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17/11/2011

La "royauté sociale du Christ" : qu'en dit réellement l'Eglise ?

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La question est complexe, explique ici le P. Robert Culat :


 

 

 

Les événements de l’année 2011 en France (les manifestations contre des œuvres culturelles et/ou artistiques dans des galeries ou des théâtres, œuvres qualifiées de blasphématoires et de christianophobes) sont l’occasion de réfléchir à la signification de « la royauté sociale du Christ » dans la doctrine de l’Eglise catholique.

Pour cela nous devons remonter 86 ans en arrière, à la date du 11/12/1925 et à l’encyclique du pape Pie XI, Quas Primas, portant sur ce thème et instituant la fête du Christ Roi de l’univers1.

La royauté sociale du Christ a été au cœur de l’enseignement de Mgr. Marcel Lefebvre, le fondateur du mouvement catholique intégriste, et c’est au nom de ce « dogme » qu’il s’est opposé au catholicisme « libéral » et à l’Eglise « conciliaire ». « Comment ils ont découronné Jésus-Christ ? », tel est le titre d’un article sur le site de la Fraternité Saint Pie X rapportant l’enseignement de Mgr. Lefebvre sur ce thème du magistère pontifical capital à ses yeux2.

L’institut Civitas, instigateur principal des manifestations mentionnées ci-dessus, fait, lui aussi, de la royauté sociale du Christ sa référence principale :   « L’Institut Civitas est un mouvement politique inspiré par le droit naturel et la doctrine sociale de l'Église et regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la Royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples en général, sur la France et les Français en particulier3. »

Qu’en est-il de la royauté sociale du Christ dans les documents essentiels du magistère de l’Eglise catholique depuis Vatican II ?

Cette expression est absente du Concile Vatican II, du Catéchisme de l’Eglise catholique et du Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise.

Il est aussi significatif que dans ces trois documents du Magistère l’encyclique Quas Primas de Pie XI ne soit citée (uniquement en référence sous la forme d’une note de bas de page) qu’une seule et unique fois dans le Catéchisme de l’Eglise catholique. J’y reviendrai.

Les textes du Concile Vatican II citent 70 fois le magistère de Pie XI, mais pas une seule fois son encyclique Quas Primas.

Le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise cite 27 fois le magistère de Pie XI, mais pas une seule fois son encyclique Quas Primas. Cela est très étonnant pour un Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise de ne pas mentionner une seule fois la royauté sociale du Christ.

 

Venons-en maintenant au Catéchisme de l’Eglise catholique. Nous y trouvons 5 références au magistère de Pie XI dont une à son encyclique Quas Primas sous le titre « Le devoir social de religion et le droit à la liberté religieuse » (n°2105) :

« Le devoir de rendre à Dieu un culte authentique concerne l’homme individuellement et socialement. C’est là " la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral des hommes et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ " (DH 1). En évangélisant sans cesse les hommes, l’Église travaille à ce qu’ils puissent " pénétrer d’esprit chrétien les mentalités et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où ils vivent " (AA 10). Le devoir social des chrétiens est de respecter et d’éveiller en chaque homme l’amour du vrai et du bien. Il leur demande de faire connaître le culte de l’unique vraie religion qui subsiste dans l’Église catholique et apostolique (cf. DH 1). Les chrétiens sont appelés à être la lumière du monde (cf. AA 13). L’Église manifeste ainsi la royauté du Christ sur toute la création et en particulier sur les sociétés humaines (cf. Léon XIII, enc. " Immortale Dei " ; Pie XI, enc. " Quas primas "). »

J’ai mis en gras l’unique allusion, indirecte (l’expression « royauté sociale du Christ » n’est pas utilisée), au contenu de l’encyclique Quas Primas. J’ai souligné les moyens que le Catéchisme indique aux catholiques afin que la royauté du Christ soit manifestée sur les sociétés humaines :

 

  • L’évangélisation des hommes

  • Pénétrer d’esprit chrétien les divers milieux de vie

  • Promouvoir et mettre en valeur l’amour du vrai et du bien

  • Faire connaître la religion catholique, donc à nouveau évangéliser

  • Etre la lumière du monde, donc témoigner de sa foi dans le monde

 

Quant à l’esprit dans lequel ce témoignage doit être rendu, c’est celui de « l’exigence de la charité qui presse les chrétiens " d’agir avec amour, prudence, patience, envers ceux qui se trouvent dans l’erreur ou dans l’ignorance de la foi " (DH 14). » (n°2104).

