Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/11/2008

Ségolène Royal : un phénomène étrange

1151-1587.main[1].jpg…donc significatif


 

 

>

Nous ne sommes pas tentés par Ségolène Royal : ses insuffisances sont évidentes. Mais il faut constater quelque chose de mystérieux, qui s’est manifesté durant ce week-end. C’est la survie du phénomène, voire son impact dans une partie de l’opinion. A quoi cela tient-il ? Au personnage de Mme Royal, qui est un contre-effet de la dérive de notre démocratie.  Le  langage  ségolénien  n’est  presque pas politique.  Mme Royal n’est  ni de gauche  ni de droite.  Elle siège au plafond. Elle parle en thaumaturge. Elle emprunte des phrases à l’évangile. D’où ces tournures (« s’aimer un tout petit peu les uns les autres ») qui exaspèrent la moitié des socialistes… L’un d’eux, sortant du congrès, dit aux journalistes : « Il y a un truc, c’est pas possible, c’est une évangéliste ! mais moi je ne suis pas pour la charité, je suis pour la solidarité, ce n’est pas la même chose ! » Quelques minutes après, sur une autre chaîne, l’ex-socialiste Besson donne lui aussi dans l’antireligieux :  « Si j’étais Ségolène Royal, je vous répondrais : ‘le reste sera donné par surcroît’… »

 

Bref : Mme Royal indispose les laïques. C’est un handicap quand on veut rassembler à gauche.

 

Mais veut-elle rassembler à gauche ? D’ailleurs  que veut-elle ? On ne voit pas de quels moyens elle veut se doter, à moins de prendre le parti malgré tout. Mais on voit bien son but : des noces mystiques entre elle et le peuple français quand les Temps seront venus, en une victoire électorale qui tiendrait de l’Evénement millénariste, voire (diraient les évangéliques les plus chauds) du dispensationalisme prétribulationnel.

 

Cet aspect piétiste de l’ambition ségolénienne fait rigoler les frangins. Fait-il rigoler le peuple ? Je ne crois pas. Je reste impressionné par l’enthousiasme de la foule de Saint-Etienne, le jour du Salon du Livre de cette ville, quand Ségolène est arrivée : des centaines de badauds se sont soudain amassés autour du stand de la Fnac en clamant leur joie. « Elle nous sauvera ! », criait devant moi une vieille dame sans plaisanter. Ségolène est montée sur la table du stand ; les bras en croix, elle a presque béni la multitude. C’était une scène de charisme. On était ailleurs que dans le politique.

 

Bien entendu nous savons que Mme Royal n’est pas faite pour mener un Etat dans les dangers et les complexités du monde. Mais cette femme étrange est en scène, et vouée à y rester un certain temps.

 

Et si c’était, non « malgré », mais « à cause de » son étrangeté ?

 

Son auréole de bizarrerie quasi-religieuse lui permet d’exister personnellement, alors que notre système politique s’étiole. Un double symptôme de cet étiolement  est  donné  par :  a)  l’agonie du PS ; b)  l’installation  du  sarkozysme  comme unité de production incluant la droite et la gauche (ce qui est l'un des marqueurs d’une « post-démocratie »). En choisissant d’apparaître aux foules comme un être céleste promettant de transfigurer la vie, Ségolène Royal s’installe, elle, « ailleurs et au dessus »: position dont elle a le monopole. Le fait est que cette attitude émeut une bonne partie des Français.

 

Je ne dis pas que Mme Royal fait de la politique chrétienne (laissons ce grief à Jean-Luc Mélenchon). Je constate que, dans l’étiolement de la démocratie française, la singularité de son attitude « fait une différence », comme disent les preachers néoprotestants. Cela met Mme Royal en position pour l’instant, non de future présidente de la République, mais de phénomène significatif. Ceux à qui Ségolène donne des crises doivent se faire une raison : elle ne disparaîtra pas facilement du circuit.

 

P.P.

