24/08/2009
Ramadan : la nette analyse d'Abdelwahab Meddeb
Il faudrait (d'urgence) séparer le religieux de toute "panique sur l'identité et l'origine" :
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Professeur de littérature comparée à Paris-X-Nanterre, animateur de l'émission Cultures d'islam à France-Culture, auteur du Pari de la civilisation (Seuil, août 2009), Abdelwahab Meddeb analyse les problèmes de l'islam en France avec une netteté que n'ont pas les « imams médiatiques ». Meddeb n'est pas l'avocat d'une communauté, il ne biaise pas les questions difficiles, il ne cherche pas à noyer le poisson dans des lieux communs ; ce véritable intellectuel manie le scalpel. Interrogé par la presse parisienne* à propos du ramadan, il répond :
1. « Ce jeûne n'appartient plus à l'exercice spirituel, à la discipline au sens fort du terme, qui mérite le respect. Le jeûne mystique était vraiment très beau : dans les Illuminations mecquoises, Ibn Arabi (mystique arabe né en 1165 en Andalousie) en fait une analyse extraordinaire et l'articule de manière profonde avec la pratique du jeûne chez les chrétiens et chez les juifs... Mais aujourd'hui, le jeûne est essentiellement un phénomène social. Que les gens jeûnent ou pas ne regarde qu'eux. Mais si c'est un jeûne coercitif, violent, et que celui qui jeûne méprise celui qui dé-jeûne, voire exerce sur lui une sorte de police des moeurs, il faut dire stop […] Ce jeûne [ne] sert [qu'] à restaurer le pacte communautaire. »
2. « Ce retour vers la pratique religieuse est le reflet d'une panique sur la question de l'identité, de l'origine. On retrouve le même phénomène chez les juifs. Chez les Français d'origine catholique, cela peut prendre la forme d'un intégrisme laïciste. »
3. Question : « Selon un sondage Ifop paru jeudi, 70 % des musulmans de France affirment observer le jeûne du ramadan contre 60 % en 1989. Qu'est-ce que ce chiffre vous inspire ? » Réponse d'A. M. : « L'air du temps en France comme ailleurs est au repli communautaire. »
4. Question : « Le système de valeurs qui permettait à tout le monde de se retrouver au-delà des particularismes religieux est en panne. Comment l'expliquez-vous ? » Réponse : « L'école qui était le déterminant numéro 1 des valeurs républicaines […] est également en panne. Jadis, l'instituteur, le maître, le professeur étaient profondément respectés. Maintenant, ce sont de minables petits bonshommes qui gagnent des sommes sans le moindre rapport avec le plus petit trader. Restaurer l'autorité de l'école me paraît une tâche énorme. »
Je ferai trois commentaires :
Sur la citation 2 – Le pire déraillement consiste à transformer la religion en expression d'une « identité » de clan ou de nation, ce qui a pour conséquence : a) de fausser le religieux, b) de l'acoquiner avec les « identitaires » de tout poil, qui sont alors aux croyants ce que le proxénète est à la prostituée. Ceci s'observe dans toutes les religions. Cependant, notons cette réflexion de Meddeb : chez les Français « d'origine catholique » (déchristianisés), la panique identitaire prend la forme d'un « intégrisme laïciste » rejetant toutes les religions. Meddeb ne tente pas de faire croire – comme les leaders d'opinion hexagonaux – à l'existence d'un intégrisme catholique important, symétrique des islamistes et des extrémistes juifs ultra-orthodoxes israéliens. Meddeb est un réaliste.
Sur la citation 3 – L'air du temps est le matérialisme mercantile, idéologie fabriquée par le système économique régnant. L'un des effets de ce système est de détruire le politique, chargé du bien commun (donc de l'unité de la Cité). Sur les ruines de cette unité fleurissent les communautarismes. C'est logique. Cette évolution ne cessera que si le politique ressuscite et change le système économique.
Sur la citation 4 – Le respect envers l'enseignant tenait à un climat de la société, soutenu par le politique. Ce climat a disparu à la fin du XXe siècle sous les coups de la société marchande. Meddeb a raison de souhaiter la reconstruction de l'école : mais comment faire de l'architecture sous un bombardement ?
[*] Libération, 24 août.
