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28/10/2010

L'obsession "identitaire" (2)

Fin de l'article :


L’offensive opportuniste et la « passion d’être soi » des sociétés traditionnelles

 

     C’est à l’opportunité de la désintégration du système symbolique occidental, de la profonde aliénation de sa pensée, de l’effondrement de ses systèmes éducatifs et institutionnels, de la débâcle économique et sociale, de la déchéance de ses mœurs et – cerise sur le gâteau – de l’auto-reniement que recouvre le relativisme culturel, que les sociétés traditionnelles ont repris confiance en elles-mêmes[17].

     Elles affirment une passion « d’être soi» d’autant plus grande qu’elles avaient douloureusement douté d’elles-mêmes. Notamment pendant les Trente glorieuses au cours desquelles la société occidentale s’était illustrée par son succès économique et social et avait pu développer une marge appréciable de liberté individuelle. Au point qu’elle avait suscité un questionnement constructif au sein même des société traditionnelles[18].

     Force est de constater que les choses ont bien changé. Au point de s’inverser. Puisque c’est au sein même du champ occidental que les sociétés traditionnelles entendent aujourd’hui imposer leur loi.

     Il faut dire que les sociétés traditionnelles ont toujours été en difficulté dans leur contact avec la société occidentale. Leurs frontières ont toujours été le lieu de conflits violents en raison des mœurs et des lois qui les opposent.

     A fortiori, immense est la difficulté pour les faire cohabiter au sein de l’espace régi par le Droit occidental quand celui-ci impose l’égalité des sexes et un statut identique aux différentes religions. Notamment quand s’ajoute le verrou de la laïcité qui assure l’éloignement des religions de l’espace politique.

     Contournant la difficulté et sans perdre de vue leurs intérêts (que nous avons précédemment exposés), la solution choisie par les «élites » est d’amender le dispositif légal occidental afin de permettre aux sociétés traditionnelles d’introduire le leur.

     C’est sous couvert de “l’ouverture à l’Autre”, au nom d’une « démocratie » départie de ses valeurs fondatrices et soumise aux pressions des lobbies communautaristes, que s’accomplit le sacrifice des valeurs humanistes et républicaines.

     Ainsi voyons-nous, au sein même de la patrie des Droits de l’Homme, restaurées l’inégalité entre les sexes et ses fonctions sociales archaïques.

     Nous pointerons sous ces générosités de surface la tentative d’un forçage politique et culturel qui se donne pour moyen l’instrumentalisation de la culpabilité chrétienne. Opérant sous le masque de la “belle âme”, cette culpabilité se donne une visée singulière qui est sa propre extinction. Mais également celle de l’égalitarisme chrétien qui sont les deux ennemis du libertarisme et du libéralisme. Parce la culpabilité et l’égalitarisme chrétiens assignent des limites à la jouissance. Cette entreprise pourrait bien atteindre son but par la subversion du Droit et l’ouverture du champ culturel occidental au système symbolique inégalitaire archaïque dont le christianisme l’avait émancipé.

 

La positivité de l’autocritique et du doute

 

     Pour conclure je dirai que c’est une difficulté pour tout être humain d’être structuré par son éducation et sa culture. Ces lieux de nos enracinements sont lestés de pesanteurs qui nous font souvent peiner dans nos relations avec les autres. Parce qu’elles nous mettent douloureusement en conflit avec nous-mêmes.

     La culture chrétienne est la culture de la culpabilité et de l’auto-critique. C’est en quoi elle s’est fait haïr par bon nombre des individus qui ont été tenus de s’y plier. Mais elle a donné naissance à une société où l’exercice de la remise en question est acceptable et même valorisé. Ce qui a été propice à la spéculation scientifique et intellectuelle, au développement économique et culturel et finalement à la liberté individuelle.

