21/11/2011
Colloque : notes issues de la communication du P. Theobald
Les interventions du colloque de Lyon seront mises en ligne sur le site du P. Michel Durand. En attendant, voici ce que j'ai noté (au vol) de la communication du P. Christoph Theobald s.j., théologien au centre Sèvres :
L'idée de « décroissance » est la dénonciation prophétique d'une menace. A-t-elle une chance d'être entendue avant « le jour où Noé entra dans l'arche » (Luc, 17) ? Et au delà de la dénonciation, qu'est-ce qui nous permettra d'accepter une véritable auto-limitation ? Ici la tradition chrétienne rencontre l'éthique d'avenir définie par Hans Jonas en 1979 [1] :
- Face à la technologie saisie par la démesure de son propre succès et devenant menace pour l'humanité de l'homme elle-même, de quelle boussole peut-on disposer sinon l'anticipation de la menace elle-même : « l'heuristique [2] de la peur ».
- Intégrer l'avenir et la planète dans la conscience de la responsabilité politique : l'action tirera sa cohérence d'être l'exercice d'une communauté humaine universelle. Pour paraphraser et modifier l'impératif pratique kantien [3], pour en faire ceci : « agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la poursuite d'une vie humaine sur la terre. »
Qu'est-ce qui peut nous obliger à tenir compte d'une vie humaine future sur la terre ? Il y a différentes réponses à cette question : la solution religieuse ; la solution aristotélicienne (la responsabilité du citoyen) ; et la solution de l'utopie qui sacrifie les vivants d'aujourd'hui à un futur hypothétique. Hans Jonas dit pour sa part : face à un avenir radicalement différent du présent, notre responsabilité est envers les enfants que nous avons engendrés. C'est un désintéressement radical par rapport à nous-mêmes : une « crainte désintéressée » au sujet de l'avenir de nos enfants. (On retrouve ici l'heuristique de la peur).
Cela se traduit dans la tradition biblique et chrétienne par le fait d'espérer contre toute espérance, autour de quatre points :
1. L'acte non-réciproque d'engendrement : en gratitude envers le don gratuit de la vie qui imprègne le Nouveau Testaent, c'est un acte de foi et d'espérance, étonnement initial et permanent devant la vie donnée et reçue. Ce n'est pas l'instinct vital : c'est l'acte spirituel le plus élevé, accessible à tout être humain.
2. L'universalité incroyable de ce don gratuit fait découvrir la Création tout entière : un tout, pour tous (pour les générations futures) ; une gratuité pour tous, différente pour chacun – on retrouve ici Hannah Arendt.
3. L'acte de foi et d'espérance fait référence au Créateur, Dieu caché puisque le don est gratuit (« pour rien »). Les hommes vivent de ce don mais dans une torpeur, doucement interrompue chaque fois qu'un enfant voit le jour. C'est dans le don de soi que l'homme peut faire l'expérience du don gratuit.
4. L'humanité se trouve aujourd'hui acculée à la situation de devoir vouloir un avenir humain sur un globe restant habitable ; ce qui n'est pas garanti. Ici la gratitude prend une dimension nouvelle : au XXe siècle, elle a engendré l'option préférentielle pour les pauvres. Au XXIe, elle engendre la conscience de devoir réviser, drastiquement, nos modes de vie.
Seule la perception d'être les hôtes de la Terre peut nous convertir à cette révision. « Convertir » est le mot juste à ce sujet, parce que la foi chrétienne dans la résurrection implique la mystérieuse cohabitation de toutes les générations : ce qui donne à notre responsabilité sa dimension la plus profonde.
Le nécessaire discours sur la menace est donc radicalement insuffisant. La conversion de nos modes de vie demande beaucoup plus : une révision radicale de la rationalité scientifique, de la rationalité politique, et de la rationalité financière qui domine tout aujourd'hui. Cette conversion / révision exige que nous sortions de l'anesthésie affective...
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[1] Le principe responsabilité – une éthique pour l'âge technologique (trad. française : Cerf).
[2] heuristique : l'art d'inventer, de faire des découvertes.
[3] «Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.» (Fondements de la métaphysique des moeurs, Pléïade, Oeuvres philosophiques t. 2, p. 295).
19:48 Publié dans Chrétiens indignés, Ecologie, La crise, Société, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : décroissance, objection de croissance, christianisme, catholiques, christoph theobald
Commentaires
DOUTE
> La Décroissance n'est pas vraiment définie ici, on peut se retrouver complètement dans toute la suite mais douter qu'on en parlait.
G.
[ De PP à G. - Cette communication n'avait pas pour but de définir la décroissance (pour ça il y avait eu la veille la conférence de Nicolas Ridoux), mais d'indiquer les dimensions spirituelles de l'idée. ]
réponse au commentaire
Écrit par : GBA92 / | 21/11/2011
MODES DE VIE
> Réviser nos modes de vie… OK, j’ai supprimé la baignoire, éliminé le steak, et je peux mieux faire ! J’ai bien aimé, comme d’autres habitués de votre blog, les témoignages de l’annexe du manifeste des chrétiens indignés.
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Écrit par : Denis / | 21/11/2011
A GBA92
> Il y a effectivement beaucoup de définitions différentes de la décroissance, on pourrait peut-être même dire d'elle qu'il y en a autant que de "décroissants".
La nuit ne suffirait pas à en démêler l'écheveau et/ou en présenter les différentes "chapelles".
Sans remettre en cause les mérites du mot et concept de "décroissance", et en particulier, sa force de frappe philosophique ou son caractère de "mot obus", à la hauteur des enjeux en cause dans ce débat, il est plus facile de plutôt définir l' "objection de croissance", opposition frontale à l'actuelle "religion de la croissance" et l'horizon de sens consumériste qui traverse le quotidien de ses fidèles, et l'oriente, sans préjuger des formes innombrables que peut et doit prendre cette opposition.
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Écrit par : J. Warren / | 21/11/2011
ILS SONT UN SIGNE
> Oui les décroissants sont les prophètes du salut dans la sobriété et le partage, que nous catholiques n'osons pas encore, ou trop peu, être... Ils sont un signe pour notre Eglise.
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Écrit par : serge lellouche / | 22/11/2011
POINT FORT
> Oui, la gratuité de l'engendrement est aux antipodes de l'obsession de l'enfant-parfait-qui-réussira-bien-dans-la-vie . C'est vraiment un point fort de la réflexion.
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Écrit par : Pierre Huet / | 22/11/2011
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