22/10/2009
Notre art ne défie pas '' toutes les normes '' : il en vénère une, celle du marché
On est pris d'un rire nerveux à la lecture des dépêches sur la Fiac de Paris, qui ouvre aujourd'hui :
Médias : << Les yeux du monde de l'art contemporain se tournent cette semaine vers la Fiac de Paris où l'espoir d'une reprise économique réchauffe un secteur très affecté par la crise financière... La chute des ventes dans les maisons Sotheby's et Christie's et la prudence affichée lors de Frieze ont réduit à néant les espoirs d'un retournement rapide de conjoncture dans un secteur où il faisait bon investir avant la crise. Un peu plus d'un an après la chute de la banque Lehman Brothers, les professionnels évoquent le retour d'un optimisme relatif.
"Ce que nous avons remarqué ces derniers mois, c'est que l'appréhension que l'on avait il y a un an que quelque chose de sans précédent allait se produire s'est évaporée", a déclaré Jennifer Flay, directrice artistique de la Fiac. "Même si le marché de l'art a ralenti avec la crise, il est peut-être moins affecté que d'autres secteurs", souligne-t-elle.
"LE MARCHÉ CRÉE L'ÉVÉNEMENT"
La vente record de la collection d'art de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent en février a redonné des couleurs au marché parisien qui, s'il reste derrière New York et Londres en terme d'attraction des collectionneurs les plus aisés, a chuté de façon moins spectaculaire. "Paris était moins anormal que les autres grands centres", explique le directeur de la Fiac, Martin Bethenod. "Le boom a été moins fort donc la chute a été moins dure". La plupart des quelque 65.000 visiteurs attendus sur les différents sites regarderont sans acheter des oeuvres dont les prix vont de 1.000 euros à des centaines de milliers, voire des millions d'euros pour les grandes stars de l'art contemporain. "Le marché crée l'événement, c'est le carburant qui fait fonctionner la machine mais s'il n'était que cela, nous ne serions pas en mesure de maintenir l'intérêt", dit Martin Bethenod. >>
Langage de traders. Mais aussi langage de corporation, rivée à ses positions acquises ! Ces négociants en art avouent tout d'un coup redouter « quelque chose de sans précédent », ils se mettent à parler de « normal » et d' « anormal », alors que l'art qu'ils vendent exploitait depuis cinquante ans une attitude de « provocation inédite » et de « transgression ». Attitude qui devenait de plus en plus irréelle, puisqu'il y avait de moins en moins de normes à transgresser. Aujourd'hui, grâce à la crise financière, cette imposture se montre pour ce qu'elle était. Les gens de ce job ne prennent finalement au sérieux que les indices boursiers. L'art contemporain (qui persiste à faire semblant de défier des normes culturelles disparues de longue date) respecte l'unique norme d'aujourd'hui, celle qui a éliminé toutes les autres : le marché.
Pourtant le marché ne suffit pas à « maintenir l'intérêt », nous disent les professionnels. On est intéressé de l'apprendre ! L'art serait-il à la recherche de lui-même ? Voilà effectivement du « sans précédent », au moins depuis un demi-siècle.
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11:49 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : art
Commentaires
CHUTE DES FAUSSES VALEURS
> Avec la crise financière, on assiste à un effondrement progressif des fausses valeurs. On attend avec impatience celui de "L'art-Comptant-Pour-Rien", dénoncé autrefois par Baudrillard comme la grande imposture du XX° siècle. Dans le style gogo voulant absolument être à la page, on a vu récemment Alain Juppé battre les records du discours convenu aux côtés de Frédéric Mitterrand autour de "Evento" à Bordeaux.
Écrit par : Frédéric Ripoll, | 22/10/2009
FAIRE SEMBLANT
> L'art moderne ressemble à une immense hypocrisie collective : personne n'y croit, personne n'apprécie mais tout le monde fait semblant d'y trouver un intérêt. Et plus on monte dans la société, plus il faut faire semblant d'adhérer.