 

Trois autres passages du Catéchisme doivent retenir notre attention dans le contexte de cette réflexion sur le Règne du Christ :

 ... en attendant que tout Lui soit soumis

 671. Déjà présent dans son Église, le Règne du Christ n’est cependant pas encore achevé " avec puissance et grande gloire " (Lc 21, 27 ; cf. Mt 25, 31) par l’avènement du Roi sur la terre. Ce Règne est encore attaqué par les puissances mauvaises (cf. 2 Th 2, 7) même si elles ont été déjà vaincues à la base par la Pâque du Christ. Jusqu’à ce que tout lui ai été soumis (cf. 1 Co 15, 28), " jusqu’à l’heure où seront réalisés les nouveaux cieux et la nouvelle terre où la justice habite, l’Église en pèlerinage porte dans ses sacrements et ses institutions, qui relèvent de ce temps, la figure du siècle qui passe ; elle vit elle-même parmi les créatures qui gémissent présentement encore dans les douleurs de l’enfantement et attendent la manifestation des fils de Dieu " (LG 48). Pour cette raison les chrétiens prient, surtout dans l’Eucharistie (cf. 1 Co 11, 26), pour hâter le retour du Christ (cf. 2 P 3, 11-12) en lui disant : " Viens, Seigneur " (1 Co 16, 22 ; Ap 22, 17. 20).

 672. Le Christ a affirmé avant son Ascension que ce n’était pas encore l’heure de l’établissement glorieux du Royaume messianique attendu par Israël (cf. Ac 1, 6-7) qui devait apporter à tous les hommes, selon les prophètes (cf. Is 11, 1-9), l’ordre définitif de la justice, de l’amour et de la paix. Le temps présent est, selon le Seigneur, le temps de l’Esprit et du témoignage (cf. Ac 1, 8), mais c’est aussi un temps encore marqué par la " détresse " (1 Co 7, 26) et l’épreuve du mal (cf. Ep 5, 16) qui n’épargne pas l’Église (cf. 1 P 4, 17) et inaugure les combats des derniers jours (cf. 1 Jn 2, 18 ; 4, 3 ; 1 Tm 4, 1). C’est un temps d’attente et de veille (cf. Mt 25, 1. 13 ; Mc 13, 33-37). »

 Le Règne du Christ est une réalité eschatologique et c’est par la prière, surtout dans la célébration de la messe, que les chrétiens peuvent hâter ce Règne.

 2046. « Par leur vie selon le Christ, les chrétiens hâtent la venue du Règne de Dieu, du " Règne de la justice, de la vérité et de la paix " (MR, Préface du Christ-Roi). Ils ne délaissent pas pour autant leurs tâches terrestres ; fidèles à leur Maître ils les remplissent avec droiture, patience et amour. »

Tout en étant fidèles à leur devoir d’état, c’est par la vérité de leur vie chrétienne que les disciples de Jésus hâtent la venue du Règne de Dieu.

 

2820 « Dans un discernement selon l’Esprit, les chrétiens doivent distinguer entre la croissance du Règne de Dieu et le progrès de la culture et de la société où ils sont engagés. Cette distinction n’est pas une séparation. La vocation de l’homme à la vie éternelle ne supprime pas mais renforce son devoir de mettre en pratique les énergies et les moyens reçus du Créateur pour servir en ce monde la justice et la paix (cf. GS 22 ; 32 ; 39 ; 45 ; EN 31). »

C’est par l’utilisation des talents reçus, au service de la justice et de la paix dans ce monde, que les chrétiens peuvent hâter la venue du Règne de Dieu.

 Une première conclusion s’impose sur ce point avant d’aller plus loin. Dans le magistère du Concile Vatican II et des documents qui l’ont suivi la royauté sociale du Christ telle qu’elle est définie par Pie XI n’est pas un thème central et majeur. D’où la réaction de Mgr. Lefebvre et de la Fraternité saint Pie X. Il semble même que ce thème ait été réinterprété en fonction des nouvelles circonstances sociopolitiques. Ainsi il n’est pas du tout certain que la royauté sociale du Christ soit à comprendre comme un dogme. Ce thème relève davantage de la théologie politique que de la théologie dogmatique. C’est-à-dire qu’il est une manière de présenter les rapports devant exister entre l’Eglise et le monde. La royauté sociale du Christ articule la relation entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, relation qui a toujours été l’objet de vifs débats dans l’Eglise tout au long de son histoire. Un document de la Congrégation pour la doctrine de la foi, écrit par le Cardinal Ratzinger, Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien (24/05/1990) admet l’historicité de certains jugements du magistère :

