03/06/2010
Bernanos et juin 1940
Sur la capitulation et Vichy, cinq passages du 'Chemin de la Croix des Âmes', écrits sur le vif par le catholique Bernanos dans les semaines et mois qui suivirent l'armistice :
Sur l'armistice :
<< L'annonce prématurée de l'armistice, alors que quelques-unes de nos armées gardaient le contact avec l'ennemi, devait achever de briser notre résistance. Elle a permis aux troupes allemandes d'avancer à l'abri du drapeau blanc, devant les dernières de nos divisions, les meilleures, les régiments à fourragère jaune ou rouge, ceux qu'on n'enfonce pas. Une faute si énorme n'a pu être involontaire... >>
<< Voir associer ainsi le premier Verdun au second Rethondes, le souvenir du sacrifice intégral à la capitulation totale, comme si l'un justifiait l'autre... >>
<< Dans certains milieux, parmi lesquels il faut compter, hélas ! certains milieux catholiques – non pas les plus nombreux, certes, mais les plus intrigants et les plus riches –, la capitulation de Munich avait pu être présentée comme un sacrifice généreux, l'abandon de la Tchécoslovaquie comme une victoire sur le communisme, gage des réconciliations futures. Les hommes de peu de foi qui n'ont jamais rien compris au mystérieux avertissement divin : « il faut que le scandale arrive », croyaient déjà voir une bénédiction suspendue au dessus de cette farce funèbre que la propagande s'efforçait de grandir aux proportions d'un événement historique, et qui est retombée maintenant dans le néant où la rejoindront bientôt d'autres impostures, et, par exemple, celle de la Croisade espagnole... >>
Sur la conscience nationale « pervertie par Vichy » :
<< Pétain, Weygand, [les] élites dégénérées qui viennent de donner la mesure de leur manque de jugement, de conscience et de coeur... >>
<< De ces complicités étrangères, Pétain n'était que l'instrument presque irresponsable. Mais, de la démission française, il était bien plus que le symbole, il était le prêtre et l'officiant. Si je ne craignais pas cette application presque blasphématoire des paroles du Saint Sacrifice, je dirais qu'en lui, avec lui et par lui, la France s'était renoncée. La France s'était reniée. >>
Sur la Révolution nationale :
<< Un pot-pourri de toutes les thèses contre-révolutionnaires, astucieusement compilées par des ratés d'Académie, de vieux diplomates salonnards et des hommes d'affaires venus sur le tard à la philosophie politique, comme les filles entretenues à la dévotion... >>
<<Catholiques français, la nation tout entière sait maintenant qu'elle est aux mains d'une minorité impopulaire qui depuis vingt ans cherchait vainement sa chance, et ne l'a trouvée que dans le désastre de mon pays. Le moindre souffle de victoire balaierait cette minorité comme un fétu. Laisserez-vous penser, laisserez-vous dire que notre revanche, à nous catholiques, est aussi celle de l'ennemi ? Laisserez-vous penser, laisserez-vous dire que nous sommes solidaires de la plus grande humiliation de notre histoire, que quiconque l'effacerait nous effacerait avec elle ? Laisserez-vous penser, laisserez-vous dire que, au point où vous en êtes, sûrs de partager le destin d'une politique que vous avez peut-être subie, mais qu'on vous accusera tôt ou tard d'avoir inspirée, votre sort se trouve lié à la victoire de M. Hitler, votre sécurité future à la consolidation du déshonneur ? Catholiques français, vous croyez servir alors qu'on se sert de vous. >>
10:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : 1940
Commentaires
SOYONS DES VEILLEURS
> Ces sentences, si bien exprimées, ne nous renvoient-elles pas à l'attitude générale de nos hommes et femmes politiques à l'égard des défis d'aujourd'hui et des menaces, à peines voilées, qui planent sur nos sociétés. Il y a aujourd'hui des tabous enfouis encore plus profondément dans nos consciences. Votre site ne cesse de nous les rappeler.
Catholiques soyons des veilleurs, des priants et des actifs !
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Écrit par : Gilles / | 03/06/2010
"Ô SALONS, Ô CHÂTEAUX"
> "Catholiques français vous croyez servir alors qu'on se sert de vous" ? Que c'est vrai !
ô salons, ô châteaux !
A.
[ De PP à A. - "ô salons, ô châteaux" ? bravo, Amicie, vous êtes en pleine forme. Je vous baise la main. ]
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Écrit par : Amicie T. / | 03/06/2010
BRESIL
> J'ai la plus grande admiration pour l'oeuvre de Bernanos, mais on a du mal à ne pas ironiser sur un homme qui a passé la deuxième guerre mondiale... au Brésil.
PH
[ De PP à PH - Vous pensez que l'information ne circulait pas ? Je vous suggère de lire 'Le Chemin de la Croix des Ames'... ]
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Écrit par : Pierre Huet / | 03/06/2010
ENGAGEMENT
> Si, bien sûr, mais il est quand même frappant que, durant cette période, beaucoup de personnalités considérées par la suite comme des références morales se soient trouvées loin de tout danger, soit de l'autre côté de l'Atlantique (Bernanos, Maritain) soit dans des retraites monastiques (Schumann) ou rurales (Mounier, le penseur de l'engagement).
PH
[ De PP à PH - Je ne crois pas que cet argument soit déterminant. Où mène-t-il ? A mettre "l'engagement" au dessus de la justesse de pensée ? Bernanos servit puissamment par ses écrits. Peu importe où il écrivait. C'est d'ailleurs ce que pensait de Gaulle, qui voulut (sans succès) en faire un ministre en 1945. ]
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Écrit par : Pierre Huet / | 04/06/2010
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