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22/09/2010

"Il ne demeure dans la France d'aujourd'hui qu'une seule classe sociale au sens marxiste du terme, et c'est la classe dominante"

Auteurs du livre Le Président des riches (La Découverte), les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon analysent la société post- démocratique dans un chat sur le site du Monde. Extraits :


 

«  Eric Woerth a à la fois conscience et pas conscience de [ses] conflits d'intérêts, parce que dans la classe dominante, la collusion entre le pouvoir et l'argent est une collusion de fait. Les hommes d'affaires, les financiers et les politiques se retrouvent quotidiennement dans les mêmes cercles...

« Comment expliquer la tolérance de l'opinion publique à l'égard de l'affaire Woerth-Bettencourt et plus largement aux scandales politico-financiers ?

«  Cette tolérance peut être plus apparente que réelle. Ces scandales conduisent à des démarches juridiques, des mises en examen, jusqu'à des procès. Cette tolérance n'est que le résultat de la non-compétence du citoyen ordinaire pour exprimer, auprès des tribunaux par exemple, son refus. Cela dit, les enquêtes d'opinion tendent à montrer une nette exaspération, qui se traduit par une perte de confiance dans le pouvoir actuel.

«  Ne croyez-vous pas que l'électorat catholique va fuir ce gouvernement fasciné par l'argent ?

«  L'électorat catholique est touché et particulièrement concerné, compte tenu des valeurs portées par le christianisme, par la décomplexion que Nicolas Sarkozy a introduite au sommet de l'Etat vis-à-vis de l'argent, des consommations ostentatoires et de la visibilité du fonctionnement des rouages du pouvoir. Mais tout individu qui occupe une position au sommet de la société se reconnaît dans la violence avec laquelle Nicolas Sarkozy essaie de faire passer la France dans un stade avancé du système capitaliste ; les positions religieuses, le fait d'être un homme ou une femme, le fait d'être vieux ou jeune deviennent des variables secondaires par rapport à la variable principale : la place au sommet de la société dans le cumul de toutes les formes de richesse, que celle-ci soit économique, culturelle, sociale ou symbolique.

Est-ce que les liens entre les détenteurs de capital financier et l'Etat concernent seulement les ministres et leur cabinets ?

Il y a des liens entre toutes les élites sociales. Ce qui établit des ponts, des passages entre les affaires, la politique, le show-biz, les arts et les lettres, les médias. Les membres des organismes de contrôle comme la Cour des comptes, les hauts fonctionnaires, souvent inspecteurs des finances, ne peuvent pas ne pas être en contact directement ou indirectement avec les grands patrons, les banquiers. C'est pourquoi nous parlons, dans notre livre, d'une oligarchie qui est à la tête de l'Etat, et aussi de l'économie, et qui forme une seule classe.

« La composition du Parti socialiste fait-elle de lui une alternative éloignée du risque de collusion ?

« Les socialistes sont divers. Au sein du Parti socialiste, il y a des oligarques de gauche, comme Dominique Strauss-Kahn, dont les réseaux et les valeurs ne sont pas si éloignés que cela de ceux de Nicolas Sarkozy. Et c'est d'ailleurs, selon nous, le risque pour l'élection de 2012 que de voir un oligarque de gauche remplacer un oligarque de droite, ayant pour valeur principale le néolibéralisme, le capitalisme dans sa phase financiarisée et mondialisée, au service d'une seule classe : celle qui a accès, précisément, à la planète finance. Mais il y a au sein du Parti socialiste des socialistes de gauche plus radicale qui souhaitent transformer le système capitaliste en un système plus juste, plus équitable, où les valeurs de la République – liberté, égalité, fraternité – seraient au cœur des décisions du pouvoir.

« Selon vous, cet écart entre élites et classes populaires (même si le terme classes semble passé de mode) est-il appelé à se creuser ?

« L'écart est énorme déjà aujourd'hui, et si l'on ne prend pas des mesures législatives pour lutter contre le cumul des mandats politiques, l'écart continuera à se creuser. C'est pourquoi, dans notre livre, nous proposons un certain nombre de mesures pour changer les choses, dont l'abolition du cumul des mandats politiques, dont le fait qu'on ne devrait pas pouvoir faire une carrière en politique, c'est-à-dire qu'il faudrait qu'il y ait un statut de l'élu qui permette de réintégrer le monde du travail...

« Quel type d'événements pourrait, selon vous, permettre aux ouvriers d'acquérir une plus grande conscience de classe ?