 24. « Enfin le Magistère, dans le but de servir le mieux possible le Peuple de Dieu, et en particulier pour le mettre en garde contre des opinions dangereuses pouvant conduire à l’erreur, peut intervenir sur des questions débattues dans lesquelles sont impliqués, à côté de principes fermes, des éléments conjecturaux et contingents. Et ce n'est souvent qu'avec le recul du temps qu'il devient possible de faire le partage entre le nécessaire et le contingent.

 La volonté d'acquiescement loyal à cet enseignement du Magistère en matière de soi non-irréformable doit être la règle. Il peut cependant arriver que le théologien se pose des questions portant, selon les cas, sur l'opportunité, sur la forme ou même le contenu d'une intervention. Cela le conduira avant tout à vérifier soigneusement quelle est l'autorité de cette intervention, telle qu'elle résulte de la nature des documents, de l'insistance à proposer une doctrine et de la manière même de s'exprimer.

 Dans ce domaine des interventions d'ordre prudentiel, il est arrivé que des documents magistériels ne soient pas exempts de déficiences. Les Pasteurs n'ont pas toujours perçu aussitôt tous les aspects ou toute la complexité d'une question. Mais il serait contraire à la vérité de conclure, à partir de certains cas déterminés, que le Magistère de l'Église puisse se tromper habituellement dans ses jugements prudentiels, ou qu'il ne jouisse pas de l'assistance divine dans l'exercice intégral de sa mission. En effet, le théologien, qui ne peut bien exercer sa discipline sans une certaine compétence historique, est conscient de la décantation qui s'opère avec le temps. Ceci ne doit pas être entendu dans le sens d'une relativisation des énoncés de la foi. Il sait que certains jugements du Magistère ont pu être justifiés à l'époque où ils furent prononcés, parce que les affirmations visées mêlaient inextricablement des assertions vraies et d'autres qui n'étaient pas sûres. Seul le temps a permis d'opérer le discernement et, à la suite d'études approfondies, d'aboutir à un vrai progrès doctrinal. »

 Cela revient à dire que, concernant des affirmations qui ne sont pas strictement dogmatiques, le Magistère actuel peut et doit parfois rectifier certaines affirmations ou même les réinterpréter parce qu’elles étaient trop intimement liées à un contexte historique précis. Reste à savoir si l’affirmation de la Royauté sociale du Christ est un dogme ou pas. Il serait intéressant que la Commission théologique internationale se penche sur cette question et indique en quoi l’encyclique Quas Primas est toujours d’actualité pour les catholiques. En tout cas il est certain que le Magistère ultérieur n’en a pas fait le centre de sa réflexion sur les rapports de l’Eglise avec la société. Des éléments actuels de la doctrine catholique ont été autrefois condamnés : que l’on pense à la liberté religieuse, à l’œcuménisme et à l’exégèse historico-critique pour ne donner que quelques exemples. Il reviendrait à l’historien de l’Eglise et à l’historien du dogme de relever de quelle manière les rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel ont changé en fonction des circonstances. Il est clair que dès avant 1789 l’Eglise a beaucoup perdu de son influence et de sa puissance dans l’Europe des monarchies chrétiennes. Les rois catholiques du Portugal, d’Espagne et de France n’ont pas attendu une décision du pape avant de chasser les jésuites de leurs territoires. Et c’est en partie sous leur pression que Clément XIV finira par abolir la Compagnie de Jésus… Compagnie qui sera rétablie par Pie VII en 1814. Le système démocratique et la République française ont été condamnés par les pontifes mais plus tard est aussi venu le moment du ralliement des catholiques français à la République (1890 : toast d’Alger, cardinal Lavigerie). Qui se souvient d’une encyclique de 1860, Nullis Certe, consacrée à la défense des Etats Pontificaux, donc du pouvoir temporel du pape ? En 1964, alors que le Concile Vatican II n’est pas encore achevé, Paul VI aborde cette question des rapports de l’Eglise avec le monde dans son encyclique Ecclesiam Suam :

