21/11/2011
Le colloque "Objection de croissance et christianisme"
Succès du colloque de Lyon, le week-end dernier : Objection de croissance et christianisme – quelles convergences, quelles divergences :
Quarante-huit heures de débats serrés, parfois houleux : la réalité étant la même pour tout le monde, qu'est-ce qui rapproche ou sépare la vision chrétienne et la vision « décroissante » [1] ?
Après l'introduction par Mgr Gérard Defois, archevêque émérite de Lille, l'idée des convergences a fait l'objet d'une série d'interventions : Nicolas Ridoux (La décroissance pour tous, Parangon), Diane de Zélicourt (Bienheureux les sobres, ils sauveront la Création), Michel Durand (curé de la paroisse saint-Polycarpe de la Croix-Rousse), le théologien jésuite Christoph Theobald (Le christianisme comme style, Cerf) , Olivier Rey (Une folle solitude, le fantasme de l'homme auto-construit, Seuil), Jacques Muller (ancien sénateur, maire de Wattwiller), l'économiste Fabrice Flipo (La décroissance, dix questions pour comprendre et débattre, La Découverte), l'économiste et jésuite Gaël Giraud (Vingt propositions pour réformer le capitalisme, Flammarion), François Brune (L'idéologie aujourd'hui, Parangon)...J'assurais pour ma part la conférence du samedi soir : Objection de croissance / christianisme, quels liens face à la crise. [3]
La seconde question de l'intitulé portait sur les divergences. Deux courants se sont exprimés. Pour l'un (sans doute majoritaire chez les objecteurs de croissance en général, mais très minoritaire au colloque), il existerait des divergences dues à la nature même de l'Eglise catholique - voire du judéo-christianisme en soi ; c'est une affirmation confuse qui relève du préjugé.
D'autres points de vue, moins brutaux, invoquent l'histoire : ils accusent l'Eglise catholique d'avoir été « dans le camp du capitalisme libéral », ce qui est inexact ; les libéraux ont assez polémiqué contre la doctrine sociale de l'Eglise pour qu'on puisse en tenir compte.
Une troisième sorte de point de vue souligne que la découverte de l'objection de croissance par l'Eglise est très récente : et ça, c'est exact, à ceci près que l'idée de « décroissance » est elle-même naissante, au moins] dans sa concrétisation sur la scène publique. L'hostilité méprisante des Semaines sociales envers l'objection de croissance a été signalée lors du débat du samedi soir, par une réflexion de François Brune et un témoignage du P. Durand. Répondant à cela, Mgr Defois a fait observer que les Semaines sociales ne sont qu'une association privée reflétant des opinions, et que rien n'empêche l'apparition d'un autre carrefour qui donnerait la parole à d'autres points de vue chrétiens. Cette idée appelle notre attention : l'heure vient de faire connaître l'existence d'une avant-garde chrétienne qui traduit en propositions non conformistes la fidélité à l'Evangile... et, pour les catholiques, une compréhension loyale de la DSE. [4]
Participaient au colloque une quinzaine de membres du jeune groupe du Manifeste des chrétiens indignés ; occasion pour eux d'une réunion de travail pendant un interlude, pour réfléchir à la suite des actions : organisation de réseau d'échanges d'informations et d'initiatives, création d'un site dédié, etc.
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[1] La « décroissance » , ou plus exactement l'objection de croissance, ne consiste pas à reproduire la société actuelle en plus pauvre, mais à constater l'impasse du modèle productiviste (aggravée par l'implosion de la machinerie spéculative) et à ouvrir des pistes pour l'avenir.
[2] abstract dans une note suivante.
[3] Je n'en publie pas le texte, les lecteurs de ce blog connaissant déjà ses thèmes. Mais j'en profite pour signaler que mon livre L'écologie de la Bible à nos jours (L'Oeuvre) a été réimprimé : il est de nouveau disponible.
[4] C'est d'autant plus urgent que le tapage des intégristes achève de brouiller l'image du christianisme dans l'esprit des Français, et que les organisateurs de ce tapage (cf. leurs principaux blogs) se comportent – absurdement – en chiens de garde de l'ultracapitalisme actuel.
