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19/02/2011

Ne pas regarder en arrière...

"N'aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n'hésite pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d'un péché à son égard... Tu aimeras ton prochain comme toi-même..." :


(texte de ce dimanche : Lévitique 19, 1 -2, 17-18).

 

C'est l'un des deux textes de l'Ancien Testament [1] d'où Jésus tire son « plus grand commandement » [2]. Aimer son prochain comme soi-même implique l'absence de haine envers lui, et tout homme est notre prochain : y compris celui que nous voyons « ennemi », ajoute Jésus dans l'évangile. La vraie foi en Dieu interdit la haine : l'aversion instinctive cachée sous des prétextes, religieux ou séculiers. C'est une leçon pour nous tous.

D'autant que ce passage du Lévitique souligne - aussi - la légitimité de la controverse, avec le « compagnon » (traduction AELF) ou le « compatriote » (traduction TOB). Cela « pour ne pas nous charger d'un péché à son égard » (TOB) : le péché de ne pas lui avoir dit par où son attitude ou son point de vue sont discutables. Ou bien « pour ne pas partager son péché » (AELF) : partage qui consisterait à faire bloc sous prétexte qu'il s'agit d'un compatriote ou d'un « compagnon », associé à nous dans la citoyenneté ou l'appartenance (y compris religieuse : compagnon est le terme dont useront les confréries pharisiennes au Ier siècle av. JC). Et c'est une autre leçon en 2011 : ne pas faire bloc aveuglément, entre laïcs, sur n'importe quel présupposé, comme si le catholicisme était un clan uni par des « mots de la tribu » - alors qu'il est le contraire... Il ne reçoit son unité que de la vérité, qui n'est pas une doctrine, mais une personne, le Christ : on doit Le suivre où qu'Il mène, en oubliant nos mots de passe et nos tics tribaux. Quand nous renâclons à Le suivre parce que nous sommes aveuglés par un tic tribal, nous méritons la réprimande ; surtout si ce tic exprime une haine envers le prochain (n'importe quel prochain, tous étant nos frères).

La directive aimer son prochain comme soi-même dépasse infiniment la question de la réprimande éventuelle, mais en l'incluant. Cette directive est encore moins « négociable » que celles du Magistère, puisqu'elle vient directement du Christ. Et nous ne pouvons lui opposer aucune exception : pas plus dans le domaine du bien commun politique, économique et social que dans les autres domaines. Aimer son prochain comme soi-même est la façon chrétienne de coopérer au bien commun. Si un compatriote ou un « compagnon » a une attitude ou un point de vue qui blessent cette coopération, il mérite une « réprimande ». Ne pas réprimander en pareil cas serait un « péché ». La réprimande doit s'exercer sans haine, évidemment, mais elle doit s'exercer.

L'histoire de la chrétienté médiévale est pleine de controverses, souvent âpres, et qui concernent très souvent la Cité - c'est-à-dire la façon de servir (ou trahir) le bien commun ! Lisez la plaidoirie du théologien Jean Gerson contre celle du théologien Jean Petit, à Paris, en 1413. Gerson y va sans ménagements, dénonçant Petit comme « hérétique et scandaleux » alors qu'il s'agit d'une question politique : le conflit armagnacs-bourguignons, qui va entraîner le royaume dans une catastrophe... En 1413, personne ne s'étonne que Gerson parle aussi net : c'est le bien commun qui est en jeu. On peut devenir « hérétique et scandaleux » quand on détourne la théologie du bien commun pour justifier une oppression. Tout n'a pas la même gravité, mais tout se tient : toute injustice commise pollue la conscience ; tout sophisme contamine la sincérité. On ne suit pas le Christ en marchant de biais, ni en regardant en arrière.

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[1]  L'autre est : Deutéronome 6,5.

 [2]  Matthieu 22.

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Commentaires

EN SOLO

> Faire bloc pour se tenir chaud est une tentation quand il fait froid, mais les missionnaires de la grande époque n'ont pas eu peur de partir risquer leur vie en solo.
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Écrit par : Nati/ | 20/02/2011