 « Il est clair que les rapports entre l’Eglise et le monde peuvent prendre de multiples aspects, différents les uns des autres. Théoriquement parlant, l’Eglise pourrait se proposer de réduire ces rapports au minimum, en cherchant à se retrancher du commerce avec la société profane ; comme elle pourrait se proposer de relever les maux qui peuvent s’y rencontrer, prononcer contre eux des anathèmes et susciter contre eux des croisades ; elle pourrait au contraire se rapprocher de la société profane au point de chercher à prendre sur elle une influence prépondérante, ou même à y exercer un pouvoir théocratique , et ainsi de suite. Il nous semble au contraire que le rapport de l’Eglise avec le monde, sans se fermer à d’autres formes légitimes, peut mieux s’exprimer sous la forme d’un dialogue, et d’un dialogue non pas toujours le même, mais adapté au caractère de l’interlocuteur et aux circonstances de fait (autre est en effet le dialogue avec un enfant et autre avec un adulte ; autre avec un croyant et autre avec un non croyant). Ceci est suggéré par l’habitude désormais répandue de concevoir ainsi les relations entre le sacré et le profane, par le dynamisme qui transforme la société moderne, par le pluralisme de ses manifestations, ainsi que par la maturité de l’homme, religieux ou non, rendu apte par l’éducation et la culture à penser, à parler, à soutenir dignement un dialogue. »

 A la lumière de cette encyclique il devient impossible d’interpréter la royauté sociale du Christ comme le cadre théologique qui permettrait à l’Eglise de « se rapprocher de la société profane au point de chercher à prendre sur elle une influence prépondérante, ou même à y exercer un pouvoir théocratique ».

 

Regardons maintenant comment l’Eglise célèbre la fête du Christ Roi souverain de l’univers qui marque la fin de l’année liturgique (lex orandi, lex credendi).

  Dans la liturgie des Heures ou Bréviaire :

 Le texte de l’Office des Lectures n’est pas emprunté à l’encyclique Quas Primas. Il s’agit d’un passage du traité d’Origène sur la prière.

 La lecture de l’office du matin est une citation d’Ephésiens 4, 15-16 :

 « En vivant dans la vérité de l'amour, nous grandirons dans le Christ pour nous élever en tout jusqu'à lui, car il est la Tête. Et par lui, dans l'harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit sa croissance, grâce aux connexions internes qui le maintiennent, selon l'activité qui est à la mesure de chaque membre. Ainsi le corps se construit dans l'amour. »

Celle de l’office sur soir une citation de la première lettre aux Corinthiens 15, 25-28 :

« C'est lui en effet qui doit régner jusqu'au jour où il aura mis sous ses pieds tous ses ennemis.

 Et le dernier ennemi qu'il détruira, c'est la mort, car il a tout mis sous ses pieds. Mais quand il dira : « Tout est soumis désormais », c'est évidemment à l'exclusion de Celui qui lui a soumis toutes choses. Alors, quand tout sera sous le pouvoir du Fils, il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous. »

 

Dans la liturgie eucharistique :

 Evangile de l’année A : Matthieu 25, 31-46.

 « Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : 'Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ; j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi !' »

 Evangile de l’année B : Jean 18, 33-37.

 « Alors Pilate rentra dans son palais, appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d'autres te l'ont dit ? Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les chefs des prêtres t'ont livré à moi : qu'as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j'aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d'ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C'est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »

 Evangile de l’année C : Luc 23, 35-43.

 « Le peuple restait là à regarder. Les chefs ricanaient en disant : « Il en a sauvé d'autres : qu'il se sauve lui-même, s'il est le Messie de Dieu, l'Élu ! » Les soldats aussi se moquaient de lui. S'approchant pour lui donner de la boisson vinaigrée, ils lui disaient : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » Une inscription était placée au-dessus de sa tête : « Celui-ci est le roi des Juifs. » L'un des malfaiteurs suspendus à la croix l'injuriait : « N'es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! » Mais l'autre lui fit de vifs reproches : « Tu n'as donc aucune crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c'est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n'a rien fait de mal. » Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. »

 Jésus lui répondit : « Amen, je te le déclare : aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

 Oraison de la messe :

« Dieu éternel, tu as voulu fonder toutes choses en ton Fils bien-aimé, le Roi de l’univers : fais que toute la création, libérée de la servitude, reconnaisse ta puissance et te glorifie sans fin.»

