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17/03/2009

El Salvador - Le nouveau président (de gauche) place son mandat sous le patronage spirituel et social de l’évêque martyr Oscar Romero

canal2[1].jpgMauricio Funes : « Notre évêque martyr

avait une option préférentielle pour les pauvres,

c’est ce que je ferai moi aussi :

favoriser les pauvres et les exclus »…


 

 

 

 -

 

Il s’appelle Mauricio Funes. Il a 49 ans, le visage rond et un sourire paisible. Elevé chez les jésuites, professeur de l’enseignement catholique, puis journaliste de la chaîne Canal 12, évincé de celle-ci (2005) parce qu’il combattait la droite oligarchique régnant sur le Salvador, il est entré en politique active l’an dernier pour chasser le parti des possédants : l’Arena. Jusqu’ici ce parti s’était maintenu en jouant sur la mauvaise image du parti de la gauche : le FMLN [1], issu de la guérilla marxiste. Mauricio Funes entreprit de dénouer la situation : notoirement catholique et non marxiste, il était seul capable de faire naître une large « coalition pour le changement » allant jusqu’aux milieux militaires. Le 15 mars, il a gagné son pari : mettant fin à vingt ans de règne de l’Arena, il a été élu président de la République avec le soutien du FMLN. Pour sa première allocution de président élu, Mauricio Funes a surpris tout le monde – et particulièrement les journalistes européens : au lieu d’invoquer le nom du tonitruant Chavez, caudillo du Venezuela, Funes a déclaré que son modèle était « notre archevêque martyr Oscar Arnulfo Romero ».

 

250307_romero[1].jpgMgr Romero fut assassiné le 24 mars 1980 pendant qu’il célébrait la messe : tué d'une balle par un tireur d’élite des escadrons de la mort – officier d’aviation par ailleurs. L’ordre de tuer l’archevêque avait été donné par  le général-président du Salvador, sur la demande des grands propriétaires. Quand la nouvelle de l’assassinat fut connu, les salons d’El Salvador dirent du bout des lèvres : « Ce curé rouge l’avait cherché . » Mais Mgr Romero était tout sauf un « curé rouge ». Il n’aimait pas le christo-marxisme répandu alors en Amérique latine sous le nom (usurpé) de « théologie de la libération » [2]. C’est au seul nom de Jésus-Christ qu’il luttait aux côtés des exploités, contre la dictature et ses tueurs en rangers (bien entendu « défenseurs de l’Occident chrétien »). Les para-militaires assassinaient trois mille personnes par an. Les cadavres jonchaient les rues. Les corps torturés étaient jetés dans les décharges. Mgr Romero avait proclamé : « les torturés et les assassinés sont de nouveaux Christ, mis à mort par le péché ! ». Après l’assassinat du jésuite Rutilio Grande, l’archevêque avait fait savoir au dictateur qu’il boycotterait les cérémonies officielles tant que la lumière ne serait pas faite sur ce meurtre – et tant que l’iniquité sociale dominerait le pays. Il avait également fait savoir que chaque dimanche, dans sa cathédrale et au micro de sa radio diocésaine, il dénoncerait la façon dont la dignité humaine était crucifiée au Salvador : « Une Eglise qui ne s’unirait pas aux pauvres et ne dénoncerait pas, à partir d’eux, les injustices commises contre eux, ne serait pas la véritable Eglise de Jésus-Christ ! » A ses fidèles, il avait dit : « S’ils interdisent notre radio, s’ils nous empêchent de parler, s’ils tuent les prêtres et l’évêque, chacun de vous doit devenir un micro de Dieu, chacun de vous doit devenir un prophète ! ».

 

Au début de 1980, Mgr Romero avait écrit au président Jimmy Carter en lui demandant de supprimer l’aide américaine à l’armée salvadorienne (1,5 million de dollars par an) : « parce que cette aide sert à réprimer mon peuple ».

 

Le 23 mars 1980, Mgr Romero lance un message aux simples soldats de cette armée, fils de petits paysans : « Je fais appel à vous, membres de la garde nationale, soldats, policiers, vous qui faites partie de notre peuple ! Ces paysans que vous tuez, ce sont vos propres frères ! Aucun soldat n’est tenu d’obéir à un ordre immoral, contraire à la loi de Dieu. Il est temps d’obéir à votre conscience ! Au nom de Dieu, au nom du peuple qui souffre et crie vers le ciel, je vous implore, je vous supplie, je vous ordonne : cessez la répression ! »

 

Le lendemain, après un conciliabule politico-militaire et par « mesure de sécurité nationale anticommuniste », Mgr Romero est assassiné à l’autel par un prétorien du régime.

