03/01/2011
Climatologie : après la marée noire obscurantiste de 2010, la science reprend la parole
En France, voici le livre du glaciologue Claude Lorius :
Claude Lorius est l'un des meilleurs scientifiques français : glaciologue, il est l'auteur des carottages de glace profonde réalisés aux pôles, qui ont démontré le rôle majeur des gaz à effet de serre sur la température terrestre… et prouvé que la production de dioxyde de carbone était responsable du réchauffement climatique moderne. Autrement dit : le système économique actuel est en cause, et doit être modifié pour le bien commun de l'humanité – indissociable de celui de la planète (sauf aux yeux d'aveugles guidés par des escrocs [1]).
Le livre de Lorius vient de paraître chez Actes Sud. Réalisé avec le journaliste scientifique Laurent Lecarpentier, il s'intitule Voyage dans l'anthropocène. Ce néologisme [2] désigne l'ère – sans précédent – où les activités économiques des hommes transforment la géophysique de la planète, avec le risque redoutable de le déséquilibrer : c'est le « grand problème », le « risque de catastrophe irréversible », évoqué par Benoît XVI dans Lumière du monde et dans de nombreux discours depuis son élection au pontificat. Un risque qui appelle tout citoyen conscient, surtout s'il est chrétien, à la lucidité et à l'engagement : ici l'évidence scientifique sous-tend une obligation morale, qu'il serait indécent – et inepte – de vouloir esquiver ou biaiser.
Lorius explique dans son livre :
« Nous ne savions pas en remontant des carottes de glace à Vostok ce que nous allions trouver. Et certainement pas la preuve que l'activité humaine était une cause essentielle du réchauffement climatique ! Pourtant c'est ce qui s'est passé. […] La proposition d'introduire aujourd'hui une ère nouvelle dans l'échelle des temps géologiques correspond à la nécessité d'offrir à toutes les disciplines un socle conceptuel commun pour définir une époque sans commune mesure avec une autre. [...] A partir du moment où l'on comprend que tout est interconnecté, que l'atmosphère n'a pas de frontières, les virus de patrie, et les fonds marins de nationalité, il apparaît comme une évidence qu'une politique volontariste est nécessaire pour lutter contre le dragon qui nous menace, qu'il est essentiel d'explorer toutes les pistes et d'utiliser tous les leviers et que cela passe par une action au niveau mondial, concertée et démocratique. »
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[1] Voir à ce sujet le livre Le populisme climatique, du journaliste scientifique Stéphane Foucart (Denoël). Sous-titre : Claude Allègre et Cie – enquête sur les ennemis de la science.
[2] Nous sommes dans l'holocène depuis 11 700 ans. Le concept d'anthropocène a été proposé à la communauté scientifique par le géologue et biologiste américain Eugène Stoermer et le géochimiste néerlandais Paul Crutzen, en 2000. Selon la commission de stratigraphie de la Royal Geological Society de Londres (les vingt professeurs britanniques en la matière), « des preuves suffisantes sont apparues d'un changement significatif dans la stratigraphie, pour la reconnaissance de l'anthropocène – pour l'instant métaphore forte mais informelle des changements climatiques – comme une nouvelle ère géologique dont nous souhaitons qu'elle soit formalisée par une réunion internationale. »
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12:41 Publié dans Ecologie, Idées | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : climat, christianisme, écologie
Commentaires
> Excellent article !
Tous mes voeux pour 2011 !!!
D.
[ De PP à D. - Tous mes voeux à vous, à tous les vôtres et à vos amis ! ]
réponse au commentaire
Écrit par : Damien Etienne Thiriet/ | 03/01/2011
SUGGESTION
> Une suggestion pour "l'ère escroc-géologique" des amis de Claude Allègre ? Le "climammouthocène".
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Écrit par : Denis/ | 03/01/2011
> Variante encore plus allègre : climammouthobscène.
