'effondrement de la bourse de New York en 1929 -, sur le caractère unitaire de l’économie mondiale et sur la mondialisation de l’économie sociale. A ce propos, nous ne devrions pas nous lasser de nous poser la question suivante : pour quelle raison, bien que l'on parle en permanence d'économie mondialisée, n'approfondit-on pas le thème de l'unité de l'économie mondiale, en mettant en évidence ses implications au plan de la justice sociale ? Cela est exigé par l'interdépendance toujours plus grande existant dans les politiques, les facteurs productifs, les secteurs économiques, l'usage des ressources et les salaires eux-mêmes, puisque la convenance à investir des capitaux là où le coût de la main d'œuvre est la plus basse déclenche, à l'échelle mondiale, une concurrence salariale et commerciale indue. En outre : comment se fait-il, qu'au plan de la destination universelle des biens matériels, techniques et qualitatifs, et des opportunités sociales et culturelles, l'urgence de réaliser la justice sociale dans les transactions financières et commerciales ne soit pas ressentie ?

Il est évident qu'il faut être cohérent, lorsqu'on admet le caractère unitaire de l'économie et de la finance, ainsi que leur fonction ou utilité sociale, face aussi aux crises récurrentes déterminées par la spéculation et par l'absolutisation du profit : une nouvelle architecture institutionnelle et juridique est nécessaire et urgente, une architecture qui puisse – avec des méthodes démocratiques, c'est-à-dire participatives et subsidiaires – réaliser la justice sociale dans le cadre du bien commun mondial, pour ce qui est de ses aspects distributifs et contributifs. Une Autorité politique mondiale est indispensable, capable de réaliser la justice sociale mondiale, face à la constatation que les autorités ou les souverainetés nationales sont caractérisées par leur dégradation et leurs disproportions.

La réalisation de la justice sociale au plan mondial est la prémisse et la condition pour un développement qualitatif et durable pour tous, en vue d'une paix sociale stable, largement compromise aujourd'hui par des inégalités considérables entre les riches et les pauvres. Selon certains économistes célèbres comme Joseph Stiglitz et Jean-Paul Fitoussi, ce sont ces facteurs qui seraient à l'origine de la récession actuelle.

 

Les bases morales de la souveraineté et de l’autorité mondiales :  fondement de leur conception polyarchique et démocratique

 

La tension vers le bien humain intégral, inscrite dans la conscience de tous les peuples et débouchant dans l'exigence de réaliser un bien commun mondial, nécessite, entre autre, de voir répudié le fait que l'économique et le financier englobent toutes choses, comme cela s'est produit lors de la dernière crise ; qu'ils soient ramenés à leur juste «mesure» anthropologique, éthique et sociale, au plan national et mondial ; que soit reconnue à la politique l'importante et noble tâche de coordination, de direction, d'encouragement et même de coercition - si nécessaire - qui est la sienne ; que la politique même, conçue comme l'art de bien vivre ou de la bonne vie sociale, selon les exigences du bien commun mondial, soit réalisée en étant subordonnée à la primauté ontologique et finaliste des personnes et des peuples. Une primauté qui demande l'intériorité, c'est-à-dire la primauté de leur union morale sur les institutions et sur les normes procédurales, celles-ci restant incontournables. Elle exige en outre de renoncer à une conception idéologique de souveraineté, qui alimente les isolationnismes et les nationalismes archaïques.

La souveraineté ne peut pas se concentrer en un seul lieu, en générant une sorte de Super-Etat, de Léviathan technocratique, de concentration dangereuse de pouvoir monocratique. Elle doit plutôt être considérée comme une réalité fonctionnelle ou ministérielle, indispensable en vue de la réalisation du bien commun universel au niveau local et mondial, devant donc être modelée de façon subsidiaire, c'est-à-dire d'une manière flexible et réticulaire, suivant des termes d'autonomie et de liberté responsable, dans un contexte de solidarité.

