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23/09/2008

Sept jours qui ébranlèrent la finance (3)

fin de l'article :


III.   Les nouveaux fronts.

« This time is out of joint »

Hamlet

Hamlet, Acte I, scène 5.

 

 

Le moment critique de la crise, celui où la ligne de défense des autorités financières semblait sur le point d’être emportée, est momentanément derrière nous. Cela ne signifie nullement que la crise soit derrière nous, mais on peut penser que pour les semaines à venir d’autres fronts vont s’ouvrir.

 

Le premier, et le plus évident, concerne la valeur du Dollar US et l’émergence d’un possible doute affectant la dette souveraine et assimilée des Etats-Unis.

Il est évident que le déficit budgétaire américain va se gonfler dans des proportions considérables dans les mois à venir. Le budget voté pour l’année fiscale 2009 (FY-2009) était de 439 milliards de Dollars, soit environ 3,5% du PIB. Ce montant n’incluait nullement la totalité des coûts du sauvetage de Fannie Mae et Freddie Mac, et bien sur ne pouvait intégrer  ni le coût du sauvetage de AIG ni celui de la caisse de défaisance. Or, on a vu que le coût de cette dernière ne pouvait être estimé de manière certaine en raison de la dimension dynamique de l’évolution de la qualité des créances dans une crise qui met en cause la solvabilité des ménages et des entreprises.

       À ces charges, il faut en ajouter d’autres qui vont se manifester durant l’hiver 2008-2009. Le ralentissement de l’activité économique se traduira par une baisse des recettes fiscales des États qui sera plus sensible que celle du budget Fédéral. Dans le système de fédéralisme fiscal américain, les États ne peuvent avoir de déficit. Soit ils réduisent leurs dépenses, au risque d’aggraver la tendance dépressive de l’économie et de provoquer des crises sociales localisées de grande ampleur, soit le budget fédéral doit prendre à sa charge le déficit. Ceci sera immanquablement un facteur de dérapage du déficit budgétaire.

      Un déficit budgétaire total de l’ordre de 1000 milliards de Dollars ne semble plus une perspective hors d’imagination, bien au contraire. L’important cependant n’est pas le chiffre exact que le déficit atteindra, quand nous disposerons des comptes consolidés après exécution du budget. L’important réside dans les anticipations, plus ou moins sereines ou plus ou moins catastrophistes que les acteurs financiers feront de ce déficit. La tendance de toute administration est de sous-estimer son déficit. Ceci est vrai sur les rives de la Seine comme sur celles du Potomac. Mais, compte tenu du comportement par moment erratique des autorités, du fait qu’il est probable que nous assistions à un changement d’administration dans le cours de l’année fiscale, les conditions sont réunies pour des fluctuations importantes et non convergentes des anticipations.

 

Il faut donc s’attendre à une nervosité croissante des opérateurs non seulement sur le cours du Dollar, mais surtout sur la prime de risque portée par les titres publics et para-publics américains. L’évolution des écarts de taux dans les semaines à venir sera un indicateur assez sur d’une consolidation – même temporaire – de la situation ou de la résurgence de la spéculation par l’ouverture d’un nouveau front.

         Il peut être tenu pour acquis que le Dollar va se remettre à baisser sensiblement d’ici la fin 2009. Outre les paramètres purement financiers (injections de dollars par les Banques Centrales, glissement du déficit américain, maintien par le FED de taux relativement faibles pour ne pas compromettre le rétablissement des banques) les paramètres issus de l’économie réelle vont jouer un rôle important. Que le ralentissement de l’économie, puis la contraction du niveau de l’activité surviennent plus vite et de manière plus importante que prévue, que l’on apprenne la faillite spectaculaire d’entreprises qui sont des symboles de la prospérité américaine (on pense à General Motors bien entendu), et les pressions à la baisse vont redoubler.

        La question alors posée sera celle d’un glissement maîtrisé du Dollar (qui pourrait progressivement retrouver son niveau le plus bas de 2008 soit 1,60 USD pour 1 Euro) ou au contraire d’une chute brutale et non maîtrisée, susceptible de donner naissance à un run contre le Dollar.

        L’inquiétude des grands fonds privés, mais aussi publics, qui en Asie, au Moyen-Orient et en Russie continuent de détenir des quantités considérables de titres publics et para-publics américains quant à la dette américaine sera ici un élément capital. Ajoutons qu’à ce niveau stratégique des différents politiques et stratégiques peuvent avoir des conséquences économiques et financières incalculables. L’attitude américaine vis-à-vis de la Russie au moment de la guerre d’Ossétie du Sud a pour le moins manqué de finesse. Les contentieux avec la Chine existent eux aussi.

        Le principal facteur pesant en faveur d’une stabilisation progressive du Dollar, après certainement une baisse sensible réside dans le fait que ni la Chine ni la Russie ne sont prêtes aujourd’hui à postuler à des responsabilités financières internationales, ou à s’associer de manière délibérée et concertée pour porter un projet alternatif à l’ordre monétaire et financier mondial actuel. Cette situation pourrait évoluer dans les années à venir mais probablement pas à court terme.

 

On peut donc considérer que le risque de voir un « second front » s’ouvrir brutalement dans les semaines qui viennent est faible. Les pressions sur le Dollar et l’économie américaine seront fortes, et pourraient monter si l’on découvrait de nouveaux cadavres dans les placards des assurances en général – et d’un groupe de « bancassurance » comme Citygroup en particulier.

Mais, compte tenu de l’effort consenti par les autorités américaines avec la caisse de défaisance, ceci reste gérable même si cela devait pousser encore plus haut le déficit pour l’année 2009.

Cependant, on ne peut exclure que des nouvelles surprises, au sens donné à ce terme par G.L.S. Shackle, ne viennent ébranler la confiance fragilement rétablie et suscitent à nouveau une fragmentation et une divergence brutale des anticipations. Au point où elles en sont aujourd’hui, les autorités américaines ne peuvent plus se permettre de perdre la moindre bataille, de faire la moindre erreur de stratégie et de communication. L’hégémonie monétaire du Dollar, fondamentalement contestée, est à la merci de la moindre erreur et ceci sans qu’une solution de rechange ne soit disponible à court terme.  Ce n’est pas une perspective des plus réjouissantes.

 

 

Jacques Sapir