11:41 Publié dans Religions | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : islam
Commentaires
DERAILLEMENTS
> " Le pire déraillement consiste à transformer la religion en expression d'une « identité » de clan ou de nation, ce qui a pour conséquence : a) de fausser le religieux, b) de l'acoquiner avec les « identitaires » de tout poil, qui sont alors aux croyants ce que le proxénète est à la prostituée."
Oh comme c'est vrai ! Merci de l'avoir dit. Il y a des jours où on a honte de lire certaines choses ici et là.
Écrit par : chantal | 24/08/2009
IBN ARABI
> Un lien pour ceux qui voudraient par curiosité avoir une idée de ce qu'a pu écrire Ibn Arabi : http://www.archipress.org/batin/siyam7.htm
Écrit par : Ren' | 24/08/2009
LE TEMPS EST LOIN
> « L'école qui était le déterminant numéro 1 des valeurs républicaines […] est également en panne. Jadis, l'instituteur, le maître, le professeur étaient profondément respectés. Maintenant, ce sont de minables petits bonshommes qui gagnent des sommes sans le moindre rapport avec le plus petit trader. Restaurer l'autorité de l'école me paraît une tâche énorme... »
Le temps est loin, où les meilleurs d'une classe d'âge choisissaient l'enseignement, via l'Ecole Normale Supérieure (la fin des années 30 ?). Dans les classes les plus aisées de la société - même cathos- devenir prof est une honte. Ou un petit boulot d'appoint pour une femme, à condition que celle-ci ait le bon goût d'épouser quelqu'un exerçant une profession sérieuse (trader, par exemple)...Bon, j'arrête de faire du mauvais (?) esprit.
Écrit par : Feld | 24/08/2009
PUBS
> Simple réflexion. Toutes les pubs des hyper- super- mini- marchés, dans ma boîte aux lettres de cette semaine, font référence (plus ou moins explicite, ex.: pâtisseries orientales) au ramadan. Cela ne me fait guère penser au jeûne ...
Écrit par : abyssus, | 24/08/2009
LA SAINT-BARTHELEMY
> C'était, lundi 24 août, la Saint-Barthélémy. Votre commentaire d'Abdelwahab Meddeb fait inévitablement penser au massacre du même nom, perpétré le 24 août 1572.
Ce qui a poussé les français de ce temps, à Paris et en province, à tuer leurs voisins, leurs proches, parce que protestants, n'était-ce pas justement une conception identitaire et clanique de la foi? Rejeter le catholicisme, c'était rompre le pacte social, s'exclure du même coup de la société, et se muer en ennemi intérieur. Arlette Jouanna sur France inter a beaucoup insisté sur la peur complètement disproportionnée que suscitaient les protestants : un amiral de Coligny avait plus de quoi inquiéter qu'un simple bourgeois n'ayant jamais porté les armes de sa vie.
Mais j'ai l'impression que l'utilisation de la foi catholique comme pacte social remonte aux origines de la chrétienté. D'ailleurs, ce n'est pas choquant en soi. L'Evangile, lorsqu'il est reçu par un peuple devrait forcément avoir un impact sur ses valeurs, ses institutions, l'ensemble de sa culture. Du moins, c'est vers cette évangélisation de tous les paramètres de la vie humaine que devrait tendre un peuple qui se voudrait chrétien.
Le seul pacte qui compte vraiment, de toute façon, c'est la Nouvelle Alliance, qui exclut définitivement toute sorte de violence et de réflexe clanique.
Écrit par : Blaise, | 25/08/2009
LA VACHE À COLAS
> Tout à fait juste, Blaise (quoi que vous ayez le même prénom que Blaise de Monluc - lol).
La réaction catholique à l'assaut calviniste fut disproportionnée, puis carrément génocidaire à un certain moment. Bien sûr n'oublions pas que les calvinistes avaient déclenché la véritable guerre (1562 : insurrection de Louis de Condé) en réplique à des exactions guisardes. Mais soyons conscients de l'extrême corruption mentale de la réaction catholique. Cf. la célèbre chanson de la "Vache à Colas", signe de ralliement des antiprotestants jusqu'à Henri IV : il n'y est aucunement question de religion, mais juste d'une vache volée à un paysan catholique par de méchants religionnaires. La violence catholique initiale est une violence sociétale, celle d'un peuple qui veut maintenir la fiction de l'unanimité (catholique) alors que celle-ci n'existe plus. Solution : tuer ceux qui ne sont plus unanimes, pour faire disparaître le problème. C'est la tentation permanente d'un certain extrémisme à la française, qu'on a revue sous d'autres formes dans les années 1940.
