Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/09/2009

La souffrance au travail, les suicides, les responsabilités des entreprises... et le climat de l'ultralibéralisme

La situation ne cesse de s'aggraver :


 

Reçu ce document :

<< Les syndicats rencontrent jeudi 10 septembre la direction de France Télécom pour évoquer la souffrance au travail. Cet été, cinq salariés se sont suicidés, selon l'Observatoire du stress et des mobilités forcées créé par les syndicats Sud et CGC-Unsa. Dans cette tribune adressée à Mediapart, l'Observatoire condamne le «déni» de la direction de France Télécom et l'enjoint à «accepter de négocier». «La direction se refuse à remettre en cause son modèle de management», écrivent les auteurs. 

 L'été 2009 a été particulièrement douloureux : cinq salariés de France Télécom se sont encore suicidés. Le premier de ces drames se déroule à Marseille le 14 juillet. Le cadre qui met fin à ses jours, Michel, dénonce dans une lettre sa «surcharge de travail» et un «management par la terreur». Un deuxième salarié, Daniel, se suicide à Draguignan mi- juillet, pendant un arrêt maladie. Le troisième, Camille, met fin à ses jours à Quimper, le 31 juillet. Le quatrième suicide intervient à Besançon le 11 août : Nicolas, célibataire sans enfant de 28 ans, y exerçait son métier de technicien télécoms. Dans une entreprise largement senior, le relatif jeune âge du salarié accroît l'émotion des personnels. Le cinquième et dernier en date, à Lannion le 30 août.

 Dans les deux mois d'été, l'Observatoire du stress et des mobilités forcées a recensé, outre ces cinq décès, quatre nouvelles tentatives de suicide. Vingt deux salariés ont mis un terme à leur existence depuis janvier 2008. Une macabre énumération qui ne prend pas en compte les nombreux salariés éloignés de l'entreprise pour longue maladie, terme pudique qui masque le plus souvent de profondes dépressions.

 Drame individuel, c'est évidemment la thèse reprise immédiatement par la direction de l'entreprise qui reçoit le concours inattendu et soudain des autorités judiciaires. Le lendemain du drame de Besançon, le parquet a estimé qu'à la lecture d'une lettre laissée par le salarié, il était «impossible d'établir un lien formel de causalité entre ses problèmes professionnels et son geste fatal», sans exclure la possibilité d'une enquête sur les conditions de travail. «24 heures d'enquête, tout est bouclé ! Et l'on se plaint des lenteurs de la justice !», commente de façon amère Francis Hamy, membre de l'Observatoire du stress et représentant de la CFE-CGC et de l'UNSA au comité national qui chapeaute les 263 CHSCT de France Télécom. Le salarié «était confronté à une mobilité forcée depuis plusieurs mois», souligne pourtant Christian Mathorel (CGT). Jacques Trimaille (Sud-PTT) précise de son côté que le technicien «avait récemment été nommé sur un poste qu'il a ressenti comme très disqualifiant».

 Dès la mi-juillet, les six organisations syndicales du groupe ont demandé, par lettre publique, une audience d’urgence au P-DG Didier Lombard, sur le départ (Stéphane Richard, ancien directeur du cabinet de la ministre de l’Economie et des Finances, Christine Lagarde, doit lui succéder d’ici 2012). Fin août, notre lettre restait sans réponse ni même accusé de réception.

 Chez les militants de base, la tension est réelle : trente mille suppressions d’emploi ont été enregistrées depuis 2006, et se sont déroulées sans aucun accord conventionnel, sans plan d’accompagnement des restructurations.

 Les deux dernières négociations, obligatoires tous les trois ans, dites de gestion prévisionnelle de l’emploi et de des compétences (GPEC) ont échoué, fautes de signataires syndicaux…

 Après avoir vainement évoqué une «co-responsabilité» entre entreprise et syndicats dans cette vague des suicides, la direction propose enfin quelques ouvertures. Elle accepte une négociation sur la déclinaison à France Télécom de l’accord de branche interprofessionnel sur le stress dans les télécoms. Elle concède le principe de «négociations locales» avec les organisations syndicales en cas de restructurations de sites ou d’établissements. Elle souhaite renforcer l’embauche de médecins de travail et d’assistantes sociales et densifier un tissu de personnels de relations humaines dites «de proximité».

 Cela sera-t-il suffisant ? Dans les faits, la direction de l’entreprise se refuse à remettre en cause son modèle de management, de reconnaître un lien concret entre les restructurations en cours et la souffrance au travail. Elle éprouve visiblement les plus grandes difficultés à se résoudre à recourir à des solutions conventionnelles : accepter de négocier et trouver un terrain d’accord avec les organisations syndicales. Cependant, la politique de déni de la direction semble enfin connaître ses limites à l’aune de ces drames.

