29/06/2009
Pour sortir de la crise, il faut "dépasser le capitalisme"
Intéressantes analyses d'économistes chrétiens
dans la revue Liberté politique :
Le numéro d'été de la revue Liberté politique (autour du thème « Moraliser le capitalisme ») donne la parole à deux courants d'économistes chrétiens : ceux qui tentent de sauver le néolibéralisme de sa perversité intrinsèque – et ceux qui tournent la page, en cherchant un « dépassement du capitalisme ». Parmi ces derniers : Gérard Lafay et Paul H. Dembinski.
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> Gérard Lafay, professeur émérite à Paris II, montre comment l'échec de la social-démocratie a permis une redoutable erreur inverse : le retour au capitalisme sauvage, c'est-à-dire « le pouvoir de l'argent, réduisant la démocratie à un simulacre », « l'accroissement considérable des inégalités sociales », et la « folie financière , qui en est venue à provoquer l'embrasement du système ». Lafay ajoute : « Si l'incendie semble pouvoir être éteint par une intervention concertée des Etats nationaux, il est clair que l'on ne pourra se contenter d'un replâtrage pour moraliser le capitalisme ». Comment « combattre les méfaits du capitalisme sauvage » ? « La démocratie doit retrouver ses droits dans les Etats nationaux, ceux-ci reprenant le contrôle des institutions internationales au lieu qu'elles soient soumises aux lobbies ».
Mais, indique Lafay, une régulation de l'économie de marché « ne suffira pas pour instaurer durablement un système viable ». La société capitaliste méconnait « la réalité humaine de l'entreprise » : « l'appropriation unilatérale de la création de valeur par les actionnaires, instituée par le capitalisme, ignore délibérément la nature de l'entreprise et le rôle du capital humain représenté par les travailleurs. Les fondements mêmes du système capitaliste sont donc contestables car illégitimes. Il convient par conséquent de changer le statut des entreprises pour que les travailleurs puissent peser sur leurs orientations stratégiques... »
Comment « dépasser le capitalisme » ? « En créant un nouveau statut, celui de la ''compagnie'', ensemble de compagnons réunissant un capital humain et un capital financier... A côté des autres propriétaires, les ''travailleurs propriétaires'', à la fois de façon individuelle dans leur propre entreprise et de façon mutualisée par corps de métier, doivent ainsi détenir une part importante du capital, suffisante pour pouvoir peser sur les orientations stratégiques. C'est seulement ainsi que la sortie de crise débouchera sur un système viable. »
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> Pour Paul H. Dembinski (professeur à l'université de Genève, directeur de l'Observatoire de la finance, président de l'Association internationale pour l'enseignement social chrétien), « la crise actuelle est de nature systémique et donc pas seulement économique et financière » : le monde globalisé s'étant mis « à vibrer au rythme que la finance lui imposait », la financiarisation universelle a déformé le sens de la vie économique – et de la vie tout court. Débouchant sur « la prééminence quasi-absolue de la transaction au détriment de la relation », elle a « porté au paroxysme la quête du ''gain en capital'', synonyme de capture immédiate des revenus futurs actualisés, capture réalisée instantanément dans la transaction. Parallèlement, la patience, la loyauté, la durée et la confiance, piliers de la relation, se sont affaiblies avec pour conséquence une montée en puissance de la méfiance. […] L'ethos de l'efficacité émancipé de l'autorité de la morale a progressivement encouragé l'expression de plus en plus brutale de la cupidité, visible notamment dans l'asservis-sement des relations de confiance aux besoins des transactions et des sorties intempestives. Ces trahisons et manques patents de loyauté à répétition sont sur le point d'avoir raison du rouage essentiel à toute économie de marché et à toute société libre, à savoir la confiance inter-personnelle... »
Cessons de croire que les vices privés seraient des vertus publiques parce qu'ils augmenteraient l'efficacité économique (ce qui est le dogme de la philosophie libérale). Mais « moraliser » le capitalisme – même si c'était possible – suffirait-il ? Non, répond Dembinski : on doit aller plus loin. « Il s'agit de remettre l'activité économique à la place qui lui revient, y compris dans son rapport au politique ». Autrement dit : a) rendre au politique sa fonction, qui est de faire prévaloir le bien commun sur les intérêts particuliers ; b) « instaurer dans tous les domaines de la vie économique et financière des incitations à la durée, de manière à freiner voire inverser la destruction des relations au nom de l'extraction du surplus par des transactions intempestives » ; c) « mettre en place les méthodes et les moyens permettant de nous libérer de l'emprise exclusive du temps économique et financier », et notamment « de desserrer l'étau des promesses actuarielles et des contraintes que fait peser sur l'activité productive la rentabilité excessive du capital ».
