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23/06/2008

Crise dans l’Eglise anglicane : c’est l’heure de vérité

Comment comprendre ce qui se passe ? Quelle est la place (relative) de la question homosexuelle dans cette affaire ? Quels sont les véritables enjeux ?


Coup de tonnerre dans la Communion anglicane mondiale (77 millions de fidèles) : 280 évêques, représentant quarante millions de fidèles, sont réunis cette semaine en « conférence alternative » à Jérusalem. Ils boycotteront le sommet annuel anglican (« conférence de Lambeth ») qui se tiendra dans trois semaines en Angleterre. Cette rupture s’insurge contre la ligne « libérale » de l’Eglise anglicane officielle, « tolérant des bénédictions de couples homosexuels et la présence de membres gays dans le clergé ».

La crise s’est amorcée en 2003, lorsque l’Eglise anglicane (« épiscopalienne ») des Etats-Unis a nommé un gay militant – Gene Robinson – évêque du diocèse du New Hampshire. Une fracture est alors apparue : les dirigeants anglicans de l’hémisphère Nord, acquis à la ligne « libérale », ont été désapprouvés en masse par ceux de l’hémisphère Sud. La confrontation a repris avec plus de force en 2008, quand les médias ont claironné le « mariage » de deux vicars anglicans homosexuels dans une église de Londres. Les résistants ont alors abattu leurs cartes en annonçant leur contre-sommet de Jérusalem, où siègent en ce moment dix-sept « provinces » représentant plus de la moitié de la planète anglicane: évêques  d’Afrique, d'Amérique du Sud, d'Australie. Mais aussi de Grande-Bretagne et des Etats-Unis…

Les évêques résistants disent avoir été  « ignorés, diabolisés, marginalisés » par l'élite anglicane londonienne et américaine. Celle-ci, accusent-ils, veut engager la Communion anglicane mondiale dans une dérive inacceptable, s’éloignant de la foi pour devenir une annexe du politically correct  - dont l’un des aspects serait le militantisme gay radical.

La rupture entre les deux anglicanismes est loin d’être une manifestation d’homophobie (selon le terme consacré). Voire de se résumer à un désaccord sur l’homosexualité... C’est une question de théologie et de vision générale. Le débat touche à des points universels – et essentiels pour des chrétiens croyants ; on serait grossier de réduire cette crise à une affaire d’Africains « attachés à une lecture littérale de la Bible qui fait de l'homosexualité un interdit majeur », comme l’écrit un de mes confrères (avec un curieux relent de mépris postcolonial). Si Peter Akinola, archevêque nigérian, et Michael Nazir-Ali, évêque de Rochester en Grande-Bretagne, estiment devoir se séparer de l’anglicanisme officiel, c’est – disent-ils – qu’aucune unité n’est plus possible. Lorsque des chefs d’Eglises disent une telle chose, ils parlent de l’unité dans la foi. En quoi l’Eglise anglicane officielle n’est-elle plus en union de foi avec le reste du monde anglican ? En ceci : sa préférence pour les mœurs des pays « blancs » riches lui fait délaisser la boussole de la tradition chrétienne universelle. La question gay n’est qu’une manifestation de cette dérive.

En effet, le problème de l’homosexualité est loin d’avoir, dans le christianisme, la place que lui prêtent les médias et les gays radicaux. Et il ne se ramène nullement à une question de « lecture littérale de la Bible ».

- D’abord, parce qu’il est peu question d’homosexualité dans la Bible: Lévitique 18,22 et 20,13, plus l’histoire de la ville de Sodome (Gn 19,5)... Au XIIe siècle, Maïmonide considère la question homosexuelle comme négligeable en milieu judaïque (Yad, Issouré biah 22,2).

- Ensuite, parce qu’évidemment ni les chrétiens ni les juifs, aussi orthodoxes soient-il, ne réclament cet anachronisme de trois mille ans : l’application de peines antiques prévues par le Lévitique. Ils le feraient s'ils pratiquaient la  lecture littérale dont les accuse mon confrère.

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- Enfin, parce que la critique juive de l’homosexualité (comme la critique chrétienne) n’ont rien à voir avec une phobie : « Le judaïsme orthodoxe s’oppose à la tendance moderne de légitimer l’homosexualité, mais il établit une distinction entre l’acte homosexuel et l’homosexuel lui-même. C’est l’acte qui est condamné, et non  les individus qui le commettent. Le judaïsme prône au contraire la compassion à l’égard de ces derniers… » (Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf 1993).

