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20/06/2009

Sylviane Agacinski c/ Ruwen Ogien : les « mères porteuses », le matérialisme mercantile, etc

9782081221208[1].jpgUn débat ce matin à France-Culture,               chez Alain Finkielkraut :


 

  

Ce matin à France-Culture, le débat d'Alain Finkielkraut traitait des « mères porteuses ». Invités, deux philosophes : la non-conformiste Sylviane Agacinski ; Ruwen Ogien, avocat du système économique sous lequel nous vivons.

Dans la ligne des libéraux anglais du XIXe siècle [1], Ogien plaide pour « l'éthique minimale », pensée postiche qui tient en  un axiome : l'idée qu'on se fait de l'Homme doit être réservée à la sphère privée, l'Etat ne devant que refléter la diversité des opinions. Cette idée simplette veut empêcher l'Etat de définir le bien commun et de le servir (en posant des limites aux intérêts particuliers).

Ainsi, Ogien refuse que l'on conteste le principe de la soi-disant « gestation pour autrui » (GPA) : c'est-à-dire le com-merce des ventres.

D'où l'échange, assez vif, entre lui et ses deux interlocuteurs.

Pour Ogien, chacun a « la libre disposition de soi-même dans la mesure où on ne cause pas de tort aux autres ». (Pour faire bénéficier de cet axiome le business des mères porteuses, il s'abstient d'envisager le tort causé aux enfants nés sous GPA). Selon lui, le droit ne doit refléter que les pulsions des individus : ce qui équivaut à rejeter les valeurs permanentes, autrement dit la civilisation.

Agacinski lui répond : « Vous êtes étranger au rôle civilisateur de la loi et à l'expérience éthique ; vous ne tenez pas compte du pouvoir économique sur l'individu ; vous croyez que si celui-ci "consent", il ne peut faire de mal ni s'en faire à lui-même. C'est ingénu ! Par exemple : dans le cas d'une vente d'organes, vous direz que c'est un choix individuel normal ; on pourra vous objecter que c'est contraire à la dignité humaine... »

A cela Ogien riposte, en bonne logique libérale, que les notions de « dignité » et d' « humain » sont trop vagues, et qu'il est tout aussi « humain » de « respecter le choix d'une personne ». Agacinski : « Vous ne voyez pas que quelqu'un peut consentir à un traitement dégradant ? ». Ogien biaise : « Je ne vais pas lui jeter la pierre... »

Finkielkraut intervient pour souligner le divorce qui oppose aujourd'hui les droits de l'homme, d'une part, et la dignité humaine, d'autre part. Le développement indéfini des « droits » dans n'importe quel domaine (« tout pour le moi ») contredit de plus en plus souvent la dignité... Ogien rétorque que la dignité aussi est un concept flou, trop général, susceptible d'applications contradictoires... Finkielkraut insiste : il y a une convergence entre la logique des droits de l'homme sans limites et la logique du marché [2]. Ogien biaise encore : à son avis, le mot « marchandisation » également est vague, on s'en sert trop, « de l'extrême droite à l'extrême gauche »...

Agacinski reprend l'offensive : « Revenons à la réalité », celle de « notre condition » dans une société entièrement régentée par l'économique. A l'ère de la fabrication de l'humain par la biotechnologie, le libéralisme radical pousse l'individu à une attitude perverse : « je fais de moi ce que je veux, mais j'exige qu'on m'en donne les moyens ».

Nouvelle esquive d'Ogien : « "Fabrication" ? Encore un grand mot !  Pour certains, le biotechnologique pose un problème particulier, mais pour d'autres il n'en pose pas... » Agacinski insiste : « La rhétorique du don d'ovocytes cache partout la marchandisation. Dans les universités d'Espagne, des affiches disent aux étudiantes : "Donnez vos ovocytes pour mille euros". Dans des pays plus voyous, une énorme pression économique pousse des femmes à subir des stimulations ovariennes dangereuses aux fins d'extraction. Tout cela s'exerce sur des pauvres, sur des femmes de ménage... »

Ogien : « Il faudrait aussi interdire les femmes de ménage ? Même s'il existe des dérives scandaleuses on ne doit pas interdire le don d'organes, et c'est la même chose en matière de GPA... » Agacinski : « Au sein de la même famille ? » Ogien : « Je ne crois pas que ce soit une considération fondamentale. »

(En somme on ne peut parler de rien avec un philosophe libéral : il récuse tous les termes. C'est sans doute pour donner aux idées la fluidité du marché pur et parfait).

