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14/11/2011

Les Assises chrétiennes de l'écologie et l'oecuménisme : message du pasteur Claude Baty

...président de la Fédération protestante de France :


 

 

Message de la Fédération protestante de France1

 

Pasteur Claude Baty, président


 

Quelques fondements bibliques

 

Selon de bonnes habitudes protestantes de référence à « l’Écriture seule », référons-nous par exemple à l’évangile de Luc. On lit dans (Luc 4, 1-4) : « Conduit dans le désert… Le diable lui dit : Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu'elle devienne du pain. Jésus lui répondit : Il est écrit : L'Homme ne vivra pas de pain seulement ». Dans la seconde (Luc 23, 33-34) sur la croix, il dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ».

 Entre ces deux paroles il y a notre action à inscrire. Il ne nous est pas donné seulement la richesse de cette planète et la connaissance2. Il nous est donné aussi la possibilité d’écouter la parole de Dieu qui nous invite avec sagesse, au partage. La réponse de l’humanité est plutôt révolte. Comme nous avons crucifié le fils qu’il avait envoyé, chaque jour nous sacrifions notre planète au mépris de son humanité toujours plus souffrante de pauvreté.

 Nous avons besoin du pardon. C’est dans l’assurance de cette grâce que nous pouvons trouver une raison d’agir, malgré tout.

 

Le monde d’aujourd’hui : constat

 

L’humanité est placée dans une situation nouvelle, dans un contexte totalement différent de celui qui prévalait au temps de l’écriture des textes bibliques. Les moyens d’échanges et de communication permettent d’avoir une connaissance d’ensemble du monde. Après des années de développement « sans compter », nous sommes parvenus à mesurer tant l’accroissement de la population que l’abondance des ressources. Nous sommes capables de connaître les mécanismes qui régissent le fonctionnement des diverses « enveloppes » de la terre (atmosphère, hydrosphère, biosphère, géosphère), des espèces qui la peuplent, et d’évaluer l’impact des « développements » en cours. Depuis le début de l’ère industrielle, le recours massif, et croissant, aux énergies fossiles, entraine d’importantes émissions atmosphériques qui modifient le climat.  

 En outre, s’il a fallu des centaines de millions d’années pour accumuler ces énergies fossiles, il aura suffi d’une génération – la nôtre – pour exploiter à son profit près de la moitié de cette richesse. Et il faudra peut-être encore moins de temps pour atteindre les limites de ces réserves.

  Notons enfin que si l’humanité a été capable de cette performance, l’accès aux ressources reste - avec des inégalités croissantes partout - le privilège d’une fraction très limitée de la population. L’hémisphère nord, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Amérique du Nord ou de l’ancien bloc soviétique sont les « profiteurs » avec les nouveaux pays industrialisés (Inde, Chine, Brésil…).

 Nous sommes placés devant un double défi :

  - d’une part, assurer un partage équitable des richesses de la planète entre les hommes qui la peuplent aujourd’hui. On doit impérativement corriger le fait qu’une part importante de la population – au Sud - non seulement n’a pas accès à ces ressources, mais en plus doit payer pour les conséquences de notre mauvaise gestion.

  - d’autre part se soucier de rétablir une relative équité intergénérationnelle. Comment en effet accepter de bruler au profit d’une seule génération des ressources accumulées au cours des temps géologiques ?

 

Besoin de trouver de nouveaux ressorts pour relever le défi

 

L’idée de la conférence sur le climat, de converger vers une répartition à la fois plus juste et tolérable pour l’environnement est à saluer ! En même temps, on mesure les écarts entre le souhaitable et ce qui est effectivement réalisé. Au moment où l’on fait le bilan de « Rio+20 » on mesure combien la responsabilité des pays développés et émergents dans la non mise en œuvre des mesures nécessaires est criante.

 De fait, plus que scientifique ou technologique, la difficulté est d’ordre politique. Face aux difficultés qui s’amoncellent, le monde politique et économique est dérouté. La crise à laquelle nos sociétés doivent faire face est un défi pour la réflexion, car elle touche à la question de la finalité de la connaissance et du pouvoir. L’économie, qui est une science de moyens est séparée de la question des fins. Comme si elle pouvait être considérée comme une fin en soi ! Derrière des circuits compliqués sont dissimulés des questions simples qui concernent l’honnêteté, par exemple.