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Écrit par : Denis / | 03/01/2011
LA PROPAGANDE DE JEAN STAUNE
> Sur la question du climat (et au-delà), je tiens à évoquer le livre de Jean Staune, caractéristique d’un négationnisme à feu doux, maquillé dans un saupoudrage éthique qui a tout pour plaire aux journaux catholiques.
Son livre récent, « la science en otage », a été abondamment commenté dans les médias…notamment catholiques. Diplômé en mathématiques, en économie, en paléontologie, en sciences politiques et en gestion, fondateur de l’université interdisciplinaire de Paris, passionné de moto, consultant en entreprise (ouaaaaaaaaaaouuu !!!), il est aussi…catholique (ouf !). Sur son site internet, il est présenté comme une personnalité scientifique « qui contribue au réenchantement du monde », comme un « homme de conviction », un « homme de dialogue » et fait part de ses nombreuses retraites effectuées dans des monastères bénédictins. On est rassuré et on devrait donc pouvoir lire son livre tranquille, puis dormir sur nos deux oreilles…
Au programme : comment, sur la question climatique, manipuler en dénonçant les «manipulateurs de tout bord », apporter sa pierre au déni du réel en fustigeant les « obscurantistes de tout poil » ; comment défendre becs et ongles la loi du marché tout en se drapant dans le voile rassurant de la modération ; comment s’aligner sur l’esprit de compétitivité entre les hommes après une semaine bénédictine dans le silence de l’Esprit Saint .
Notre monde confus est décidément celui du règne de l’injonction paradoxale. Le contraire de la cohérence du choix chrétien.
Quel meilleur client pour l’ordre capitaliste qu’un intellectuel estampillé « catholique » (sous-entendu subliminal : gage d’humanisme et d’intégrité morale), publiant un livre notamment consacré au sulfureux débat sur le climat, dans lequel il revendique une position médiane entre «réchauffistes » et « climato-sceptiques », entre écologistes radicaux et lobbies industriels ultra-libéraux ?
Quoi de plus payant, quoi de plus efficace en termes de communication médiatique, que ce positionnement en un juste milieu qui suggère un esprit de nuance, une attitude raisonnable, un refus des parti pris tranchés, une conscience aiguë de la complexité des phénomènes.
Autrement dit, nous voilà en présence d’un esprit ouvert et réfractaire à toute dérive sectaire. Sous entendu : on peut lui faire confiance… La puissance du suppositoire.
En renvoyant dos à dos le GIEC et le lobby pétrolier (!), en donnant à cet égard l’illusion d’une position «neutre », en les accusant tous deux, à parts égales, d’obscurantisme et de manipulations des données scientifiques (les marmottes, avec leur haleine puissante, sont au moins autant responsables du réchauffement climatique que les humains, ayons le courage et l’honnêteté de le dire, n’en déplaise aux écologistes radicaux !), on brouille les pistes en distillant le doute dans les esprits quant au lien entre la catastrophe climatique annoncée et la folle surenchère productiviste en cours, on travaille insidieusement à relativiser les effets destructeurs du capitalisme. Le message subliminal : les choses sont plus compliquées qu’elles n’en ont l’air…L’auteur procède selon la même technique au sujet du nucléaire, de l’industrie pharmaceutique ou des OGM : ni Monsanto ni José Bové ! On ne peut pas être plus efficace.
Tu veux apprendre à manipuler ton monde : montre toi sous tes airs les plus raisonnables, au dessus des clivages partisans, dans une splendide neutralité, à distance des débats passionnés ; que ton calme reflète un esprit serein, dégagé des émotions aveuglantes. Mon œil !
De l’art, pour le système dominant (business is business), via ce genre de porte-parole étiqueté éthique, d’embourber le débat pour gagner du temps, de repousser à toujours plus loin l’inéluctable confrontation radicale au réel d’une planète physiquement limitée et d’une humanité spirituellement malade, d’étouffer sous le poids du discrédit, de l’« extrémisme » ou de l’« intégrisme » toute voix (croyante ou athée) criant au monde l’urgence de sortir du déni.