Écrit par : Gilles Texier, | 22/10/2009
GUITTON
> Une remarque de Jean Guitton éclaire indirectement cela :
"Lorsque le vrai s'efface, il est aussitôt remplacé par ce qui semble lui ressembler et qui en est en fait le contraire, à savoir : l'état de fait, la force, l'actualité, la matière, le corps, la politique, le moment présent. Et c'est pourquoi toute crise du vrai amène aussitôt un développement de la puissance, une adoration de la force et du fait." (Ce que je crois, Grasset, 1971, p. 68).
Écrit par : Jean, | 22/10/2009
UNE NOUVELLE RELATION A L'ART ?
> Je me souviendrai pour éternellement du sculpteur Alain Kirili, lors d'un séminaire d'histoire de l'art en 2008 (à l'INHA), nous mettant doctement en garde contre le retour de la morale. C'était son legs à la jeune génération : "brisez tous les tabous, et jouissez sans entraves". Mais la "jeune génération" qui l'écoutait était surtout effarée par son esprit libidineux. Si elle manque de repères éthiques, elle est tout de même plus soucieuse de la justice que des moyens de satisfaire ses désirs égocentriques.
Kirili est le pur produit de mai 68, la révolution consumériste par excellence. Le seul fait qu'on puisse lui rappeller que le désir n'est pas ce qu'en dit la publicité, qu'il n'est pas infini; qu'il n'est même pas une fin en soi et peut devenir un esclavage, serait pour lui un blasphème. Heureusement (si l'on peut dire), nous sommes à l'époque des catastrophes, sociales et environnementale. Voilà où mène le désir infini, égocentrique et immoral.
Je crois (mais sans confiance excessive) que ma génération inventera peut-être une nouvelle relation à l'art : des créations, des expositions, des ventes qui réaprendraient enfin le sens des limites. Le "Credo" soixante-huitard ne fait plus aussi bien recette. C'est du moins le constat que je tire de mes échanges avec d'autres étudiants.
Écrit par : Blaise, | 22/10/2009
BULLE DANS L'ART
> Jean Guitton "Lorsque le vrai s'efface, il est aussitôt remplacé par ce qui semble lui ressembler";
Voilà un excellent constat; ajoutons que le marché requiert des objets sur lesquels il puisse jouer. Imaginez les fortunes faites à partir des objets hideux (oui, je sais je n'ai aucun goût) et particulièrement les horreurs de Mr Picasso.
On appelle "bulle" une montée excessive du prix des valeurs boursières.
Imaginez une "correction" dans le domaine de l'Art (j'ai hésité à mettre la majuscule) et vous verrez un effondrement des prix de tout ce matériau.
Quelle jouissance de voir ce jour!
Mais je sais que ce n'est qu'un rêve : les acheteurs ont tous a y perdre alors ne rêvons pas.
Écrit par : René de Sévérac, | 23/10/2009
DECU EN BIEN
> Je suis allé à la FIAC hier, tel un mécréant se rendant dans une église pour y ricaner, tant l'art contemporain m'insupporte. Surprise: j'ai été plutôt "déçu en bien", si je puis dire. Beaucoup d'oeuvres plutôt classiques, répondant plus à l'appellation "art moderne" qu'à celle d'art contemporain: des Picasso, des Picabia, des Nicolas de Stael, des Miro... Bref de l'art de la première moitié du XXe siècle, mais il est vrai au milieu de pas mal de n'importe quoi (installations, ficelles tendues et toiles crevées) qui elles répondent bien à la définition d'art contemporain", avec les inévitables obscénités, devant lesquelles trônaient d'impassibles dames d'âge mûr, les tenancières de galeries d'art.
C'est la première fois que me rendais au Grand Palais pour cette manifestation, et je ne peux donc pas faire de comparaisons. Sinon, est-ce le retour aux valeurs sûres, la crise aidant au tri?
Il est vrai que je me suis pas rendu dans le Cour carrée du Louvre, réservée justement au n'importe quoi, parait-il. Ce sera pour l'année prochaine.
J'ajoute que, même dans le "contemprain," j'ai été intéressé par certaines oeuvres, par exemple par un Soulages lumineux (mais si!) en raison de l'auréole jaune que barrait le noir. Sur les "noir sur fond noir", je demeure perplexe...
J'aimerais avoir d'autres avis.
Écrit par : françois, | 26/10/2009
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