Écrit par : Dobil, | 25/08/2009
Ibn Arabi (suite)
@ Ren',
> merci pour ce long extrait que vous posez en lien.
Je sais que ce n'est pas ici le lieu d'ouvrir un débat sur Ibn Arabi, mais je ne peux m'empêcher de dire à quel point je ressors "glacé" de la lecture de cet extrait.
Il me permet de mesurer jusqu'à quelles extrémités peut aller l'idée de soumission dans l'esprit d'un penseur de l'islam.
Pour paraphraser Dante, je dirais : "vous qui entrez en terre d'Islam, abandonnez toute latitude".
Obéir et adorer dans la plus grande observance sont les deux strictes missions du musulman sur Terre. Toute latitude qu'il s'autorise le met gravement en péril.
Écrit par : omicron, | 25/08/2009
(Que notre hôte m'excuse d'intervenir ici comme sur un forum...)
@ Feld :
Je dois témoigner qu'il m'arrive d'avoir bien souvent l'impression d'avouer (oui, c'est bien le terme) que je suis prof (de musique, en plus !), tant les personnes à qui je m'adresse sont persuadées que ce mot est synonyme au minimum de fainéantise... (personnes qui cependant ne prendraient en charge pour rien au monde les classes de 30 ados que le gouvernement actuel m'impose désormais)
@ abyssus :
pour la société de consommation et son relativisme, il en va du Ramadan comme de Noël, Paques ou Halloween... Une étiquette pratique pour "faire le buzz" sur des produits atypiques.
@ omicron :
mon blog sera peut-être un jour le lieu pour débattre de ce grand penseur qu'était Ibn Arabi ; je ne me sens cependant pour l'instant pas à la hauteur. Je trouve cependant que les plus grands penseurs musulmans peuvent nous aider -si telle est notre sensibilité- à mieux sentir (comme vous : par contraste) ce trésor singulier et précieux qu'est le Christ. C'est en tous cas grâce à eux que j'ai, personnellement, redécouvert la "perle de grand prix" (Mt XIII, 46)
Écrit par : Ren', | 25/08/2009
REGEMENTS DE COMPTE
> Le protestantisme au XVIe siècle c'était environ 10% de la population, mais 50% de la noblesse et de la famille royale (chiffres donnés par le pasteur Leplay). La Saint-Barthélemy c'est d'abord un règlement de comptes au sein de la noblesse, même si le peuple fût aussi touché.
La Saint-Barthélemy, à Paris, a fait autant de morts que le massacre des Européens à Oran au début du mois de juillet 1962, mais de ce dernier on ne parle jamais alors qu'on nous en remet chaque fois une couche sur la Saint-Barthélémy
Écrit par : B.H., | 26/08/2009
> On ne peut vraiment pas dire que la Saint-Barthélémy ait été "un règlement de compte au sein de la noblesse". C'est le roi qui a ordonné l'exécution sans jugement des chefs protestants. Autrement dit, il s'agissait pour Charles IX de réaffirmer la suprématie du pouvoir royal contre sa remise en cause par la noblesse protestante. Un tel acte est annonciateur de la monarchie absolue des Bourbons au XVIIe siècle.
Quand à savoir ce qui est le plus important dans cette journée, je me garderai de trancher : le crime politique ou la terreur populaire qui a suivi? Tout de même, sur le plan de la morale, on peut légitimement penser que le second événement a franchi un degré de plus dans l'horreur.
La Saint-Barthélémy ce n'est pas que Paris : la Province a été touchée; et le "nettoyage" a duré plusieurs jours.
Enfin, est-ce raisonnable de mettre deux massacres en balance, pour mieux relativiser l'un des deux? Qu'on le veuille ou non, la Saint-Barthélémy a laissé une trace profonde dans la conscience française.
Écrit par : Blaise, | 27/08/2009
MASSACRES
> Cela devient pénible cette habitude d'opposer tel massacre à tel autre, tel événement pour justifier ou dénoncer tel autre. En dehors d'être fatigant, c'est idiot et contraire à toute démarche historique. Essayons de réfléchir au lieu de tomber dans le mauvais débat version TV. Ce blog (merci Patrice) est une des rares espace de réflexion et de liberté, préservons-le.
