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28/07/2010

"Twilight" décrypté (4) : un amour très équivoque

Bella n'a "pas le choix". Et qui donc est Edward ?


 

II. UNE HISTOIRE DAMOUR ENIVRANTE



A/ « Un amour de rêve »

L'amour de rêve est indéniablement ce qui comble en premier lieu les ados dans Twilight, surtout les filles. Toutes témoignent ainsi : « c'est l'amour parfait », « l'amour de rêve ». Elles s'identifient très facilement avec Bella, qui vit en 2006, a soif de vrai amour, est volontaire et mûre, souffre à cause de sa famille éclatée, ne se prend pas au sérieux et fait preuve d'humour et de force ; ce personnage qui prend sa vie en mains est un modèle bien contemporain, car notre époque valorise le battant, par contraste avec le loser, comme l'expliquait le Fr. Lazare (de la communauté St-Jean) dans un article sur Harry Potter : Harry Potter et le Saint-Esprit, in Aletheia, 2001, n° 19. Et l'identification est ici accélérée par la prise de parole à la première personne de ce personnage principal et narrateur.

Edward, lui, est le garçon rêvé par toute fille : sa beauté est décrite en des termes hyperboliques qui prêteraient à rire si l'on ne s'apercevait assez vite qu'ils sont délibérément employés pour faire comprendre qu'il s'agit d'autre chose que d'une beauté purement humaine. Cette beauté est « exceptionnelle », « renversante », « époustouflante » ; sa séduction est hors de toute mesure et il en joue sans cesse avec Bella, multipliant les « coups d'oeil ravageurs » et les « sourires en coin », en même temps qu'il se montre très protecteur, attentionné, tendre ; il est totalement « donné » à Bella : jamais une dispute, un agacement, un mépris, une indifférence.

L'amour est entre eux un coup de foudre très puissant, comme le suggère la musique du film lors de la première rencontre. Leur attirance mutuelle est extrêmement forte. Ils vont bien ensemble, s'entendent parfaitement (hormis les discussions et divergences de points de vue sur la question de la « transformation » et du mariage), et cet accord immédiat et instinctif culmine dans leur entente sexuelle au tome 4. C'est donc le couple parfait, du moins tel que le voit (ou le rêve) une naïve adolescente. Cependant aucun détail n'est donné sur ce qui fait, concrètement, leur complémentarité.

Car leur relation consiste beaucoup plus en un échange incessant de caresses et de baisers qu'une vraie complicité qui serait fondée sur de nombreuses et longues conversations, et/ou sur le partage de grands projets communs. […] Enfin, il faut signaler au tome 4 l'idée bien contemporaine (on devrait plutôt parler du fantasme) d'un amour sexuel vécu dans un continuel paroxysme, jamais rassasié, jamais fini ; car Edward, puis Bella une fois devenue vampire, ont la « chance » d'avoir une nature qui décuple la capacité de jouissance en général, a fortiori sexuelle ; leurs journées pourraient donc se passer dans ce paroxysme sans limites, sans fatigue, sans conscience du temps qui passe, s'ils ne s'imposaient quelques bornes pour consacrer tout de même un peu de temps à leur entourage. Leur amour est donc plutôt narcissique et fusionnel.



B/ Un amour équivoque

Le narcissisme, une certaine sensualité avachissante et le manque de réalisme évoqués, sont déjà en eux-mêmes sujets à critique ; mais on les trouve aussi dans toutes les mythiques histoires d'amour qui traversent notre littérature, de Tristan et Yseult à Scarlett et Rhett, en passant par Roméo et Juliette ou les héros des Hauts de Hurlevent ( qui sont une référence pour Bella dans Twilight), sans parler des mythes antiques comme celui de Pâris et d'Hélène... Cependant il y a d'autres éléments chez Bella et Edward qu'on ne trouve pas dans les exemples précédents, et qui rendent leur amour bien équivoque.


L'attirance chez Bella

Le coup de foudre chez elle est beaucoup plus fort, car d'un autre genre, qu'un coup de foudre « normal » ; elle insiste constamment sur le fait qu'elle est « renversée » par la présence d'Edward, « aimantée ». Non seulement elle est violemment éprise de lui, mais surtout elle « ne peut pas » lui résister ; dès qu'Edward amorce un geste ou un regard de séduction (i.e. sans cesse), elle est sous le charme, mais au sens propre du terme ; il y a bien entendu de l'humour lorsqu'elle dit qu'elle « craque », mais c'est avec une insistance appuyée, pour ne pas dire lourde, que se multiplient ces séances de regards profonds et désintégrateurs, ces moues et sourires séducteurs. Ce n'est pas seulement de la gaminerie ; il la rend folle, sans métaphore ; quand il l'embrasse, elle s'évanouit presque, ou bien « l'attaque » en se jetant sur lui. Plusieurs passages décrivent en détail ses tentatives de résistance lorsqu'il commence à la « faire craquer » ; aucune n'aboutit car sa volonté est anéantie. D'où le titre du tome 1 : Fascination.