Par rapport à l'actuelle situation, la souveraineté doit donc être «redistribuée» entre les Etats nationaux et les entités politiques régionales ou mondiales, suivant les nécessités historiques et, évidemment, ayant une valeur démocratique. Cela implique qu'en vue du bien commun universel, les nations considèrent la nécessité de renoncer librement à exercer certaines prérogatives, pour les transférer à une souveraineté supérieure de plus justes dimensions.

De sorte que les souverainetés nationales doivent être conçues en termes non pas radicaux d'autonomie et d'indépendance, mais de communication et de réciprocité, comme des réalités interdépendantes, en rapport avec quelque chose de précédent. En effet, elles ont, inscrit dans leur essence relationnelle même, un principe d'auto-transcendance vers la forme d'une souveraineté supérieure, qui les complète sans les nier, les suppose et les renforce selon le principe de subsidiarité, en les reliant et en leur permettant d'agir ensemble à un niveau transnational, dans le cadre d'une communion de principes coordinateurs et potestatifs.

Si l'on considère Pacem in terris et CIV, la question n'est pas simplement celle d'une Autorité mondiale et de son articulation institutionnelle. La constitution d'une Autorité mondiale doit être impérativement précédée par la constitution d'une société politique mondiale, c'est-à-dire l'unification des nombreux peuples en une conscience commune, ce qui suppose l'assomption de responsabilités, la volonté de collaborer – à travers des institutions et des règles procédurales partagées – à réaliser le bien commun mondial. Bref, le processus de constitution d'une Autorité politique mondiale ne peut pas se passer d'un mouvement démocratique de participation venant du bas. Cette constitution est liée à une démocratie universelle : une démocratie substantielle, participative, solidaire et ouverte à la transcendance.

La Note concentre son attention sur la crise des systèmes monétaires et financiers internationaux, pour lesquels CIV demande la réforme de l'architecture actuelle, en rapport avec la réforme de l'Organisation des Nations Unies. L’encyclique insiste sur le fait que les systèmes monétaires et financiers doivent être orientés vers le bien commun de la famille des Nations non seulement de la part des sujets monétaires et financiers – premiers responsables d'eux-mêmes - mais aussi de la part d'autres sujets sociaux, ainsi que d'une Autorité politique mondiale en tant qu'ultime responsable, mais non l'unique, du bien commun en question. Comme on l'a déjà vu, une Autorité politique à responsabilité universelle trouve l'une de ses raisons d'être justement dans l'existence et le fonctionnement adéquat des marchés monétaires et financiers qui, selon la Note, doivent être considérés comme un «bien public». C'est justement le «bien» constitué par des systèmes monétaires nationaux et internationaux – rendus aujourd'hui, par la mondialisation, plus interdépendants et reliés entre eux – qui exige la constitution non seulement d'une Autorité monétaire et financière internationale, mais aussi d'une Autorité politique mondiale, adaptée aux exigences des «biens publics», à une dimension supranationale. Les systèmes monétaires et financiers fonctionnant de façon adéquate sont des biens qui doivent être rendus accessibles à tous, conformément au principe de la destination universelle des biens.

 

Difficultés herméneutiques dans la réception 

 

Certains ont vu la proposition de la Note quant à la constitution d'une Autorité politique mondiale comme «utopiste» ou du moins n'étant pas plausible pour l'instant, parce que considérée comme trop difficile à réaliser, au vu de la fragmentation actuelle du tissu international. D'autres l'ont jugée incompréhensible, voire nocive pour la démocratie, et même antithétique à elle-même. Ils considèrent en effet que le concept d'Autorité proposé par la Note n'est pas conciliable avec l'idée actuelle de démocratie. Ceux qui invoquent la constitution d'une Autorité politique mondiale ne voudraient pas la démocratie, presque comme si l'existence d'un principe unifiant et coordinateur – ayant des difficultés à commander selon la raison et à sanctionner selon le droit – venait heurter l'essence même des gouvernements démocratiques, qui décident leurs lois sur la base du principe de la majorité et du consensus social, en le détachant de son enracinement dans l'ordre moral en tant que réalité métaconsensuelle.