L’affichage et la mise en scène médiatique d’un pseudo esprit de nuance, de sérieux et de neutralité est aujourd’hui devenu pour l’idéologie dominante une technique prodigieusement bien rodée, dont l’efficacité en apparence inébranlable vise à cloisonner l’imaginaire collectif, à le contenir en douceur dans les cadres de pensée en vigueur, afin, par-dessus tout, d’empêcher toute modification profonde de notre perspective de pensée et d’action.
Travailler insidieusement au verrouillage de la conscience collective en donnant l’illusion que l’on travaille en toute clarté à son discernement…
Bref, on s’emploie à la fois à jouer sur la corde en vogue d’une critique des « excès du capitalisme » (lieux commun bien-pensant et confortable s’il en est) tout en, et pour mieux désamorcer intellectuellement, l’élan vital visant à une remise en cause radicale du modèle économique croissanciste en vigueur. Et Jean Staune, toujours dans son rôle du penseur raisonnable et nuancé, d’affirmer plus loin : ni Davos ni Porto Alegre ! Le message est subtilement passé : la bonne vieille rengaine (qui continue de marcher en milieu catholique) d’une nécessaire régulation-moralisation du capitalisme, et l’enfermement dans de l’«extrémisme » toute pensée ou mouvement affirmant qu’il ne s’agit pas de moraliser, mais de dépasser un système qui est un mal intrinsèque ; le discrédit jeté sur toute voix appelant au choix radical de la sobriété comme remède apporté à la maladie consumériste et à la morale pulsionnelle qui la sous-tends.
Une des plus grande ruses intellectuelle de l’idéologie dominante est d’établir dans les esprits une identification de l’extrémisme et de la radicalité. L’univers catholique semble aujourd’hui pris au piège, tétanisé par la force de cette confusion.
C’est comme dans les familles (voir le film 'Festen' de Thomas Vinterberg) : gare à celui qui ne se soumet pas au rôle familial qui lui est imparti, qui ose mettre le doigt là où ça fait mal, qui refuse de participer à la légende de la belle famille unie et heureuse quant tant de souffrances et d’humiliations sont refoulées et déniées derrière l’impératif mortifère de sauvegarder les apparences familiales. Le trouble-fête, l’empêcheur de s’aimer en rond, sera bien vite taxé de « fragile », d’« instable », d’« affabulateur » voir de malade paranoïaque…
L’intelligence perverse de ce système consiste bien à diffuser ce type de message négationniste sur le climat (ou bien d’autres enjeux) en mettant sur le devant de la scène des figures intellectuelles rassurantes et posées dont il s’agira, avec l’aide des médias rampants (c’est un oxymore) de montrer à la fois leur grande rigueur scientifique et l’épaisseur de leurs convictions éthiques et morales.
Sur LCI, communiant dans un enthousiasme sans borne, Jacques Julliard et Luc Ferry, au sommet de leur art, ont applaudi l’ouvrage de Jean Staune, louant sa rigueur et sa grande honnêteté intellectuelle. Le tour est joué…
SL
[ De PP à SL :
- Vous avez parfaitement raison. Sans limites est la capacité des cathos français à se faire intoxiquer. D'autant qu'ils souhaitent l'être...
- Limitée, au contraire, est la dimension révolutionnaire de Julliard, qui voudrait pourtant nous faire croire - ayant quitté l'entreprise 'Nouvel Obs' - qu'il est revenu à un ardent anticapitalisme. Dès qu'il est sur le terrain, son naturel social-libéral revient au galop. Son approbation de Staune en est un symptôme. Autant que sa répugnance horrifiée, lors d'une autre émission, il y a deux ans, devant l'idée de l'écologie plénière. Notons au passage le point commun entre Julliard et Ferry, intello organique du Medef : ils sont écolophobes l'un et l'autre.]
