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30/03/2008

De Genève : le manifeste de l'Observatoire de la Finance

URGENT – Pour une finance au service du bien commun 


Texte du manifeste :

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<<  Les turbulences financières actuelles, quel que soit leur aboutissement immédiat, sont de nature systémique. Elles sont le symptôme de la pression croissante qui, année après année, fragilise les assises matérielles, sociales, intellectuelles et éthiques du système socio-économique basé sur la liberté politique et économique. Dans un rapport récent (Dembinski, Paul H., Finance servante ou finance trompeuse ?, Rapport de l’Observatoire de la Finance, Paris, Desclée de Brouwer, mars 2008), l’Observatoire de la Finance procède à une analyse étendue de cette transformation qui, si elle n’est pas d’abord identifiée et ensuite désamorcée, risque de détourner à brève échéance l’économie de marché de sa vocation première qui est de promouvoir la dignité et le bonheur de la personne humaine.

 

Une société n’est jamais figée ; elle est en quête permanente et décentralisée des arrangements les mieux adaptés aux enjeux du moment. Il en va ainsi aujourd’hui. Depuis une trentaine d’années (depuis la fin des « Trente glorieuses »), la place de la finance n’a cessé d’augmenter aussi bien dans l’économie que dans les représentations et les aspirations des acteurs politiques, économiques et sociaux. Ce processus de montée en puissance de pratiques, de techniques mais aussi de représentations et de valeurs liées à la finance est parfois qualifié de « financiarisation ». C’est à l’analyse des multiples dimensions du processus de financiarisation que l’Observatoire de la Finance a consacré son dernier rapport. Le rapport montre comment la financiarisation a transformé l’économie et la société contemporaines en les organisant autour d’une nouvelle cohérence centrée sur l’efficacité financière. Aujourd’hui, poussée à l’extrême, cette cohérence approche de son point de rupture.

 

1. Le diagnostic

 

Au terme des Trente glorieuses, les pays occidentaux ont massivement adossé des promesses de rentes et de retraites à des volumes d’épargne détenus durablement sous forme de liquidités financières. La viabilité à long terme de ces constructions faites de promesses est aujourd’hui dépendante de la capacité de rendement des instruments financiers en question. Parallèlement, se sont développés d’autres « silos d’épargne » avec leurs propres exigences de rendement. Cette évolution a progressivement exposé l’économie dite productive à une ponction croissante l’obligeant à consacrer un volume toujours plus grand en termes absolus et en proportion de la valeur ajoutée à la rémunération de l’épargne ainsi placée. Dans un premier temps, ce sont les entreprises cotées en Bourse qui ont subi cette pression. Elles l’ont reportée ensuite dans trois directions complémentaires : leurs collaborateurs à travers le monde, soumis à des exigences de résultats de plus en plus poussées ; les consommateurs, exposés à une pression toujours plus forte de l’innovation couplée aux techniques de marketing de plus en plus sophistiquées ; et les entreprises plus petites (au Nord comme au Sud, les fournisseurs et les distributeurs des grands), soumises elles aussi à une pression de résultats souvent insoutenable. L’exigence de rendement, financière à l’origine, a infiltré d’abord l’ensemble de l’économie pour ensuite devenir omniprésente dans la société et jusque dans la culture de la vie quotidienne. Cette évolution a amené aujourd’hui les sociétés occidentales à une situation paradoxale où elles ont perdu leur liberté, car leur présent est de fait contraint par les exigences imposées par leur propre avenir financier, tel qu’il a été articulé par les architectes des retraites par capitalisation et proposé par les avocats de la shareholder value. Cet « avenir radieux » est en train de s’avérer aussi chimérique que l’a été celui proposé par l’utopie communiste.

 

Les progrès de la logique financière ont été grandement facilités par la justification politique de la dérégulation qui les a accompagnés, ainsi que par l’expression de la rationalité financière sous forme de « lois » et autres « théorèmes » couronnés par des prix Nobel. Le rouleau compresseur de « l’éthos de l’efficacité », ainsi validé par des vérités « démontrées », a progressivement eu raison des résistances morales et éthiques.

 

Au terme de plus de trente années de progrès de la financiarisation, l’état des fondements du système économique et social est inquiétant à plus d’un titre. C’est dans ce contexte que doivent être interprétées les turbulences financières actuelles, signe avant coureur d’une probable rupture systémique.