Même attitude de la part des chrétiens de toutes confessions : ils ne confondent pas l’acte et la personne.

Il n’y a donc pas de « phobie », mais critique licite. Dénier à cette critique le droit d’être pensée, serait installer une intolérance d’Etat. Ajoutons qu’en théologie morale chrétienne, l’acte homosexuel est considéré comme un désordre grave, mais l’adultère hétérosexuel tout autant : les deux sont vus dans la perspective de l’appel général à la chasteté, qui est une valeur positive dans la vision évangélique (*).

Ce que les évêques anglicans de Jérusalem reprochent à ceux de Lambeth, c’est de brader l’Evangile au profit de l’air du temps. Le ralliement au sexually correct (p. ex. au lobbying gay) n’est qu’un exemple de cette braderie. Quand l’archevêque de Cantorbéry, Rowan Williams, s’aligne sur le communautarisme ambiant et prône l’introduction de la charia dans le droit britannique, c’est le même processus qui est à l’œuvre : un ralliement au conformisme de l’époque.

Quarante millions d’anglicans persévèrent dans une volonté de fidélité à la tradition chrétienne, quitte à se séparer de la jet-set religieuse anglo-américaine ? C’est une attitude logique et difficilement réfutable, sauf si l’on remplaçait le critère religieux par celui de l’air du temps -  et si l'on exigeait que le clergé  de toutes les Eglises chrétiennes lui fasse allégeance. Cette nouvelle version du serment constitutionnel de 1790 serait vouée au même échec que la première.

 

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(*) On peut la trouver ridicule (façon Canard enchaîné), mais pas la traiter comme un délit.

 

11:17 Publié dans Oecuménisme | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : christianisme

Commentaires

PROPORTIONS

> Merci de rétablir les proportions. On n'en peut plus d'entendre les médias répéter que le christianisme est "homophobe". C'est une erreur colossale de perspective, et un appel à la répression pénale injuste. Ca rappelle le délire contre "Jean-Paul II assassin" parce qu'il aurait "interdit le préservatif" aux hétéros et aux homos. En fait il leur recommandait simplement... la chasteté. De quoi se marrer peut-être, mais où est l'asssassinat ?

Écrit par : Philippa | 23/06/2008

CLAIRS

> Très intéressant, et espérons, pourquoi pas que cela débouche puisse déboucher sur un rapprochement de communautés anglicanes vers Rome, comme nous avons pu en observer récemment.
Un point cependant: si l'opposition Nord Sud est réellement présente dans cette affaire, il ne faudrait pas en faire un critère absolu. Vous signalez d'ailleurs que certains évêques du nord seront à Jerusalem.
Je pense que c'est important à dire car, pour connaître personnellement une communauté anglicane (très vivante d'ailleurs) à Londres, ils sont très clairs (=fidèles à la tradition de l'Eglise) sur la question de l'homosexualité.

Écrit par : Ludovic | 23/06/2008

LE REV. MICHAEL NAZIR-ALI

> Ceux que l'anglais ne décourage pas pourront lire avec profit, intérêt et admiration la tribune récente de Michael Nazir-Ali, l'évêque anglican de Rochester, ici:
http://www.standpointmag.co.uk/node/85/full
C'est un état des lieux sans concession de l'anglicanisme, mais aussi, et surtout, une méditation d'une grande force sur le destin du christianisme dans les sociétés occidentales.
Né au Pakistan, dans une famille catholique, le Rev. Nazir-Ali est depuis une dizaine année, avec son confrère d'York, John Sentamu (d'origine ougandaise), la voix la plus autorisée d'un anglicanisme ancré dans la tradition chrétienne.

Écrit par : Philarete | 23/06/2008

C.S. LEWIS

> Parole d'un anglican : « ... bien qu'on réclame « le droit au bonheur » surtout au profit de l'instinct sexuel, il me semble peu probable qu'on s'en tienne là. Une fois admis dans un domaine, ce principe funeste s'infiltrera peu à peu dans notre vie tout entière. Ceci conduira à un type de société où non seulement chaque homme, mais chaque instinct dans chaque homme voudra qu'on lui donne carte blanche. A ce moment-là, même si nos connaissances techniques nous permettront de survivre plus longtemps, l'âme de notre civilisation sera morte, et celle-ci ne tardera pas à disparaître sans même que l'on ose ajouter : malheureusement. » C. S. Lewis, Dieu au banc des accusés, 1948.

Écrit par : Leo | 26/06/2008

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