09:43 Publié dans Cathophilie, Chrétiens indignés, Ecologie, Eglises, La crise, Planète chrétienne, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : décroissance, crise, christianisme, catholiques, écologie
Commentaires
"UNE BELLE REPONSE"
> Ce colloque a été une réussite et une grande joie pour beaucoup de participants. L'ancrage spirituel profond (célébration de l'Eucharistie, table ronde de deux heures avec Olivier Rey, Nicole Fabre et le père Christoph Theobald) en a fait quelque chose de bien différent de certains événements "politiques sous couvert de christianisme" qui ont fleuri ça et là dans certains milieux "cathos de gauche". Tout cela constituait une belle réponse et et a donné de quoi se nourrir aux les chrétiens en quête de radicalité évangélique et d'unification de leurs convictions politiques et de leur foi. Grâce en soit rendue à Dieu!
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Écrit par : Mahaut / | 21/11/2011
"BELLES PERSPECTIVES"
> Oui, j'ai été également ravi de participer à ce colloque : beaucoup de rencontres et de discussions passionnantes qui m'ouvrent de belles perspectives d'action !
Il y a encore, me semble-t-il, de gros chantiers de réflexion à ouvrir pour arriver à un vrai projet de société alternatif - convergence du libéralisme économique et du libertarisme (deux expressions d'une unique culture de mort), articulation entre universel et particulier, entre mesure et frontière, convergence entre initiatives locales et action politique globale, indissolubilité du combat pour la dignité humaine et pour les équilibres naturels, etc. - mais je me réjouis de nos prises de conscience partagées !
Merci mille fois à 'Chrétiens et Pic de pétrole' pour leur initiative prophétique, merci à Patrice de Plunkett et merci aux Chrétiens indignés pour leur enthousiasme intelligent !
Vive la vie !
Et au boulot pour inventer l'écologie intégrale au service du bien commun !
PS : Sans oublier que nous ne ferons rien sans la grâce qui est la force des faibles, comme l'a si bien rappelé Benoît XVI à nos frères du Bénin :
Aujourd’hui encore, comme il y a 2000 ans, habitués à voir les signes de la royauté dans la réussite, la puissance, l’argent ou le pouvoir, nous avons du mal à accepter un tel roi, un roi qui se fait le serviteur des plus petits, des plus humbles, un roi dont le trône est une croix. Et pourtant, nous disent les Écritures, c’est ainsi que se manifeste la gloire du Christ ; c’est dans l’humilité de son existence terrestre qu’il trouve son pouvoir de juger le monde. Pour lui, régner c’est servir ! Et ce qu’il nous demande, c’est de le suivre sur ce chemin, de servir, d’être attentifs au cri du pauvre, du faible, du marginalisé.
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Écrit par : Gualtiero / | 21/11/2011
UN POINT DE DEPART
> Ce colloque en en somme un appel à l'approfondissement et au désintéressement qui s'adresse à chacun de nous. C'est un point de départ!
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Écrit par : Pierre Huet / | 22/11/2011
LE TEMPS
> Epatant ! Il y en a qui ont beaucoup de temps...
T.
[ De PP à T. - Que voulez-vous dire ? ]
réponse au commentaire
Écrit par : Thomas / | 22/11/2011
LES UNS ET LES AUTRES
> Simplement que je me demande ce que font dans la vie les participants (situation pro, familiale...) pour trouver le temps d'aller à tous ces colloques, quelquefois à l'autre bout de la France. Voilà tout...
T.
[ De PP à T. :
1 - Et ceux qui traversent la France pour aller manifester contre Castellucci ?
2 - Connaissez-vous beaucoup de gens qui travaillent le samedi et le dimanche ?
3 - Je suis perplexe devant un grief comme celui-là. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Thomas / | 23/11/2011
@ T
> Vous enfoncez une porte ouverte. Les difficultés pratiques évoquées sont bien réelles et je les ai trop bien connues: il n'est pas facile de "caser" les enfants, et le déplacement revient cher. Comme toujours dans de nombreuses réunions, associations, mouvement, il y a une sur-représentation de moins de 30 ans et de retraités. C'est la vie...
Le nombre de participants déjà élevé indique qu'il en est bien davantage à se préoccuper du sujet.
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Écrit par : Pierre Huet / | 23/11/2011
"CE QUE JE VOULAIS DIRE"
> Ceux qui traversent la France pour aller manifester contre Castellucci ? Je m'en fiche (je pensais qu'il ne s'agissait que de parisiens) : je les tiens pour des demi-fous. M. Pierre Huet a compris ce que je voulais dire.