Ce sont des difficultés réelles de compréhension des contenus de la Note, qui ont émergé aussi pendant la conférence de presse au cours de laquelle elle a été présentée, comme pour démontrer la nécessité toujours plus aiguë de devoir soigner la communication des contenus de la Doctrine sociale de l'Eglise. A y voir de plus près, les difficultés subsistent car, désormais, la plupart de nos contemporains – outre le fait d'avoir perdu le concept traditionnel de bien commun – a perdu aussi la notion classique d'autorité, comprise en tant que faculté de commander selon la raison : c'est-à-dire en tant que force morale – et donc, non arbitraire et non irrationnelle – au service de la croissance en liberté et responsabilité des citoyens et des peuples, parce que «proportionnelle» à cette dignité humaine qui les caractérise en tant que personnes douées de la capacité de rechercher leur bien propre et celui d'autrui, et ce en toute liberté et responsabilité.

Bref, nos contemporains se réfèrent surtout à un concept d'autorité coïncidant en fait avec celui de pouvoir, issu de la doctrine politique moderne (cf. J. Bodin, Th. Hobbes, mais aussi J. J. Rousseau, bien que d'une manière différente, en partant de la perspective d'une démocratie gouvernée par la volonté générale), qui a contribué à hypostasier les concepts d'autorité et de souveraineté, les rendant indépendants de l'ordre moral. L'autorité et la souveraineté n'ont aucun compte à rendre à qui que ce soit, sinon à elles-mêmes. Elles ne reconnaissent aucun ordre supérieur. Chaque Etat individuellement se situe au-dessus de la communauté des nations et de la loi morale.

Aussi est-il évident que, si on se rattache à un concept d'autorité qui s'identifie à un pouvoir arbitraire, centralisateur et qui absorbe toute autonomie, il est impossible de comprendre le sens de la proposition d'une Autorité mondiale sans tomber dans l'erreur. A ce sujet, se présente alors l'urgence de retrouver un concept plus adéquat d'autorité, au sens personnaliste et communautaire, qui réaffirme ses nombreux liens avec l'ordre moral, met en évidence sa valeur en tant que ministère et souligne sa connexion avec le pluralisme social et institutionnel : l'autorité existe pour être au service des libertés et des autonomies, pour les aider à grandir, et non pour les abattre ou les opprimer. L'élément méthodologique de la démocratie conféré par le principe ou le critère de la majorité retrouvera alors toute la mesure éthique qui est la sienne. C'est seulement de cette façon que l'autorité ne courra pas le risque de se retrouver à la merci de l'arbitraire de minorités ou majorités totalitaires. La rationalité et la conformité à l’ordre moral sont essentielles à l’autorité politique.

En fin de compte, la Doctrine sociale de l'Eglise, qui propose une Autorité politique mondiale, n'entend nullement avancer l'idée d'un centre de super-puissance irrésistible, tel un Moloch dominant sur toute chose, ou qui soit l'expression d'intérêts partiels, ôtant toute liberté, en assujettissant tous les sujets sociaux, niant leur droit d'initiative et les réduisant à de simples courroies de transmission d'une volonté supérieure et tyrannique, comme c'était le cas dans les Etats absolus.

La proposition avancée par la Doctrine sociale va vers la réalisation d'une Communauté et d'une Autorité politique mondiales, instituées d'un commun accord et non pas imposées par la force, mais fondées sur des principes démocratiques, structurées et agissant de façon subsidiaire. Autrement dit, leurs institutions devraient être modelées et activées sur la base de la représentation et de la représentativité, de la division des pouvoirs, d'un ordre juridique dans lequel soient fixés les rapports entre les personnes-citoyens, les sociétés religieuses, les familles, les corps intermédiaires et les pouvoirs publics des communautés politiques respectives ; entre les pouvoirs publics de chaque communauté ; entre les pouvoirs de chaque communauté politique et les pouvoirs publics de la communauté mondiale ; entre les pouvoirs publics de la communauté mondiale et les sociétés civiles, les organisations internationales gouvernementales et celles non gouvernementales. Le fonctionnement démocratique d'un gouvernement englobe aussi la méthodologie du critère de la majorité. Une condition préjudicielle est que les critères et les méthodes démocratiques soient informés des contenus moraux du bien commun mondial et de la justice sociale qui y est reliée.

