08/01/2010
François Fillon redoute une nouvelle crise, mais n'en voit pas la cause profonde
C'était ce matin, au colloque d'Eric Besson :
Au moment où l'on apprend – par exemple – que la Société Générale va centraliser ses actifs toxiques en France pour payer moins d'impôts, les experts et les politiques poussent des cris d'alarme.
Ainsi Simon Johnson, ancien économiste en chef du FMI, prédit « une catastrophe énorme », les banques n'ayant tiré aucune leçon de la crise et se croyant protégées par les Etats : « Une idée reçue veut que deux crises financière majeures ne peuvent pas se suivre de près, mais je pense que nous allons avoir la preuve du contraire.»
Ainsi également François Fillon, chef du gouvernement français, dans son discours au colloque Nouveau monde, nouveau capitalisme :
<<...Il y a un an presque jour pour jour, en pleine tourmente financière, j'avais eu l'occasion de conclure ici le même rendez-vous en disant que "rien ne devrait plus jamais être comme avant". L’année qui vient de s’écouler n’a en rien affaibli cette conviction. Mais je voudrais tout de même y porter quelques nuances.
Si rien ne devrait être comme avant, ce n’est pas parce qu’un autre monde différent se serait imposé par la force des événements: c’est parce que cet autre monde, nous avons commencé à le bâtir pas à pas, et il faut être lucides et constater comme vous l'avez fait au cours de ce rendez-vous que les forces de l’habitude restent prégnantes et que la bataille est loin d'être remportée. Si rien ne devrait plus être comme avant, ce n’est pas parce que je crois que le capitalisme va spontanément se métamorphoser : c’est parce que nous voulons le réorienter. Naturellement, tout cela ne peut pas se faire en un jour. Naturellement, le ressort fondamental du capitalisme, c’est la compétition, et il serait naïf, je veux même dire contre-productif, d’imaginer un monde sans concurrence et sans rivalités.
L’année dernière, nous étions à la même époque dans une sorte d’état de commotion. Nous réagissions à l’imprévu. Nous luttions pour éviter que l’onde de choc ne provoque l’effondrement du système financier. Un an après, j'ai envie de dire que tout reste à faire […] Cette crise a non seulement été d’une ampleur inédite, mais elle a été la première à affecter le système économique mondial né grosso modo il y a une vingtaine d’années, et dont la caractéristique, manifestement insoutenable sur le long terme, est de combiner des marchés globalisés avec une gouvernance fragmentée.
À présent, notre priorité doit être, comme vous l'avez souligné, de conjurer l’économie de bulle et d’éviter à tout prix le retour au "business as usual". La spéculation financière et immobilière repartant de plus belle; la finance reprenant sa position hégémonique sur la production; le court terme redevenant le seul horizon; la coopération internationale se délitant comme un château de cartes… Si tout ceci revient, alors tout ceci alimentera la prochaine crise, mais je voudrais dire que la prochaine crise serait plus grave que celle que nous venons de traverser ; elle le serait parce que l'endettement des pays développés et parce que la structure de bilan des banques centrales sont devenues telles que tout nouveau sauvetage en haute mer devient matériellement impossible, au moins pour quelques années. Nous ne disposerons donc plus pendant quelques années de parade efficace pour lutter contre les bulles spéculatives.
Alors, nous avons d'autant plus le devoir de prévenir le mal. Les crises économiques de l'histoire du capitalisme ont souvent en commun d’être fondées sur la croyance en un nouveau paradigme. C’est le mythe récurrent de la "nouvelle économie". Un mythe qui finit par aveugler certains acteurs. Un mythe qui leur fait croire qu’ils sont déliés des équilibres traditionnels qui sont ceux d’une économie saine. C'est ce mythe qui explique les grandes crises consécutives aux engouements spéculatifs de tous ordres : la tulipe au XVIIe siècle, le chemin de fer au XIXe, les matières premières ou les start-up de l’Internet au XXe. Je me souviens toujours d'un ami qui avait créé un des premiers offreurs d'accès à Internet en France et que je félicitais pour cette réussite exceptionnelle, et qui me disait : "je suis quand même un peu inquiet parce que ma capitalisation boursière est supérieure à celle de Renault". Naturellement, depuis, tout cela a disparu.
Résister aux tentations du laisser faire, résister à la fascination des modes et des mythes, c’est une responsabilité de tous, et c’est une responsabilité de tous les instants. Je pense que s'il y a un vrai point positif à tirer de la gestion de cette crise, c'est cette volonté de résistance, qui me paraît aujourd'hui se dessiner assez largement parmi les acteurs de l'économie. Au fond, on peut dire qu'une éthique et une philosophie politique du capitalisme mondialisé commencent à émerger.