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Écrit par : serge lellouche/ | 03/01/2011
ETRANGES
> D'accord avec Serge et avec PP sur les intoxiqués volontaires. Pourquoi leur incroyable obsession contre l'écologie ? En fait ce qu'ils vomissent n'est pas l'écologie, mais les écologistes, ou l'idée qu'ils s'en font. Pourquoi les vomissent-ils ? Parce qu'il y a chez certains un besoin infernal de détester autrui. Avant ils avaient les communistes à haïr. Maintenant il n'y a plus de communistes, ou si peu. Alors qui haïr ? Les écologistes, affublés une fois pour toutes de la fonction de "remplaçants du communisme".
Mais ces phobiques devraient faire un examen de conscience. Le besoin de haïr quelqu'un n'est pas un besoin chrétien. C'est même le contraire du christianisme, qui n'est pas une attitude "contre". Et ils auraient du mal à trouver chez JP II ou Benoit XVI autre chose que des encouragements à se soucier d'écologie. Dans une perspective chrétienne, évidemment. Mais pas en disant "l'écologie c'est seulement de s'occuper de l'homme" - car ça c'est une esquive assez minable.
Non, l'écologie chrétienne n'est pas seulement s'occuper de l'homme : c'est d'abord la responsabilité de l'homme envers le reste de la Création... (sinon pas la peine d'avoir une écologie).
Mais si vous leur parlez de responsabilité, ils vous répondent : "non à toute culpabilisation". Et ça c'est une phrase totalement non chrétienne. Qu'est-ce qu'un christianisme qui évacuerait l'idée de la faute et de la responsabilité ?
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Écrit par : Amicie T./ | 03/01/2011
NEW AGE
> Staune : ce garçon sympathique est le relais en France de fondamentalistes (si j'ose dire) nord-américains. Ce n'est pas un crime, mais ça disqualifie.
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Écrit par : jeanmi/ | 03/01/2011
à Serge Lellouche :
> Entièrement d'accord avec vous. C'est d'ailleurs bien pour cela que la "cathophobie" du mensuel La Décroissance ne m'a jamais choqué.
Et quand la catastrophe économique et écologique arrivera, on dira que c'est "la faute des chrétiens"... A la lanterne, les scélérats...
F.
[ De PP à F. :
- 'La Décroissance' n'est pas cathophobe : ses positions sur des questions de société sont parfois très proches de la pensée catholique (bien plus proches que celles de la droite libérale).
- En revanche, il peut y avoir dans certains numéros du journal des traces de conformisme médiatique envers le pape ou tel ou tel évêque : quand un buzz circule, il est parfois repris tel quel sans vérification.
- Mais c'est infiniment moins grave, du point de vue chrétien, que de distribuer de la soupe au cochon aux SDF pour que les musulmans n'en mangent pas (suivez mon regard) ! Lire 'La Décroissance' me paraît donc souhaitable pour un catholique, alors que fréquenter les xénophobes me paraît ahurissant. ]
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Écrit par : Feld / | 04/01/2011
FORMATION ET LIBERTE D'ESPRIT
> J'aurais dû commencer par cela : bonne et heureuse année à PP et à l'ensemble des contributeurs.
Chaque lecture de ce blog est pour moi une grande bouffée d'oxygène : un appel à sortir par le haut du désespoir et...à agir.
Agir : pour un chrétien du XXIème siècle, cela suppose d'être formé et libre d'esprit. Pas facile. Répondre aux défis qui nous attendent impliquerait d'avoir une formation théologique équivalente à celle du prêtre lambda d'il y a un siècle, ainsi que des compétences pointues dans maints domaines profanes. Comment faire, quand on est un laïc, qui bosse entre 10 et 12 heures par jour, avec charge de famille en sus ?