     Si nous tenons à notre liberté et perpétuer cette créativité qui ouvre l’avenir, nous devons d’urgence revenir à la tradition auto-critique chrétienne. Non pas pour achever de la détruire, comme s’applique à le faire la contre-culture libertaire depuis une quarantaine d’années. Mais pour la sauvegarder.

     Pour ce faire, grande est la nécessité de procéder au bilan-critique de cette contre-culture. En accédant au dispositif de commande institutionnel, celle-ci s’est stérilisée et transformée en anti-culture, n’assurant plus sa survie que par le déni de réalité et un conformisme « politiquement correct ». Au fur et à mesure que s’affichent ses contradictions et sa nocivité, ce conformisme se radicalise en tyrannie qui prend la forme d’un interdit de penser médiatiquement et juridiquement assisté. Cette anti-culture c’est l’idéologie libérale-libertaire. Arrivée à son plus haut niveau de nuisance, elledésintègre le meilleur que nous avait apporté le christianisme pour instaurer en lieu et place la paupérisation capitaliste pour tous et le repli communautaire pour chacun. Une conjonction de rivalités et concurrences qui conduit à la lutte de tous contre tous.

     Pour ce qui est des sociétés traditionnelles, il va sans dire que leurs ressortissants sont ni plus ni moins intelligents que les autres. Le problème fondamental de ces sociétés réside dans leur enfermement dans une culture viriliste qui frappe d’indignité l’auto-critique et le doute. La culpabilité et la faute mais aussi la responsabilité de leurs échecs y sont donc toujours affectées à l’Autre. Or, nécessité oblige d’aborder les causes – c’est-à-dire généralement les sujets qui fâchent – quand on veut vraiment résoudre un problème.  C’est parce qu’elles ne supportent ni la remise en cause ni la contradiction que les sociétés traditionnelles tendent à y faire face sur le mode du victimisme offensif et du conflit violent. C’est là une difficulté majeure. Car aucun progrès ne peut advenir sans introspection critique ni dialogue.

 

 

© Véronique Hervouët

www.contrepointphilosophique.ch

Rubrique Ethique

23 octobre 2010

 

 



* Ce texte fait partie des contributions d’un ouvrage intitulé "La Nation au XXIe siècle, une idée d’avenir ? " à paraître début 2010.

[1] Je désigne par le terme de « dénégation» ces alibis faussement vertueux que sont les professions de foi « humanitaires » qui servent à justifier jusqu’aux pires exactions militaires. Et la « novlangue » qui sert à occulter les régressions sociales. Par exemple le mot « réforme » (qui évoque un ajustement allant dans le sens d’une « modernisation ») utilisé pour désigner une régression vertigineuse : la démolition des services publics et sociaux ; « la concurrence non faussée », mot utilisé pour désigner la casse du Droit du travail, le retour de l’esclavage et de la loi du plus fort.

[2] Nous pointons cette politique et oxymore qu’est la « discrimination positive ». Notamment celle pratiquée par la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discrimination et pour l’Egalité), qui participe de la politique européenne dite de «défense des minorités » . Celle-ci consiste à encourager les revendications identitaires (linguistiques, sexuelles, ethniques, religieuses, régionales, etc), à attiser leur dimension conflictuelle en accréditant leurs discours victimaires et en les mettant en concurrence au sein de dispositifs institutionnels « anti-discriminatoires » spécifiquement conçus pour accueillir et gérer ces conflits. Cette méthode du pompier pyromane, mise au service d’une stratégie impériale notoire (diviser pour régner), a pour fonction et conséquence de dissoudre la citoyenneté, les solidarités politiques et sociales qui s’y attachent, en fragmentant le corps social en communautés concurrentes.

