08/09/2011
Obama cède aux républicains : le "parti de l'ignorance volontaire" (dit le Nobel d'économie Paul Krugman)
Malgré les mises en garde des évêques, des médecins, des spécialistes de l'environnement, etc, Obama s'affaisse sous la pression de républicains aveugles aux réalités :
Niant la crise du capitalisme financier, niant les atteintes à la santé, niant tout, la droite américaine veut forcer Obama à trahir la totalité de ses engagements. Il s'agit ainsi de « le foutre à poil » et « d'avoir sa peau », comme on dit élégamment au Tea Party.
Obama n'est pas un homme d'Etat. Donc il capitule... Hier les évêques catholiques s'inquiétaient de sa capitulation sur les budgets sociaux, coupe exigée par les républicains et mettant en danger une partie de la population. Aujourd'hui Obama laisse tomber l'environnement. C'était pourtant un domaine d'action vital et économiquement salubre : la régulation anti-smog (par exemple) créerait des emplois, sauverait 12 000 vies par an et économiserait 100 milliards de dollars en dépenses de santé... Mais les républicains crient ! Obama cède. Il annule le projet de régulation d'émissions de polluants atmosphériques prévue en 2013... Colère de la société médicale de pneumologie : « Ne pas prendre de mesures plus protectrices met en danger la santé de millions d'Américains, ce qui est inexcusable. » Commentaire de la League of Conservation Voters : «L’administration Obama cède face aux gros pollueurs, au lieu de protéger l’air que nous respirons. C’est une énorme victoire pour les industries polluantes, une énorme défaite pour la santé publique.»
Et ce n'est qu'un début : le parti républicain exige maintenant la suppression de toutes les régulations environnementales fixées à l'industrie (« donc destructrices d'emplois » [1], dit-il). Il exige même la suppression de l'Agence pour la protection de l'environnement, agence approuvée par la Cour suprême, mais déclarée par l'ultra-droite « repaire de l'écologisme » [2] ).
Le principal aboyeur anti-environnement au parti républicain est Rick Perry, candidat à la candidature en 2012. Une très grande gueule... nonobstant le fait qu'il soit le fauteur d'un des pires déficits budgétaires des Etats-Unis : il a doublé le trou du Texas, Etat à la tête duquel il a succédé à GW Bush. (Perry se définit d'ailleurs comme « un GWB sans l'intellect », formule impressionnante). Autre élu texan (avec le soutien affiché des compagnies pétrolières), Joe Barton mène lui aussi la charge contre l'environnement. En 2010, à Washington, c'est lui qui avait tenu à présenter des « excuses de l'Amérique » au pétrolier BP « honteusement harcelé par l'administration Obama » à cause de la marée noire du golfe du Mexique.
Michelle Bachmann, égérie du Tea Party et rivale de Përry dans la course à la candidature républicaine, n'est pas en reste. Elle aussi déclare qu'elle interdira l'Agence de protection de l'environnement : « j'y fermerai les portes et les lumières ! ». Beau vocabulaire, très chrétien... (Mme Bachmann se prétend born-again, mais hurle dans les meetings « nous redeviendrons les plus grands et les plus forts » : programme de Moloch).
Atterré par ces républicains, le prix Nobel d'économie Paul Krugman écrit dans le magazine britannique The Observer (4 septembre) : « The Republicans are now the anti-science party : on climate change and evolution, the party's presidential hopefuls are wilfully ignorant. » [3]
Face à ces « espoirs présidentiels du parti républicain » qui sont des ignorants volontaires, le faible Obama ne fait pas le poids.
Ici, une réflexion sans rapport direct avec ce qui précède. Relire les vieux articles publiés par la presse française lors de l'élection d'Obama est une expérience instructive. Le nouveau président était « noir », cela semblait répondre à tout et suffire à tout : même à l'incertitude sur ses qualités d'homme d'Etat... On allait ensuite découvrir que ces qualités sont nécessaires à la fonction, et que l'intelligent Obama ne les possédait pas plus – dans un autre style – que l'inintelligent Bush. Et si la dimension ethnique n'était (finalement) pas aussi essentielle que le croient nos journalistes ?
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[1] pour les républicains, la désindustrialisation par les délocalisations n'est pas « destructrice d'emplois ».
[2] « Ecologisme » : concept disqualifiant forgé par le lobby pétrolier américain il y a dix ans (cf. l'enquête de Newsweek, 2004). Toute analyse concrète des problèmes environnementaux pouvant induire des mesures de protection est ainsi condamnée comme « écologisme » (« idéologie »). On fait semblant de préférer à « l'écologisme » une « écologie vraie », dénuée de contenu sinon verbal, donc « compatible avec la liberté économique » : en clair, avec la dérégulation libérale. Cette mystification pétrolière a une succursale religieuse, qui anathématise les défenseurs de l'environnement comme « païens adorateurs de Gaïa ». Elle a pris pied en France récemment.