 L’accumulation des morts n’est, avec les démissions, les congés pour longue maladie, les "pétages de plomb" et la montée vertigineuse de l’absentéisme (un mois par an en moyenne pour les salariés du groupe !), que l’un des indices qui montrent que la maison France Télécom va mal. Christophe Dejours, titulaire de la chaire psychanalyse, santé, travail au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) et co-auteur, avec Florence Bègue, du livre Suicide et travail, que faire ? (Presses universitaires de France), réagit avec vivacité :

 «Je suis en colère, car cet événement souligne une dégradation du "vivre ensemble" chez France Télécom qui, depuis sa privatisation, pratique une réorganisation d'une grande brutalité, d'après les enquêtes dont j'ai eu connaissance. Je suis effondré, car cela montre que le travail que nous avons essayé de faire, depuis les premiers suicides au travail, il y a une douzaine d'années, pour favoriser la prise de conscience de la souffrance au travail, est sans effet.»

 Le chercheur s’emporte contre l’apathie des entreprises qui renvoient systématiquement le suicide à la sphère privée, aux fragilités individuelles : «Chacun est considéré comme responsable de sa décompensation. Cette vision est fausse : ces suicides sont le plus souvent en lien avec les transformations de l'organisation du travail. (…) C'est vrai qu'en général, le salarié qui se suicide a des difficultés personnelles. Mais expliquer ainsi son geste, comme le font les directions, c'est s'appuyer sur l'idée d'une coupure entre vie personnelle et vie au travail. Or, sur le plan psychique, elle n'existe pas. Quand quelqu'un souffre au travail, cela vient dégrader sa vie personnelle. »

La multiplication des actes désespérés l’inquiète : « Il y a trente ou quarante ans, le harcèlement, les injustices existaient, mais il n'y avait pas de suicides au travail. Leur apparition est liée à la déstructuration des solidarités entre les salariés. Celles-ci ont été broyées par l'évaluation individuelle des performances, qui crée de la concurrence entre les gens, de la haine même. Cette évaluation doit être remise en question

L’Observatoire du stress et des mobilités forcées se doit de poursuivre son action et ses travaux sur l’ensemble de ces sujets. Des assises seront organisées à Paris, à la fin de l’année.

 Pour l'Observatoire du stress et des mobilités forcées de France Telecom : Patrick Ackermann (SUD-PTT), Philippe Meric (SUD-PTT) et Pierre Morville (CFE-CGC) >>

 

18:22 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (19)

Commentaires

MANAGEMENT PAR LE STRESS

> La dernière encyclique devrait inspirer le ministre du travail à agir promptement contre les désordres du libéralisme conduisant à un tel mépris de l'humain, si son commentaire dans l'Osservatore Romano ne se limite pas à une opération de séduction.
Le management par le stress conduit à désocialiser des personnes compétentes et les rendre inaptes à réintégrer la société. Cette politique à court terme qui satisfait les actionnaires pèse en revanche à long terme sur les comptes sociaux et alourdit la fiscalité de tous les contribuables. Cette logique ne fait qu'encourager les délocalisations. Ce gaspillage humain est indigne, il témoigne de la négation du respect de la personne humaine. L'absence de réaction du politique témoigne d'une régression de la mentalité publique qui nous ramène plus de soixante en arrière.
Merci pour ceux qui souffrent au travail et ceux qui essayent de les défendre dans un désert d'indifférence et se heurtent au mépris politico-administratif.

Écrit par : Qwyzyx | 11/09/2009

Merci pour la note

> Le point de vue d'un psychiatre de Grenoble :
http://www.ledauphine.com/index.jspz?article=189965
Une émission de France Culture sur les suicides à France Télécom
http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/fabrique-de-lhumain/
Une autre émission sur la souffrance au travail à partir des suicides de France Telecom passe le samedi 19 sept de 18h à 19h sur France Culture, toujours.
Deux article de Médiapart sur le sujet :
http://www.mediapart.fr/club/edition/article/100909/france-telecom-%C2%ABla-direction-est-prevenue-des-risques-suicidaires%C2%BB#comment-299172
http://www.mediapart.fr/club/edition/article/090909/france-telecom-un-ete-meurtrier
Un article de Libération :
http://www.liberation.fr/vous/0101589920-on-est-entre-dans-un-systeme-qui-broie-autant-l-agent-que-le-chomeur

Écrit par : Annie | 11/09/2009

VRAIMENT ?

