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30/07/2010

"Twilight" décrypté (6) : la revanche du serpent de la Genèse

"Vous serez comme des dieux" :



IV/ LE FRUIT DEFENDU



A/ Un thème évident

Une photo, sur fond noir, de deux bras très blancs tendant dans un geste explicite une pomme très rouge, et les titres accrocheurs, Fascination, Tentation... ne laissent que peu de doute possible là-dessus. Il suffit d'ailleurs d'interroger les jeunes lecteurs et lectrices pour voir que la référence à la Genèse ne leur échappe pas, au moins pour ceux qui la connaissent un peu. Le film rend cela lors d'une scène à la cantine : une pomme rouge est tombée à terre, Edward la ramasse et la tend à Bella dans le même geste que sur la couverture du livre... Et l'auteur elle-même (sur son site internet) ne fait pas un secret de cette référence ; il s'agit du fruit défendu et du symbole du choix. Sur la page de garde on peut même lire la citation mise par l'auteur en exergue du tome 1 : « Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangerais, tu en mourrais » (Gn II, 17).


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C'est donc bien l'interdit qui est en cause ici. Mais quel interdit ? Là encore les adolescents eux-mêmes font tout de suite le lien : c'est l'interdiction pour Bella de passer dans le monde des vampires et/ou simplement d'aimer un vampire.

Or quelle est la réponse donnée par la saga ? Durant les trois premiers tomes, on peut penser qu'il n'y aura pas de réponse claire ; c'est apparemment l'avis de certains critiques qui discernent le thème du fruit défendu accompagné d'un certain brouillage des frontières entre le bien et le mal, soit qu'ils louent ce qu'ils jugent une analyse fine de ce mélange du bien et du mal qu'il y a en chacun de nous (« la part obscure et la part de bien », comme on dit), soit qu'ils déplorent ce brouillage.

Mais c'est à se demander s'ils ont lu la saga entièrement. Le tome 4 interdit de continuer à parler de brouillage, car une réponse est clairement donnée. Le tome s'intitule Révélation. Sera-ce la révélation de ce sur quoi on hésitait, de ce qui tentait, fascinait ? Oui. Bella choisit délibérément – et après avoir eu de nombreuses occasions de se reprendre – ce qu'elle sait pertinemment être mal ; mais elle ne l'appelle plus mal, car depuis la rencontre avec Edward, le bien a nom Edward, et le mal est ce qui n'est pas Edward ; comme le geste d'Edward lui tendant la pomme le montre très bien, ce fruit défendu, c'est lui. Si elle le prend, que se passera-t-il ? La Genèse, citée dans le tome 1, dit qu'elle mourra. Cela peut être interprété au sens métaphorique (elle aura des ennuis), mais dans le contexte présent, au sens propre surtout : elle est réellement en danger de mort avec les vampires, et même elle perdra son âme si elle devient elle-même vampire.

Or ce n'est pas ce qui se passe. Révélation culmine en effet dans le chapitre 20, attendu avec impatience pendant des centaines de pages ; c'est là qu'on voit enfin ce qui arrive une fois qu'elle a reçu en plein coeur le venin d'Edward. Ce chapitre porte le titre de Renaissance...

L'on assiste effectivement à sa naissance à une nouvelle vie, une vie enchanteresse ; Bella est devenue extraordinairement belle, puissante, rapide ; ses facultés sensorielles sont décuplées, au point qu'elle voit, entend, sent bien plus et bien mieux que la pauvre mortelle qu'elle était ; elle vibre à tout, elle vit, enfin.

Quant à l'enfant improbable qu'elle portait, après les craintes terribles que tous avaient à son sujet (que serait-elle ? un monstre ? une semi-humaine ?), elle se révèle être une créature toute nouvelle encore plus douée que ses parents ; elle leur fait même peur par cela même...

Le happy end est dithyrambique : Edward et Bella ont une éternité d'amour devant eux, et leur fille va connaître un destin exceptionnel. Conclusion immanquable : comme ils ont bien fait de tout risquer ! Quel bon choix a fait Bella ! comme elle a eu raison de braver les interdits ! L'union avec un être d'une autre nature que soi porte des fruits si extraordinaires ! Et devenir vampire, quel bonheur !

Nous en arrivons donc, à la fin de Twilight, à une conclusion non pas seulement différente de celle de la Genèse, mais exactement opposée. Résumons-là : Bella a pris le fruit défendu, et, loin de mourir, elle s'est ouverte à une vie bien meilleure qu'avant. Donc ce que disait Dieu était faux, et c'est ce que dit le serpent qui est vrai : « Non, vous ne mourrez pas. Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal », au sens biblique de : « vous déciderez par vous-même ce qui est bien et ce qui est mal ».

Nous y sommes : c'est Twilight ou La Genèse inversée.



B/ Le fruit défendu... pourquoi ?

Le fruit « mangé » par Bella était défendu. Quelle est la valeur de cet interdit portant sur le changement de nature ? Qu'est-ce que cela a de si important ?

Cela mérite quelques éclaircissements, surtout pour les adolescents.