Une adolescente ne sera pas mécontente d'une telle fascination, et il conviendra alors de lui faire réaliser ce que ce genre de relation peut avoir d'immature, de primaire, et par conséquent de dangereux et d'avilissant pour une personne humaine : ce qui est instinctif doit être vérifié et canalisé par l'intelligence et la volonté.

Cette annihilation de sa volonté pourrait bien être chez Bella la première preuve que son amour pour Edward... n'en est pas un, quitte à faire hurler les fans. Car le coup de foudre, la passion, étant de l'ordre du ressenti, ne sont ni bons ni mauvais au départ ; ils le deviennent lorsqu'ils sont assumés, c'est-à-dire choisis librement par la raison et la volonté. Qu'en est-il chez Bella ? Le tome 3 est à cet égard très éclairant ; Jacob est en effet celui qui voit le plus clair dans le coeur de Bella ; il sait que Bella l'aime mais qu'elle est aveuglée par Edward ; il lui fait donc prendre conscience de cet amour. Bella peut alors, théoriquement, choisir en pleine connaissance de cause : elle reconnaît que Jacob lui ferait plus de bien qu'Edward, et Jacob lui dit : « Il est comme une drogue pour toi... tu es incapable de vivre sans lui... j'aurais été plus sain pour toi. » Mais Bella, tout en avouant à Jacob qu'elle meurt d'envie de rester avec lui et de le rendre heureux (ce qui est une définition de l'amour vrai), dit : « c'est impossible et ça me tue... je n'ai jamais eu le choix. » Et à Edward : « Je ne peux pas vivre sans toi... c'est ma seule façon d'exister. »

[…] C'est donc fort clair : Bella n'a pas choisi Edward, et elle ne le peut pas. On peut se demander ce que vaut un amour qui n'est pas le fruit d'un choix...


Les relations entre Bella et Edward

> Le fait qu'Edward et Bella n'aillent pas jusqu'à l'acte sexuel est source de grand contentement pour certains parents ; on entend dire : « Vous serez contente, c'est une très jolie histoire, innocente. » On veut bien s'en réjouir ; mais cela ne nous empêchera pas de nous demander pour quelles raisons Bella et Edward attendent avant le mariage.

Constatons d'abord que ce n'est pas le résultat d'une décision prise en commun ; car Bella, elle, ne voudrait pas attendre et ne songe aucunement à un mariage « dans les règles » ; elle essaie toujours de séduire Edward. Et on ne nous empêchera pas de nous demander, là encore, ce que vaut un amour où une telle décision, dans un domaine aussi central, n'est pas commune aux deux amoureux.

Et Edward, pourquoi refuse-t-il ? C'est tout d'abord à cause du danger terrible, s'il se laissait aller à ses élans, de ne plus se maîtriser et de mordre, voire tuer, Bella. Il est donc présenté comme celui qui se sacrifie héroïquement. Mais cette première raison n'est pas suffisante puisqu'Edward accepte la relation sexuelle avec Bella après le mariage, alors que celle-ci n'est toujours pas « transformée ». C'est qu'il y a une deuxième raison, exposée au tome 3. Peu de critiques semblent l'avoir retenue, alléguant surtout le fait qu'Edward, comme tout vampire, jouit d'une jeunesse « éternelle » ; il est né il y a cent ans et obéirait donc aux coutumes de ce temps : il y a cent ans, cela ne se faisait pas de mettre la charrue avant les boeufs... Mais le tome 3 nous offre un dialogue tout autre entre Bella et Edward quand ils discutent de la question du mariage : Edward est-il en train de « défendre sa vertu » ? Cette seule idée, qui paraît à ses yeux si démodée, fait pouffer de rire Bella. Or Edward partage son hilarité : non, il ne défend pas sa vertu, mais la sienne à elle, car il pense n'avoir pas d'âme ou bien que celle-ci est de toute façon damnée vu ce qu'il est ; mais Bella en a une, dit-il, et si ça se trouve, les dix commandements sont vrais ; il n'en est pas sûr, mais « au cas où », il y a des règles à suivre, dont celle de « ne pas forniquer ». C'est pourquoi il veut un mariage dans les règles, dans une chapelle, devant un pasteur, etc.

On le voit, les raisons invoquées par Edward pour s'abstenir d'une relation sexuelle avant le mariage, sont minimales. Et comme Bella n'y souscrit pas, on ne peut pas dire que tout cela soit très convaincant pour donner aux lecteurs de Twilight, en Bella et Edward, un modèle à suivre en matière de sexualité.

> Venons-en à cette attirance qui existe entre eux et dont nous avons déjà signalé la sensualité. Il y a plus que cela, car Edward éprouve pour Bella un mélange explosif entre l'attirance amoureuse et la soif de sang. Comme tout vampire, il est presque irrésistiblement attiré par l'odeur du sang humain, et tout particulièrement celui de Bella. [...] Mais il faut surtout constater que, chez lui, soif sexuelle et soif de sang vont de pair, ce qui interdit pour de bon de croire à une gentille histoire d'amour ; cette tendance inextricablement sexuelle et vampirique, sous couvert de fleur bleue, introduit dans la tête et le coeur du lecteur, par le biais de l'imagination, la bestialité masquée par la joliesse. Et c'est là le sophisme de fond qui vicie profondément Twilight. Car ce n'est pas au passage seulement que ce « problème » est évoqué ; nous profitons des descriptions répétées de ces élans passionnés qui poussent l'un vers l'autre Bella et Edward, élans qu'Edward repousse ou maîtrise ; « donc il est héroïque ! », s'exclameront les fans. Ce contrôle de soi provoque l'admiration de tous : Bella, Carlisle son père adoptif, et les autres. Voilà donc le sophisme : l'amour est impossible entre ces deux êtres ; or Edward le rend possible par sa maîtrise ; donc Edward est génial. Le problème est ainsi contourné.