> Il y a des fonctionnaires et des agents du secteur public qui ont tellement perdu
l'habitude de travailler vraiment (à supposer qu'ils l'aient même acquise un jour) que toute réorganisation qui les oblige à un peu plus d'activité les déstabilise !
BH

[ De PP à BH - Votre son de cloche ferait certainement plaisir au comité d'éthique du Medef. Et c'est le seul de ce genre que nous ayons reçu ; heureusement, oserai-je dire. ]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : B.H. | 11/09/2009

DEBAT

> > Bonjour,
Le choc de ces nouvelles dépassé, je me suis posé une question et me suis livré à quelques macabres calculs. Lorsqu'on regarde les statistiques de suicide en France (dans les 17 suicides pour 100000 personnes qui se porte autour de 40 pour 100000 chez les adultes entre 25 et 50 ans) on se rend compte que le cas de France Télécom n'est pas un cas isolé, mais la triste figure d'une réalité générale, stigmatisée pour l'occasion. Je ne veux pas dédouaner le rôle du management de France Télécom qui a surement sa responsabilité dans le mal être de ses employés, mais France Télécom c'est plus de 180 000 employés et le taux de suicide parmi eux est tout à fait dans la moyenne du nombre de suicides en France (sinon même relativement en-dessous, si mes calculs sont exactes). C'est donc moins France Télécom en particulier qu'il faut examiner que le mortel système dans lequel nous vivons aujourd'hui.
En outre, la totalité des suicides en France n'étant pas concentrés sur des raisons liées au travail, il nous est interdit de penser que cette moyenne déjà minorée chez les employés de France Télécom, soit plus particulièrement reliée aux conditions de travail dans l'entreprise. Juste par souci de cohérence... ce qui ne remplace pas une enquête sur le terrain pour examiner franchement ce qu'il en est des conditions de travail.
Cela dit, je n'ai pas trouvé une série de ces tristes statistiques qui selon moi serait beaucoup plus significative : l'évolution du taux de suicides au cours des années, autant chez France Télécom qu'en France en général.
En l'absence, je me demande si de stigmatiser cette entreprise, à tort ou à raison, peut avoir l'effet positif d'un réveil des consciences, et devenir ainsi le premier pas vers une réflexion approfondie sur le management et le sens du travail en général ; ou au contraire, faire porter à France Télécom seule la responsabilité d'un problème qui concerne en fait le monde du travail en général et ainsi faire l'autruche, le cas France Télécom ne devenant qu'une simple diversion. Je pose juste la question...
Pneumatis

[ De PP à P. - N'essayons pas de faire disparaître le problème en l'émiettant. Lisez
les témoignages, notamment ceux que nous recevons ici (cf le message de F. Ripoll) :
le management de France Télécom est simplement à l'image du management de toutes les grandes entreprises d'aujourd'hui, engrenées dans un système démentiel de rentabilisation financière - aussi anti-économique qu'anti-humain. ]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Pneumatis | 11/09/2009

EVOLUTION ULTRA-MERCANTILE A FRANCE TELECOM

> Mais il y a, en plus de ce que vous évoquez, un facteur pire encore : ce matin-même, un ami cadre à France Telecom (30 ans de boutique) me confiait que leur job avait évolué en quelques années dans un sens ultra mercantile qui se résume à ceci : si un client au téléphone a un problème, ne perdez pas de temps à le résoudre mais vendez lui un contrat. Si vous faites du sentiment, votre carrière est compromise. C'est le fondement même et la dignité d'un métier au service du public qui est bafoué. Comment ne pas "péter les plombs" ?

Écrit par : Frédéric Ripoll | 12/09/2009

LE NOUVEAU SUICIDE

> Et l'on a appris encore le nouveau suicide d'une jeune femme de 32 ans travaillant à France Telecom au service recouvrement d'Orange à Paris 17ème.
C'était une personnalité fragile, nous dit-on... c'est bien possible, et alors ? Faut-il que toutes les personnes fragiles soient écrasées et comptées pour rien !
Le fait est que cette jeune femme s'est défenestrée du 5ème étage sur son lieu de travail au sortir d'une réunion où elle venait d'apprendre qu'elle changeait d'équipe.
Fragile sans doute, mais fragilisée certainement aussi par les conditions de travail et surtout de management du personnel et le signifiant par le lieu même de son suicide comme un ultime cri de désespoir.

Écrit par : Michel de Guibert | 12/09/2009

A PROPOS ?