 

Aujourd’hui la cause de sa béatification est introduite à Rome. Elle s'est heurtée pendant vingt ans au veto politique de l'Etat salvadorien ternu par le parti Arena, opposé à ce que le martyre soit reconnu. C’était logique : l’Arena fut lancé par l’activiste d’extrême droite Roberto d’Aubuisson, janissaire des grands tierratenientes et chef des escadrons de la mort… Ce personnage fut le parrain, notamment, du massacre des villageois d’El Mozote en décembre 1981 : les hommes et les garçons enfermés dans l’église, qu’on incendia ; les femmes et les filles violées puis abattues ; le tout dans le cadre d’une effroyable guerre civile qui fit 75 000 morts et dura douze ans. Aucune enquête ne fut ouverte sur ces atrocités : « Il serait dangereux de retourner vers le passé », répétait le président « Tony » Saca (parti Arena), élu en 2004 et qui se faisait photographier devant un grand crucifix, une bible à la main.

 

C’est contre ce parti que Mauricio Fuentes vient de gagner l’élection de 2009. Pourra-t-il mettre en chantier son idéal – et même gouverner, n’ayant pas de majorité parlementaire pour le moment ? La suite le dira.

 

 

 



[1]  FMLN : « Front Farabundo Marti de libération nationale », du nom d’Agustin Farabundo Marti Rodriguez (1893-1932). En 1932, lors de l’effondrement des cours mondial du café, Farabundo Marti (communiste) fut le leader d'un soulèvement paysan. L’armée du dictateur Maximiliano Hernandez  Martinez exerça une répression massive : 30 000 morts, des Indiens Pipil en grande majorité. (On appela cet épisode La Matanza :  le Massacre).  Le FMLN se forma dans les années 1980 comme une guérilla, pour lutter contre l’oligarchie salvadorienne soutenue par Washington. Aujourd’hui il est devenu l’un des deux principaux partis du pays. (L’autre étant l’Arena : droite dure).

 

[2]  L’Eglise catholique est pour une théologie de la libération, mais authentique et puisée dans l’Evangile. Cf  le document du cardinal Ratzinger Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, chapitre 5, La doctrine sociale de l’Eglise, pour une praxis chrétienne de la libération (Téqui 1991) : changer les structures économiques, sociales et politiques pour mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme, est un objectif radicalement chrétien ; tout « conservatisme » visant à maintenir ces structures va contre l’Evangile.

 

Commentaires

BONNE NOUVELLE

> Cette nouvelle salvadorienne nous console de l'horrible histoire brésilienne. Même si
M. Funes va au devant de sérieuses difficultés de gouvernement !

Écrit par : Paul Bedel | 17/03/2009

LA FAUSSE IMAGE DONNEE A Mgr ROMERO EN FRANCE

> Je vous dois un aveu, qui me vaudra peut-être de me faire taper sur les doigts, mais tant pis ! Le nom de Romero réveillait en moi une méfiance instinctive, sans doute injustifiée, en provenance directe du lessivage spirituel subi dans les années 70-80 au sein des aumôneries. Souvenez-vous de cette époque formidable (et largement subsistante en ces mêmes lieux) ou la catéchèse se déclinait en un vague humanisme, teinté d’utopie marxisante, de solidarité et de mots creux qui, in fine, a produit deux générations de matérialistes sceptiques, éventuellement catho-socio-bien-pensants… Cette catéchèse qui associait sans complexe le Christ « premier communiste du monde » (souvenons nous d’une affiche du Crucifié surmonté du mot « Wanted ! » ) au syndicalisme révolutionnaire, à l'antiracisme partisan, au CCFD et à quelques icônes, dont… Mgr Romero !
Alors, oui, je confesse ce vieux réflexe, car je n’ai jamais caché combien j’avais été marqué par cette décérébration qui a failli faire de moi un incroyant. Et qu’on ne me dise pas ici que je caricature, tous ceux qui ont été scolarisés dans le privé entre 1970 et 1990 peuvent en témoigner.
Mais, connaissant l’esprit de ce blog, en lisant votre article, j’ai eu envie d’aller plus loin et de sortir des idées reçues. Au terme d’un très rapide balayage des infos disponibles sur le Net (tel Benoît XVI, je l’utilise désormais !), je constate que l’image préconçue n’est pas forcément exacte. J’ignore à peu près tout de ce prélat, si ce n’est les circonstances de sa mort, et la large récupération qui en a été faite par les milieux « progressistes ». Totalement ignorant (sauf par la lecture d’un très mauvais roman policier) de la situation au Salvador à cette époque, je n’ai cependant pas de mal à penser que la justice n’était pas une préoccupation majeure de ses gouvernants (comme d’ailleurs un peu partout dans cette région). Tapioca et Alcazar ont un fond de vérité ! Certes, il faut replacer les choses dans leur contexte, qui était celui de la guerre froide et de la menace soviétique, qui explique sans doute largement la volonté américaine de soutenir tous les gouvernements, même les pires, qui semblaient constituer un rempart contre cette menace réelle. Sans en tirer de conclusions péremptoires en terme de justice sociale, bien au contraire. Mais tout cela m’a donné envie d’aller plus loin.
Pouvez vous nous donner quelques pistes de réflexion, bibliographiques ?
Edouard