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Écrit par : Thomas / | 24/11/2011
LE TEMPS
> Est-ce faute de temps ou parce que vous vous êtes déjà exprimé par ailleurs ? il n'est pas fait mention dans cette note, du débat entre le Pasteur Lavignotte et la psychanalyste V. Hervouët, sur la question des limites de la nature humaine.
C'est peut-être dommage pour ceux qui prennent le train en marche.
PH
[ De Pp à PH - Je ne prétends pas résumer tous les débats, et je n'en ai effectivement pas le temps. Ils seront en ligne sur le site du P. Durand. ]
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Écrit par : Pierre Huet / | 24/11/2011
@ Mahaut
> Ce colloque a été une réussite je suis d'accord avec Mahaut.
mais il a aussi été l'occasion de voir affleurer les différences de sensibilité dans l'assemblée parmi les chrétiens présents...
Différences qui augure de difficultés futures à dans un premier temps fédérer tous les chrétiens sur ce thème de l'écologie pour dans un deuxième temps s'ouvrir aux mouvements écologistes laïcs et sans confession de la société française.
@ Gualtiero : je ne suis pas convaincue pour ma part qu'il ne faille pas dissocier bioéthique de l'écologie chrétienne. Il faut au contraire faire la différence pour rassembler au maximum les chrétiens dont les protestants qui séparent mieux les choses cf intervention finale du pasteur Stéphane Lavignotte et interview du philosophe protestant Olivier Abel dans les Cahiers de st Lambert N°4.
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Écrit par : P. de Poncins / | 25/11/2011
à P. de Poncins
> Je ne suis pas d'accord avec votre réponse à Gualtiero. Benoît XVI l'a encore redit au Reichstag : l'écologie humaine, dont la bioéthique fait partie, est indissociable de l'écologie environnementale. C'est le fondement de la présence chrétienne dans l'écologie ! En tout cas pour les catholiques.
Si par ailleurs certains membres d'autres confessions (p. ex. protestants hyper-libéraux) veulent prêter oreille à la rhétorique libérale-libertaire et devenir aussi incohérents dans ce domaine que les semi-écolos tendance "nouvelles moeurs", c'est leur affaire.
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Écrit par : michèle / | 25/11/2011
> à Michèle : les "réformés déformés" comme disent les évangéliques, ont un sérieux problème avec les fondamentaux de la foi.
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Écrit par : skarpheddin / | 25/11/2011
à Priscille
> Je ne pense pas pour ma part que cela ait du sens de "dissocier" ou de saucissonner quoi que ce soit dans le message chrétien. Le Christ est Un, la réflexion sur la société qu'il nous inspire - à travers les enseignements du magistère, notamment - l'est aussi.
Nous devons être cohérents. Cela n'a aucun sens d'affadir le message pour toucher un plus large public, et en particulier des tenants de divers courants du protestantisme libéral, dont beaucoup ne sont depuis longtemps qu'un faux-nez vaguement chrétien de l'idéologie libérale libertaire.
Posé sur de telles bases, un "grand rassemblement des courants écologiques chrétiens", connaitrait autant de succès et aurait la même postérité que les grands rassemblements "pour la paix et l'amitié entre les peuples" initiés au siècle dernier par l'URSS du temps de sa 'splendeur'
Comme le dit Benoît XVI, nous devons servir et protéger la vie de ses débuts à sa fin naturelle, en nous préoccupant avec autant de force et de conviction de tout ce qui se passe entre les deux, et singulièrement de la dignité des personnes. Aucun de nous ne peut être "catho à géométrie variable", de droite ou de gauche. Mais je ne doute pas un seul instant que vous en être pleinement consciente.
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Écrit par : J. Warren / | 25/11/2011
Ivan Illich ?
> j'en avais entendu parler en son temps sans m'y intéresser en raison de son parcours rebelle. Sa pensée a été citée lors du colloque de Lyon par Fabrice Flipo, aussi, me suis-je jeté sur « Pour une société sans école » et « La convivialité » quand je les ai repérés dans un vide-grenier.