> Mon commentaire ferait, parait-il, plaisir au comité d'éthique du MEDEF...Et alors ? La fusion entre le Trésor et les Impôts, longtemps bloquée par les syndicats, a remis au travail des gens qui en avaient perdu l'habitude en réduisant le nombre de fonctionnaires (c'est l'un des filons principaux de la baisse du nombre de fonctionnaires actuellement). Et pour l'Education nationale, je vous rappelle qu'un rapport de la Cour des comptes, il y a plusieurs années, avait révélé que plus de 40.000 enseignants étaient payés sans exercer leur métier, payés à rien faire; or il n'y a pas, j'espère, 40.000 dépressifs ou pédophiles à l'Education nationale qu'il faudrait mettre de côté !
Et que dire des "centres culturels français" à l'étranger si coûteux, alors qu'on pourrait organiser les expositions ou sessions pour un moindre coût en louant simplement sur place des espaces d'exposition ou des centres de congrès pour la durée des activités... Et sans avoir à payer des fonctionnaires et à faire prendre en charge par les contribuables français les frais fixes de maintenance permanente d'équipements français à l'étranger!
Votre cheminement personnel, cher Patrice de Plunkett, vous conduit à être très sensible aux ravages du capitalisme international, et à nous ouvrir à juste titre à cette question qui est effectivement l'un des axes de la doctrine sociale de l'Eglise, pour autant il ne faudrait pas vous aveugler sur le gaspillage d'un secteur public parasitaire et paresseux en France. Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour nous révéler le statut général des fonctionnaires... français !
BH


[ De PP à BH - Etes-vous sûr que ce genre de considérations vienne à propos dans un débat sur la douleur humaine provoqué par le management new look ? Je ne le pense pas, et j'aimerais assez qu'on s'en tienne là. ].

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : B.H., | 12/09/2009

CHANGER EN PROFONDEUR

> PP a écrit : "N'essayons pas de faire disparaître le problème en l'émiettant." Loin de moi l'idée de noyer le poisson, et je m'en excuse si c'est ce que mon propos a contribué à faire. Au contraire je considère que c'est un problème très grave, et qui mérite qu'on l'aborde suivant le bon axe : attend-on comme axe d'amélioration de faire payer France Télécom pour son mercantilisme aveugle en cause dans la dépression de ses employés, ou attend-on une vraie réflexion sur le sens du travail qui pourrait enfin nous conduire à remettre l'homme comme finalité du travail et non le travail comme finalité de l'homme.
Ceci étant dit, en me relisant, je mesure à quel point mon réflexe d'analyse sur les chiffres, réflexe anti-buzz que j'ai développé depuis quelques temps, est déplacé compte tenu de la gravité et de la triste réalité du sujet. Même si ce n'est pas ce qui ressort de mon intervention, mes pensées vont d'abord aux familles et aux proches des personnes qui ont mis fin à leurs jours, ainsi qu'à toutes ces personnes qui souffrent le drame de la dépression au travail, comme j'ai pu en souffrir, quoique plus légèrement, pendant 2 ans.
PP a dit : "Lisez les témoignages, notamment ceux que nous recevons ici (cf le message de F. Ripoll)".
J'ai lu et je reconnais quelque chose que je côtoie chaque jour dans mon milieu professionnel. Je ne veux pas le banaliser, je le déplore, je cherche même à le combattre à l'échelle de mon entreprise, selon ce que mes responsabilités me permettent de faire. Mais ce n'est malheureusement pas l'apanage des grandes entreprises. N'importe quelle petite entreprise aujourd'hui, comme celle pour laquelle je travaille, dès lors qu'elle est sur un marché fortement concurrentiel, renonce à toute forme de moral et, j'ose dire, d'humanité. On nous dit : l'important c'est d'être les premiers sur le marché, même si ce qu'on fait est pourri (je développe des logiciels). L'important c'est de ne jamais dire non aux clients, mais de leur proposer des solutions de contournement. L'important c'est de faire croire aux clients que tout est possible. Etc... Et les techniques de management ne sont pas, je crois, au centre du problème. Car ces techniques managériales traduisent une exigence qui les précèdent. On le constate quand on voit des consommateurs toujours plus exigeant, toujours plus impatients. Dans les relations commerciales inter-entreprises c'est encore pire. Je connais des gens qui ont travaillé comme hotliners, je vous laisse imaginer le mental en béton qu'il faut avoir pour ne pas avoir envie de se tirer une balle au bout d'une semaine, quand on bosse sur des plateformes téléphoniques en support utilisateurs, assistance technique ou service après-vente. Chacune de vos paroles est enregistrée, vous devez traiter le rapport de l'appel terminé pendant que vous êtes déjà en train d'écouter le problème du client suivant, vous avez sur le dos un manager qui vous regarde en tapotant sa montre et en vous rappelant que les blâmes ou les primes sont calculés sur le temps passé avec un client, etc... Et toujours dans cette urgence, cette pression, vous devez prendre les bonnes décisions, trouver les bonnes solutions, être avenant et faire comme la centaine d'autres personnes qui bossent autour, comme vous, dans le même openspace. Un espace de travail qui, vu d'en haut, a tous les aspects d'un immense amas de clapiers à lapins.
Le harcèlement moral, si on voulait bien considérer le terme pour ce qu'il veut dire, est simplement devenu un mode de fonctionnement, une institution : on met la pression pour tenir l'efficacité. Mon patron, par exemple, assume totalement ce comportement. Il considère que la meilleure façon d'être efficace c'est toujours de vendre des logiciels comme si ils étaient déjà développés alors que ce n'est pas le cas, de toujours plus raccourcir les deadlines de livraison, de nous dire à nous, chefs de projets, des choses comme "si tu te plantes sur ce projet là, c'est toute la boite qui coule", etc... Je vis ça au quotidien, et j'ai appris à lutter contre la dépression en relativisant les choses. Le pire c'est que mon patron est quelqu'un d'extrêmement sympathique, qui nous aime beaucoup comme une grande famille, mais qui est simplement formaté sur le modèle général que propose notre société aujourd'hui.
C'est ce modèle là qu'il faut changer en profondeur, mais ce n'est pas quelque chose qui se limite simplement à du management : c'est toute une manière de consommer, une manière de respecter le travail d'autrui, et de rechercher dans le travail l'épanouissement de l'homme, bref : aller dans le sens de son développement intégral, pour lequel le travail à une partie très importante à jouer.