Les pouvoirs publics de la communauté mondiale n'auront donc pas pour but de limiter la sphère d'action des pouvoirs publics des communautés politiques, et encore moins de remplacer ceux-ci ; au contraire, leur but sera de contribuer – au plan mondial - à la création d'un «milieu» dans lequel les pouvoirs publics des communautés politiques, leurs citoyens, les familles et les corps intermédiaires, de même que les sociétés religieuses, puissent assurer leurs tâches, respecter leurs devoirs, et exercer leurs droits avec la plus grande sécurité. En définitive, tout comme l'autorité politique nationale, l'autorité mondiale sera une autorité limitée, ou, pour mieux dire, elle respectera un ordre juridique qui sera normalement exprimé dans un texte constitutionnel ou un statut, comme cela est prévu du reste dans les Etats libres de droit ; elle verra la participation de plusieurs institutions représentatives facilitant l'application du principe de l'autonomie sociale et politique des différents sujets sociaux ; elle sera décentralisée, parce qu'articulée sur plusieurs niveaux et «connectée» à plusieurs sujets sociaux (pluralisme social et institutionnel : Etats, peuples, organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales, sociétés civiles et acteurs non étatiques, comme par exemple les communautés religieuses).

 

La re-sémantisation de l’économie et de la finance,

 à travers la récupération d'une raison intégrale et du telos humain 

 

La Note encourage la re-sémantisation de l'économie et, en particulier, de la finance. Il ne s'agit pas seulement de mettre en relief le côté intrinsèque et autonome de leur caractère éthique : un caractère éthique particulier, qui implique le critère de la gratuité et du don, et qui les caractérise dans leur essence même. Il s'agit surtout de les percevoir et de les saisir dans le contexte des autres activités de l'homme et, donc, en rapport avec la politique, la culture et la religion. L’identité de l’économie et de la finance ne peut pas être définie correctement si elle est détachée des personnes concrètes et historiques, de la multiplicité de leurs objectifs. En effet, l’économie et la finance n'existent pas en elles-mêmes, de façon abstraite, séparées des sujets qui les réalisent, hors des contextes sociaux, politiques, nationaux et supranationaux. La crise de la finance a vu le jour, et elle persiste, du fait que l'activité humaine correspondante est vécue dans un cadre culturel amputé, fragmenté, qui enregistre la désarticulation entre les biens-valeurs, et même là où il n'y a plus d'échelle hiérarchique, à cause d'un scepticisme gnoséologique et d'un relativisme éthique absolu. Manque alors une rationalité capable de coordonner et d'harmoniser les divers objectifs humains au sein d'un telos qui les ordonne en vertu du vrai et du bien parfaits, c'est-à-dire de Dieu. C'est pourquoi persistent le polythéisme des valeurs et les attitudes qui absolutisent le profit, l'instrumentalisation de la politique à la finance, en provoquant la destruction du bien commun et de la justice sociale inhérente.

Sans référence au telos humain, l’économie et la finance ne reconnaissent pas l'existence du bien commun, c'est-à-dire de cet ensemble de conditions sociales qui facilitent la réalisation de la plénitude humaine. Elles deviennent réfractaires à cette réalisation, ainsi qu'à un concept de justice sociale basé sur l'aspiration au bien propre et à celui d'autrui, avant qu'au consensus social.

Pour sortir de la crise financière et économique actuelle, de la spéculation sans limite qui endommage l'économie réelle et porte à la faillite les systèmes monétaires et financiers eux-mêmes, en érodant les systèmes de sécurité sociale et, en même temps, pour réaliser une re-sémantisation, il est nécessaire de retrouver une raison intégrale, prémisse d'une éthique amie de la personne et de son bien global, ouvert à la transcendance. En l'absence de Dieu, recherché et désiré comme le Bien suprême, vient aisément à manquer la référence qui permet d'insérer correctement la finance parmi les biens à réaliser selon un ordre hiérarchique.