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Comme le souligne Dembinski, la crise actuelle est la revanche de la réalité (économique et humaine) sur le virtualisme des chiffres : « un moment de vérité et d'ajustement à la vérité ». L'explosion du « volcan de la finance mondialisée » est meurtrière, mais peut marquer le début d'une révolution des mentalités : une prise de conscience... Beaucoup de gens ouvrent les yeux, découvrant la vraie nature du système qui les régente depuis vingt ans. Les catholiques aussi – même en France – sont sous le choc de cette découverte. Fasse le Ciel qu'ils en tirent les conséquences, qu'ils découvrent le potentiel révolutionnaire de la pensée sociale chrétienne. Et que soient nombreux ceux qui laisseront les illusions, diversions, combats de retardement, pour rompre avec ce système et rouvrir les portes d'un avenir aux dimensions humaines !
> Liberté politique, n° 45
83 rue Saint-Dominique, 75007 Paris. Sur abonnement ou en librairie (éd. Privat), et sur www.libertepolitique.com très prochainement
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12:48 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : la crise
Commentaires
COLLUSION
> je ne suis pas économiste mais juriste mais je note une anomalie dans la crise actuelle. Alors que depuis 20 ou 30 ans tous les économistes expliquaient de façon assez crédible que les entreprises non rentables devaint être liquidées pour faire de la place aux entreprises mieux gérées, le discours a changé quand le risque de faillite a touché les banques...On nous a alors expliqué qu'une banque est un établissement trop sensible pour disparaître...
Je suis très dubitative...
en France en particulier le fait que la plupart des digeants des grandes banques soient d'anciens hauts fonctionnaires du ministère des finances ne crée-t-il pas une collusion entre le gouvernement et le milieu bancaire ?
En effet on renonce aux règles du marché quand leur application menace quelques décideurs bien introduits ....Keynes au secours de l'inspection des finances ?
Écrit par : Cathy, | 29/06/2009
POUR UNE "SOCIETE DE VOCATION"
> La crise actuelle nous pousse à revoir un modèle qui patine depuis très longtemps. Mais cette remise en cause reste bien souvent cantonnée à des améliorations/variations du modèle critiqué.
Dembinski retravaille le conflit entre l'attente de l'actionnaire et le besoin de l'entreprise. Le rapport au temps de l'actionnaire; la place de l'investissement dans des acquisitions avec effet de levier qui assèchent le cash; les contraintes de la productivité. Tout ceci n'est pas nouveau et il serait effectivement temps de changer. Mais ça ne bouleversera pas le système.
Lafay semble réfléchir à une question moins exposée : la place du travailleur. Mais sa réponse ressemble à celle de De Gaulle en son temps ou du capitalisme allemand : le travailleur doit avoir un rôle capitaliste. Cela n'a pourtant pas fonctionné et l'Allemagne souffre depuis longtemps. L'idée de la "compagnie" est pourtant intéressante.
Il fut un temps où la devise bénédictine "ora et labora" était une philosophie de vie. Voire une théologie. L'Homme se construit dans le travail, et développant ses talents propres au service du bien commun, il participe ainsi à la création d'une civilisation meilleure.
Nous voyons bien que la société actuelle est bloquée par la non-exploitation des "talents" humains. Notre raisonnement productiviste, notre adoration du veau d'or "argent", notre égoïsme et notre désintérêt de l'Autre nous bloquent. Or, nous avons des talents à exploiter. Des talents productivistes ou financiers pour certains, mais également des talents plus immatériels dont la société a grandement besoin. La famille répond aux fonctions d'utilité Amour et Education; la religion répond à la fonction d'utilité Espérance; l'art répond à la fonction d'utilité Sagesse; la politique répond à la fonction d'utilité Paix; etc.. Cette "économie de l'immatériel" constitue le terreau porteur sur lequel peut réellement se développer une société innovante, car apaisée, altruiste, heureuse.
Après la société de production du 19e siècle, la société de consommation des Trente Glorieuses et la société de l'information actuelle, nous devrions passer à une "société de vocation" qui offrirait à chacun la place lui permettant de développer ses talents au service du bien commun.
Écrit par : Beniouioui | 30/06/2009
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