Écrit par : Pneumatis, | 13/09/2009

LA MACHINE

> Bien sûr, Pneumatis, qu'il ne s'agit pas de stigmatiser une entreprise, mais bien évidemment il s'agit là d'un problème de société monstrueusement complexe où tous les rouages sont impliqués, au-delà du simple management. Tout se passe comme si la machine est en train de s'emballer et je crois que les victimes, qu'elles soient de Molex ou de France Telecom, sont les premiers symptômes de quelque chose de beaucoup plus vaste. Sans vouloir jouer les Cassandre, je crains que le pire soit à venir. Car enfin, quand on lit sur le même thème de la page suivante, qu'une institution culturelle qui, à priori, ne subit pas la pression économique du marché, présente les mêmes symptômes, on peut, on doit s'interroger. Dire que notre société est malade c'est enfoncer une porte ouverte, et on continue de dormir tranquilles. Avec l'affaire France Telecom c'est toute la société effarée qui découvre brutalement l'ampleur de la maladie. J'espère qu'avec ces tristes événements la société dormira moins tranquille.

Écrit par : Frédéric Ripoll, | 13/09/2009

A BH

> Je suis fonctionnaire depuis presque quinze ans. Les lourdeurs, les archaïsmes de l'administration, je connais un peu (même si j'appartiens à un ministère où l'habitude des réformes et restructurations successives commence à s'ancrer..). Mais si je dois reconnaître un mérite à la fonction publique, c'est d'être, par son histoire et sa culture, assez rétive au management "new look". Certes (RGPP oblige), les chantiers - et applications- existent en la matière. Mais je me demande si l'administration (en nuançant bien sûr selon les secteurs) n'est pas un des derniers endroits, en France, où le "vivre ensemble" au travail est encore possible. Pour combien de temps encore ? Je suis peut-être une âme simple, mais les "gaspillages" du secteur public m'émeuvent moins que les primes des traders...

Écrit par : Feld, | 13/09/2009

A BH:

> je ne vais rentrer dans votre polémique car j'en ai marre d'être la cible des anciens d'HEC ou membres d'une quelconque profession libérale qui sont persuadés d'être les seuls qui travaillent et sauvent le monde, mais je tiens à préciser une chose quand vous parlez de ce rapport de la Cour des comptes sur les enseignants. Il s'agit d'enseignants qui ne sont pas PRESENTS devant des élèves, cela ne veut pas dire qu'ils ne fichent rien. Ils sont détachés dans d'autres services ou administrations. Un exemple: les deux professeurs référents détachés à la MDPH que je viens de voir pour organiser la scolarisation de mon fils handicapé ; ils sont payés mais ne sont pas devant des élèves - alors, feignants? J'arrête là car je veux pas rentrer dans ce jeu débile de bouffer du fonctionnaire. Ce n'est pas en dressant les uns contre les autres que l'on avance.