« Pour ce qui est des événements, on peut considérer que l'affaire Woerth-Bettencourt est un révélateur qui peut être à l'origine d'un commencement de prise de conscience. Parce qu'apparaissent au grand jour des éléments autrement insoupçonnés. Par exemple, la restitution de 30 millions d'euros à Mme  Bettencourt en raison des mécanismes du bouclier fiscal, pour un smicard, est quand même assez étonnante. Ce type d'événement fait apparaître ce qui devrait rester sous la ligne de flottaison de l'iceberg des grandes richesses, dont une seule partie est visible, toute petite par rapport à l'immensité de l'opulence.

« Quid de la classe moyenne ?

« Les classes moyennes sont dans l'entre-deux social, au-dessus de leur tête, la classe dominante, et en dessous de leurs pieds, les classes populaires. Elles se caractérisent par un individualisme que l'on peut qualifier de positif, avec l'injonction pour les individus de se réaliser, de réussir, alors que dans les classes dominantes, nous parlons de "collectivisme pratique", c'est-à-dire de solidarités, de partage du gâteau dans l'intérêt de la classe. Tandis que dans les classes populaires, dans la France d'aujourd'hui, nous parlons de "désaffiliation" et d'"individualisme négatif" dans la mesure où la désindustrialisation a fait perdre aux ouvriers leur capital industriel, avec les usines, le travail manuel qui donne beaucoup de fierté, qui donne une identité, et leur capital syndical et politique. Il ne demeure dans la France d'aujourd'hui qu'une seule classe sociale au sens marxiste du terme, et c'est de la classe dominante qu'il s'agit.  »



Commentaires

UN EXAMEN DE CONSCIENCE

> Les Pinçon ne cachent pas leur sympathie pour la "gauche de gauche" (ce qui n'est pas plus disqualifiant qu'autre chose). Je trouve particulièrement fructueuses deux de leurs idées :

1. " Il ne demeure dans la France d'aujourd'hui qu'une seule classe sociale au sens marxiste du terme, et c'est de la classe dominante qu'il s'agit."

Rappelons que Joseph Ratzinger lui-même reconnaît à Marx une pertinence (puissante) dans l'analyse du système capitaliste bourgeois ; c'est ensuite, dans la construction de l'utopie, que Marx devient critiquable.
Le fait qu'il n'y ait plus qu'une seule "classe" au sens marxien dans la France de 2010 est très éclairant, à la fois sur la justesse et sur la faiblesse de l'analyse de Marx. Justesse : constater le phénomène de classe. Faiblesse : la prévision marxienne du processus "inéluctable" de développement du conflit bourgeoisie-prolétariat (prévision infirmée par l'histoire du XXe siècle).

2. "Tout individu qui occupe une position au sommet de la société se reconnaît dans la violence avec laquelle Nicolas Sarkozy essaie de faire passer la France dans un stade avancé du système capitaliste."

Venant en seconde partie d'une réponse à une question sur l'attitude des catholiques, cette assertion nous pousse (nous catholiques) à un examen de conscience : dans quelle mesure faisons-nous passer la pensée chrétienne APRÈS le réflexe de "classe" (en un sens éventuellement plus large que celui des Pinçon : milieu sociologique, clan, parti) ?
Appliquée à la classe politique, la question devient : dans quelle mesure, et surtout dans quelles circonstances et à quels moments de sa gestion de carrière, le politicien chrétien réagit-il en professionnel de la politique plutôt qu'en chrétien ? Etc.
On peut décliner des exemples à l'infini, dans tous les métiers.
Mais on peut aussi se limiter au cas visé par les Pinçon : celui des catholiques membres de la classe dominante. A eux de se regarder dans la glace. Je me souviendrai toujours de cette phrase d'un patriarche très fortuné dont le neveu était l'un des dirigeants d'Endemol : "puisque ça existe, autant que nous y soyons." Rideau.
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cette réponse

Écrit par : PP / | 22/09/2010

WOERTH

> Un certain nombre de personnes de ma connaissance, historiennes, compareraient l'affaire Woerth à l'affaire Stavisky, mais avec toutefois cette réserve importante: les moeurs politiques ont changé. Cependant l'affaire Stavisky a donné lieu à la deuxième manifestation de droite de notre histoire ( la première étant la manifestation sur ls marches de l'église Saint-Roch réprimée par un général vendémiaire, un certain Bonaparte).
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Écrit par : bernard / | 22/09/2010

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