19/04/2011
Avignon : offensive médiatique de l'art-des-traders
Philippe Dagen et Andres Serrano s'emparent du micro :
La destruction de la photo de Serrano, dimanche en Avignon, suscite l'effet prévisible : un coup de pub pour l'exposition du marchand Lambert – qui avait végété jusque là, cette forme d'art intéressant plus les spéculateurs que le grand public.
Le premier pubeur sur les rangs est le journaliste ultralibéral Philippe Dagen, selon qui toute critique du marché relève du totalitarisme. Dans Le Monde daté du 19 avril, il donne sa vision de l'affaire de dimanche : le coup vient, dit-il, de l'Eglise. M. Dagen aurait pu s'informer auprès de sa consoeur Stéphanie Le Bars : elle lui aurait expliqué que la manifestation du samedi fut montée principalement par les schismatiques lefebvristes, de l'aile la plus opposée à tout rapprochement avec Rome [1] ; c'était l'un des motifs pour lesquels l'archevêque d'Avignon avait tenu à se distancer de cette manifestation, le vendredi, dans son interview à Radio Notre-Dame... Mais ce genre de nuances n'intéresse pas le marché de l'art. M. Dagen fait comme si un petit abbé dissident (plus catholique que le pape) était un porte-parole de l'Eglise ; il y ajoute une allusion à deux microcéphales de la droite US, et basta.
Dans Libération de ce matin, la parole est au principal intéressé : le photographe new-yorkais Andres Serrano, auteur de Piss Christ. « Je n'ai aucune sympathie pour le blasphème », déclare-t-il. Ajoutant : « Je suis moi-même chrétien, et plus encore je suis un artiste chrétien [2]. Ma maison est pleine d'oeuvres sacrées des XVe et XVIe siècles. Je n'ai rien d'un blasphémateur... C'est tout le contraire de ma nature... Si en faisant appel au sang, à l'urine, aux larmes, ma représentation déchaîne des réactions, c'est aussi un moyen de rappeler à tout le monde par quelle horreur le Christ est passé... »
De fait, la crucifixion était un supplice particulièrement dégradant sur le plan physiologique : d'où la répulsion qu'elle inspirait, et le fait que les premiers chrétiens aient mis longtemps avant d'oser faire de la croix leur emblème. (Dans un premier temps ils ont préféré le symbole du Pasteur, ou celui du poisson : ichtus, anagramme grec de « Jésus-Christ-Fils-de-Dieu-Sauveur »).
Mais Serrano pense-t-il ce qu'il dit ? Se déclarer « chrétien » ne suffit pas pour l'être, si l'on songe que Mme Morano se déclare catholique parce que ses parents l'emmenaient quelquefois à la messe de minuit quand elle était petite. Avoir une maison « pleine d'oeuvres sacrées des XVe et XVIe siècles » prouve que le photographe a des moyens financiers – et meilleur goût chez lui que dans ses oeuvres ; cela ne prouve pas qu'il adhère au Credo. Je connais de sceptiques esthètes qui vieillissent entourés de statues baroques, notamment des saint Sébastien.
Non, la vérité de cette affaire est dans l'article de Jean Clair que nous citions dans la note d'hier. Serrano n'est que la version « religieuse » (!) de la surenchère sado-maso qui sert de viagra au vieil art contemporain exténué par quatre-vingts ans de surenchère ; comme dans tous les problèmes de la culture actuelle (ou de ce qui porte ce nom), le moteur est financier. Le capitalisme tardif asphyxie la culture comme il tue les emplois et les communautés humaines. M. Serrano est un pion dans la spéculation, M. Lambert et M. Mézil sont des opérateurs. Et M. Dagen ne vous le dira jamais.
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[1] Ceux qui traitent Benoît XVI d'infâme «mondialiste » et Jean-Paul II de « crypto-musulman ».
[2] Libération lui dit : « Le commando d'Avignon a aussi détruit une photo d'une soeur méditant dans une église parisienne, de la série Churches... ». Réponse de Serrano : « J'ai en effet pris une série de photographies d'églises, en France, en Italie et en Espagne. Et aussi de gens qui représentent l'Eglise, comme cette religieuse à Paris. C'était une manière pour moi de réaffirmer ma foi, et mon engagement comme artiste chrétien. Vous savez ce que je rêve de faire ? J'aimerais travailler au Vatican, réaliser une grande oeuvre religieuse à Rome, dans les églises de la cité pontificale. J'aimerais que le Saint-Siège comprenne que je suis un artiste profondément chrétien de mon temps. »
11:38 Publié dans Cathophilie, La crise, Société | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : piss christ, avignon, andres serrano, philippe dagen, jean clair, ultralibéralisme, capitalisme, spéculation, intégristes, christianisme, catholiques, benoit xvi
Commentaires
RIEN
> Serrano aurait dit : "C'était pas l'urine, c'était de la bière". Ah je respire ! Il ne s'est finalement rien passé ...