[3] Ce diagnostic sévère, Krugman l'emprunte à... un notable du parti républicain, l'ex-gouverneur et ambassadeur Jon Huntsman Jr :
<< Jon Huntsman Jr, a former Utah governor and ambassador to China, [...] has been willing to say the unsayable about the Republican party in the United States, namely, that it is becoming the "anti-science party". This is an enormously important development. And it should terrify us. […] Mr Perry, the governor of Texas, recently made headlines by dismissing evolution […] But what really got people's attention was what he said about climate change : "I think there are a substantial number of scientists who have manipulated data so that they will have dollars rolling into their projects. And I think we are seeing almost weekly, or even daily, scientists are coming forward and questioning the original idea that man-made global warming is what is causing the climate to change." […] The second part of Mr Perry's statement is, as it happens, just false : the scientific consensus about man-made global warming – which includes 97% to 98% of researchers in the field, according to the National Academy of Sciences – is getting stronger, not weaker, as the evidence for climate change just keeps mounting. […] But never mind that, Mr Perry suggests; those scientists are just in it for the money, "manipulating data" to create a fake threat. In his book Fed Up, he dismissed climate science as a "contrived phoney mess that is falling apart". I could point out that Mr Perry is buying into a truly crazy conspiracy theory, which asserts that thousands of scientists all around the world are on the take, with not one willing to break the code of silence. I could also point out that multiple investigations into charges of intellectual malpractice on the part of climate scientists have ended up exonerating the accused researchers of all accusations. But never mind. Mr Perry and those who think like him know what they want to believe and their response to anyone who contradicts them is to start a witch hunt. >>
11:34 Publié dans Ecologie, Idées, La crise | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : obama, perry, bachmann, krugman, écologie, santé, états-unis
Commentaires
Et si les USA avaient la maladie de Chirac : l'anosognosie.
> L'Amérique est malade, très malade. Mais elle ne le sait pas, quelque chose en elle l'empêche de le reconnaître. Les républicains aboient, Obama cède, tout le monde agit comme si tout allait bien...
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Écrit par : Charles Vaugirard / | 08/09/2011
« un GWB sans l'intellect »!
> Mais est-ce que notre Education nationale, dans ses réformes actuelles, atteignant les programmes d'Histoire, de littérature, en sacrifiant aussi les filières industrielles (pourquoi former du personnel qualifié quand on délocalise?), ne cherche-t-elle pas à réaliser cet objectif pour nos enfants?
Ne pas penser, ne pas savoir, consommer et ne rien dire.
Se pose alors la question de comprendre pourquoi l'Eglise catholique est tellement attaquée quand elle défend la personne, la nature, le respect du travail.
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Écrit par : Albert E / | 08/09/2011
SAUCE AMERICAINE
> Obama "cède" tout simplement en vertu des règles de majorité aux USA, et également du fait que l'Etat fédéral n'est pas tout puissant vis à vis des états fédérés.
Cette manière institutionnelle est effectivement peu catholique, étant donné qu'elle est l'héritage direct du calvinisme à la sauce américaine.
Et n'oubliez pas qu'aux USA, on vous dira volontiers: " ok, tout ceci est bien beau et généreux, mais qui paye?"
D'où l'importance, là bas, de la "philanthropie privée".
De fait, les américains n'aiment pas le "big governement", et l'équivalent des "technocrates de Bruxelles" est "les bureaucrates de Washington".
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Écrit par : protagoras / | 08/09/2011
SA PEAU
> Impressionnant. Obama veut absolument arriver à un accord avec des gens qui veulent ouvertement sa peau. Ces gens ont la plus grande couverture médiatique, le plus d'influence, la plus grande notoriété. Ils ne sont pas la majorité. Tout le reste a le droit de se taire. Tous les autres doivent obéir à ces injonctions médiatiques, aux injonctions des marchés financiers, aux injonctions des experts très souvent vendus à des lobbies.
Le reste n'a pas les moyens d'acheter des espaces publicitaires, de payer des études démontrant la justesse des préjugés, de s'offrir des tribunes dans des lieux publics. Le reste n'est pas adéquat aux grandes envolées, aux déclarations fracassantes passant très bien dans des journaux à sensation.
Le reste suit, silencieux, contraint par ce silence à subir un monde où ils ne comptent pas quand ils ne sont pas traités comme de la marchandise jetable.
Obama tente de renouer entre ces méprisés et les gens qui veulent sa peau. Il tente de redonner une unité à son pays en respectant ceux qui le méprisent et en demandant aux méprisés des efforts supplémentaires. Son discours sur les emplois n'est qu'une manoeuvre pour ramasser des voix chez les méprisés. Mais sa grande idée est un échec.
Son pays est divisé par l'argent, par le mépris, par l'arrogance, par le découragement, par la pauvreté et par la richesse, par la foi en soi même poussée au paroxysme, par la résolution des différents selon les rapports de force, par l'idée que la vision d'un groupe doit écraser celle de tous les autres car elle est la plus forte, par l'incapacité à synthétiser, à relier plusieurs visions, par le déni du principe de réalité, par la foi aveugle dans des constructions théoriques, par l'idée que les relations financières permettent toutes les relations humaines. La division est incroyablement profonde, totale, absolue.