 

La financiarisation a débouché sur la prééminence quasi absolue de la transaction au détriment de la relation. La finance contemporaine a triomphé parce qu’elle a porté au paroxysme la quête du « gain en capital » et celle de l’option de sortie immédiate, réalisés instantanément dans la transaction. Parallèlement, la patience, la loyauté, la durée et la confiance, piliers de la relation, se sont affaiblies avec pour conséquence une montée de la méfiance ; la liquidité des marchés financiers n’étant rien d’autre qu’un succédané mécanique de la confiance interpersonnelle.

 

L’ethos de l’efficacité a eu raison de la plupart des résistances morales et s’est imposé comme le critère ultime de jugement. Or, portée à l’extrême, la préoccupation d’efficacité aboutit à des procédures internes et à des organigrammes de plus en plus affûtés répartissant les tâches et les responsabilités de manière de plus en plus stricte, au point où les collaborateurs perdent le sens et la signification de leurs actes. Cette tendance est sur le point de déboucher sur une « aliénation éthique » généralisée des collaborateurs qui cessent de s’intéresser, de se préoccuper et de comprendre le sens et la portée de leurs activités au-delà de la simple question de la rémunération.

 

L’ethos de l’efficacité émancipé de l’autorité de la morale a progressivement encouragé l’expression de plus en plus brutale de la cupidité, visible notamment dans l’asservissement des relations de confiance aux besoins des transactions et des sorties intempestives. Ces trahisons et manques patents de loyauté à répétition sont sur le point d’avoir raison du rouage essentiel à toute économie de marché et à toute société libre, à savoir la confiance interpersonnelle. Au marché libre, ancré dans un sens de responsabilité des acteurs, est sur le point de succéder un marché « cupide », qui à son tour appelle à une escalade de contrôles, de normes et de procédures tant publiques que privées. Celles-ci, tout en étant source de coûts considérables, accélèrent encore la déresponsabilisation des acteurs eux-mêmes.

 

 

2. Les pistes d’action

 

Le diagnostic qui précède indique que les valeurs fondamentales de la liberté de jugement, de la responsabilité et de la solidarité, constitutives du bien commun et sans lesquelles une société libre et humaine ne saurait subsister, sont aujourd’hui en danger. L’Observatoire de la Finance propose trois pistes d’action :

 

Procéder à une critique au sens positif du terme, du point de vue à la fois des réalités sociales et de la morale des postulats sous-jacents à la Weltanschauung véhiculée par les théories économiques et financières contemporaines. Cet examen pourrait bien aboutir à mettre en doute la prééminence dogmatique du souci de l’efficacité économique et financière, et à restaurer le bien-fondé de la préoccupation éthique, en particulier celle liée au bien commun.

 

Instaurer dans tous les domaines de la vie économique et financière des incitations à la durée, de manière à freiner voire inverser la destruction des relations au nom de l’extraction du surplus par des transactions intempestives. Il s’agit d’un chantier immense avec des implications dans tous les domaines : finances, fiscalité, relations salariales, développement territorial, etc.

 

Mettre en place les méthodes et les moyens permettant de desserrer à moyen terme le carcan que les silos d’épargne et les promesses de retraites font peser sur l’activité productive. Il s’agit d’un travail qui demande du courage politique et une grande probité technique, tant il est vrai que les intérêts professionnels des intermédiaires financiers peuvent se trouver en jeu. Ce travail est urgent puisqu’il faudrait qu’il porte ses fruits avant qu’l ne devienne évident que les promesses des retraites par capitalisation sont impossibles à tenir.

 

 

3. Appel

 

Le texte qui précède veut alerter les femmes et les hommes de bonne volonté sur le danger que court le trésor de la liberté économique et politique, parce que nous avons succombé à l’illusion que les « vices privés » pouvaient effectivement contribuer à des « vertus publiques ». Or, si les « vices privés » peuvent donner l’impression d’augmenter l’efficacité économique, cela se fait au prix de la destruction en profondeur de l’assise même des sociétés : la confiance, le respect et la solidarité. Il est indispensable aujourd’hui, alors qu’l est encore temps, de reprendre l’avenir entre nos mains. De sortir au grand air en claquant la porte de la prison dorée (en apparence) des promesses actuarielles, de libérer l’homme de l’illusion de la finance et remettre cette dernière au service de l’épanouissement et de la dignité humaine.