  à suivre

Commentaires

Perplexité:

> "Coercitif", écrit Mgr Toso, mais comment?
Exemple actuel: il paraît que le Canada se retire du protocole de Kyoto, estimant avoir plus à gagner qu'à perdre du réchauffement climatique: exploitation des ressources minérales du Grand Nord, mythique passage du Nord, augmentation des surfaces cultivables etc. Et cela peut aussi donner des idées à la Russie!
Que va-t-on faire? des embargos, des frappes, des guerres? qui décidera et qui se mettra d'accord pour le faire sur près de 200 états? qui exécutera?

PH


[ De PP à PH - C'est à voir. Mais laisser le gouvernement obtus d'un pays riche jouer en solo contre le bien commun, est-ce tolérable ? Et là il ne s'agit pas du droit d'ingérence nationaliste bushien, mais de l'exact inverse. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 09/01/2012

PÖLITIQUES COMPLICES

> Politique plutôt que finance, oui, mais souvent le politique peut lui aussi se détourner du bien commun pour rechercher prestige ou puissance.
Ainsi, dans l'affaire de Thervoy Kandigai, mentionnée dans une autre note, ce sont les pouvoirs publics du Tamil Nadu qui sont à l'origine de la zone industrielle de la périphérie de Chennai (ex-Madras).
http://www.sipcot.com/Industrial_complex_thervoykandigai.htm
dans laquelle Michelin va s'installer en compagnie d'une brasserie et d'une verrerie.
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Écrit par : Pierre Huet / | 11/01/2012

PEINE PERDUE ?

> Vous pouvez faire écho à toutes ces prises de position du Vatican allant dans le bon sens. Ne voudront vous entendre ni les cathophobes maniaques, ni les autistes qui se croient "romains" alors que leurs idées de société sont le contraire de celles de Rome. Peine perdue !
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Écrit par : indeserto / | 11/01/2012

UN JOUR ?

> Ce texte sonne fort juste, mais maintenant les catholiques français, et en particulier les seniors et leurs médias même/surtout catholiques, seront-ils un jour assez courageux pour enfin admettre que les temps ont bien changé, et qu'une droite sociale est révolue malgré le (mais faible et atone) nuancier des avis émis dans le parti présidentiel bonapartiste qui personnifie la soumission totale du politique à la toute puissance des marchés.
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Écrit par : GBA92 / | 12/01/2012

GRANDS EFFETS

> science sans conscience n'est que ruine de l'âme;
économie sans conscience, finance sans conscience n'est que radeau à la dérive! Une économie et une finance gouverné consciencieusement est comme un bateau dont les voiles sont levés et l'ensemble amené à bon port par le souffle de l'Esprit!
C'est dans les petites choses de tous les jours, là ou s'opère soit le bien soit le mal, que le gouvernail peut conduire le bateau dans une direction ou dans une autre. Aujourd'hui beaucoup de faits s'accumulent dans la mauvaise direction : l'avortement, le libéralisme sans foi ni loi dans tous les actes de la vie (mariage divorce, société de totale conso -je prends je jette-, le sexe au besoin), et maintenant mariage homosexuel, adoption homosexuelle...et j'en passe et des meilleurs.
Bref, on peut facilement rajouter le paiement dit "au noir" tant que chacun n'acceptera pas de payer la part qui est due à l'état en impôt, et pour le système sociale la part des charges sociales qui lui revient, lors de travaux réalisés chez soi, alors on aura beau jeu de critiquer la gouvernance de nos dirigeants, on aura déjà contribué à faire tanguer le bateau, ce qui est extrêmement dangereux lors d'une tempête.
Des petits actes produisent parfois de grands effets.
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Écrit par : jean christian / | 14/01/2012

Les commentaires sont fermés.