10/10/2011
Après les Etats-généraux du christianisme à Lille
Mon débat avec Jean-Pierre Mignard, sur le site de La Vie :
et le texte complet de mon intervention :
Vendredi 7 octobre, 15 h, Catho de Lille
« Faut-il désespérer de la politique ? »
Intervention de Patrice de Plunkett
Premier constat : dans la crise de 2008, provoquée par le comportement irresponsable de la sphère financière, aucun banquier n'a été traduit en justice ni condamné. Mais cet été, dans les émeutes de Londres, un pauvre qui volait un pack d'eau minérale était condamné à six mois de prison... Si c'est comme ça, oui, on peut désespérer de la politique.
Deuxième constat : lorsque le système des monstres bancaires mondiaux implosera de nouveau et que les Etats, cette fois, n'auront plus les moyens d'y remédier, on va aussi (d'une autre façon) désespérer de la politique.
D'autant que, rappelez-vous : c'est le politique lui-même qui s'est inféodé au système financier, dans les années 1990, quand la droite mais aussi la gauche (Tony Blair, DSK-Bérégovoy, Clinton, Schroeder, Prodi) ont renoncé à toute régulation, renonçant ainsi du même coup à la mission de l'Etat, et privant ainsi l'Etat de sa légitimité qui était le service du bien commun.
Un de mes confrères journalistes critique ce qu'il appelle le « capitalisme hors la loi »: l'imbrication entre le capitalisme de surface et les souterrains du capitalisme, fonds spéculatifs, opérations de capital-investissement rachetant des industries en difficulté pour les revendre après licenciement, agences de notation irresponsables, bureaux d'avocats spécialistes du brouillage des pistes... etc.
Mais en 2011 (en pleine catastrophe de la Grèce), à qui la Banque centrale européenne est-elle confiée ? à Mario Draghi, qui de 2002 à 2005 fut vice-président de l'une des banques géantes les plus sulfureuses, Goldman Sachs : banque qui poussa la Grèce dans la mauvaise direction, banque dont le président est menacé par une enquête sur son rôle dans la crise de 2008, pour avoir spéculé contre ses propres clients lors de la vente de prêts immobiliers toxiques, et pour avoir menti sous serment devant la commission d'enquête du Congrès... Et c'est à un ancien vice-président de cette banque que l'Union européenne confie maintenant son poste-clé.
Donc : connivence entre le politique et le casino financier ! Voilà où nous en sommes, à l'heure où ce casino met en danger l'économie réelle, donc la vie des peuples. Sommes-nous encore en démocratie, quand les lobbies financiers et le pouvoir des banques décident de la politique par dessus la tête des citoyens ? Jamais on n'a eu de banques aussi grosses, la crise ayant encore amplifié ce phénomène ; ces banques étant trop grosses pour qu'on les laisse s'écrouler, elles ont l'impunité qui leur permet de prendre les pires risques. Et jusqu'ici elles ont la puissance de faire échouer les tentatives de réglementation : le lobby bancaire refuse la réforme (pourtant urgente) qui séparerait les activités traditionnelles de dépôt, d'une part, et le casino spéculatif d'autre part... Quand on parle de faire cette réforme, les banques menacent de déplacer leur siège à Hongkong, et les gouvernements prennent peur.
Dans ces conditions, le président du Conseil économique et social, Jean-Paul Delevoye, a raison de dire : « Je croyais qu'on pouvait influencer les politiques de l'intérieur, je pense aujourd'hui qu'il faut les influencer de l'extérieur. Pour les aider à se poser les bonnes questions... »
Pour les aider, il va falloir parler très fort si l'on veut se faire entendre.
Donc réjouissons-nous de voir apparaître ces insurrections de la base que sont les mouvements d'« Indignés » : jeunes chômeurs espagnols, étudiants chiliens, contestataires américains, ils dénoncent la démission des Etats et la collusion scandaleuse entre les politiques, les financiers et les communicants médiatiques, le tout formant un engrenage qui mène au désastre.
Face à cela, nous chrétiens, où en sommes-nous ?
Ce n'est pas très brillant. Beaucoup d'entre nous ferment les yeux devant la véritable nature du système qui produit la crise et menace la vie des peuples. Nous répétons (de façon fausse) : « il ne faut pas désespérer ». Attention ! espérer et s'illusionner sont deux choses différentes. Jésus n'a jamais dit « bienheureux les aveugles » ! Nous n'avons pas le droit de fermer les yeux sur la véritable nature du système. Nous avons encore moins le droit de lui chercher des excuses, des faux-fuyants, et de justifier l'injustifiable à l'aide de slogans empruntés abusivement à la doctrine sociale de l'Eglise.