Et je ne veux pas dissocier cette éthique et cette philosophie politique des valeurs gaullistes qui fondent mon engagement personnel : ce refus du fatalisme, qui est l’antichambre du déclin; cette conception du progrès humain qui ne se perd pas dans la course au profit; cette synthèse entre l'efficacité économique et la justice sociale, dans laquelle l’Etat joue un rôle d’arbitre, d'arbitre entre les impératifs du long terme et les pulsion du court terme… Je pense que tous ces principes retrouvent leur actualité. Le général de Gaulle aimait à railler les "poisons et les délices" qui ont conduit la IVe République à sa perte. Eh bien, le capitalisme a ses poisons et ses délices. Et nous devons poursuivre nos efforts pour les conjurer.
Je pense que nous ne sommes en réalité qu’au pied d’un Everest de mauvaises habitudes. Tout reste à faire pour construire un capitalisme nouveau, et un capitalisme qui, en tout cas selon moi, devrait présenter trois vertus.
D’abord, un capitalisme aux acteurs responsables. Il est aberrant que nous en soyons arrivés, en matière financière, à dissocier le couple en principe indissociable de toute démocratie, liberté-responsabilité. La responsabilité, la transparence, l’éthique, ce ne sont pas des mots nouveaux dans la théorie économique. Ce sont simplement des mots oubliés ! Et notre devoir, c’est de les réhabiliter.
[...] Mais, je pense mesdames et messieurs que ces mesures de régulation, pour impérieuses qu’elles soient, ne sont pas en elles-mêmes suffisantes. C’est la raison pour laquelle nous avons pris l’initiative de renforcer nos systèmes de protection des épargnants, en finançant ce renforcement par une taxe assise sur les bonus distribués aux opérateurs de marché. Le Royaume-Uni a pris une initiative analogue. Et au plan international, à l’initiative de Nicolas Sarkozy, d’Angela Merkel et de Gordon Brown, une réflexion a été engagée pour mettre en place les instruments qui permettront de faire en sorte que le secteur financier compense les coûts engendrés par la spéculation.
La deuxième vertu, selon moi, du nouveau capitalisme, c’est sa régulation collective. En 1933, la Conférence de Londres a été un échec. Elle n'a pas permis pas d’enrayer la crise des années 30. Elle porte au fond une très lourde responsabilité dans les années noires qui s’en sont suivies. Parce que c’est bien l’incapacité des nations à s’entendre face à la crise qui a précipité le monde, d'abord dans la récession, puis, dans le chaos. L’histoire ne doit pas se répéter ! Nous ne devons pas retomber dans la routine des égoïsmes nationaux. Il faut donc créer une nouvelle règle du jeu mondial, fondée sur la coordination des politiques économiques. Il est impensable que la croissance du monde s’alimente sainement de l’excès de consommation des uns et de l’excès d’épargne des autres ! Il n’est pas possible que la prospérité repose durablement sur des déficits abyssaux des uns et les excédents de balances des paiements des autres ! [...] L’économie mondialisée ne peut pas se passer d’une instance de décision politique digne de ce nom. [...] Je crois que d’une façon plus générale, nous avons le devoir de tracer les contours d’une démocratie mondiale. Il faut repenser les modes de décision au niveau international. […] L’économie s’est en effet mondialisée, mais la politique est restée l’apanage des Nations. A nous de réfléchir au meilleur moyen de favoriser des politiques globales, non seulement volontaristes, mais aussi respectueuses des peuples et des Etats. Et je pense que l’issue du sommet de Copenhague ne peut que nous inciter à méditer sur ce sujet, et à faire preuve d'imagination.