Finkielkraut prend la parole ; contrairement à Ogien, il ne croit pas que « fabrication » soit « un grand mot » : il accuse la biotechnologie d'acculer toute réalité à devenir «  un fond intégralement disponible à toute espèce de mise en demeure ». Et il soupçonne Ogien de vouloir « faire sauter l'ultime verrou » pour rendre tout « disponible » : par exemple, mettre les ventres des femmes pauvres à la disposition des riches. Ogien se hérisse : « ne tirons pas de conclusions absurdes des problèmes sociaux  ! » (le libéral est allergique au social). Agacinski revient à la charge : « Dans la douzaine d'Etats où est permise la location d'utérus, nulle part ça n'a lieu sans salaire ; nulle part ce n'est un don ; il y a donc marchandisation des corps. » Ogien chicane la notion de salaire, et invoque le fait qu'existe une contrepartie même dans le don : par exemple la satisfaction affective, etc... Finkielkraut proteste : « Soyez sensible à la distinction entre vendre un travail et vendre sa chair !»  Il dit à Ogien : quelque chose de totalement inédit « devrait vous frapper », c'est la réapparition de la vieille servitude « sous une forme technologique inédite : vendre ou louer son organisme à autrui... »

Ainsi s'achève le débat.

Il est révélateur. La confrontation des idées sur la bioéthique se déploie de cette façon : entre gens intelligents et le plus souvent dénués de foi religieuse. Nombre d'entre eux tiennent des propos qui recoupent (souvent de façon surprenante) l'anthropologie chrétienne.

Ces débats mettent en lumière le rôle-clé du système économique dans la dérive des comportements. Ce qu'un Ogien appelle « démocratie » n'a plus rien à voir avec le politique ni la civilisation : au contraire, c'est rabattre tout sur les pulsions individuelles, éphémères, incohérentes, éventuel-lement dégradantes. Pourquoi ? Parce que ces pulsions sont le moteur de la consommation de masse, et que le système économique s'est substitué à tout. La société ressemble toujours plus  à l'hypermarché, domaine des pulsions et de l'instantané ;  ce formatage  expulse les valeurs stables, permanentes, transcendantes, qui constituent toute civilisation. D'où la phrase de Sylviane Agacinski à Ruwen Ogien : « Vous êtes étranger au rôle civilisateur de la loi ». Quelques instants plus tôt, elle avait dit que la démocratie n'était pas la satisfaction illimitée de n'importe quel droit : « La civilisation pose la limite entre l'humain et l'inhumain, qui ne peut être laissée au choix des individus. »

La société devenue hypermarché donne tout au choix des individus :  parce  que  c'est  la  logique  d'hypermarché. Elle se détruit ainsi en tant que société. Elle devient une « dissociété ». C'est le résultat de la grande abdication des années 1980-1990, quand le politique s'est sabordé au profit de l'économique et du financier... Des intellectuels non chrétiens s'en rendent compte et le disent de plus en plus fort. Où sont les chrétiens qui le diront aussi, afin d'aider notre société à se libérer ? L'heure vient d'abandonner les phobies dépassées et les raisonnements faux. L'heure vient d'appliquer loyalement la doctrine sociale chrétienne, et de montrer quelle révolution elle contient.

 

  

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 [1] Les idéologues du capitalisme manchestérien !

[2] Finkielkraut constate (ce que nous mêmes avons souvent constaté ici) que « les mêmes gens peuvent protester contre l'ultralibéralisme économique tout en militant pour un ultralibéralisme des moeurs » : ces gens ne voient pas que le second n'est qu'une succursale du premier. Cette myopie est la contradiction interne de l'extrême gauche. Elle aurait des leçons de cohérence à prendre chez les chrétiens sociaux – les vrais, pas l'aile centre-gauche du Medef.

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13:14 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : mères porteuses

Commentaires

FINKIELKRAUT

> Je suis frappée depuis longtemps par la noblesse et la hauteur de vues des analyses de Finkielkraut - et sur leur proximité avec la philosophie catholique (par exemple il comprend les droits de l'Homme comme un tout inséparable du concept de dignité) : est -il sur le chemin de la conversion ? ou bien a-t-il été formé dans une ambiance baignée par la doctrine catholique ? ou bien simplement est il impregné d'une culture française classique implicitement catholique ? ou bien parvient à ces conclusions au terme d'un chemin solitaire ?
Je me souviens de ses propos sur Benoît XVI (qu'il qualifiait sur KTO de "dernier catholique isolé dans sa propre Eglise" - ce qui était loin d'être une critique pour le Pape) ou d'un débat avec Mordillat ou Prieur - où il soulignait la nouveauté du message du Christ face à un interlocuteur qui voulait l'ignorer...ce qui démontrait qu'il avait au moins lu les Evangiles !