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Écrit par : Feld/ | 04/01/2011
@ Serge Lellouche
> A propos de « l’empêcheur de s’aimer en rond » des bonnes-familles-catholiques-bourgeoises-et-climatosceptique que nous sommes peut-être, vous ou moi (ou PP), à notre cœur défendant. Chacun peut le constater : les briseurs de « ronron », ou prétendus tels, sont partout. Statistiquement, je me demande qui d’entre nous peut se dire épargné par ce fléau des fêtes de famille, la belle-soeur ou l’aïeul farouchement sarkozyste et en même temps propagateur fanatique des conceptions d’un Claude Allègre sur la question du réchauffement de la planète. MM. Sarkozy et Allègre, chacun dans son style, posent à la rupture et à la transgression avec ceux qui penseraient mal. Les deux sont par exemple d’accord depuis longtemps pour « dégraisser le mammouth » de l’Education nationale. Et de fait, c’est avec eux qu’a commencée et que s’est approfondie la casse systématique des services publics – idéologie mortifère numéro 1 de la droite – qui accélère dramatiquement le délitement de nos liens sociaux. A mes yeux, les (im)postures et les excès de ces hommes qui prétendent être porteurs d’une vision, voire « détenir » une vérité, sont génératrices d’une violence politique qui, pour le coup, nous empêche de nous aimer les uns les autres comme il le faudrait, c’est-à-dire sans « ronron ».
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Écrit par : Denis/ | 04/01/2011
AU FOND
> Le fond de l'attitude des "climato-sceptiques" français est tout simple : ce sont de bons bourgeois conformistes qui voudraient bien qu'on n'ait rien à reprocher à l'ordre actuel des choses. (Cela s'appelle le conservatisme). Donc ils sont preneurs de tout argument qui satisferait leur confort mental. D'où le succès triomphal qu'ils ont fait à Allègre. Et leur surdité aux réfutations scientifiques des slogans d'Allègre. Leurs journaux favoris leur ont même affirmé que l'Académie des sciences lui avait donné raison à lui, alors qu'elle lui a donné tort ! voilà, ils sont contents. De toute façon ils n'accordent au sujet que cinq minutes par trimestre ; les choses importantes sont ailleurs, par exemple savoir si on va réussir à faire réélire Sarko l'Américain en 2012. Et si l'Etat social va réussir à achever de se saborder pour "rassurer les marchés".
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Écrit par : Louis Rossel / | 04/01/2011
LES DISCOURS FACILES
> Je rejoins à la fois Feld et Louis Rossel
Dans toutes les attitudes qui font que bien des gens refusent de voir le problème du réchauffement, il y a ce quelque chose de mou qui fait qu'on va au plus facile, au confort d'aujourd'hui, à l'immédiateté. En fait beaucoup ne prennent tout simplement pas le temps de s'informer vraiment et du coup se laissent piéger par des discours faciles. En attendant, un certain nombre de jeunes se baladent avec le livre "Indignez-vous" dans la poche.
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Écrit par : FL/ | 04/01/2011
@ Serge Lellouche
> Je suis intéressé par votre parallèle avec la sphère familiale, mais je ne sais pas si vous voulez vraiment parler de la personne qui pense différemment de ce qui constitue l’opinion communément admise dans sa famille. Celui-ci agace souvent, est parfois qualifié de provocateur (l’idée, c’est qu’il ne peut raisonnablement penser ce qu’il dit, donc il le dit par provocation). Mais j’ai l’impression qu’il crée rarement le rejet radical que vous décrivez, qui me semble davantage correspondre à la personne qui, après des années de non-dits, de couleuvres avalées et d’auto-censure, ébranle soudainement un (apparent) bel édifice familial. Dans ce cas, en effet, il y a souvent une incompréhension complète : « il pète les plombs, c’est incompréhensible, on a l’impression qu’il veut nous détruire », entend-on parfois. Et cette incompréhension délégitime la réaction de l’importun, accentuant par là ses blessures : non seulement il a « morflé » pendant des années sans rien dire, mais en plus sa souffrance n’est pas entendue. Après avoir brisé son propre déni, il se heurte au déni des autres membres, déni qui est un mécanisme de défense personnel et collectif (plus au moins conscient, spontané, très marqué sur le plan émotif, en certains cas quasi-inévitable). Cela peut être analysé dans le cadre d’une discipline qu’on appelle la « systémie ». Pour les praticiens de la « systémie », une famille peut avoir besoin d’une sorte de thérapie familiale qui analyse le « système » qui s’est construit petit à petit. L’intervention d’une tierce personne spécialisée permet parfois de trouver les ressources pour contribuer à résoudre ce qu’une famille ne peut résoudre seule. Mais c’est à manier avec prudence. La question est : jusqu’où aller dans le « démêlage » ? Il peut arriver qu’un compromis imparfait soit préférable à une « opération cartes sur table » totale. Cela dépend peut-être de l’évaluation de la capacité des personnes à entendre certaines choses.