ALORS ET AUJOURD'HUI

> Controverse oui, mais nous ne sommes plus au Moyen-Age, même si c'est il est vrai une époque a bien des égards lumineuse pour nous citoyens du XXIème siècle!
D'abord nous ne sommes plus en chrétienté, et un monde qui ignore tout des nuances de notre doctrine nous regarde à l'occasion, prêt à comprendre de travers et prompt à s'indigner. Ensuite nous sommes à la fois plus éveillés au respect de la conscience et de l'intimité du coeur de toute personne humaine ("vous êtes le temple de l'Esprit"), et paradoxalement plus vulnérables aux multiples techniques de manipulation "au nom d'un Bien supérieur" (je ne sais par exemple si l'histoire horrible du fondateur, et donc aussi de la fondation, des Légionnaires du Christ, eût été possible au Moyen-Age).
Il est à la fois nécessaire de réhabiliter la controverse et la disputatio entre nous, sans biaiser (saint Paul et saint Pierre ne s'en sont pas privés!), et de tracer le cercle sacré qui protège chacun de toute intrusion, "au nom de la correction fraternelle", dans sa conscience, son coeur, son âme.
Pourquoi le Christ dit-il à Judas, alors qu'il les quitte pour aller vendre son Seigneur,:
"ce que tu as à faire, fais-le vite" ?
Il me semble qu'alors, la décision prise en conscience par Judas, non que Jésus l'approuve, mais Il la respecte, et Il tient à exprimer ce respect. D'une certaine manière aussi, Il va jusqu'à épouser par avance la mauvaise conscience de Judas pour qu'alors, lorsqu'il sera torturé par le remord, il se sache accompagné.
Si j'ai bien compris, cela signifierait alors que notre rôle consisterait non à corriger l'autre pour se donner bonne conscience, mais, après avoir fait tout ce qui était possible pour être lumière auprès de nos frères, de porter avec eux, voire à leur place? le poids de leur mauvaise conscience. pour reprendre (de mémoire) Dostoïevski:
"Nous sommes responsables de tout et de tous devant tout le monde, et moi plus que les autres"
En sachant que Celui qui porte tout ultimement, c'est Jésus, et c'est pourquoi le fardeau qui nous revient est si léger!

AJ

[ De PP à AJ - Je ne cite l'exemple de Gerson que pour montrer ce que fut réellement le Moyen Âge chrétien, à ceux qui croient (pour l'en féliciter ou l'en blâmer) que c'était une époque monolithique. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Anne Josnin / | 20/02/2011

CORRECTION FRATERNELLE

> Oui, la controverse est absolument essentielle en notre temps comme au Moyen-Age. Le politiquement correct - vilipendé dans les milieux cathos à juste titre - a son pendant chez ceux qui voudraient voir censurées toutes attaques contre l'Eglise: il s'agit d'une vision de l'homme qui devrait être protégé contre toute blessure d'amour-propre parce qu'il serait faible.
Une juste vision de la conscience de l'adulte ne se pose pas la question de protéger celle-ci: elle est un sanctuaire inaliénable dans lequel nul ne peut pénétrer. Jamais la polémique la plus violente, la propagande la plus insidieuse n'enlèvent à l'adulte la possibilité de porter son propre jugement. C'est dur à dire, plus dur encore à entendre peut-être, mais c'est ainsi, les résistants à toutes les formes de totalitarisme sont là pour nous le rappeler.
Le devoir de correction fraternelle est donc absolu et ne saurait être limité par aucun scrupule. Ce que l'on entend, on l'écoute - ou pas - on le juge et on en fait ce qu'on veut. Mais refuser de parler ou refuser d'entendre, c'est sans doute cela le pire. Si je me soumets sans réflexion au jugement d'autrui, c'est moi qui en suis le responsable et non l'autre. Ou alors, c'est que je suis immature et c'est un autre problème qui ne sera de toute façon pas résolu par le silence de mon frère.
La correction fraternelle est la contrepartie vitale de la liberté de la conscience. Sans cette correction, la liberté de la conscience devient pur subjectivisme, enfermée dans une forme d'autisme spirituel mortifère.
J'ai le droit et le devoir d'obéir à ma conscience, c'est un absolu. Le corollaire de cela c'est que j'ai le devoir d'écouter autrui qui éclaire ma conscience et j'ai le devoir de parler pour l'éclairer.
Si j'obéis à ma conscience - même erronée - je suis juste et ne commets aucun péché, aucune faute subjective. Il faut le rappeler car c'est sur ce principe que repose l'idée qu'on ne peut juger les personnes ce qui ne dispense pas d'en juger les actes. En effet, en obéissant à ma conscience, je puis quand même commettre une faute objective, douloureuse - voire scandaleuse - pour autrui. C'est là que la correction fraternelle devient un devoir pour rétablir l'objectivité de la vie morale. C'est ce qui distingue la doctrine chrétienne du relativisme ambiant qui voit dans le discours de l'Eglise une intolérable intrusion dans les consciences.
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Écrit par : Hubert Houliez/ | 21/02/2011

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