 Préface de la messe :

 « Tu as consacré Prêtre éternel et Roi de l’univers ton Fils unique, Jésus Christ, notre Seigneur, afin qu’il s’offre lui-même sur l’autel de la Croix en victime pure et pacifique, pour accomplir les mystères de notre rédemption, et qu’après avoir soumis à son pouvoir toutes les créatures, il remette aux mains de ta souveraine puissance un règne sans limite et sans fin : règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix. »

 

Les Evangiles de la fête du Christ Roi nous montrent Jésus dans sa Passion, couronné d’épines, et Jésus revenant glorieux à la fin des temps pour juger les vivant et les morts. Jésus est Roi parce qu’il est le témoin de la vérité et de l’amour. Et c’est « en vivant dans la vérité de l’amour » que ses disciples contribuent à étendre son Règne sur « toute la création » et sur « toutes les créatures ».

 

Quelques rappels historiques :

Pour Mgr. Lefebvre la royauté sociale du Christ impliquait des Etats catholiques et des concordats privilégiant l’Eglise catholique (le catholicisme est religion d’Etat). La royauté sociale du Christ était pour lui incompatible avec la laïcité et la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Il est cependant troublant de voir associée la royauté sociale du Christ, via la signature de concordats, à des dictateurs :

Accords du Latran avec Mussolini (11/02/29) ; en 1931 Pie XI condamne le fascisme italien (Non abbiamo bisogno)…

Concordat avec l’Allemagne d’Hitler (20/11/33) ; en 1937 Pie XI condamne le nazisme (Mit brennender Sorge)…

Concordat avec le Portugal de Salazar (7/05/40)

Concordat avec l’Espagne de Franco (27/08/53)

Le cardinal Ratzinger a abordé cette question dans son livre Les principes de la théologie catholique :

« Presque personne ne conteste plus aujourd’hui que les concordats espagnol et italien cherchaient à conserver beaucoup trop de choses d’une conception du monde qui depuis longtemps ne correspondait plus aux données réelles. De même presque personne ne peut contester qu’à cet attachement à une conception périmée des rapports entre l’Eglise et l’Etat correspondaient des anachronismes semblables dans le domaine de l’éducation. Ni les embrassades, ni le ghetto ne peuvent résoudre durablement pour le chrétien le problème du monde moderne. Il reste que le « démantèlement des bastions » que Urs Von Balthasar réclamait en 1952 était effectivement un devoir pressant. Il lui a fallu (à l’Eglise) se séparer de beaucoup de choses qui jusque-là assuraient sa sécurité et lui appartenaient comme allant presque de soi. Il lui a fallu abattre de vieux bastions et se confier à la seule protection de la foi ».

 

L’exemple du Québec : d’une Eglise puissante à la crise de l’Eglise.

 L’Eglise catholique au Québec a vécu pendant longtemps une situation de chrétienté avec une forte influence sur la société civile.

 « Une puissance politique

Grâce au Conseil de l’instruction publique où siègent d'office tous les évêques, l’Église a la haute main sur le système scolaire francophone. D’autre part, l’Église possède un système d’éducation complet avec ses nombreux collèges secondaires et couvents ainsi que l’Université Laval et sa succursale de Montréal. Elle dirige, également, tout le système social avec une cinquantaine d’hôpitaux et d’asiles qu’elle finance par les revenus de ses propriétés, des quêtes publiques ainsi que des dons privés. L’Église possède des moyens financiers plus grands que ceux de l’État provincial. Pendant que ce dernier dispose d’environ 200 fonctionnaires, le clergé compte plus de 10 000 personnes. Consciente de sa force l’Église parle haut et fort. Le Québec est une société cléricale et l’Église une puissance politique. C'est un pouvoir bâti sur des privilèges, des biens matériels et des effectifs importants et qui a une relation privilégiée avec les autorités civiles. Elle a une alliance tacite avec la bourgeoisie anglophone. L’Église fera souvent étalage de sa fidélité au pouvoir. Cependant, les hommes politiques trouvent la tutelle de clercs envahissante.