 

 

07:01 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (13)

Commentaires

CHESTERTON

> Cher Patrice, vous commencez très fort la semaine, par cette note qui me paraît fort juste.
Tout cela me rappelle cette pensée de Chesterton, que le cher Gustave Thibon aimait souvent citer :
"Quand les gens ne croient plus en Dieu, ce n'est pas pour croire en rien, mais pour croire en n'importe quoi."

Écrit par : bernard | 17/11/2008

VOIX

> Il lui manque encore quelques voix célestes pour se muer en Jeanne d'Arc et alors elle pourra rallier à son panache blanc jusqu'aux lepénistes.

Écrit par : jean-michel varcher | 17/11/2008

> Jeanne d'Arc allait à Reims pour y faire sacrer le roi ; Ségoléne y va pour quel sacre Royal ! ?

Écrit par : Michel de Guibert | 17/11/2008

RECUPERATION SPECTACLE

> "Quand les gens ne croient plus en Dieu, ce n'est pas pour croire en rien, mais pour croire en n'importe quoi."Bernard, votre citation de Chesterton est parfaite.
Ce sont des mots que j'ai employés l'année dernière, mais ils sont toujours d'actualité : spectacle pitoyable d’une régression in utero. Pâmée parmi les « gens », se baignant dans la masse et la sondant sans relâche, tel l’être recroquevillé dans la matrice. La voilà, toute sa modernité. Son visage secret, le secret de son succès.
Ce « désir d’avenir » qui ne repose sur aucune proposition sérieuse est un désir de mort douce, un désir spéculaire de nous envoyer vivants au tombeau.
Ignoble, sa récupération de la parole évangélique, au service du spectacle.

Écrit par : Alina | 17/11/2008

MODERNE

> Curieusement personne ne parle du nouveau parti social-démocrate ("La Gauche moderne") que lance Jean-Marie Bockel, avec le soutien de Gilles Casanova, de Martin Hirsch et de Jean-Marie Cavada (Congrès fondateur le w-e prochain à Suresnes).
Voir la Tribune de Genève :
http://www.tdg.ch/actu/monde/bras-gauche-nicolas-sarkozy-veut-muscler-2008-11-13

Écrit par : Michel de Guibert | 17/11/2008

LA CHIMERE

> Je partage votre point de vue sur Ségolène Royal. Nous avons en face de nous un être vraiment paradoxal, un être vraiment hybride, une sorte de Chimère de Lycie, mêlant l’ambition la plus démesurée à l’invocation de l’amour fraternel, l’incompétence la plus manifeste à une extrême confiance en soi, l’aptitude au recueillement au désir de paraître.
A la manière d’entomologistes, nous aurons vraisemblablement, lors des prochaines années, la possibilité d’observer plus attentivement un étrange phénomène.

Écrit par : Sophrone | 17/11/2008

CULTURE DES ELITES

> Ce qui m'atterre dans cette histoire est d'entendre des personnes penser que SR propose une politique chrétienne. Ainsi hier sur FR3 R. Cayrol, qui par ailleurs ne maniait pas la langue de bois sur le soutien de Delanoë à Aubry, nous explique S. Royal est proche de la DSE.
Il faut vraiment que la culture de nos élites soit très faible pour en arriver à des énormités pareilles.
Comme si un langage post religieux suffisait pour être proche de la DSE, qui rappelons le traite non seulement du domaine économique (domaine dans lequel je ne sais pas si SR a une réelle pensée, il est donc difficile de comparer) mais aussi de tout ce qui est morale de la famille, où la plupart des idées de SR sont clairement à l'opposé de celle de l'Eglise.

Écrit par : Ludovic | 18/11/2008

ET LE PCF

> Et le vieux PCF ? Mon post n'a peu de chose à voir avec Ségo, mais le PCF aussi ne ressemble plus du tout à quelque chose de marxiste mais davantage à une critique catholique sociale du capitalisme...
Si, si je vous assure, enfin du moins dans leur communication, voir ce très bon spot publicitaire : http://www.dailymotion.com/video/x76aes_expression-directe-2008-5-min_news
Entre le logo en forme de coeur, le discours "économie au service de l'homme"...on est loin de la lutte des classes. Je vous laisse analyser ça.