L'effort d'Obama pour réparer cette division m'apparaît pathétique. Il y croit. C'est un échec. S'il est réélu, j'ai peur de ses réactions. Elles seront vraiment brutales car il tentera par la force de réunir ses concitoyens. Nous le suivrons car leur modèle de civilisation est notre modèle. J'ai peur des suites de tout cela.
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Écrit par : DidierF / | 08/09/2011
LES DEUX
> D'accord sur le fond, cher Albert, mais je reste persuadé que l'on peut être ignare et intelligent ou cultivé et "con" . GWB était les deux....Je connais une charmante grand-mère de 85 ans qui était couturière avec juste son certif et qui écrit des poèmes superbes. Elle crée aussi des contes pour enfants qu'elle lit lors d'ateliers de lecture et de création avec des écoliers. Elle manie la langue avec une finesse et une élégance qui me laisse à chaque fois pantois et envieux. Mais c'est vrai qu'elle n'a pas de TV !
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Écrit par : VF / | 08/09/2011
QUITTONS LE NAVIRE
> "Il sont fous ces Ricains" eût dit Obélix.
Et surtout, l'impuissance du président, bien que métis, et la déconnexion des deux camps d'avec le réel ne sont qu'un effet du déclin pour ne pas dire décadence des Etats-Unis.
Mais voilà ils parviennent encore à fasciner, c'est un effet du formidable échec soviétique. Cela cessera, mais le plus tôt sera le le mieux: nous, pauvres rats, pour ne pas être faits, devons quitter le navire "Atlantique" avant qu'il ne sombre.
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Écrit par : Pierre Huet / | 08/09/2011
CHEFS D'ETAT
> Vous parlez cher PP de qualités de chef d'Etat: je me demande si aujourd'hui, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, quelqu'un les a.
Tout d'abord VF a raison, et les récentes discussions sur ce blog vont en ce sens: nos écoles, petites et dites grandes, loin d'en construire, ferment les intelligences en les bourrant de fausses évidences, les gonflant de certitudes erronées et de suffisance de classe, les étourdissant de débats oiseux,les fermant quasi définitivement à tout appel du réel.
Ou pour dire autrement: on connecte entre eux des cerveaux dans un jeu virtuel où chacun a sa chimère composée par les médias etles conseillers en communication, et toute connection avec le réel est coupée.
Ensuite, les bonnes idées ne suffisent pas: notre mode de vie est peut-être le plus grand obstacle à la formation d'hommes et de femmes aptes au gouvernement.
Et tout d'abord son rythme fiévreux qui nous empêche de trouver la paix intérieure nécessaire, de garder en nous cet espace de silence où aller puiser la force, trouver la clairvoyance nécessaires à toute décision. Nos Hommes d'Etat n'agissent que sur la surperficialité des événements, quand les profondeurs leur échappe, parce qu'ils se laissent vivre à ce niveau, dans le tumulte entretenu et sur lequel surfent les médias, en assourdissant le peuple de plus en plus moralement à bout.
Enfin notre esclavage inconscient au superflu devenu, (merci Monsieur Voltaire!), nécessaire, fait que nous sommes des esclaves dirigés par des esclaves. Tant qu'un chef d'Etat ne peut se concevoir sans son jet privé et sa rolex, il n'y a pas d'homme d'Etat. Encore une fois: juste une chimère.
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Écrit par : Anne Josnin / | 09/09/2011
En réponse à VF:
> Il ne s'agit ni plus ni moins que de la célèbre expérience de ce pharaon qui avait enfermé des enfants, sans maître, sans contact avec le monde humain pour prouver que la langue égyptienne d'alors était la langue des dieux.
A l'âge de raison ils furent libérés et parlaient par bêlements .... Leur hébergement côtoyait une bergerie!
Moralité: Si l'intelligence ou l’esprit de finesse sont des dons, ils fleurissent et s'épanouissent selon le terreau qui les porte. Plus celui-ci est fertile, plus l'ambiance est propice à l'éveil des facultés mentales, plus les personnes ont une richesse intérieure et un esprit en éveil.
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Écrit par : Albert E / | 09/09/2011
LE SYSTÈME
> Obama illustre bien le système sans lequel nous somme et qui nous écrase comme un pressoir mu par un mécanisme à cliquet.
Les hommes "de droite" démolissent les moeurs, de la loi Veil-Chirac-Giscard, et ceux "de gauche" financiarisent l'économie, le tandem Mitterrand-Bérégovoy ayant fait très fort en ce domaine.
L'avantage de prendre des décisions à contre-pied de son électorat est capital: elle semblent ainsi inévitables.
Une autre illustration dU processus est le développement frénétique et pas écolo du tout du Brésil de "Lula" da Silva . Il a bien eu la gauche !
PH
[ De PP à PH - A Mitterrand et Bérégovoy on peut ajouter Strauss-Kahn le Dérégulateur, en faveur de qui la moitié de la bourgeoisie française s'apprêtait à voter... s'il n'y avait eu la calamité new-yorkaise. Belle preuve d'aveuglement face à ce que Jorion appelle "Le capitalisme à l'agonie". (Livre paru chez Fayard en mars dernier. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Pierre Huet / | 11/09/2011
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