Une Église nationale et sociale

La société québécoise est représentée comme une société catholique, française et rurale dont la vocation est de répandre le catholicisme en terre d’Amérique. L’Église est donc une église nationale et son peuple peut être considéré comme le peuple élu de Dieu. Pour asseoir son pouvoir, l’Église dispose d’un atout : la légitimité. La religion est ce qui relie les collectivités en société et l’enseignement de l’Église est ce qui gouverne toutes les activités. La religion devient un style de vie. L’Église se montre soucieuse d’organisation et d’encadrement pour affermir son autorité. Ainsi, le clergé se recrute facilement et son autorité n’est pas ouvertement contestée. L’Église devient le rempart contre l’assimilation. C’est ainsi, qu’elle façonne tous les instants de la vie des catholiques de la naissance à la mort. »4

 L’Eglise québécoise affronte maintenant depuis des années une crise sans précédent et sans comparaison avec ce que l’Eglise de France connaît dans une tradition de laïcité et une relation de séparation d’avec l’Etat. De nombreuses églises ont été fermées et vendues faute de pratiquants et ensuite transformées en bibliothèques, en discothèques etc.

 « De nombreuses statistiques montrent depuis longtemps le déclin de l'Église catholique. Entre 1957 et 2000, le taux de fidèles allant à la messe le dimanche est tombé de 88 % à 20 %. Chez les jeunes, le phénomène est plus accentué encore: parmi les 18 à 34 ans, en 2000, il y avait 5 % de pratiquants seulement. Pratiquement dans tous les diocèses, l'âge moyen des prêtres dépasse les 70 ans. Dans l'archidiocèse de Québec, de 1997 à 2010, le nombre de curés et d'équipes pastorales est passé de 166 à 73. De 1970 à 2001, l'Église québécoise trouvait dans les statistiques du recensement un certain réconfort. La proportion de Québécois se disant catholiques demeurait stable. C'est ce qu’explorent E.-Martin Meunier, Jean-François Laniel et Jean-Christophe Demers dans une grande étude de quelque 50 pages publiée dans Modernité et religion au Québec. Même chose pour les baptêmes, dont les taux ne s'effondrèrent pas. Dans ces trois décennies, il y a une sorte «de permanence d'un catholicisme culturel», dit Martin Meunier. On se sent catholique parfois par inertie, souvent par lien avec les générations passées. C'est un marqueur de l'identité. C'est le sociologue Raymond Lemieux, rappelle Meunier, qui développa la théorie du «catholicisme culturel» québécois, en 1990. À l'époque, il n'était pas surpris de constater une certaine permanence des «rites intégrateurs». Nous avons été, comme l'a déjà écrit le collègue Guillaume Bourgault-Côté, «catholiques malgré nous». Ou, pour le dire comme la revue l'Inconvénient (dans son numéro de novembre 2007), «chrétiens malgré nous».

 Parfois, ce n'est pas «malgré». Il y a quelques rares cas recensés de catholiques «culturels» intellectuels. Le cinéaste Bernard Émond, qui se définit comme un «athée de culture catholique». L'écrivain et collaborateur du Devoir Jean Larose s'est déjà qualifié de «mécréant attaché au catholicisme» et «qui en pratique les textes». Bref, «un non-croyant pratiquant».

Il y a toutefois du nouveau sous le soleil. Et ce n'est plus rassurant pour ceux qui tiennent à l'Église comme marqueur de l'identité. Depuis 2001, les statistiques indiquent une nouvelle «rupture». «Les jeunes ne suivent pas. L'entrée en scène d'une nouvelle génération, la "Y" — celle qui est née entre 1976 et 1990 —, semble changer la donne», indique Martin Meunier. De 2001 à 2006, le prorata total de baptêmes par naissance au Québec chute: on passe de 73,5 % à 59,9 %. Même chose pour le fameux «taux d'appartenance» à l'Église, qui s'était auparavant quasiment maintenu pour l'ensemble de cette population: il passe de 78,2 % à 69,1 %. Le fameux «catholicisme culturel» — où on se dit catholique non pratiquant, ou utilisant les baptêmes et les funérailles — commence à s'étioler. Il serait en voie «d'exculturation» au Québec. Il y a là d'abord un effet de génération, mais le caractère non catholique des «Y» n'est évidemment pas la seule cause. D'autres événements sont venus précipiter le phénomène de décrochage. Dans l'ère post-11-Septembre et du débat sur les accommodements raisonnables, le regard sur les religions a muté, note Martin Meunier. «Il y a quelque chose qui s'est brisé dans le rapport entre le religieux et plusieurs Québécois.» Alors qu'on tolérait auparavant de se présenter comme «catholique culturel», la religion a recommencé à apparaître pour ce qu'elle est: une religion, et non plus seulement comme une étiquette identitaire sans grand effet.5 »