Rappelons tout d'abord que nous examinons ici l'idée qui est « derrière l'histoire », car il est bien entendu que, puisque les vampires n'existent pas (et encore faut-il le réaffirmer à certains adolescents troublés à ce sujet après deux mille cinq cents pages « vampirophiles » !), la question ne se pose pas de savoir si on a le droit ou non, dans le réel, d'aimer un vampire et/ou de devenir vampire...

Ce qu'il faut se demander, c'est si on peut, en soi, changer de nature et/ou aimer d'amour un être d'une autre nature que soi... Les deux reviennent à peu près au même, car, passé l'éclat de rire à l'énoncé de la question ci-dessus, qui ne voit quels enjeux très contemporains se dessinent ?

Nous sommes, répétons-le, sur le plan des idées, et il ne s'agit plus de vampires. Elargissons la question : peut-on changer de nature ? Non, bien sûr. Mais pourquoi ? Qui a décidé pourquoi j'avais telle nature et pas telle autre ? Qu'on l'appelle Dieu, la Nature ou la Nécessité, la question demeure : puis-je aller au delà de ce qui m'est prescrit par cette nature humaine, que je n'ai pas choisie, car elle est un « donné » ? Et poursuivons : peut-on changer... d'identité ? De sexe ? De « genre » ?

Nous voilà en terrain bien plus mouvant, sur des questions qui, en 2010, sont loin de recevoir une réponse consensuelle. Or, elles sont immédiatement connexes à la question de changer de nature ou pas.

C'est cela que nous dénonçons dans Twilight. Ce roman-fleuve « formate », au long de deux mille cinq cents pages de suspense et d'amourette excitante, l'imagination des adolescents (donc leur coeur, leur esprit, leur structure mentale et psychologique), et les habitue à admettre qu'on peut contourner les interdits les plus fondamentaux ; cela revient à dire que ces interdits sont arbitraires ; passer outre serait possible en droit comme en fait, puisque les interdits ne seraient pas l'expression d'une vérité constitutive de notre être, permettant ainsi l'épanouissement réaliste de notre personnalité.

Or un interdit n'est valable que s'il découle d'une loi uniquement destinée à faire notre bonheur ; un interdit n'a force de loi, n'a le droit de nous contraindre, que s'il nous détourne de ce qui ferait immanquablement notre ruine. Développer mon être dans la nature qui est la sienne dès l'origine, c'est l'épanouir ; vouloir en changer, c'est le détruire. D'où l'existence d'interdits, qui ne tombent pas du ciel (on ne sait pourquoi ni comment) dans un éclat de voix tonitruant, mais qui sont un phare pour éclairer la route de la vie.

Voilà ce que Twilight sape insidieusement dans les jeunes esprits malléables et naïfs. Citons encore Bella dans sa réponse à Jacob : « Que tu sois un loup, je m'en fiche », et « je me fiche de ce que tu es ! Ce qui me révolte, c'est ce que tu fais ». « Bête ou pas, il restait Jacob » (bête au sens d'animal).

C'est bien ici toute la question de la nature (ce qu'est, au plus profond, un être) qui est sabotée. Bella dit aussi à Edward : « tu es dangereux, mais pas méchant. » Fausse morale, car morale de l'intention et non de l'être. Qu'importe donc pour elle ce qu'est cet être ; tout ce qui compte, c'est qu'il soit « bon ». Ici, « bon » veut dire seulement « ayant une bonne intention » ; c'est une erreur extrêmement répandue qu'il faut expliquer aux jeunes. Car au sens premier, être bon, c'est être vrai, être ce qu'on est. Et tout le sophisme sous-jacent à Twilight apparaît là : le flou permanent vient de ce qu'Edward n'est pas ce qu'il est : c'est un vampire, mais gentil... Et Bella ne veut pas être ce qu'elle est : elle deviendra donc autre.

Bien entendu, l'objection fusera : « mais alors, il faudrait qu'Edward soit méchant pour être un vrai vampire ?! » Impossible de pousser le raisonnement aussi loin dans le cadre d'une histoire bâtie sur un tel flou, puisque les vampires n'existent pas. Ce qu'il faut voir, c'est l'idée qui se cache derrière : Twilight fait passer l'idée que l'on peut avoir de très bonnes raisons pour passer outre à ce que l'on est par nature depuis la conception, ou même seulement se lancer aveuglément dans un amour contre nature. On ne peut que penser alors aux idéologies de plus en plus envahissantes de nos jours, selon lesquelles le sexe ne serait pas une donnée de nature mais le résultat d'un choix ou de conditionnements socioculturels ; à l'idéologie du gender (dite « théorie du genre ») qui prône le choix par chacun de son identité sexuelle ou de sa « neutralité » ; aux déviances telles que la zoophilie, à laquelle renvoie cette histoire d'amour entre une humaine et un semi-loup...

Heureusement, diront certains, comme les vampires n'existent pas, l'histoire entre Bella et Edward est moins sulfureuse que celle avec Jacob. Mais cela aussi mérite quelque examen, malheureusement...

[à suivre]