Écrit par : vf, | 14/09/2009

MISE AU POINT

> Au sujet du mensonge des "40.000 enseignants étaient payés sans exercer leur métier"... Bien que faisant des heures supplémentaires (pas toujours payées, puisqu'il arrive qu'on nous dise à la fin de l'année : "Désolé, l'enveloppe est vide"), j'ai l'honneur d'être à moi seul 1/18e de prof "payé sans exercer mon métier", car ayant dans mon service de professeur de musique 1h de "décharge chorale"... qui paie toutes les heures faites devant mes choristes mais non comptabilisables par le système.
Ce rapport de la Cour des comptes avait additionné ce type d'heures pour ensuite diviser par 18, et obtenir ce beau chiffre bien médiatique de 40 000 ; et, aujourd'hui, nous voilà avec de plus en plus de contractuels devant les élèves, le nombre d'enseignants étant désormais insuffisant.
...Désolé pour cette petite mise au point qui me semble de bien peu d'importance par rapport au drame qui nous occupe aujourd'hui ; si ce n'est peut-être qu'elle reflète une facette du système actuel ?

Écrit par : Ren', | 14/09/2009

A TAILLE HUMAINE

> Un de mes amis, pas franchement adepte du maintien des bastions syndicaux, était il y a encore quelques mois directeur d'un important bureau de poste. Il m'a souvent expliqué, effaré, de quelle manière étaient gérés les problèmes humains, dans un contexte de nécessaire modernisation d'un service aux archaïsmes évidents. Son témoignage était celui d'un homme qui voyait autour de lui s'affronter une direction dont le seul moyen d'action est la pression sur les salariés, et des syndicats révolutionnaires (du type Sud PTT) arc-boutés sur des réflexes d'un autre âge. Résultat : une ambiance épouvantable, un stress permanent, et un taux d'absentéisme élevé. Il ne savait pas comment faire, pris entre le marteau et l'enclume. Pour ma part, je vois dans mon métier d'avocat des cas de harcèlement moral, et j'ai un point de vue nuancé. En effet, la loi instituant le délit de harcèlement moral a eu un effet positif, en ce qu'elle a permis une prise de conscience du phénomène. Mais aussi un effet négatif, en ce qu'elle a entraîné une multiplication de procédures injustifiées, à la suite d'évènements ponctuels et normaux dans toute communauté humaine, tels qu'un accès de mauvaise humeur à l'encontre d'une personne trop susceptible. Les conseils de prud'hommes, submergés de telles demandes, ont fini par adopter une position plus ferme sur le sujet, en exigeant que soit rapportée la preuve de faits réitérés (condition posée par la loi). Malheureusement, il est extrêmement difficile de juger de telles affaires, car les moyens de preuve sont uniquement des attestations, et les juridictions du travail ne sont pas réputées pour la finesse de leurs analyses juridiques ! J'ai eu à connaître un cas France Télécom, où se mêlaient un véritable harcèlement et une pathologie paranoïaque (voire paresseuse, le salarié était client de mon cabinet) qui rendait la décision très délicate à prendre. La question essentielle est bien posée dans ces commentaires : pourquoi, d'une manière générale, les salariés ressentent-ils un tel malaise dans leur travail ? Les réponses sont nombreuses et complexes. Le cas des entreprises publiques est sans doute particulier, parce qu'on est passé d'un système de fonctionnariat à un système privé. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose en soi, à condition que l'objectif soit un meilleur service au client, et non un accroissement de la pression sur le personnel comme cela semble être le cas ! Mais, pour être tout à fait honnête, je râle vigoureusement à chaque grève de la poste, en promettant au guichetier d'aller voir dans le privé lorsque le service sera libéralisé ! Et il est vrai que dans mon cabinet, et dans tous ceux que je connais autour de moi, y compris les très gros, nous ne connaissons pas ce type de problème. Nous travaillons "en famille", chacun se connaît, en cas de problème personnel on en parle et on trouve une solution. Le tout sans management par le stress, sans harcèlement, sans grève ! Et pourtant, nous sommes tous -patrons et personnel- de pauvres pécheurs et nous avons nous aussi nos mouvements d'humeur ! Mais tout se fait dans une structure à taille humaine, c'est la différence majeure avec les grandes entreprises ou les administrations.

En ce qui concerne l'éducation nationale, on pourrait penser, dans un système de bon sens, que le directeur d'établissement joue le rôle du patron et gère (au bon sens du terme) les questions de personnel. Malheureusement, j'ai le sentiment qu'il n'en est pas ainsi (VF nous donnera son point de vue) et que le malheureux proviseur n'a aucune possibilité réelle de régler les problèmes. Un autre de mes amis, directeur d'un établissement privé, me disait il y a peu qu'il n'avait aucune possibilité d'action à l'encontre d'un mauvais professeur. Il est pieds et poings liés, même si les parents se plaignent, même si l'absentéisme est anormal, même si le prof de français l'année du bac s'absente en voyage scolaire quinze jours au mois de mai... La seule solution, inacceptable moralement (à ses yeux et aux miens) est de "mettre la pression" sur les personnes. C'est tout à fait anormal. Ne rejettons donc pas, par principe ou au nom des "acquis sociaux" les propositions de réforme tendant à améliorer l'autonomie des dirigeants de services publics. N'est ce pas l'application du principe de subsidiarité ?