Écrit par : cathy | 20/06/2009

CONTRE L'UTILITARISME

> Je n’ai pas eu l’heur d’entendre l’émission de A. Finkielkraut, mais ce débat n’est qu’un élément de plus, mais sans plus, dans l’opposition radicale entre les multiples variantes de la philosophie utilitariste dont Peter Singer est un des représentants les plus connus et les autres courants de pensées.
De l’utilitarisme le philosophe F.-X . Putallaz disait « si l’utilitarisme singérien lance un défi à l’anthropologie philosophique, c’est moins par ce qu’il est que par ce qu’il révèle, une crise majeure de la rationalité ». Il me semble que nous touchons là le nœud du problème il s’agit bien d’une crise de la rationalité ! Epicure déjà parlait des « mots vides et vains » qui « troublent l’âme » véritable maladie. Le magistère visait juste en rappelant l’importance de la raison, en particulier dans l’encyclique Fides et Ratio.
Ma crainte est que cette crise n’est pas près de s’éteindre. Allez faire un détour par le très sérieux et « officiel » Dictionnaire d’éthique et de Philosophie morale paru aux éditions du PUF et cherchez la notice du mot « Personne » : aucun article, juste deux renvois, l’un à identité morale et l’autre à …… avortement ! Bref ce qui y est défendu semble l’argument de « l’autonomie corporelle ». On peut lire en effet : « L’intérêt de la démarche (la philosophie de J. English dans « Abortion and the concept of the person ») est de considérer que la relation femme enceinte-fœtus est plus importante…. que le statut du fœtus ».
Si « est permis tout ce qui ne nuit pas aux autres » peut-on raisonnablement dire qu’un enfant né à la suite d’un « prêt » d’utérus ne subit aucun dommage en particulier psychologique ? Quels types de relations se sont-ils déjà tissés avant sa naissance ? N’existe-t-il pas des liens marchands préalables à sa venue ? Quelle dépendance lira-t-il dans les yeux de « ses parents » ? Est-ce permettre l’émergence d’une authentique liberté ?
La vigilance s’impose et la formation d’une réflexion solide tout autant. Il n’est pas alors inutile d’aller faire un tour par l’ouvrage récent « L’Humain et la Personne » sous la direction de F.- X. Putallaz et N. Schumacher.
Il faut se souvenir que jamais il ne semble licite d’entretenir de rapports purement instrumentaux avec aucune vie y compris la nôtre.

Écrit par : Albert E | 20/06/2009

JUSQU'AU BOUT DE L'ANALYSE

> Ogien est logique avec la pensée libérale, qui érige la liberté en absolu, duquel découlerait tous les choix, d'égale valeur dans un système centré sur l'individu subjectiviste, perspective qui conduit directement au relativisme de la pensée et de l'éthique .
Pour un chrétien , les choix moraux partent de la Vérité, révélée en Jésus Christ qui affirme : " La Vérité vous rendra libre ", et " Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie."
Si on gomme cette Vérité, c'est à dire le Christ qui rend libre, la liberté devient folle et désorienté. Elle peut devenir le lieu des choix les plus mortifères , conscients ( NON SERVIAM) , ou inconscients ( je suis libre de vouloir et de pouvoir).
Effectivement " si Dieu n'existe pas , TOUT est permis " .
C'est pourquoi, je perçois assez mal à quelle morale peut se référer un philosophe athée (ou agnostique ?), comme Mme Agacinski, pour parler de dignité de l'homme.
Même si certains philosophes athées reconnaissent la nécessité d'une morale pour permettre la vie sociale et la justice, je pense à des gens comme Comte-Sponville, la question du "libre" consentement d'un individu à des choix mortifères ( accepter de vendre ses organes, de louer son utérus, d'avorter, ...) pose encore le problème de l'oppression de la loi sur l'individu roi.
L'avènement de la royauté de l'individu, débarrassé des aliénations familiales, sociales, et bientôt légales avec l'ultra-libéralisme, par le libre exercice de sa ( relative) toute puissance, fragilise l'équilibre social et met à mal l'ensemble de ses fondements.
Encore une fois, " Si Dieu n'existe pas, TOUT est permis" ( c'est horrible mais il suffit d'être le plus fort !).
Je pense que les philosophes qui ont rejeté la révélation chrétienne, devraient aller jusqu'au bout de l'analyse et ne pas s'arrêter au milieu du gué, car n'importe qui peut leur objecter que le systéme de justice ou de moral qu'ils défendent n'est qu'un point de vue individuel et donc relatif !

Écrit par : patrick | 20/06/2009

POINTS DE VUE

> Merci pour ce compte-rendu intéressant, et très éclairant.
Pour répondre à l'argument émotionnel qui est sans cesse invoqué sur ce sujet, La Vie, la semaine dernière, a publié deux points de vue de femmes devenues définitivement stériles, pour montrer que la stérilité n'entraînait pas automatiquement l'acceptation de la gestion pour autrui. Dommage que ce point de vue ne se fasse pas davantage entendre.

