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11/09/2009

La taxe carbone, l'autruche et l'aigle

Il y a les chicaneries franco-françaises, et il y a la pensée catholique : deux altitudes différentes...


 

La taxe carbone ? N'entrons pas dans les fausses querelles. Le libéral dit que la taxe est illégitime car tout impôt est satanique. Mais le chrétien sait que l'impôt est (en principe) l'outil de la solidarité – et que refuser d'être solidaire est refuser d'être chrétien. Certains nient le réchauffement climatique et la part de responsabilité humaine dans ce phénomène scientifiquement établi [1] : ils contredisent Caritas in veritate [2] et le discours du pape à l'audience générale du 26 août [3]. Savent-ils qu'ils les contredisent ? Pour plusieurs d'entre eux, oui : ils le savent très bien. Ils n'ont aucune excuse. Leur mauvaise foi les juge.

L'essentiel est ailleurs : il est dans les défis que notre société va devoir relever au cours de ce siècle.

Ces défis sont sans précédent. Ils appellent des réponses politiques inédites et une conception nouvelle du bien commun, forcément mondiale, comme le souligne l'encyclique avec force.

Ce bien commun concerne l'avenir de la planète, c'est-à-dire l'avenir de l'humanité : car l'humanité ne peut vivre si la biosphère dépérit (on rougit d'avoir à rappeler une évidence aussi... évidente).

L'essentiel, c'est donc la nouvelle vision des responsabilités de notre société. Comme l'écrit un de mes confrères, il faut « conduire le corps social à transformer son rapport à la consommation d'énergie. Voitures vertes, chauffage économique en pétrole, transports propres : un mode de vie différent pointe son nez derrière l'aridité des innovations fiscales... »  Mais ce mode de vie ne se résumera pas à une série d'innovations pratiques ; une nouvelle vision de l'existence, un monde d'idéaux neufs sont en gestation ! Ils ne naîtront pas sans douleurs ni efforts. Dans cette prise de conscience écologique, la société cesse de se prendre pour une poussière d'individus régis par la main invisible du marché  ;  elle commence « à se voir comme un tout, et à agir volontairement sur elle-même ». C'est un seuil, un événement historique, une réinvention de l'idée de bien commun et de politique, notions radicalement anti-libérales et portées par les plus nobles traditions intellectuelles ; traditions qui révèlent ainsi leur potentiel révolutionnaire, face au chaos instauré par le néolibéralisme. Comme le dit mon maître le philosophe Jean Bastaire, « il ne s'agit pas d'introduire plus de justice dans la dévoration, mais de dénoncer la dévoration comme le désordre de base. »

Devant cela, deux attitudes sont possibles. Celle de l'autruche qui se met la tête dans le sable ; ou celle de l'aigle qui vole haut et voit loin.

Ne soyons pas des autruches (avis struthio) : ne disons pas que ceux qui nous parlent de réalités nouvelles sont des bolcheviks ennemis de la chrétienté. Le struthionisme est sénile.

Suivons l'aigle Benoît XVI qui nous parle, dans l'encyclique, de « la protection de l'environnement, des ressources et du climat ». Il demande que nous changions de mentalité et que nous adoptions « un nouveau style de vie ». Oui : un nouveau style de vie ! Ce n'est pas rien, comme exigence. Et c'est le pape qui la formule. Que serait un « nouveau style de vie » s'il ne se traduisait par des changements qui s'inscriront dans nos règles communes, c'est-à-dire nos lois ? On peut discuter la taxe de Sarkozy dans ses modalités, mais on ne peut pas nier l'urgence de changer notre mode de vie, ni le rôle des lois dans ce changement. Le nier, ce serait fermer son coeur et son esprit à la parole de l'Eglise. Plaignons ceux qui se contorsionnent pour y échapper, appelant à leur aide l'autorité fantôme de n'importe qui vaticinant sur n'importe quoi.

 

_____________

 

[1] Ils pourraient dire aussi que Dieu créa l'univers en six jours chrono il y a six mille ans, que Cro-Magnon cohabitait avec les dinosaures, que Copernic a menti, que l'homme n'a jamais débarqué sur la Lune et que Mme Palin est notre défenseur contre les diables venus de l'espace. (C'est ce que pense la « droite religieuse » aux USA).