Ma femme s’intéresse beaucoup à ça car elle est conseillère conjugale et familiale. Donc moi aussi je m’y intéresse car un mari s’intéresse nécessairement à tout (je dis bien tout !) ce qui intéresse sa femme ! Bon, j’ai l’impression qu’il y a davantage d’hommes que de femmes sur ce blog, mais il y a aussi des femmes, peut-être seront-elles d’accord avec moi…
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Écrit par : Guillaume de Prémare/ | 04/01/2011
à Guillaume de Prémare,
> A vrai dire, il s’agissait moins d’un parallèle au sens strict que d’un rapprochement en forme de clin d’œil à la fin de mon propos, en pensant au film «Festen », que j’ai revu récemment. Mais je pense qu’il y a beaucoup à dire.
«Je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : on aura pour ennemi les gens de sa maison. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. » (Saint-Matthieu 10, 35-38).
Cette parole m’a beaucoup accompagné quand j’ai eu à mener à bien mes propres « démêlages familiaux », même si comme vous le dites, le démêlage est bien sûr partiel, fragile, toujours en cours, il ne procède pas d’une opération « pure » et définitive.
Telle que je comprends cette parole, au sein des familles l’esprit du Christ sépare, dans le sens de la clarification (alors que le démon divise dans le sens de l’envenimement). Il vient démêler les logiques fusionnelles (la légende familiale), qui je le crois concernent par-dessus tout les relations mères/filles mais pas seulement, pour restaurer la personne dans sa juste place, la ramener sur un chemin de vie conforme à sa vocation propre. En ce sens, l’esprit du Christ dans les familles vient alléger la personne du poids écrasant que peut constituer sur lui l’empreinte de l’inconscient généalogique familial, et le sauver de l’esclavage que peut constituer le « rôle » souvent réducteur et enfermant que lui assigne cet inconscient.
Assumer notre renaissance en Christ (même si pour beaucoup, cela n’est pas reconnu comme tel) découvrir notre lien à sa famille spirituelle au-delà de notre famille généalogique, bouleverse les équilibres, et cela peut bien sûr se traduire dans des cas de figure très variés au sein des familles, de la crispation défensive et enfermante (dans le cas du parallèle que j’ai établi) et parfois aussi à l’ouverture au pardon.
Sur ce thème je me permets de renvoyer aux livres très éclairants d’Aldo Naouri, pédiatre et spécialiste des relations intra-familiales.
Ps : cette discrète et délicate envolée au piano, après la rugissante tempête des violons et violoncelles. Je partage ô combien votre émerveillement ! Merci beaucoup de votre écoute.
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Écrit par : serge lellouche | 05/01/2011
à Serge Lellouche
> Merci Serge pour ce partage impressionnant.
A lire aussi sur le sujet :"Quand la famille s'emmêle" de Serge Hefez.
Un excellent petit livre grand public : peu de blabla et charabia, beaucoup de bon sens, du concret, des exemples.
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 07/01/2011
LORIUS
> Au sujet de la note de Patrice de Plunkett, cet entretien avec Claude Lorius sur france-culture
http://www.franceculture.com/emission-terre-a-terre-claude-lorius-glaciologue-2011-01-08.html
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Écrit par : serge lellouche / | 08/01/2011
> L'émission "Terre à terre" est en effet toujours passionnante !
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Écrit par : PMalo/ | 08/01/2011
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