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Écrit par : Roque / | 19/04/2011
FESTIVAL DE BOUFFONNERIE, JOURNALISTES PUBLICITAIRES
> Décidément, c'est un festival de bouffonnerie actuellement dans la presse ; dans le genre grand guignolesque, le Monde vient de publier un article : "Le vandalisme religieux est une constante dans l'histoire". Quand on sait la couverture médiatique (i.e. presque nulle) dont font l'objet les centaines d'églises vandalisées chaque année en France, on saisit mieux l'humour du quotidien vespéral.
Le vandalisme religieux est effectivement une constante dans l'histoire : à travers l'Europe, on ne compte plus depuis 2 siècles les églises et autres objets d'art sacrés détruits, saccagés ou simplement abîmés. Ah pardon, on ne parle pas de ça, juste des quelques oeuvres "artistiques" qui ont réussi à énerver quelques croyants, bien bêtes mais peu dangereux, à force de plonger dans la surenchère blasphématoire. Ce qui les a dispensé d'être esthétiquement réussies pour être connues...
On a affaire à des clowns qui se prennent au sérieux, et les médias acceptent de mettre en musique ce cirque marketing. Qu'ils ne s'étonnent pas de perdre leurs lecteurs : qui aurait envie de payer pour des journalistes ramenés à un rôle de publicitaires ?
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Écrit par : Gilles Texier / | 19/04/2011
PAR LE MEPRIS
> "Mais Serrano pense-t-il ce qu'il dit ? Se déclarer « chrétien » ne suffit pas pour l'être, si l'on songe que Mme Morano se déclare catholique parce que ses parents l'emmenaient quelquefois à la messe de minuit quand elle était petite."
Morano, Serrano... Comme on demandait à sainte Bernadette en 1870... "Ma soeur vous n'avez pas peur? Les Prussiens arrivent." Sa réponse:"Je ne crains qu'une chose: les mauvais catholiques."
Je pense en outre qu'on en fait beaucoup sur cette histoire. M Serrano ne cherchait qu'une chose comme il a été dit dans divers posts hier: une réaction. Le meilleur cadeau qu'on puisse lui faire c'est de réagir (et même comme je le fais là c'est déjà trop).
La meilleure chose que l'on puisse en réalité offrir à l'oeuvre de M Serrano, c'est notre mépris; ne pas aller la voir, ne pas en parler, ne pas réagir. Le Christ n'a pas fait autrement. A mon avis la réaction de Mgr Cattenoz était déjà de trop; ces artistes sont des enfants qui n'attendent que ça.
M Serrano me fait fait penser à cet artiste belge dont j'ai oublié le nom, qui peint avec ses excréments... que peut on dire devant quelque chose d'aussi dépitant? Rien. Tourner les talons et faire comme si de rien était.
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Écrit par : ND / | 19/04/2011
LAPAQUE ET BLOY
> « Léon Bloy aurait probablement adoré Piss Christ, ce tableau qui dit tout en deux mots. » Sébastien Lapaque, dans TC, n’est pas avare d’éloges pour l’œuvre de Serrano, afin de dissiper la « méprise » dont nous fûmes apparemment saisis par la faute de nos passions étriquées de « baptisés avec des cerveaux de singe ou de mouton ». Bravo pour le style. SL manie l’art atemporel du contrepied pour nous faire saisir la profonde épaisseur mystique du choc des contraires qu’incarne cet art contemporain : « Le Christ et la pisse : ce sont les deux extrémités entre lesquelles l’humanité se débat, plus prompte à se noyer dans celle-ci qu’à se jeter aux pieds de celui-là. Un chrétien ne peut pas s’effrayer de la coexistence des opposés : c’est le grand mystère. » S’il est vrai que les auteurs spirituels nous incitent, avec raison, à ne nous effrayer ni nous étonner de rien, il demeure que la grâce n’abolit pas la nature, et que se dérobe peut-être à notre sensibilité outragée la grâce cachée de ce latens Deitas qui, sous ces apparences outrageantes, vraiment prend corps en notre humanité trouble. Pourquoi pas, après tout ? L’hypothèse d’une béate adoration de Bloy pour Serrano est audacieuse. On n’en attendait pas moins de Lapaque, qui ne nous surprendra vraiment que le jour où il ne nous surprendra plus. On peut tout aussi bien émettre l’hypothèse inverse, que le citoyen de Cochons-sur-Marne aurait vomi de toute sa violence intérieure cet art-des-traders qui incarne par l’absurde l’inceste éternel de l’argent et de la bourgeoisie. Dans ce cas, SL a bien de la chance en effet que Bloy soit mort (pour paraphraser le vieux Bruckberger, égratignant les amis posthumes de Bernanos). Ouf ! Un siècle de moins et Lapaque risquait la brouille éternelle avec son vieux maître. Mais il fallait bien un avocat catholique à Serrano. A défaut, il aurait manqué une pièce savoureuse au cirque critique médiatique. Et reconnaissons que Lapaque, vrai talent tempéré par l'obsession de déplaire (ce qui vaut toujours mieux que la médiocrité sauvée par le désir de plaire), est bien meilleur avocat pour Serrano que Serrano ne l’est pour lui-même. L’artiste proteste de sa bonne intention, certificat de baptême à l’appui. Il ne lui manque que le billet de confession pour s’approcher des saintes espèces. L’intention, en effet, est tout dans cette affaire. C’est elle qui crée le scandale, puisque sans sa révélation, nul n’aurait deviné quelque blasphème urinaire à la seule vue de l’œuvre ; et c’est elle qui le répare, puisque, juré-craché si j’mens j’vais en enfer, ladite intention est noble et droite. Paradoxe : depuis quand l’artiste contemporain voudrait-il enfermer son public dans une interprétation prédéterminée de son œuvre ? Quelle violence bourgeoise ! En art contemporain, le signifiant objectif ne s’effacerait-il plus par nécessité devant la grandeur spontanée du signifié subjectif, cette fameuse réception par le public, qui fait de chaque œuvre autant d’œuvres que de contemplateurs ou contempteurs ? Le règne absolu du ressenti relatif serait-il en passe d’être aboli par Serrano ? Ce serait, assurément, un blasphème que TorquéTélérama ne manquerait pas de relever ! Et s’il plait au public de voir dans l’œuvre un blasphème, n’est-ce pas là son-choix-son-droit ? Poussons plus loin. Et s’il plait à quatre zélotes de transformer l’œuvre à coups de marteau et de pic à glace pour filer la métaphore de l’intolérance, n’est-ce pas là participation à l’œuvre créatrice permanente qui s’affranchit d’une réception passive protégée par plexiglas ? Ce plexiglas protecteur n’est-il pas violence ? N’est-il pas vol du désir créateur du public ? N’est-il point bourgeois que de vouloir garder l’intégrité de l’œuvre comme un petit philistin-épicier de province garderait les limites cadastrales de son jardin ? L’œuvre n’est-elle pas encore plus belle ainsi, défigurée par la violence auquel le Christ lui-même a choisi librement d'être livré ? Puisque « Bloy aurait adoré » que l’on s’en prenne ainsi au Christ dans la « coexistence des opposés », cette coexistence des opposés n’est-elle pas précisément attestée par, d’une part la pureté originelle de l’œuvre civilisatrice d’un érudit et, d’autre part, sa transformation-recréation par l’abjection barbare de quelques zélotes incultes. Certainement, ces zélotes ont fait dimanche une œuvre d’art contemporain. Vive l’abject-art ! Et puisque Lapaque croit aux miracles au point de faire parler – morbleu ! - le mort Bloy, je souscris à cette même croyance en affirmant que Bloy « aurait probablement adoré » l’acte créatif des quatre zélotes. Décidément, à propos d'art contemporain, on peut dire tout et son contraire, tout et n’importe quoi,… et de préférence n’importe quoi. CQFD.
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 20/04/2011
DUCHAMP
> 80 ans de surenchère ? Je pense qu'il faut remonter à 1917 : avec son oeuvre "Fountain" Marcel Duchamp a mis le vers dans le fruit en déclarant "this is a work of art if I say so".
Tout le monde, sans distinction de classe ou de culture, fait comme si cette lente et longue descente aux enfers de l'art est un phénomène de société anodin, sans conséquence, comme si "il faut bien que jeunesse se passe", ou comme si "cet art, comme tous les arts de tous les temps, est incompris du vivant de leurs auteurs" etc... autant de discours convenus et hypocrites qui masquent une profonde crise de l'esprit. Je crains que Jean Clair ne se réveille un peu tard et, pour avoir souvent lu ses critiques, que son discours ne soit parfois ambigu. La crise de l'argent nous touche en surface. Celle de l'art nous atteint en profondeur.
Allez donc voir les écrits de combat d'un ex-acteur culturel sur mon site :http://sites.google.com/site/fredericripoll/
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Écrit par : Frédéric Ripoll / | 20/04/2011
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