Et l'on continue, pendant près de 2500 pages d'une histoire particulière, à s'imprégner de l'idée générale que l'amour peut aller de pair avec la bestialité. Celle-ci s'accompagne de force détails croustillants sur la vie des vampires qui font délicieusement dresser les cheveux sur la tête : nous en avons évoqué certains en résumant le tome 3 ; de plus, Bella se retrouve au contact de vampires qui sont loin d'être « civilisés » comme les Cullen (la fratrie d'Edward) : ils ne se passent pas de sang humain, eux... or, il ne s'agit pas là de méchants, contre qui luttent les Cullen. Dans le tome 4, les Cullen font en effet appel à tous leurs alliés pour tenter de résister aux Volturri. Ces amis s'entassent dans la grande maison. Et chacun va « chasser » de son côté ; mais seuls les Cullen se contentent d'animaux... Et Bella s'en rend compte ; va-t-elle se révolter, s'insurger contre ces tueries perpétrées contre des hommes par ses propres amis ? Non : « je m'efforçai de ne pas penser à leurs parties de chasse, ni à leurs victimes » (p. 683). C'est tout. De même, lorsqu'elle s'aperçoit que ses amis les loups-garous ont multiplié leur armée (c'est-à-dire qu'ils ont transformé par leur morsure des dizaines d'enfants), Bella s'attriste et frissonne : « encore des enfants voués à la mort... » (p. 694). Là encore, c'est tout.

Signalons ici la complaisance appuyée avec laquelle cette relation malsaine entre Bella et Edward est décrite. Or, ce genre d'ambiguïté est propre à faire vibrer une corde très sensible chez une fille : la satisfaction intime et intense de tenir à sa merci l'amoureux, de le rendre fou par quelque barrière entre lui et elle, d'être pour lui un danger, une souffrance, d'être désespérément désirée ; c'est une tentation possible chez toute fille, car le désir de plaire (naturel, donc bon) chez la femme est vicié en chacune par le péché originel, quoiqu'à des degrés divers.

La complaisance est bien là dans Twilight, car, si Edward et Bella s'aimaient vraiment au point de mettre chacun le bonheur de l'autre au dessus de tout, ayant pris conscience de ce danger terrible, ils se sépareraient ; et cette séparation serait la plus belle preuve d'un amour vrai, comme on en a de magnifiques exemples dans la littérature (cf. Le soulier de satin de Paul Claudel) et dans la vie réelle.

On se heurte à ce qui n'est jamais remis en question : ils ne peuvent se séparer, ne peuvent vivre l'un sans l'autre ; leur séparation de quelques mois (tome 2) a failli les mener à la mort l'un comme l'autre. On nous objectera que « c'est ça l'amour fou » ; mais est-ce un modèle à donner aux enfants ? Est-ce cela, une vie réussie ? A cet égard, une réflexion approfondie est nécessaire avec nos adolescents pour les aider à se dégager (et peut-être nous-mêmes aussi) de ce vieux mythe si occidental (et si français) de l'amour fou comme valeur absolue. C'est l'amour vrai, pas l'amour fou, qui est profond et comblant... Or l'amour vrai ne souffre pas l'étrange, le glauque, le bizarre.


Edward

Mais comment Edward vit-il cela, lui ? La rencontre avec Bella a été pour Edward une épreuve terrible, car il avait réussi au fil des ans (rappelons-nous qu'il a 17 ans mais aussi cent ans) à étouffer sa soif de sang humain. Dès l'arrivée de Bella, il a été si tenté qu'il a dû fuir. Belle réaction puisqu'il a lutté contre lui-même. Mais... il est revenu. Et pourquoi ? Voilà la question à ne pas trop se poser si on ne veut pas voir trop clair. S'il est revenu, c'est que lui non plus ne pouvait pas vivre sans Bella. […] En effet, voici les paroles sur lesquelles nombre de fans ont glissé : « J'ai décidé, puisque je suis voué aux Enfers, de me damner avec application... Je suis las de m'acharner à garder mes distances avec toi. J'abandonne... Je renonce à être sage. Désormais, je ne ferai que ce que je veux, et tant pis pour les conséquences. » (tome 1). Paroles consternantes pour quiconque verrait en Edward une sorte de « saint » à cause de son héroïsme... (Ainsi de Bella : « il a l'âme la plus belle qui soit », tome 4). Qui est donc cet Edward ?

[à suivre]





00:14 Publié dans Idées | Lien permanent | Tags : twilight, vampires