Écrit par : Damien | 18/11/2008

> Voici que Ségolène Royal tend la main (ou la joue ?) à ceux qui l'attaquent ou l'insultent...
"Qu'elle présente la joue à celui qui la frappe et qu'elle se rassasie d'humiliations !"
(Lamentations 3, 30)

Écrit par : Michel de Guibert | 18/11/2008

MILLENARISME

> Je trouve que votre note est profonde. Vous essayez de comprendre le phénomène en allant au-delà de la simple analyse politique.
Il faudrait probablement la rapprocher de certains phénomènes du Moyen-age (croisade des pastoureaux, maître de Hongrie , ...), pour percevoir ce qu'elle révèle de l'état de notre société. Peut-être s'agit-il de notre millénarisme, celui qu'on nous prédisait il y a peu !
Si cela conduit des politiciens madrés comme E Besson à citer les évangiles, c'est déjà un bon point ...
Par contre, je ne comprend pas bien ce qu'est le "dispensationalisme prétribulationnel". J'ai quelques hypothèses, mais si vous pouviez préciser ...

julius


[ De PP à J. - Le "dispensationalisme" est une notion d'origine "darbyste" (le courant évangélique le plus radical, né vers 1848) : il s'agit des "dispensations" divines qui auraient rythmé l'Histoire, jusqu'à la venue de Jésus-Christ qui enlèvera ses fidèles pour les préserver de la Grande Tribulation, avant le règne de Mille Ans. D'où le sticker (authentique) que l'on voit sur beaucoup de voitures dans la Bible Belt : "Attention - En cas d'enlèvement au Ciel ce véhicule sera sans conducteur". Je ne sais pas pourquoi ces vaticinations me font penser à Ségolène, mais je trouve qu'il y a une résonance.]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : julius | 19/11/2008

LA GAUCHE, SEGOLENE, OBAMA

> J'en m'en veux d'avoir laissé passer cette note. Elle me semble fort juste dans son analyse du phénomène.
Je trouve en général justes les reproches qu'on lui adresse à gauche: son discours manque totalement de "ligne" politique claire. Mais la même gauche a tort de rejeter son propre héritage moral, qui est incontestable (je ne parle pas de la gauche marxiste, mais de celle qui, en France, peut se réclamer de Jaurès ou de Mendès-France). Il y a évidemment une dimension morale dans la vraie gauche, une réaction saine face à certaines formes de misère ou d'égoïsme; il y a une conviction morale qui sous-tend l'intérêt de la gauche "historique" pour l'éducation et l'instruction publique, ou son attachement à la redistribution des richesses ou au rôle compensateur de l'Etat.
La récente victoire d'Obama montre d'ailleurs qu'il y a place pour un discours "de gauche" (dans les catégories américaines) parfaitement compatible avec une inspiration religieuse authentique — n'en déplaise à ceux qui, focalisés uniquement sur le problème de l'avortement, refusent de voir qu'Obama est au moins aussi religieux que McCain.

Écrit par : Philarete | 20/11/2008

AUTEURE

> Oui, Philarète, très bien vu. Quand je lis certains articles atterrants d'imbécillité dans la presse catho sur Obama etc, je suis choquée à mort. Comment peut-on oser écrire qu'il est immoral de vouloir assurer des soins médicaux gratuits à tous, et de fiscaliser les grosses fortunes ? Et que c'est la même chose que de vouloir le mariage gay et l'aggravation de l'avortement ? Mais oui, mais oui, je viens de lire ça, je ne vous dirai pas où mais si je croisais l'auteure de ce torchon je lui dirais ce que je pense de sa foi chrétienne.

Écrit par : Amicie T. | 20/11/2008

> Et nous voilà entre Charybde Royal et Scylla Aubry !! Misère !

Écrit par : Nora Toupet | 21/11/2008

Les commentaires sont fermés.