[2] «...Que la communauté internationale et chaque gouvernement sachent contrecarrer efficacement les modalités d'exploitation de l'environnement qui s'avèrent néfastes... »

[3] «  Je souhaite apporter mon soutien aux responsables des gouvernements et des agences internationales qui se réuniront bientôt au sein des Nations-Unies pour discuter de la question urgente du changement climatique. Il est donc important que la communauté internationale et chaque gouvernement envoient des messages adaptés à leurs citoyens et réussissent à lutter contre les façons nuisibles d'exploiter l'environnement ! Les coûts économiques et sociaux entraînés par l'utilisation des ressources communes doivent être reconnus de façon transparente et assumés par ceux qui les occasionnent, et non par les générations futures. La protection de l'environnement, et la sauvegarde des ressources et du climat, oblige tous les responsables à agir de façon concertée, en respectant le droit et en promouvant la solidarité avec les régions les plus faibles du monde (cf. n. 50). Ensemble, nous pouvons édifier un développement humain intégral au bénéfice de tous les peuples, présents et à venir, un développement inspiré par les valeurs de la charité dans la vérité. Dans ce but, il est essentiel que le modèle actuel de développement mondial soit transformé à travers une acceptation plus large et commune des responsabilités à l'égard de la création: c'est ce qu'exigent non seulement les questions liées à l'environnement, mais également le scandale de la faim et de la pauvreté humaine. »

 

17:00 Publié dans Ecologie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : christianisme

Commentaires

JEAN BASTAIRE

> Merci de citer Jean Bastaire comme votre maître. Il faut faire connaître la pensée de ce philosophe, ainsi que sa proposition de créer un tiers ordre franciscain des "petits frères et petites soeurs de la Création", idée que l'ordre franciscain n'a pas prise en considération... de même que toute l'écologie, étrangement sans intérêt aux yeux des actuels héritiers de saint François d'Assise !

Écrit par : Amicie T. | 11/09/2009

LES MAISONS PASSIVES

> Taxer le carbone est une solution, promouvoir la possibilité d'en émettre moins ou plus du tout serait cependant mieux. Je m'étonne du silence du gouvernement français à ne pas mieux promouvoir les constructions passives qui permettent de vivre sans chauffage quand on sait que ce dernier consomme 41% de l'énergie et produit en proportion les gaz à effet de serre. Le développement des maisons passives (qui marche également pour l'habitat collectif comme cela existe en Alsace) est une relai de croissance écologique, promet de l'emploi et de l'activité dans le respect de l'environnement. A croire que les idées politiques se limitent aux taxes.
http://www.youtube.com/watch?v=Prqwca4iHfE&NR=1
http://passive-aventure.vivao.be/index.php

Écrit par : Annie | 12/09/2009

IL FAUT DU VRAI POLITIQUE

> La liberté du marché ne résoudra rien des défis à relever. Revenir au local, stopper l'urbanisation et casser les grandes métropoles et la grande distribution ne se fera que par des décisions politiques. Mais il faut du vrai politique, de celui qui pense au bien du pays et de son peuple, qui a une vision humaine de l'avenir, pas de la technocratie qui pond un règlement mécanique, mis au point dans un bureau et coupé du réel. Ce genre là, on a vu avec le communisme ce que cela a donné. Mais pour retrouver ce politique, j'ai bien peur qu'il faille une petite révolution pour virer les technocrates financiers que l'on a en ce moment.

Écrit par : VF | 12/09/2009

@ Amicie T.

Vous ne pouvez dire cela de tout l'ordre franciscain ! Citons notamment l'ouvrage important de François Delmas Goyon qui a récemment paru : "Saint François d'Assise, le frère de toute créature". (Éditions Parole et Silence/Collège des Bernardins/École Cathédrale, cahier N°85-86).
Extrait de la 4ème de couverture :

" Le frère de toute créature
Le jeune et riche marchand François Bernardone est sur le point de réaliser ses rêves de gloire lorsque Dieu le saisit et le conduit parmi les lépreux. Des compagnons le rejoignent. Une fraternité humble et pauvre prend son essor. Au terme d'une existence marquée par l'épreuve et la maladie, mais vécue dans la joie, il reçoit les stigmates de la passion du Christ et accueille la mort comme une sœur.
La grande découverte de François : tout bien vient de Dieu et appartient à Dieu !
Fonder sa vie sur cette vérité, c'est ne plus rien posséder et regarder toute créature comme sortant des mains du Créateur. Le roi, le mendiant, la bête sauvage, le vermisseau, l'arbre, le soleil, l'eau, le feu sont pour François autant de frères et de sœurs qui chantent la gloire de Dieu.
Ce cahier, qui s'appuie sur les meilleures traductions existantes, laisse largement la parole à François et à ses plus fidèles biographes. Son ambition est de permettre au lecteur de goûter à la source la sainteté du Poverello. "

Écrit par : Michel de Guibert | 12/09/2009

JEAN BASTAIRE

> Le cher Jean Bastaire interviendra à l'occasion de la "fête de la Création" le samedi 3 octobre en l'église Saint Gervais à Paris. J'envoie les documents à Patrice de Plunkett.