[ De PP à E. :
- Je peux vous conseiller... mon enquête sur l'Opus Dei (Presses de la Renaissance, 2006),
où vous découvrirez que Mgr Romero fut le premier évêque du monde à demander à Paul VI
la canonisation de Josémaria Escriva de Balaguer. Et qu'il travaillait main dans la main avec les oeuvres sociales de l'Opus Dei au Salvador... Je ne cite pas ce fait pour faire de la pub à l'Opus Dei (dont je ne suis aucunement membre), mais pour indiquer à quel point le profil
de Mgr Romero n'a rien à voir avec le personnage qu'on lui a fabriqué après coup. Y compris sur le plan de la spiritualité : Mgr Romero portait un cilice, comme le curé d'Ars.
- La guerre civile salvadorienne des années 1980, effroyable, n'eut strictement rien à voir avec la guerre froide et la "menace soviétique". Ce fut une entreprise génocidaire, perpétrée contre les couches les plus pauvres de la population (petits paysans indiens misérables), par une oligarchie économique aux moeurs et à la mentalité buñuéliennes. On ne peut excuser ces crimes de masse opérés dans l'intérêt d'une classe dominante et que
la "menace soviétique" ne justifiait absolument pas. Comment l'aurait-elle pu, d'ailleurs ?
Et quelle "menace" étrangère peut justifier un ethnocide, car c'est bien de cela qu'il s'est agi ? D'où la force des paroles de Mgr Romero, et son assassinat pendant qu'il disait la messe...]

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Écrit par : Edouard | 17/03/2009

CAVANAUGH

> Je profite de ce fil pour annoncer que "Torture et Eucharistie" de W Cavanaugh, traitant d'une expérience similaire à celle du Salvador, vient d'être réédité cette année par les éditions Ad Solem.

Écrit par : Blaise | 17/03/2009

DIGNITE HUMAINE

> Merci de ces précisions. Une rectification cependant : je n'ai pas invoqué le contexte de guerre froide pour justifier ce que vous qualifiez d'ethnocide ! Loin de moi cette idée ! Je ne l'ai invoquée que pour rappeler l'existence d'une menace globale (notamment en Amérique latine) qui pourrait expliquer la volonté américaine de l'époque de maintenir en place des gouvernements anti-marxistes. Explication qui ne vaut d'ailleurs pas plus qu'une réflexion rapide et superficielle, et qui ne vaut surtout pas absolution. Car, si justifiée qu'elle fût, la politique de containment n'aurait jamais du admettre des massacres, ou des régimes politiques niant la dignité humaine.

Écrit par : Edouard | 17/03/2009

LE GRAIN DE BLE

> J'avais lu que Mgr Oscar Romero avait été assassiné le 24 mars 1980 en pleine messe alors qu'il venait de lire la parabole du grain de blé qui doit mourir afin de porter du fruit. Je n'ai pu vérifier l'authenticité de cette "petite fleur" (fioretti), mais elle est bien belle !
Michel de Guibert


[ De PP à MG - En tout cas Mgr Romero avait dit ceci, quelques jours plus tôt : "Nous n'accomplissons dans notre vie qu'une fraction minuscule de l'entreprise magnifique qu'est
le travail de Dieu."]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Michel de Guibert | 17/03/2009

SAINT PATRON

> Bonsoir,
Rien à voir avec l'article ci-dessus, mais je ne savais pas où vous envoyer mes meilleurs voeux en cette fête de Saint Patrice. Il semblerait, à lire la vie de ce saint du Ve siècle, que les Patrice aiment consacrer leur vie à l'évangélisation.
Toinon


[ De PP à T. - Merci. ]

Écrit par : Toinon | 17/03/2009

AU DESSUS

> Si je comprends bien, ce nouveau président n'est pas plus de gauche que moi.
Il est simplement "d'au dessus", au service de ses compatriotes avec pour seule exigence que ce service soit authentique.
Que ce programme rassemble de nombreuses forces, y compris celles qui se réclameraient d'une gauche quelconque ne peut étonner.
A quand un tel mouvement chez nous, vraiment issu de l'Evangile ?

Écrit par : Xavier de Gassart | 18/03/2009

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