Écrit par : Edouard, | 14/09/2009

"LES ENSEIGNANTS"

> Je vois que les enseignants ont encore envie qu'on les plaigne... Ne serait-il pas judicieux de gérer désormais le personnel enseignant au niveau des communes, des départements ou des régions, pour que la gestion du personnel de l'Education nationale soit plus souple et plus humaine. Mais de cela, ni les syndicats, ni les enseignants ne veulent, preuve que malgré leur plainte perpétuelle ils ont bien quelque intérêt inavouable à la pérénité du monstre administratif - unique au monde - qu'est l'Education nationale française !
BH

[ De PP à BH :
- Lapider les enseignants est une coutume tribale à droite ; l'habitude (jusqu'en 1991) était d'ajouter que l'E.N. était "aussi nombreuse et aussi lourde que l'Armée Rouge". Type de griefs généralement avancés par des parents de l'école privée...
- Vous auriez dû écouter le très intéressant débat entre Danièle Sallenave et Augustin d'Humières (auteur de "Homère et Shakespeare en banlieue", Grasset) à l'émission d'Alain Finkielkraut le 12 septembre. Ci-dessous le résumé du livre de d'Humières :
" Un lycée de banlieue, l'un des pires, si l'on en croit les statistiques. Contourner la carte scolaire est une nécessité pour les familles, qui veulent à tout prix éviter cet établissement. Hiver 2003 : Augustin d'Humières et six anciens élèves décident de créer un réseau de solidarité avec les lycéens, avec un premier objectif : assurer la survie du latin et du grec. Chaque année, répéter le même leitmotiv : le grec et le latin sont les meilleurs vecteurs de l'égalité des chances !.
Quatre ans plus tard : 250 élèves recrutés, des anciens élèves devenus professeurs de lettres classiques, avocats, élèves de grandes écoles, médecins, et qui réussissent à faire de ce lycée déshérité une citadelle des langues anciennes.
Deuxième objectif d'Augustin d'Humières : un groupe de 20 élèves recrutés au hasard des couloirs et quelques professionnels du théâtre qui vont les aider à préparer un spectacle. Pas un simple atelier, mais des répétitions, trois ou quatre fois par semaine, tous les jours durant les vacances, dans le centre social de la cité où le théâtre s'invite dans le quotidien de ces élèves.
Une série de portraits réalisés par Marion Van Renterghem met en relief quelques uns des acteurs de cette expérience extraordinaire." ]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : B.H., | 14/09/2009

Cher Edouard,

> Tout d'abord, je ne suis pas le seul enseignant sur ce blog et mon avis doit être confronté aux autres. Un chef d'établissement dans le public ne gère que l'administratif. Il est là uniquement pour faire tourner la boutique et nous permettre à nous, profs, de faire notre boulot dans les meilleures conditions possibles. Il veille à notre présence, à notre ponctualité, etc (au fait, les voyages sont décidés en conseil d'administration où le principal est libre de dire non). Tout ce qui touche à la pédagogie ou à l'enseignement pur relève de l'inspecteur pédagogique régional qui est notre supérieur hiérarchique. Il vient nous inspecter tous les 4 ou 5 ans. S'il y a un problème, le principal fait un rapport à cet inspecteur qui ensuite agit (ou pas). C'est un système lourd et à rénover mais il permet d'éviter un écueil que j'ai vu dans le privé hors-contrat, c'est la caporalisation des enseignants. Dans un établissement privé hors contrat que je ne citerai pas, à Nice, les profs notaient et sanctionnaient les élèves selon le bon vouloir du "patron" qui veillait à ne pas vexer les parents selon leur "standing". Comme pour le public où les chefs d'établissement sont obsédés par les taux de réussite ou les innovation pédagogiques qui leur rapportent des points dans leur carrière et ont tendance à faire pression pour monter tel ou tel projet particulièrement remarquable à leurs yeux mais bouffant dix heures de cours.
Il faut faire bien attention à une chose: une école n'est pas et ne doit pas être une entreprise. Elle n'a pas à être "gérée" comme une boite privée vendant des chaussures. L'argument du mauvais prof que l'on ne peut virer est connu. Mais là, le problème est du ressort d'une inspection qui ne fait pas son boulot. Et je me méfie beaucoup des parents qui jugent tel ou tel prof. L'hypocrisie et la subjectivité étant très répandues de nos jours.
Ce problème de gestion humaine (quel terme horrible) se pose pour nous avec nos inspecteurs chargés de nous faire appliquer tous nouveau changement de programme ou de méthode pédagogique. Mon dernier inspecteur était connu pour faire pleurer les collègues féminines inaptes selon lui à enseigner en lycée car trop absentes (sic).
Enfin, donner de l'autonomie de recrutement aux principaux, c'est la fin du recrutement national par concours permettant d'avoir une qualité d'enseignant égale sur le territoire. Et voir un chef d'établissement décider de mon programme et de ma pédagogie alors qu'il est un ancien prof de sport, je bloque un peu.