 Si certains médias (comme le film d’Al Gore) aident à la prise de conscience, le public reste souvent démuni, avec un sentiment de culpabilité.

 Afin qu’une issue puisse être envisagée, il faut parvenir à promouvoir une modification profonde non seulement de notre idéal moral mais aussi de nos mœurs concrètes. Mais les plis pris par les corps et les mœurs sont encore plus lourds, plus difficiles à changer que nos installations techniques ou nos idées ! Par exemple nous sommes drogués de déplacements, de cette volonté moderne de quasi-ubiquité, et ne savons plus être simplement là où nous sommes. De même, nous nous sommes habitués au même confort, au mépris des saisons. Le plus délicat ici est de changer non pas tant nos opinions que nos images de ce qui constitue la « vie bonne ». Pour ébranler l’imaginaire social, bouleverser suffisamment nos préjugés pour littéralement nous convertir, changer nos critères de confort.

 

Une voix protestante

 

Et dans cette démarche, il faut bien mesurer l’importance non seulement du fonds religieux de toutes nos cultures, de leur influence latente, mais aussi la dimension religieuse de ce que la modernité y a substitué, notamment la place de ce qu’on appelle le « progrès ».

 L’optimisme technique du mythe qu’il y aura toujours une solution, est l’expression d’une religion à la fois très ancienne et ultramoderne. Sous une forme sécularisée nous avons affaire à une « gnose », à une religion qui prône le salut par la science et l’économie toutes puissantes.

 Or pour la première fois dans l’histoire moderne de notre société, le progrès n’est plus perçu comme positif, il peut même faire peur. Demain sera pire, en raison d’une technique débridée asservie à une économie amorale.

 Dans l’impasse dans laquelle nous sommes, nous devons tous prendre nos responsabilités. Nous suggérons en tant que Protestants de fonder notre engagement sur la grâce de Dieu. Pardonnés, nous devons partager largement cette affirmation. Elle génère en chacun de nous une reconnaissance pour les ressources naturelles et humaines données en abondance, un respect de la pluralité des habitants du monde et implique en retour un choix de sobriété. Nous pouvons ainsi imaginer et préparer une modernité capable de générer une solidarité, une manière fraternelle de partager les biens et les charges de notre planète, de redistribuer les connaissances, les devoirs et les plaisirs. 

 Au sein du protestantisme français, à la fois si minoritaire et si divers, ces perspectives nouvelles, trouvent un ancrage commun dans la conviction que l’homme n’est pas sauvé parce qu’il sert mais qu’il est sauvé pour servir. De la reconnaissance de ce qui est donné découle la responsabilité, l’engagement individuel et collectif.

 

 Formuler une traduction laïque de ce puissant mobile pour agir

 

Le protestantisme français est très attaché à la République laïque et à la démocratie qui lui a permis d’exister dans ce pays. Il a aussi des devoirs en retour. L’enjeu aujourd’hui est de trouver le moyen d’assurer une traduction laïque et républicaine de ce fonds religieux protestant – comme avait si bien su le faire un Ferdinand Buisson3. Inventer, promouvoir comme une version française et européenne d’un « thanks giving » américain. Oui, la gratitude est bien une motivation profonde pour agir. C’est parce que nous avons nous-mêmes tant reçu que nous pouvons donner en retour. Cette certitude qui est la nôtre, il nous revient de la faire partager au plus grand nombre, pour fonder des motivations d’action aux niveaux individuel et institutionnel, et répondre ainsi aux enjeux de ce temps.

 Paul Ricœur dans son dernier ouvrage « Parcours de la reconnaissance » (2005) écrit : « La gratitude allège le poids de l’obligation de rendre et oriente celle-ci vers une générosité égale à celle qui a suscité le don initial ». C’est à cette générosité que nous appelons les chrétiens d’aujourd’hui.

 

 

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1 Message inspiré du travail de Jacques Varet.

2 Connaissance qui nous permet de faire du pain - et bien plus encore puisqu’avec de la petra-oleum, on tire le pétrole qui entre dans la composition de bien de nos objets usuels.

3 Père de l’école publique, fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme, prix Nobel de la Paix.