 Cette chute spectaculaire de l’appartenance catholique des québécois dans une Province où l’Eglise était toute puissante donne à réfléchir sur « la royauté sociale du Christ ». Si cette royauté se confond avec un catholicisme culturel et identitaire, alors elle est une illusion de puissance. Le clergé règne, l’Eglise est écoutée par le monde politique, les lois de la société reflètent les consignes épiscopales, pas de travail le dimanche, pas de blasphèmes en public etc. Mais si ce système avait vraiment transmis la foi aux personnes (et pas seulement soumis les institutions à l’Eglise), l’Eglise du Québec ne connaîtrait probablement pas la grave crise qu’elle traverse depuis des années et qui va en s’aggravant.

La royauté sociale du Christ conçue comme chrétienté s’est beaucoup attaché au cadre chrétien de la société mais a oublié que la foi est d’abord une question de relation personnelle entre un homme et son Dieu. De cette foi sociologique, il ne reste aujourd’hui que des ruines. Et ce n’est peut-être pas par hasard si la plupart des jurons québécois sont des références religieuses comme « tabernacle » et « hostie » par exemple… L’Eglise catholique espagnole qui a bénéficié du Concordat signé à l’époque de Franco est en train de vivre la même désillusion… L’histoire de l’Eglise d’Irlande serait elle aussi riche d’enseignements quant aux dangers de la chrétienté. Comme au Québec cette Eglise a été toute puissante pendant longtemps. Elle vient de perdre une grande part de sa crédibilité récemment à cause de la révélation de divers scandales dont celui des Magdalene Sisters et des prêtres pédophiles, des scandales remontant aux années 30 (bien avant le Concile Vatican II). Le gouvernement irlandais au terme d’une enquête a eu l’impression que l’Eglise a d’abord cherché à se protéger en tant qu’institution. Les rapports entre l’Irlande et le Saint-Siège sont désormais tendus. Si tant de scandales et d’abus ont mis autant de temps à être révélés, c’est parce qu’en situation de chrétienté il était impossible de toucher au prestige de l’Eglise ou de remettre en question la parole d’un prêtre. Aussi est-ce d’abord et essentiellement dans le cœur des hommes et des femmes de notre temps que le Christ doit régner. Et s’il y règne vraiment, peu importe que le cadre social soit laïc ou pas, la foi demeurera, non pas comme un attribut sociologique, mais comme une réponse libre à l’appel de Dieu.

Seul le contenu de la foi peut se transmettre comme un héritage (une tradition).

Mais l’acte de foi est toujours nouveau pour chaque génération et chaque personne. Il n’est pas de l’ordre de structures chrétiennes. Il est indépendant des lois chrétiennes (ou pas) dans un Etat. Dans l’acte de foi il y a cette rencontre unique entre la grâce de Dieu et le « oui » d’une liberté humaine. Depuis le Concile Vatican II l’Eglise semble privilégier cette voie en renonçant à une volonté de puissance sur le monde civil. Elle croit par contre à la force du témoignage personnel et communautaire des catholiques et elle les invite à s’engager dans la société civile pour l’imprégner, non plus du dehors mais du dedans, de l’esprit de l’Evangile. Le Règne du Christ sur la création et sur les créatures avancera peut-être moins vite mais ce qui sera semé le sera en profondeur et résistera aux crises inévitables dues aux aléas de notre histoire humaine. Nous n’aurons pas travaillé pour un Etat avec de belles apparences chrétiennes mais véritablement pour la conversion des cœurs avec la grâce de Dieu. Car cette conversion ne dépend pas d’abord de nous ni de nos plans pastoraux, encore moins d’une stratégie de conquête politique. Peut-être que le changement de ton survenu avec le Concile Vatican II à propos des relations de l’Eglise avec le monde correspond à la redécouverte du sens de la Croix. Une Eglise en apparence faible n’est-elle pas en fait plus forte parce que fidèle à la volonté de son seul et unique Roi, le Christ ? A l’image d’une Eglise dominante et triomphante le Concile Vatican II a préféré celle d’une Eglise servante. Il est paradoxal de constater que les catholiques intégristes, qui ne cessent de mettre en valeur la théologie du sacrifice et qui présentent la messe uniquement comme l’actualisation du sacrifice du Christ sur la Croix, n’ont qu’un rêve, celui d’une Eglise triomphante et toute puissante ! L’amour de la Croix devrait, au contraire, conduire les catholiques à accepter sereinement leur condition minoritaire, leur faiblesse du point de vue sociologique. En sachant que le petit troupeau du Christ n’a pas d’autre force que la force spirituelle de la foi, de l’espérance et de la charité.