Et sous cet angle, posons une question fraternelle à certains de ceux qui organisent en ce moment des sessions, des colloques, des dîners-débats sur « le chrétien et la politique » : pourquoi n'invitez-vous jamais un syndicaliste, jamais un associatif, jamais un militant écologique, jamais – évidemment – un objecteur de croissance ? Pourquoi n'invitez-vous que des élus de la majorité, des membres du gouvernement et des patrons de grandes entreprises ? Les colloques catholiques ont-ils pour vocation de donner le micro aux puissants pour les entendre accuser les faibles et dire, par exemple, que les pauvres gens « qui ont obtenu dans des conditions trop faciles un crédit pas assez cher et qui ont pu ainsi acheter leur maison » seraient les responsables de la crise ? Oui, ceci a été dit, récemment, par un personnage connu, à un colloque catholique ! Alors attention à ce que dit saint Paul, épître aux Colossiens, chapitre 2, versets 6-15 : « prenez garde à ceux qui veulent faire de vous leur proie par leur philosophie trompeuse fondée sur les forces qui régissent l'univers, et non pas sur le Christ. »
Cela dit, il y a des signes de réveil.
Même si certains d'entre nous restent des somnambules, on en voit d'autres ouvrir les yeux sur ce qu'est devenue la politique, et sur l'urgence d'inventer une politique nouvelle.
Puisque le bulletin de vote ne suffit pas, l'action efficace sera la mobilisation populaire. Oui, si l'on ne peut plus influencer les politiques de l'intérieur, il faut les influencer de l'extérieur. En tant que citoyens, il faut agir en faisant pression sur le politique, national et international. Et ne pas nous contenter de discours moralisateurs... Accuser le greed, l'avidité, le délire de l'argent chez les individus ? sans doute : mais si l'on veut juguler ça il faut changer les structures. Déclarer : « L'ère du tout-financier est terminée », ce n'est qu'une incantation si l'on ne fait rien pour mettre fin concrètement à cette ère.
Ce qui suppose de lutter.
Et cette lutte, il faudra la mener au coude à coude : croyants et incroyants, parce que la réalité est la même pour tout le monde.
Les catholiques doivent se souvenir que la « doctrine sociale » de l'Eglise n'est pas un programme de parti : c'est la proposition, faite aux incroyants, d'une plateforme commune fondée sur les réalités de la condition humaine que nous partageons tous.
Alors qu'est-ce que les croyants apportent ?
D'abord l'altruisme de leur engagement fondé sur la foi. Jésus dit : « ce que vous faites au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites. »
Ensuite, leur liberté d'esprit face aux puissances de ce monde : une liberté qui bouscule les barrières entre la droite et la gauche, une liberté qui ne se laisse pas enfermer dans les tabous d'un milieu social ou d'un secteur d'opinion. En juin 1936, après la victoire du Front populaire, le cardinal Verdier (archevêque de Paris) appelle les catholiques à l'ouverture et à la générosité. Je cite ses propres termes : « Il faut sacrifier nos rancœurs, nos préférences politiques ou sociales, et dans une certaine mesure nos intérêts eux-mêmes. » Pour ces paroles, le cardinal secrétaire d'Etat Pacelli transmet alors au cardinal de Paris les félicitations de Pie XI.
La liberté chrétienne, l'altruisme chrétien, l'esprit chrétien d'innovation et de solidarités inattendues, d'où cela vient-il ?
Pour un chrétien, l'évangile n'est pas un catalogue de musée : c'est une lumière nouvelle chaque matin, une remise en question permanente de toutes nos attitudes mentales. Quand le pape Benoit XVI appelle à bâtir « la cité universelle de toute la famille humaine » et à changer le modèle économique, quand le document des évêques français Grandir dans la crise (2011) appelle lui aussi à changer le modèle économique, voilà un message typiquement chrétien: il est lancé au nom de l'amour et de la vérité, c'est-à-dire au nom du Christ qui est la vérité de tous les hommes.
En conclusion :
- le système économique est dans une impasse,
- il faut changer de système,
- c'est un tournant historique.
- prendre ce tournant est la seule manière de rendre du sens à la politique.
Voilà ce que je voulais vous dire.
11:46 Publié dans Cathophilie, La crise | Lien permanent | Tags : états généraux du christianisme