Écrit par : vf, | 15/09/2009

A BH:

> A priori vous cherchez l'affrontement. C'est une attitude de troll, non? Ceci dit, l'Education nationale est malade mais elle l'est des pédagogies, comme le constructivisme, qui sont au service du système matérialiste-mercantile. Il faut quand même savoir que Meyrieu, le grand gourou de ces nouvelles méthodes (qui ont trente ans quand même) vient de l'enseignement privé catholique. La massification de l'école, son nivellement par le bas au profit d'une consommation scolaire a été initiée et conduit par la droite depuis 1968 (lois Faure, Haby, etc.). Et veuillez me pardonner, mais dans les pays libéraux (GB, USA, Japon),il ne me semble pas que l'enseignement soit si bon que cela. Ils ont quelques écoles d'élite, où l'on trie sur le volet les candidats, mais le reste est catastrophique.
Enfin, pour la régionalisation , cela vient d'être fait pour le personnel atos : eh bien, il ont plus d'avantage que s'ils étaient resté fonctionnaires d'Etat. De toute façon, il n'y a plus que les recrutement de prof et les programmes qui sont nationaux. Tout le reste est décentralisé: la carrière est au niveau académique et les collectivités locales gèrent les établissements (communes pour le primaire, départements pour les collèges et régions pour les lycée). Vos différentes diatribes ne veulent que bouffer du prof et pourrir un sujet bien plus sérieux. Au fait, si c'est pas indiscret, que vous-ont-ils fait les profs? Une scolarité mal vécue?

Écrit par : vf | 15/09/2009

HOMÈRE EN BANLIEUE

> J'arrête, car le débat me parait sans issue. Merci pour le témoignage sur "Homère et Shakespeare en banlieue". Il m'a été donné, pendant plusieurs années, de travailler avec des jeunes de quartiers populaires et j'en tire la même conclusion: ils ont un besoin vital, peut-être encore plus vital que d'autres de milieux plus stables, du coeur de la culture et des trésors centraux de la foi. Et il faut beaucoup travailler pour leur ouvrir ces portes, sinon ils risquent la désépérance et peuvent choisir la violence ou la marginalité.

Écrit par : B.H. | 15/09/2009

LA SEMAINE DE 4 JOURS

> Notre société se désintègre sous nos yeux, et la cause en est connue de tous : le CHOMAGE et la PRECARITE DE MASSE.
Dans une situation comme la nôtre avec plus de 5 millions de chômeurs/rmistes et des millions de précaires à 700€/mois, ceux qui ont encore la chance d'avoir un "bon" job correctement rémunéré, s'y accrochent jusqu'à ce qu'à l'extrême limite mort s'en suive...
Beaucoup n'ont plus la liberté qu'avaient les actifs des années 60/70 de démissionner en cas de pression trop pesante.
La solution consisterait donc à "casser" le chômage et la précarité pour rééquilibrer le rapport de force employeur/salarié.
Et c'est possible !
La semaine de 4 jours est un concept expérimenté depuis 12 ans dans 400 PME (Mamie Nova, Fleury Michon, Monique Ranou, petits commerces, auto-écoles, restaurants, entreprises artisanales, labos de recherche, petites SSII informatiques...).
Sa généralisation créerait au minimum 1.6 millions d'emplois CDI/temps plein sans ruiner les entreprises, ni l'état, ni les salariés (études INSEE - Caisse des Dépôts et Consignations).
Témoignage d'un collaborateur :
« Je travaille comme freelance pour une entreprise, dont le personnel est à la semaine de quatre jours. Je peux vous dire que c'est très agréable, on sent des gens heureux de vivre! Bon, parfois il faut attendre un peu pour avoir certaines réponses, mais il n'y a pas mort d'homme! »
Cette solution a même été soutenue il y a quelques années par des membres du gouvernement actuel !
http://www.nouvellegauche.fr/vaincre-chomage/

Écrit par : MKL | 18/09/2009

Les commentaires sont fermés.