                                                                                                                               à suivre

 

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 1 Un an après le pape condamne L’Action française.

 2 http://www.fsspx.org/fr/bibliotheque-mediatheque/ils-lont-dcouronn/principes-et-applications/comment-ils-ont-dcouronn-jsus-christ-automaticaly-imported/

 3 http://www.civitas-institut.com/content/view/16/62/

 4 http://www3.sympatico.ca/lavalac/histoire1/chapitre7.html#titre

 5 http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/286387/est-ce-la-fin-de-l-eglise-catholique-au-quebec

 6 http://www.scholasaintmaur.net/Apprendre_a_prier/Christ-Roi_la_raison_d_un_changement_de_date.html

Commentaires

DANS LES COEURS, SINON RIEN

> Si vous avez un Etat catholique mais que le Christ ne règne pas dans les cœurs, il n’y a pas plus de « royauté sociale » que de beurre en branche. Penser que la christianisation de la société passe par un combat politique, c’est une erreur de perspective. Cela passe par l’évangélisation des personnes concrètes. Après, chacun a bien le droit de faire, ou de ne pas faire, de la politique selon ses convictions, mais il faut séparer les choses : jeune ami, tu as le droit d’avoir des opinions et de les défendre par une action politique, mais tu te trompes si tu crois que le règne du Christ passe nécessairement par là. Et tu prends en quelque sorte le Christ en otage de tes opinions si tu mélanges tout. Jeune ami, laisse le Christ à sa place, c’est-à-dire la première place dans ton cœur ! « Aime et fais ce que tu veux », y compris de la politique si ça t’intéresse ! Et laisse ton frère à ses propres opinions : son « degré de catholicité » n’est pas indexé sur son degré d’adhésion à tes opinions. Avoue que ce serait quand même "fort de café" que l’opinion d’un groupe particulier soit l’étalon de la catholicité de l’ensemble !
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 17/11/2011

QUAS PRIMAS

> De toute façon, il faut relire Quas Primas et y découvrir que cette Royauté sociale n'est en rien un appel à la constitution d'Etats catholiques dans leurs structure apparente. Il n'y a pas, et pour cause, de proposition positive politique dans Quas Primas. Il y a seulement, cet c'est beaucoup, un rappel de la royauté éternelle du Christ sur l'univers, et l'affirmation face au monde athée ou incroyant que sans le Christ, rien de bon ne peut se construire ni tenir.
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Écrit par : JG / | 17/11/2011

RECEPTION

> Voila qui laisse songeur sur la façon de recevoir les textes du magistère traitant de questions politiques et sociales. De fait, il est bien naturel que les hommes d'Eglise voient les problèmes de leur temps avec les lunettes de leur temps, et face aux problématiques se leur temps. Ainsi a-t-on pu dire que Pie XI avait mis en avant le culte du Christ Roi à l’encontre de la montée des nationalismes. Aussi est-il normal que les générations suivantes effectuent un certain « lissage » des aspérités des enseignements successifs.
Il faut alors tenir compte que ce que les personnes et les groupes sociaux font ce lissage plus ou moins vite, c’est pourquoi nous devons nous garder de regarder comme mauvais chrétiens ceux qui opèrent ce lissage plus vite ou moins vite que nous.
PH


[ De PP à PH - Il y a ceux qui font ce lissage lentement. Mais il y a, par ailleurs, ceux qui refusent de le faire, parce qu'ils instrumentalisent le religieux au service de leur idéologie. Ce ne sont pas les mêmes gens. Ils n'appellent pas la même démarche. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 17/11/2011

INFOS

> Je cherchais ces infos depuis longtemps... merci, merci, MERCI !
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Écrit par : Clément Cassiens alias CC / | 17/11/2011

LUMINEUX

> Merci beaucoup pour ce post lumineux.
Joseph Ratzinger résume tout: "Il nous a fallu abattre ces vieux bastions et nous confier à la seule protection de la foi".. C'est magnifique !
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Écrit par : Jovanovic / | 17/11/2011

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