'Le Monde' jette une ombre sur l'objection de croissance

 ...mais ce n'est que l'ombre d'une ombre :

 

Veillant au confort intellectuel de l'aile centre-gauche de la bourgeoisie d'affaires, Le Monde des 15-16 novembre consacre une page à dévitaliser l'idée de « décroissance ». Au prix de plusieurs contradictions, sans doute passées inaperçues du lecteur.

Titre, sur six colonnes: « La crise relance le thème de la décroissance ». Mais le sous-titre ajoute : « Une partie de la droite, de la gauche et des Verts réfléchissent aux voies d'une ''autre croissance''. » C'est déjà une contradiction. « Autre croissance » n'est pas « décroissance » ni « objection de croissance ». Ce que les objecteurs de croissance reprochent à la notion de « croissance », c'est d'être un dogme qui : a) nie la réalité limitée des ressources naturelles en posant le dogme d'une croissance illimitée ; b) donc dévore la planète et ses habitants, c) mutile la condition humaine en sacrifiant toutes ses dimensions autres que la consommation matérielle, d) et dévoie l'économie en fabriquant une demande de masse pour permettre d'augmenter sans cesse l'offre (de n'importe quoi).

On serait donc intéressé de savoir ce qu'une partie « de la droite, de la gauche et des Verts » aurait trouvé pour résoudre ce cercle carré : une « croissance » qui ne serait pas illimitée... Il faudrait déjà qu'elle ne soit pas le produit d'un capitalisme  refusant toute limite et toute norme en tous domaines (y compris éthiques, quoi qu'il en dise) ! Critiquer ce capitalisme est le pilier de l'« objection de croissance », mais cette critique n'est partageable ni par la droite, ni par la gauche (sauf Mélenchon [1]), ni surtout par les amis de Daniel Cohn-Bendit.

Or l'article ne satisfait pas notre curiosité : après dix lignes de Cochet qui n'apprennent pas grand'chose, Le Monde nous dit que le PS et Attac pédalent dans le vide, et que Mme Jouanno parle de « croissance verte » (comme Total et Cohn-Bendit).

Pourtant, si « le thème de la décroissance est  relancé par la crise », comme titre à bon droit la page du Monde, c'est que ce thème repose sur une réalité. Selon le sondage Ifop d'octobre, 27 % des Français se disent « prêts à changer en profondeur leur mode de vie et à restreindre leur consommation de manière significative ».

Même si ce genre de réponses aux sondages relève parfois de la pose, 27 % serait un chiffre à prendre en considération...

Mais les lecteurs du Monde n'y tiennent pas.

Le journal leur fournit donc le moyen de déclarer infréquentable l'objection de croissance, sous la forme d'un grand encadré intitulé (sur cinq colonnes): « A l'extrême droite aussi, on refuse les "dérives productivistes et mercantiles" ». Ce qui veut dire, dans l'esprit du journal : « Refuser les dérives productivistes et mercantiles, c'est pactiser avec l'extrême droite ». Normalement un pareil anathème suffit à déconsidérer l'ennemi (ici, l'idée de décroissance).

La méthode fonctionnera-t-elle dans le cas présent ? On peut en douter. L'encadré ne dit presque rien, si ce n'est qu'un certain groupuscule d'extrême droite cultive les thèmes écolo-décroissants... On répond « et alors ? », sachant : a) que ces thèmes sont incompatibles avec les leit-motive de l'extrême droite, b) que les principaux sites internet d'extrême droite sont obsessionnellement écolophobes, tendance Sarah Palin... (y compris des sites ultracatholiques qui n'hésitent pas, pour ce faire, à contredire le Vatican [2]).

Mais peu importe la vacuité de cette page du Monde : c'est la force intimidante des titres – non le contenu des articles – qui est l'arme des journaux. Dans l'idiome des médias actuels, on appelle ça : « pointer du doigt ».

 

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[1]  Je ne mentionne pas Besancenot, qu'on eût qualifié naguère de provocateur trotskiste à la solde du grand capital.

[2]  Nombreux textes écologistes du Vatican : on les trouve dans notre blog. Cliquer sur « Ecologie » dans la colonne « Catégories ».