Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/09/2008

Sept jours qui ébranlèrent la finance (2)

suite de l'article :


Un signe évident d’une différenciation des modèles de capitalisme dans les 10 dernières années peut être trouvé dans les différences du taux d’épargne global que l’on constate dans les pays occidentaux.

 

 

Tableau 1

Épargne totale en % du PIB

 

 

 

Allemagne

France

Italie

Grande-Bretagne

Etats-Unis

2000

20,07

21,20

20,16

15,39

18,04

2005

21,67

18,96

18,93

14,99

13,95

2006

22,81

19,26

18,59

14,10

14,15

 

 

 

On discerne nettement la différence entre les pays qui ont basculé dans le modèle néo-libéral et ceux qui présentent encore des éléments de résistance. Une comparaison avec les pays d’Asie ferait apparaître une troisième catégorie avec des taux d’endettements de 30% à 40%.

 

 

Cela signifie qu’aux Etats-Unis, mais aussi en Europe en Grande-Bretagne, où la politique de Tony Blair a contribué à la fragilisation des salariés[1], et en Espagne, on a ouvert l’accès au crédit dans des conditions de plus en plus favorables alors que les déterminants de la solvabilité des ménages devenaient de plus en plus défavorables. Cette ouverture du crédit n’était pas seulement fonctionnelle d’un point de vue macroéconomique.

Elle a aussi été le fait d’une dynamique microéconomique de forte concurrence issue de la déréglementation. Si cette dernière était nécessaire à l’extension du crédit, elle aussi pris une dimension purement idéologique en bien des points. Le neo-libéralisme dans les têtes a permis son extension dans les structures de l’économie. Au dernier trimestre 2006, les crédits hypothécaires accordés aux ménages surendettés aux Etats-Unis (les fameux contrats « sub-prime », se faisaient avec un apport personnel de…0,8%.

Les conditions d’endettement des ménages se sont ainsi fortement dégradées, ce que la multiplication des contrats à taux variables et ajustables (les ARM), a aggravé. Ces contrats qui représentaient 73,8% des nouveaux contrats en 2001 atteignaient 91,3% en 2006[2].

 

L’explosion du volume des subprime au sein des émissions d’hypothèses est saisissante. On est ainsi passé d’environ 4,8% des hypothèques émises dans une année en 1994 à 20% en 2006.

 

Cette « folie hypothécaire » n’est une « manie », au sens des grandes spéculations historiques, qu’en apparence. Il y a de la méthode et surtout du système dans cette folie. Quand on comprime les revenus salariaux pour toujours plus de profits et que l’on cherche dans la financiarisation de l’économie une porte de sortie à la contradiction qui veut que toute compression des revenus induira celle de la demande solvable, donc celle du niveau d’activité et donc celle du volume des profits, alors la dérégulation financière et l’emballement de la machine à crédit au delà de toute borne prudentielle – au point où l’on en arrive à parler de prêt « prédateurs »[3] - deviennent logiques.

Il y a aussi du système dans cette folie quand on prétend, comme le fait le gouvernement français, développer une mentalité de propriétaire à travers l’immobilier tout en menant une politique de déflation salariale, que l’on justifie au nom de l’ouverture économique alors que cette dernière a été justement initiée pour accroître les pressions sur les salariés. Ainsi, François Fillon et Nicolas Sarkozy sont par leurs politiques, et l’approbation donner au système des hypothèques rechargeables en France, les vecteurs mêmes des dévoiements de la finance qu’ils peuvent par ailleurs condamner. Les institutions du néo-libéralisme finissent par induire chez les acteurs au centre du système les représentations qui conduisent à leur renforcement permanent et ce jusqu’au jour où le même système va heurter de plein fouet le mur des limites de sa propre reproduction. Où donc est le dévoiement ? Dans les pratiques financières ou dans la pensée de ceux qui mettent en place les réformes qui rendront non seulement possible mais encore inévitable car nécessaires les emballements dont les Etats-Unis, mais aussi la Grande-Bretagne et l’Espagne nous donnent l’exemple ?

 

Si l’on considère les évolutions d’un point de vue systémique, on voit ainsi apparaître, au sein d’un capitalisme réputé homogène comme le capitalisme européen, des divergences majeures dans la structure d’endettement qui sont la contrepartie des différences dans le taux d’épargne.

 

Tableau 2

Endettement comparé en % du PIB en 2006

 

France

Allemagne

Espagne

Grande-Bretagne

Italie

Endettement des ménages

45%

68%

84%

107%

39%

Endettement des entreprises non financières

73%

57%

104%

88%

63%

Total hors dette publique

118%

125%

188%

185%

102%

Endettement public

63%

67%

39%

39%

106%

Endettement total

181%

192%

227%

224%

208%

Source : INSEE, BCE et comptes nationaux.