Enfin le capitalisme de demain reposera, mesdames et messieurs, comme toujours, sur l’investissement, sur l’innovation. Bref, sur le goût de l’avenir. Jusqu’à présent, la place démesurée accordée à la spéculation financière et à des activités non directement productives qui concentrent les richesses, n’est pas saine. Et en réaction à cette dérive, un nombre croissant d’utopistes et d’idéologues s’élèvent pour appeler à une économie dépourvue de croissance économique, voire en "décroissance". C’est une vision que je ne peux pas partager. Je la trouve illusoire, je la trouve rétrograde et pour tout dire, je la trouve défaitiste. Ce que je crois, c’est qu’un nouveau capitalisme fondé sur une éthique du progrès est possible. Franchement, en quoi le progrès technique d’aujourd’hui serait-il moins susceptible d’être mis au service du développement humain que celui d’hier ? Nous avons les ressources, l’intelligence pour ne pas compromettre le sort de nos enfants par des excès au présent. Nous sommes, je le crois, suffisamment responsables pour comprendre qu’il faut consentir des efforts pour préparer un avenir dont je me refuse à penser qu’il puisse être nécessairement sombre... >>
Ce discours est intéressant mais peu cohérent. Il voit la folie du capitalisme financier, mais ne voit pas que cette folie est le paroxysme du capitalisme en lui-même. Lançant la pointe désormais rituelle contre l'idée de décroissance, il rêve d'une croissance tempérée par une « éthique du progrès » : formule vide, la croissance ne pouvant être tempérée par rien puisqu'elle est par définition illimitée, ce qui le rend dévoratrice de l'homme et de la nature. Enfin Fillon rend aux visions sociales du général de Gaulle un hommage, mais « sublime et solitaire » comme le poème du Petit Chose dans le roman de Daudet : cette vision est en effet désavouée (in petto) par la classe politique française. On en a eu ce matin la preuve à la radio en entendant l'ex-ministre Luc Ferry déclarer que tous nos politiciens sont gaullistes ; façon de dire qu'aucun ne l'est.
Fillon a raison de dire que le système global laisse une « place démesurée » à la spéculation financière. Il devrait se demander pourquoi cette place reste démesurée, alors que la spéculation vient de mettre en danger l'économie réelle dans le monde entier. Le tout n'est pas d'invoquer le fantôme du Général : il faudrait réinventer le Politique, que l'on avait enterré au profit de la Finance en 1990. Et ça ne suffira pas. Le Politique est nécessaire, mais ne peut créer un nouvel esprit public et une nouvelle civilisation...
Car le problème va jusque là : il faut désormais une autre vision des rapports entre la Cité et l'Economie, entre l'homme et l'environnement. Au cas où vous chercheriez des pistes, Monsieur le Premier ministre, permettez-nous de vous suggérer de lire Caritas in Veritate.
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20:06 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : la crise
Commentaires
BON CONSEIL
> Bon conseil à Fillon, de lire l'encyclique. Benoît XVI insiste sur l'urgence de changer le modèle économique actuel. Quitte à faire grand peine à certains de ses partisans affichés : loyaux zouaves qui mettent leur loyauté à ne pas l'écouter dans ces domaines-là.
Écrit par : marco, | 09/01/2010
TAUTO
> Une décroissance rétrograde c'est ... tautologique !
En outre, je me demande bien en quoi la sobriété et la simplicité constitueraient une défaite. Une défaite face à quoi ? Et si tel est le cas, de quoi la croissance bien-aimée est-elle victorieuse ?
Écrit par : Thomas, | 09/01/2010
PISTE
> Beaucoup moins critique que vous sur ces propos de Fillon, qui n'est de toute façon qu'un commentateur navré.
Une petite piste :
le mot "croissance" appelle normalement un déterminant.
La croissance de ceci, de cela...
Perçue comme un absolu cela ne veut plus rien dire.
Comme souvent on confond une fin et les moyens (plus ou moins adaptés) pour l'atteindre. C'est la différence entre efficience (efficiency) et efficacité (effectivity).
L'argent a pour finalité les hommes qui ont pour finalité Dieu.
Je me soucie peu du bonheur de mon compte bancaire!
Écrit par : Julius, | 09/01/2010
YES WE CAN'T
> Dans ce discours de François Fillon sur un capitalisme plein de « poisons et délices », on chercherait en vain le mot « partage », sinon pour entendre le chef du gouvernement déclarer, à propos de la décroissance : « C’est une vision que je ne peux pas partager ». Toute l’impuissance de nos politiques est dans cette phrase. Celle d’un Jospin, confessant à un ouvrier, devant les caméras, son impuissance face au capitalisme mondialisé – aveu qui lui fit perdre le pouvoir un an plus tard. Celle donc, du Premier ministre actuel, qui non seulement ne pense aucunement le nécessaire partage des richesses (il se contente de demander aux financiers de « compenser » les dégâts provoqués par leur spéculation), mais qui, en plus, ne « peut pas partager » la réflexion sur la décroissance… laquelle fournit précisément un écho réaliste à la question du partage. Qu’on se le dise : François Fillon, comme avant lui, Lionel Jospin, c’est monsieur « Je ne peux pas ».
Écrit par : Denis, | 09/01/2010
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