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29/07/2010

"Twilight" décrypté (5) : fuir la condition humaine

Inquiétant mépris envers l'humanité :


 

III/ LE MONDE DES VAMPIRES



A/ Un race spéciale

De nombreux détails sont donnés au fil des tomes : Stephenie Meyer semble avoir imaginé un monde cohérent avec lui-même. Pour résumer, les vampires sont en général des êtres humains qui ont été « transformés » par la morsure d'un vampire, laquelle peut « transformer » ou tuer (on ne dit pas s'il y a un couple originel de vampires). C'est le cas de Carlisle, qui a à son tour « sauvé » d'une mort certaine Edward agonisant dans un hôpital. Cela est donc présenté comme une libération, un salut, par rapport à la mort.... Carlisle a ainsi « sauvé » plusieurs personnes qu'il a groupées autour de lui en famille, en clan. D'autres clans existent dans le monde ; tous vivent au milieu des hommes, cachant soigneusement leur vraie nature ; l'histoire est ainsi revisitée, et on explique par exemple que telle grande hécatombe du XVIIIe siècle, attribuée à la peste, était en fait due à un grand carnage fait par les vampires à l'insu des hommes. Car c'est là la règle essentielle (voire la seule règle) qui régisse ce monde : celle du secret ; les chefs Volturri sont chargés de la faire respecter avec son corollaire, celui de ne pas contracter d'union avec des humains. C'est pourquoi Edward et Bella sont mal vus, ainsi que l'enfant née de leur union, car personne ne sait ce que peut être l'enfant d'un vampire et d'une humaine.

Cela n'est pas sans faire penser à une thématique déjà développée dans les Harry Potter. Il y a dans l'une comme dans l'autre de ces deux sagas un monde parallèle, mais en même temps mêlé à celui des hommes, de telle sorte que ceux qui appartiennent à ce monde (sorciers ou vampires) vivent comme des hommes, au milieu des hommes, mais ont aussi leur deuxième vie ; or celle-ci est présentée, dans Twilight et dans Harry Potter, comme celle qui vaut la peine d'être vécue, par opposition à la vie banale et insipide des simples hommes (les humains dans Twilight, les Moldus dans Harry Potter).



B/ Un monde valorisé par rapport à la vie humaine ordinaire

La vie ordinaire est très explicitement dépréciée : aucun lecteur, si jeune soit-il, ne passe à côté de ce message ; les compagnons de lycée de Bella sont bêtes, insipides, ridicules : on le voit bien dans le film. Bella les supporte ; elle est en quelque sorte au-dessus de la masse et exprime de nombreuses fois son désir de ne plus être « une bête humaine » (ici, bête = stupide). « Qu'est-ce que l'état de mortel avait de si formidable ? » (tome 1). A côté d'Edward, dit-elle, « j'étais idiote, lente, humaine ».

Par contraste, les vampires, loin d'apparaître comme des monstres, collectionnent les perfections, ils sont splendides, sur-intelligents, extrêmement cultivés, artistes, doués en tout ; de plus, ils ont une force et une agilité surhumaines, comme on le voit surtout dans la scène où Edward sauve Bella d'un accident terrible en apparaissant en un éclair à ses côtés alors qu'il était, la seconde d'avant, à trente mètres, et en arrêtant d'une main un camion glissant sur le verglas à toute vitesse vers Bella ; ou bien dans la scène de la forêt, où il déploie devant Bella sa vitesse et sa force. Les vampires de Twilight n'ont pas besoin de manger, de dormir, ni même de respirer ; ils font semblant. Enfin, ils ont une certaine immortalité.

Nul besoin de prouver après cela que les enfants, s'identifiant avec Bella ou Edward, aient envie de devenir eux aussi des vampires. « Ce serait bien d'avoir ces pouvoirs », disent les garçons ; « d'être dans ses bras », disent les filles. Les fans vont plus loin : « mords-moi », crient-ils en se précipitant sur l'acteur qui joue Edward lorsque celui-ci fait son apparition. Le désir de la surpuissance est présent dans toute la littérature enfantine, c'est vrai. Mais cela va plus loin dans Twilight.



C/ Une incitation à passer dans ce monde

Par le biais de Bella, on ne parle que de ce passage possible dans le monde des vampires tout au long des quatre tomes de la saga. Celle-ci, on l'a vu, renie en quelque sorte sa condition d'humaine si décevante pour aspirer à vivre avec les vampires une vie tellement plus excitante, quel qu'en soit le danger. Etre vampire donne de tels pouvoirs... Mais Bella a une autre motivation, qui revient comme un leitmotiv : c'est son amour fou pour Edward, qui est tout pour elle, qui est sa raison de vivre. Le romantisme ne contribue pas peu au succès de Twilight, mais tous les lecteurs en conviennent, cela va plus loin que le vocabulaire amoureux normal. Bella est vraiment prête à tout, c'est-à-dire à n'importe quoi, pour vivre avec Edward ; elle s'affirme même, à plusieurs reprises, prête à vendre son âme, et ce qui est frappant, c'est qu'elle le dit sans métaphore. Par exemple à Edward qui lui oppose l'argument du salut de son âme, lorsqu'elle le supplie de la « transformer », elle réplique : « Je m'en moque, Edward, si tu savais comme je m'en moque ! Prends-moi mon âme. Je n'en veux pas sans toi. Je te l'ai déjà donnée. » (tome 2, page 80).

Ainsi, pour elle cela ne sert à rien de vouloir sauver son âme pour aller au paradis, car le paradis sans Edward n'en est pas un ; c'est lui le seul paradis qu'elle veut ; et elle veut bien être en enfer avec lui, car ce ne sera plus un enfer (tome 2, page 462) ; elle cherche « le visage de celui pour lequel (elle se serait) damnée » (tome 2, p. 247). Dans le tome 1, lorsqu'elle reprend conscience après avoir été sauvée par lui, elle entend sa voix qui l'appelle : « un ange m'appelait m'invitant vers le seul paradis dont j'eusse envie » (p. 479), et elle continue à dénommer « ange » Edward : « la voix angélique », « s'exclama l'ange », « hurlait l'ange », etc. Et tout à la fin du tome : « mon rêve, c'est d'être avec toi pour l'éternité. »

De nombreuses autres citations du même genre, tout au long de l'histoire, montrent bien que pour Bella, Edward est tout,  au point que rien ne peut la retenir dans son monde « minablement » humain. Elle ne cherche vraiment qu'une chose, devenir vampire pour être avec lui, alors même qu'il la supplie de « penser à son âme ».

Il n'est pas rare de se heurter à des réactions sceptiques quand on soulève, à propos de Twilight, de tels enjeux : on a du mal à croire qu'il s'agisse, dans cette saga pour adolescents, d'âme, de ciel et d'enfer. Ce n'est pourtant pas une extrapolation car cela est dit, et de nombreuses fois, dans le texte lui-même ; ce qui nous amène au thème du fruit défendu, non seulement présent dès les premières pages mais évident pour tous ceux qui côtoient les devantures des librairies où Twilight est exposé bien en vue, avec la couverture maintenant célèbre du premier tome.

[à suivre]

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00:38 Publié dans Idées | Lien permanent | Tags : twilight, harry potter