 

 

On voit bien apparaître deux modèles assez distincts, ceux des pays où l’endettement des ménages et des entreprises est fort mais celui de l’État réduit, et ceux, pour l’instant encore peu touchés par le tournant néo-libéral, où l’endettement public est élevé mais l’endettement des ménages et des entreprises bien plus faible. Au total, le plus endetté n’est pas celui qu’on croit…

 

         La crise financière actuelle est avant tout le résultat immédiat d’une circulation intense de mauvaises créances. La qualité de ces dernières ayant d’ailleurs évolué avec l’approfondissement des politiques macro-économiques qui leur ont donné naissance. Cette évolution de la qualité rend des créances hier acceptables aujourd’hui potentiellement dangereuses.

La complexification des procédures de la « finance structurée » a ajouté un voile d’opacité sur cette circulation des créances[4]. Mais il faut avoir l’honnêteté de dire qu’une meilleure réglementation n’aurait certainement pas résisté à la pression concurrentielle du système, une fois l’endettement des ménages devenu le seul pilier de la croissance. Par ailleurs, la finance structurée n’a fait qu’aider à la circulation de créances qu’elle n’a pas créées.

On le voit bien, l’origine de la crise financière n’est pas à chercher dans la finance mais dans des modes de répartition, d’ouverture à la concurrence internationale, et des procédures de déréglementation – sociales, financières, industrielles - qui caractérisent un modèle particulier de capitalisme, que l’on peut caractériser par ses pathologies dans le domaine macroéconomique, institutionnel et idéologique. Le néo-libéralisme est une totalité qui fait système.

 

            On le mesure encore mieux quand les désordres financiers engendrés par les déséquilibres réels initiaux, font retour vers la sphère réelle avant de rebondir dans la sphère financière.

Les canaux de transmission de la crise financière vers l’économie réelle ont été nombreux aux Etats-Unis. Les banques, fragilisées par l’accumulation de mauvaises dettes issues de l’immobilier, ont brutalement réduit les crédits : c’est l’effet credit-crunch. L’éclatement de la bulle immobilière a alors entraîné une forte baisse des prix de l’immobilier (-15% de juin 2007 à juin 2008 et -25% d’ici juin 2009[5]) réduisant drastiquement le Home Equity Extraction. Ceci conduit à une baisse sensible de la demande solvable. La baisse de la valeur du patrimoine des ménages, liée aux prix de l’immobilier et à la chute des marchés financiers, induit cette fois un effet de richesse négatif, qui va lui aussi peser sur la demande solvable. Les entreprises, quant à elles, sont prises dans l’étau d’un crédit de plus en plus difficile à obtenir et de la destruction d’une partie de leur fonds de roulement, placé en titres et victime de la chute des marchés financiers de ces dernières semaines.

La crise devient cumulative avec la montée du taux de chômage, qui en 12 mois est passé de 4,5% à 6,1% de la population active. Les revenus salariaux sont les premiers touchés et la solvabilité des ménages se détériore avec un effet de retour sur les banques qui voient les impayés s’accumuler sur les cartes de crédit et dans les formes traditionnelles du crédit à la consommation (le crédit à l’achat des automobiles en particulier). La situation des banques américaines est donc fortement dynamique, mais à la baisse. La dégradation de la solvabilité des ménages détériore des créances qui, il y a un an, pouvaient encore être tenues pour saines. C’est pourquoi la principale cause d’opacité quant à la qualité des dettes n’est pas l’absence de réglementation ou des normes comptables inadéquates. C’est le processus de la crise lui-même qui produit de manière endogène un doute croissant sur la valeur des dettes, car la contrepartie de ces dernières n’était autre que la croissance, et celle-ci – parce que fondée presque exclusivement sur le Home Equity Extraction depuis 2004 – ne pouvait être soutenue.

 

Ce ne sont donc pas de simples mesures techniques qui peuvent arrêter la dégradation des comptes des banques, mais aussi des compagnies d’assurance. Bien sur, la caisse de défaisance que les autorités américaines mettent en place va en limiter l’effet. Mais bien prétentieux celui qui peut dire aujourd’hui quel sera le montant final des dettes que cette caisse devra prendre à sa charge. Le chiffre de 700 milliards de Dollars avancé par Henry Paulson correspond au mieux – si ce n’est pas une simple évaluation au doigt mouillé – à une évaluation statique. Compte tenu du rythme de la dégradation de la situation économique aux Etats-Unis il est inévitable que ce chiffre s’accroisse dans les mois à venir. Si l’exemple de l’autre crise traumatique du système financier américain, la crise des Saving and Loans de 1990-1991 peut nous apprendre quelque chose, c’est bien qu’il existe un écart considérable entre les estimations initiales de l’effort que l’Etat devra consentir et le chiffre final[6].

 

         On le voit, cette crise n’est pas un simple cycle, un moment banal de difficultés passagères comme on l’ont prétendus nombre d’économistes soi-disant avisés, tel Alan Greenspan[7], avant de se contredire devant la bourrasque de cette folle semaine et de qualifier la crise de « plus importante depuis un siècle ».

Cette crise est bien structurelle. Elle correspond à un moment que la théorie régulationniste qualifie de « grande crise », soit la rupture d’un ensemble ayant acquis une cohérence dynamique. L’un des enjeux de cette crise sera donc, bien au-delà de réglementations techniques, de s’attaquer aux fondements du néo-libéralisme.

 

 (à suivre)