Avec près de quarante ans de recul, cela ne manque pas d'intérêt. Sa dénonciation de nos maux est pertinente, bien que manquant de nuances. Ainsi, l'automobile, « monopole radical » dans les villes américaines, ne l'est pas dans les nôtres: voyez les gares parisiennes matin est soir. Elle l'est par contre dans nos campagnes. Il a très bien perçu la convergence de l'administration et de l'industrie, les règlements de celle-là rendant dépendant les gens dépendant de celles-ci. Aspirant à voir se constituer des réseaux d'échange de connaissances, il eut été ravi par les développements d'Internet, en cela il fut visionnaire.
Mais devons-nous nous en inspirer? Il épingle à juste titre la bureaucratisation des systèmes médicaux et scolaire, de l'acharnement médical au dogme de l'allongement de la scolarité et parfois en des termes que ne désavouerait pas un penseur libéral. Mais au delà de ces excès, ce sont les institutions qu'il rejette avec hargne.
Déprofessionnaliser la médecine? Plaisanterie! Qui n'a pas connu dans son entourage des morts précoces ou des séquelles d'accidents invalidantes évitées grâce aux moyens lourds et très professionnels de la médecine. La médecine augmente le nombre de malades, déplore-t-il: vaudrait-il mieux les laisser mourir? De ce à quoi il aspire, il donne un exemple, alors qu'il en est tellement avare, qui fait froid dans le dos: les « médecins aux pieds nus » de la Chine de Mao, paysans formés en quelques mois à administrer en plus de leur métier, soins courants, vaccins, contraception et avortement - Illich était ouvertement malthusien ça lui plaisait donc - et accessoirement véhiculer la tyrannie maoiste dite "révolution culturelle".
Supprimer l'école en laquelle il voit de façon obsessionnelle un outil de maintien des inégalités, de contrainte et de « programmation » des élèves (qualifiés de victimes!) pour la remplacer par des réseaux spontanés, est-bien raisonnable? Ce que montre maintenant l'internet, c'est que les réseaux par affinités spontanées favorisent les regroupements communautaires, identitaires. Ils participent dès maintenant à la fragmentation tribale voire sectaire de notre société livrant les personnes à un contrôle social autrement étouffant que ce qu'il dénonce. Une socialisation imposée et une rationalité extérieure sont indispensables si nous voulons continuer à vivre ensemble.
Quant à la volonté spontanée d'apprendre, on peut en douter; il est vrai qu'Illych dénie jusqu'à la spécificité de l'enfance dont il préconise qu'on l'instruise en la faisant travailler. Depuis son époque, des pédagogies plus libertaires, plus spontanées, plus créatives ont été imposées, en conservant l'institution, par nos dirigeants -qui en préservent leurs enfants dans le privé hors contrat- , avec les résultats qu'on sait: électeurs et consommateurs encore plus dociles. Les penseurs du système ont une force, eux: ils brassent peu d'idées mais regardent le monde comme il va. C'est la bonne vieille école, des Frères des Ecoles, des Jésuites, ou des hussards de la République qui atténuait les inégalités, c'est l'école post soixantehuitarde qui les relance.
Plus profondément, Illich voit en l'école le prolongement de l'institution ecclésiale qu'il déteste, il est très clair là-dessus, et c'est en cela qu'il puise sa haine. Mais sa contestation s'autodétruit ainsi: il a échappé au double conditionnement de l'Ecole et de l'Eglise, donc soit ce conditionnement n'est pas si déterministe qu'il le dit, soit il est lui-même un esprit supérieur contredisant son égalitarisme.
Quant à sa convivialité, malgré sa référence à notre Brillat-Savarin, elle est plutôt une autonomie. Peut-être illusoire! ainsi il donne comme type d'outil convivial le téléphone car on est autonome quand on l'utilise. Mais peut-on isoler un tel outil ? Les usines qui fabriquent les équipements téléphoniques sont-elles conviviales? Et les gigantesques infrastructures des opérateurs, réseaux, centraux, satellites?
Muni d'une anthropologie douteuse au parfum de mythe du bon sauvage, malthusien, entaché d'une méconnaissance du monde industriel et de l'histoire des techniques, alourdi par ses rancoeurs contre l'Eglise et les églises, Ivan Illich est-il vraiment pour nous un maître?
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Écrit par : Pierre Huet / | 17/12/2011
> Je ne connais Illich que de nom, mais cher Pierre, je vous suis à fond dans votre analyse sur l'école.
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Écrit par : VF / | 17/12/2011
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