Écrit par : vf, | 27/08/2009
CONSCIENCE SELECTIVE
> Pour poursuivre le débat avec Blaise qui dit que la "Saint Barthélémy a laissé une trace profonde dans la conscience française", je trouve que la dite conscience française est trop sélective dans ses indignations pour ne pas être suspecte. L'idéologie française moderne a soigneusement trié entre les crimes dont elle garde une mémoire quasi pathologique et ceux dont on ne parle pas (guerre de Vendée et autres). J'ajoute que je pense que si la noblesse protestante l'avait emporté en France, elle aurait fait chez nous ce qu'elle a fait partout où les protestants ont été vainqueurs (cf le génocide de l'Irlande, les martyrs catholiques anglais et autres).
Quant aux crimes occultés par la conscience française, la célébration du bicentenaire de la Révolution a rapidement tourné court à cause de cela, ce refus de prendre en compte la part obscure et criminelle de cet épisode de notre histoire. Avez-vous remarqué que depuis 1989, on ne célèbre plus aucun bicentenaire en France ? Nous sommes pourtant dans les années fortes de la Révolution et de l'Empire.
Écrit par : B.H. | 27/08/2009
CA NE JUSTIFIE PAS
> N'empêche que, quand j'avais 16 ans et que je cherchais l'absolu partout, si j'avais demandé à un catholique des comptes sur la St Barthélémy, et qu'il m'avait répondu qu'il y avait bien d'autres massacres dont les français se fichaient bien, j'aurai claqué la porte au nez... (d'ailleurs, c'est ce que j'ai fait)
Je suis d'accord avec vous, B.H., l'histoire de France telle qu'on l'apprend est sélective, on grossit certains faits et on en minimise d'autres... Mais cela ne justifie aucune des pages noires qu'elle comporte.
Écrit par : Laura, | 28/08/2009
PIERRE PAR PIERRE
> Comment faire de l'architecture sous un bombardement ?
Il y a des abris anti-aérien comme l'ILFM (Institut de libre formation des maîtres) pour le primaire ...les écoles hors-contrat poussent comme des champignons...pour l'enseignement supérieur les facultés qui tiennent la route se regroupent avec l'Union des nouvelles facultés libres...l'Etat n'a pas encore au programme de reconstruire l'école, mais ça ne dispense pas de prendre des initiatives. Pierre par pierre, tout doucement, avec beaucoup de patience, de labeur et de dévouement, certains reconstruisent ; j'ai pu en bénéficier à l'Institut Albert le Grand et je les en remercie!
Écrit par : ast, | 29/08/2009
UN COLLEGE OPTE POUR UNE ECO-PEDAGOGIE CHRETIENNE
> Je reçois ce témoignage d'un collège :
" Plus nous avançons dans notre réflexion, plus nous pensons que le contexte géographique, culturel, humain et sociologique dans lequel nous évoluons et les infrastructures dont nous disposons, peuvent permettre à notre établissement de servir de plate-forme à une réflexion de fond sur une écologie chrétienne, élément capital d’un « développement intégral de la personne » ; ainsi qu’ à une expérimentation concrète pour d’autres, de quelques-unes des conséquences pratiques de cette réflexion que l’on pourrait mettre en place dans un établissement scolaire (écologie du corps, du cœur, écogestes au quotidien pour soi, pour les autres, etc.).
Ce travail concerne à la fois les enfants, les enseignants, les parents, la paroisse, le territoire sur lequel nous nous situons …
En clair nous travaillons sur un projet global, où l’école non seulement est l’un des vecteurs de la transmission de la culture mais aussi redevient créatrice de culture et retrouve sa place d’actrice au service de la collectivité.
Nous pensons tenir là ce que nous cherchions, à savoir le projet fort sur lequel nous voulions articuler notre réflexion éducative, pédagogique et pastorale avec toutes les déclinaisons possibles qui en découlent. "
Écrit par : PP | 29/08/2009
@ PP
> Ce collège qui a opté "pour une éco-pédagogie chrétienne" : ne pourriez-vous pas nous en donner le nom et la localisation ? Je suis hautement intéressé. Merci d'avance !
Pierre
[ De Pp à P. - Je les consulte et je vous réponds. ]
Écrit par : Pierre | 07/09/2009
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