Écrit par : Mahaut | 20/06/2009

POUR LA DECROISSANCE

> "Où sont les chrétiens qui le diront aussi, afin d'aider notre société à se libérer ?"
Où donc ? Mais sur ce blog, pour commencer, dont nous vous remercions chaque jour que Dieu fait de l'existence.
Je vous suis infiniment gré de m'avoir enfin permis à me positionner, à ne plus me sentir "seule au monde", affligée de cette identité clivée, entre critique radicalo-révolutionnaire d'une société aliénante, injuste, formatante -dans le sens de la débilité profonde s'entend- dont je ne peux plus supporter l'abjection, et obéissance à l'Eglise catholique, aspiration au spirituel, choses si souvent assimilée (très souvent à raison si j'en juge par les choix politiques, existentiels même, de nombre de "catholiques" de caste de mon entourage) au passéisme, à la ringardise, à la crispation étriquée et, au final, à la défense d'un système dont on n'a plus besoin ici de dénoncer les horreurs.
J'en profite pour vous féliciter vivement sur votre livre consacré à l'environnement qui, j'en suis persuadée, a malheureusement vocation prophétique. Quelles qu'en soient les modalités effectives, qui passent certainement par une volonté politique forte (cf. le livre de Jancovici), le Salut individuel (libération de notre âme de tout ce qui l'enchaîne aux nouvelles idoles) et collectif (survie de l'humanité dans ses dimensions environnementales ET sociales) passera, entre autres, par une expérience de "décroissance".
Si Dieu veut...

Écrit par : SPQR | 20/06/2009

FACE A LA BARBARIE

> On en revient toujours à Antigone: il y a des lois non-écrites (dictées par les dieux, en l'occurrence aujourd'hui Dieu) que personne ne doit transgresser sous peine de revenir à l'état de sauvages. Depuis Sophocle et récemment avec Brecht (en opposition à l'Etat nazi, (sans parler d'Anouilh, Ionesco...), cela dure toujours. Aujourd'hui dans ce monde sans Dieu, on essaie de Le remplacer face aux barbares par dignité, par loi (que l'on accumule et accumulera en vain); le combat restera vain si on ne retrouve pas Dieu, j'ajoute même la religion catholique apostolique et romaine finalement le seul interlocuteur face à cette barbarie.

Écrit par : drazig | 20/06/2009

LES MEMES

> Je suppose que c'est ce débat dont la retranscription est disponible sur le site du Monde (http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/06/19/meres-porteuses-libres-ou-exploitees_1209099_3224.html).
Mahaut

[ De PP à M. - Non : c'st un autre débat, réalisé en mai pour Le Monde 2, mais avec les deux mêmes protagonistes. ]

Écrit par : Mahaut | 20/06/2009

DE CHAIR ET DE SANG

> "D'où vous vient cette confiance aveugle dans le consentement? Je croyais votre regard cynique, je me demande s'il n'est pas idéaliste!"
concluait Sylviane Agacinski dans Le Monde2.
Sa remarque est judicieuse. Le libéralisme et sa théorie contractuelle reposent depuis le début sur une reconstruction fictive de la réalité : Il s'agit d'élaborer un scénario idéal et d'en tirer des lois tout aussi idéales. L'humanité de tous les jours (la vraie) est donc mise entre parenthèses pour les besoins de la démonstration.
Un retour parmi les êtres de chair et de sang ferait du bien à M. Ogien.

Écrit par : Blaise | 22/06/2009

SORTIR DE CETTE FOLIE

> Dans l'article du Monde2 :
"On peut avoir aussi des raisons de penser que le droit et la morale devraient rester séparés" conclut Ruwen Ogien.
C'est révélateur…
Ce serait en effet certainement plus pratique pour le développement de la société du "tout s'achète donc tout doit se vendre".
Je trouve dommage que Sylvianne Agacinski ne parle pas des torts causés à l'enfant, quoi qu'en dise Ruwen Ogien.
Mais surtout, on voit bien la logique des libéraux : réfuter la pertinence de tout discernement moral, mais invoquer les arguments de l'adversaire pour les retourner contre lui dans une fausse analogie. En réalité le débat n'est pas possible car on a perdu la raison – c'est-à-dire la capacité d'exercer son intelligence de manière rationnelle pour discerner.
Je trouve cela proprement désespérant à vue humaine…
Seigneur, que ton Esprit nous inspire les voies de sortie de cette folie !!

Écrit par : Pema | 22/06/2009

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