Écrit par : Michel de Guibert | 12/09/2009

LE RETARD DES FRANCISCAINS

> à Michel de Guibert - Au colloque "Ecologie et Création" d'Angers (édité par Parole et Silence en 2008), Jean Bastaire indiquait tout de même l'existence d'un problème entre l'ordre franciscain d'aujourd'hui et l'écologie. Problème inexplicable à première vue...
Je cite Bastaire :
" La peur du paganisme a empêché l'esprit franciscain de franchir le pas qu'avait franchi François... Cette carence dans l'intelligence du message de François, réduit habituellement au charme d'une bucolique séculaire, explique de nos jours une absence non moins surprenante que celle manifestée durant la Renaissance. Une nouvelle fois, les disciples de François semblent avoir manqué le coche ou du moins avoir pris depuis cinquante ans un sérieux retard. Là où on attendait le plus ces amoureux de la nature, ces petits frères et petites soeurs de la Création, leur intervention s'est avérée à peu près inexistante. Spontanément ils auraient dû être à l'avant-garde du combat écologique. S'il y avait un champ où l'égoïsme aveugle, le mépris des pauvres et des sans-voix, l'insulte à l'oeuvre de Dieu, le sarcasme opposé à la louange, défiguraient le visage du monde, c'était bien celui où se développait d'une manière exponentielle l'exploitation éhontée de la terre, le massacre stupide de la planète. Les franciscains n'ont réagi que fort peu. Un réflexe a fait défaut en eux, alors qu'un signe des temps leur était spécialement adressé... En Europe, une charte de Gubbio a rassemblé en 1982, pour le huitième centenaire de la naissance de François, diverses associations écologiques sous la bannière franciscaine. Mais aucun mouvement n'a suivi... Elevons au ciel une prière instante pour que les franciscains écoutent enfin ce grand pape franciscain qu'a été Jean-Paul II..."

Écrit par : PP | 12/09/2009

> Merci cher PP pour cette citation de Jean Bastaire sur le rapport des franciscains à l'écologie.
Mais, au même moment, Jean Bastaire signait avec Michel Hubaut :
"Approche franciscaine de l'écologie"
Éditions franciscaines, 2008
Voir aussi :
- Regard franciscain sur l'écologie :
http://www.core-asso.org/04Reflechir/0421kakapo/042364franciscain.htm
- Pour mémoire :
Journée : "Pour une écologie chrétienne : éclairage franciscain", avec le frère Luc MATHIEU, franciscain (7 février 2009 à La Clarté Dieu)

Écrit par : Michel de Guibert | 12/09/2009

UN TIERS-ORDRE

> Je crois me souvenir que J. Bastaire prône la fondation d'un tiers-ordre de "petits frères et petites soeurs de la Création" ? Magnifique idée. J'en serais si cela existait.

Écrit par : Tina, | 13/09/2009

LES FORTES PAROLES DU CARDINAL O'BRIEN

> Je ne sais pas où en sont les franciscains, mais je sais ce que Caritas Internationalis vient de proclamer par la voix du cardinal Keith O'Brien à l'ONU :
" Les pays riches ont SANS EQUIVOQUE le DEVOIR MORAL de REDUIRE LEURS EMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE et d'AIDER LES PAYS EN DEVELOPPEMENT qui ont déjà subi les conséquences de NOTRE UTILISATION EXCESSIVE DE COMBUSTIBLES FOSSILES pour faire DU PROFIT."
Comparé à ça, que pèsent les rabâchages de la droite religieuse protestante américaine relayés par l'extrême droite française ou tel clerc formaté par ces groupuscules ? Rabâchages nourris par la propagande de sites pseudoscientifiques US financés par l'industrie pétrolière ?

Écrit par : Ned, | 13/09/2009

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