01/03/2011
John Le Carré, oxfordien lucide (sur le néant "occidental")
Le grand romancier de la guerre froide (L'espion qui venait du froid, La taupe, Comme un collégien, Les gens de Smiley, Les chandelles noires, Un pur espion...) fait don de ses manuscrits à la bibliothèque d'Oxford :
Lui-même est un ancien d'Oxford, comme le personnage-clé de ses romans : George Smiley, le maître-espion britannique. Smiley est érudit et pointilleux, sentimental et efficace, loyal et désabusé. Il ne se fait pas d'illusions sur le camp qu'il défend face à l'URSS. Smiley sait que l'Angleterre (dont il craint qu'elle ne soit devenue absurde) a perdu sa stature mondiale. La vassalisation envers les Etats-Unis le consterne. Il les voit comme l'empire du néant, voué à l'échec mondial en raison de son vide et de sa technolâtrie. C'est d'ailleurs l'avis de Le Carré lui-même... Ainsi, dans Un pur espion, cette scène de réunion de la CIA dans une pièce ultra-sécurisée de l'ambassade américaine à Londres :
« Dix hommes étaient installés dans une pièce aménagée à l'intérieur d'une autre pièce. Percées dans de faux murs, de fausses fenêtres donnaient sur des fleurs artificielles. C'est dans des endroits comme celui-là que l'Amérique a perdu ses guerres contre les petits hommes bruns en pyjama noir. C''est à cause d'endroits comme celui-là – de ces pièces aux vitres fumées, coupées du reste de l'humanité – que l'Amérique perdra toutes ses guerres... »
Le Carré allait condamner (violemment) les deux guerres américaines contre l'Irak. Il allait ainsi montrer dans la vie réelle la sincérité de ce qu'il disait dans ses grands romans : le camp « occidental » est moralement vide, artificiel, indéfendable depuis la disparition de son faire-valoir soviétique. Certains cherchent aujourd'hui un substitut à l'indispensable Ennemi du temps de la guerre froide ; ils croient l'avoir trouvé dans l'islam ; c'est une erreur de perspective à l'échelle historique. D'autant que Saddam, à l'époque où Le Carré protestait, était le plus grand ennemi de l'islamisme... mais que c'était lui, Saddam, que l'Occident voulait détruire, pour des raisons occultes et pétrolières.
« L'Occident » n'existe pas moralement. Le monde entier s'en rend compte. C'était déjà le cas dans les années 1960-1970 ; c'est éclatant aujourd'hui. George Smiley avait raison de s'interroger. Souhaitons-lui un paisible repos dans les archives d'Oxford, et faisons un signe d'amitié à Le Carré.
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10:14 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : etats-unis, angleterre, john le carré, cia, george smiley, occident
Commentaires
PLUS POUR LONGTEMPS
> "Consomme, b... et ne réfléchis pas" : pas besoin d'être un réactionnaire ou un islamiste pour savoir qu'une "civilisation" fondée sur ces "valeurs" n'en a plus pour longtemps...Et c'est tant mieux : ce qui serait vraiment déprimant, ça serait que les médias et les publicitaires aient raison, que le comportement animal soient l'horizon indépassable de l'humanité, qu'il n'y pas de soif d'absolu en l'homme ou que cette recherche de Dieu soit secondaire, remplaçable par des cours de tai-chi-chouan ou toute les formes de pseudo-spiritualité que propose cette société de consommation.
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Écrit par : Gilles Texier/ | 01/03/2011
UN ROMAN
> Je recommande : "Single and Single" a novel by John le Carré. It is the story of a British Customs and Excise officer on the trail of elusive fraudster Tiger Single. Helped by Tiger's son Oliver, Brock of Customs and Excise unravels the mystery of an international money-laundering operation.
Je ne connaissais aucun de ses romans d'espionnage mais ce thriller vaut son pesant de noix de cajou (c'est pour changer des cacahuètes...) sinon the Constant Gardener est aussi un chef d'oeuvre qui plus est excellemment bien adapté à l'écran.
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Écrit par : Louis Chaise/ | 01/03/2011
THE CONSTANT GARDENER
> D'accord avec Louis Chaise pour the Constant Gardener: à lire et à voir!
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Écrit par : Anne Josnin/ | 01/03/2011
DANS "UN PUR ESPION"
> Cette évocation hallucinante de l'Amercan Dream :
"Le paysage de mer morte de Palm Springs où les petites voitures de golf avaient des grilles de Rolls-Royce, où les monts de Moab donnaient sur les stucs pastel et les bassins rocheurs artificiels de notre motel fortifié, et où des Mexicains clandestins arpentaient les pelouses, armés de sac à dos, pour ramasser les feuilles invisibles qui auraint pu offenser la sensibilité de nos camarades millionnaires. Imagine l'extase d'Axem en apercevant les climatiseurs extérieurs qui humidifaient l'air désertique et soufflaient une brume microscopique sur les corps recouverts de boue verte qui lézardaient au soleil. Dpois-je te raconter le dîner de la Palm Springs Humane Society pour l'adoption des chiens [...] ? Te dire comment les chiens pomponnés, enrubannés, étaient menés sur scène afin d'être proposés à des dames profondément charitables et maternelles qui sanglotaient comme s'il s'était agi d'orphelins vietnamiens ? Dois-je te parler de cette station de radio qui claironnait la Bible à longueur de journée et représentait le Dieu chrétien comme le champion de la richesse puisque la richesse était l'ennemie du communisme ? [...] Une piscine pour cinq habitants et, à deux heures de route de là, tournent les plus grosses usines de mort du monde..."
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Écrit par : churubusco/ | 02/03/2011
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