[3] Sédiments du vécu des hommes, les normes s’inscrivent au cœur des textes fondateurs (religions, lois) et des traditions (modèles familiaux et éducatifs). Elles varient donc en fonction des civilisations. Mais toutes ont pour objet de faire obstacle au déchaînement anarchique des pulsions qui engendre la guerre de tous contre tous pour s’accaparer les objets de jouissance. En s’opposant au chaos, les applications de l’Interdit que sont les normes et les limites conditionnent l’ordre et la paix sociale, c’est-à-dire l’existence même de la société qui a pour raison d’être de protéger (y compris d’eux-mêmes) les individus qui la composent. C’est ce qui faisait dire à Freud que le degré de civilisation d’une société est proportionnel aux renoncements pulsionnels qu’elle exige.

[4] « L’imaginaire » est ce qui relève du champ symbolique, c’est-à-dire du langage, mais sur le mode visuel.

[5] Voir le remarquable ouvrage de Maurice Sachot sur l’héritage chrétien occidental : "Quand le christianisme a changé le monde - La subversion du monde antique "(Ed. Odile Jacob, 2007).

[6] Nous nous garderons toutefois de dire qu’il suffit d’une bonne recette éducative pour solutionner les aléas de la subjectivité humaine. Les individus n’ayant toujours fait que ce qu’ils ont pu. Respecter ou transgresser la loi. Mais quand ils la transgressent, ils connaissent les risques qu’ils encourent et la culpabilité qui constituent un salutaire garde-fou individuel et collectif.

[7] Les femmes, qui portent inscrite dans leur chair l’absence du symbole phallique sont l’Autre-exclu de référence, mais ce statut dévalué s’étend aux minorités en ceci qu’elles se distinguent du groupe tribal, ethnique ou religieux dominant.

[8] Fethi Benslama in « La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam » (Paris, Aubier, 2002).

[9] L’auto-critique et le doute, qui sont vecteur de progrès et de création sont de difficulté dans le champ symbolique des sociétés traditionnelles qui s’appliquent à les évacuer en assignant le « défaut » et la « faute », autrement dit la responsabilité, à l’Autre. Cette configuration contribue à l’immobilisme socio-économique et culturel que l’on peut constater dans la plupart des sociétés traditionnelles.

[10] J’ai mis en évidence et analysé ces processus d’inversion dans « L’Enjeu symbolique - Islam, christianisme, modernité » (Ed. de L’Harmattan, nov. 2004).

[11] J’ai traité de cette question dans « Qu’est-ce que la morale pour la psychanalyse ? » et « Toute morale est-elle réactionnaire ? », en ligne sur Squiggle.be.

[12] J’ai abordé cette thématique dans deux textes intitulés « Le marché de l’Humain en pièces détachées » et « Quand le néolibéralisme se révolte contre les inégalités... biologiques », en ligne sur Contrepoint philosophique.ch.

[13] Je me réfère à l’analyse de Pierre-André Taguieff intitulée « Une nouvelle illusion théorique dans les sciences sociales : la globalisation comme « hybridation » ou « métissage culturel », en ligne sur l’Observatoire du Communautarisme.

[14] J’ai présenté une analyse de ce sujet dans un texte intitulé « L’Homosexualisme, dernier avatar de la « révolution sexuelle » et cheval de Troie du néo-libéralisme » en ligne sur L’Observatoire du Communautarisme.

[15] J’ai étudié cette problématique contemporaine de l’altérité liée à celle de la différence sexuelle dans un texte intitulé « L’identité virile en question », en ligne sur Contrepointphilosophique.

[16] Le « narcissisme des petites différences » ( dixit S.Freud) suffit à motiver la ségrégation et la persécution. Ces processus sont aussi analysés avec pertinence par René Girard dans « Le Bouc-émissaire » (éditions Gasset, 2002)

[17] J’ai proposé un développement de ce propos dans un texte intitulé « Quand l’économisme ouvre son lit aux tribalismes », en ligne sur l’Observatoire du communautarisme.

[18] Ce fut le cas notamment dans la Tunisie de Bourguiba, et bien avant elle, dans la Turquie de Kemal.

 

12:29 Publié dans Idées | Lien permanent | Tags : identités