 

 

 

La revue Finance & the Common Good/Bien Commun, ainsi que le site Internet de l’Observatoire de la Finance, sont dorénavant à disposition pour approfondir et concrétiser les idées de ce Manifeste. Vos réactions sont à envoyer à manifeste@obsfin.ch >>.



Commentaires

LET'S BOMB GENEVA

> O mes pauvres messieurs, même Suisses et professeurs d'économie vous allez recevoir tous les dédains des gnomes bien-pensants parisiens. Oser critiquer les grandes gentilles sociétés financières où travaillent papa, mes cousins, mes frères et moi-même ! Seriez-vous bolchevique avec ce nom slave ? On nous l'avait bien dit que le KGB existait toujours en secret ! Nous allons mailer à GWB et JMcC de bombarder Genève.

Écrit par : Trevelyan | 29/03/2008

LES FONDS SPECULATIFS RAVAGENT LE MONDE

> Voir cet article terrible dans Le Monde du 29 mars :

"La spéculation chamboule les prix des matières premières" / "le prix du riz a bondi de 31% en une journée, jeudi 27 mars, passant de 580 à 760 dollars, les stocks étant tombés au plus bas depuis 1976. L'Inde, l'Egypte, le Vietnam et le Cambodge ont annoncé qu'ils suspendaient leurs exportations de riz au moment où les Philippines en cherchaient désespérément 500 000 tonnes sur le marché. Les spéculateurs ont sauté sur l'occasion, comme ils ne cessent de le faire pour le blé, l'or, le pétrole ou les carcasses de porc dont les cours fluctuent de plus en plus brutalement. "On ne sait plus où on en est, s'alarme Hervé Le Stum, directeur de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB). Depuis quelques semaines, les prix font les montagnes russes (sur les marchés de céréales) au Kansas, à Chicago ou à Minneapolis."

L'origine de ces mouvements erratiques ne se trouve pas seulement dans les inquiétudes liées à la crise financière et à la conjoncture internationale, mais aussi dans l'activité d'une poignée de fonds spéculatifs (hedge funds). En particulier, les fonds dits "systématiques ou CTA - pour Commodities Trading Adviser", indique Cyril Julliard, président d'Eraam, un fonds de fonds spéculatifs. Les plus importants gèrent entre 10 à 12 milliards de dollars. De quoi peser sur les cours de ces marchés très étroits par comparaison avec les marchés d'actions. Entre 8 % à 10 % de la variation des prix des matières premières leur sont aujourd'hui attribués."Les fonds sont partout où existent des contrats à terme", indique Eric Le Coz, gérant chez Carmignac Gestion. Les contrats à terme permettent à ces financiers d'investir sans se faire livrer physiquement la marchandise.

La présence de ces "CTA" pèse d'autant plus sur les prix qu'ils "n'ont pas d'états d'âme", indique M. Le Coz. A l'achat comme à la vente, "ils s'engouffrent sur le marché", ajoute-t-il. Ils s'exonèrent de l'éventuelle réserve du négociant, car l'achat ou la vente sont déclenchés par des calculs mathématiques ou par les premiers signaux de vente. Le franchissement de seuils "psychologiques", comme le prix de 100 dollars pour le baril de pétrole ou de 1 000 dollars pour l'once d'or début mars, les a laissés de marbre. Les "CTA" ont pris leurs bénéfices deux semaines plus tard. Après une action de la Réserve fédérale américaine et une série de nouvelles rassurantes de la part de banques américaines, les investisseurs ont cru que la crise des subprimes aux Etats-Unis était contrôlée, et le dollar s'est redressé.

Ce signal a eu un effet domino. La remontée de la monnaie américaine a provoqué la baisse des cours du pétrole, entraînant les prix des autres matières premières."Les investisseurs institutionnels achètent souvent des indices globaux qui associent un peu artificiellement les cours de différentes matières premières", explique Noël Amenc, professeur de finance à l'Edhec et spécialiste des fonds spéculatifs. Les fonds ne sont pas seuls responsables de ces fluctuations, car "ils achètent une tendance", explique M. Amenc. "Ils accentuent les mouvements et leur brutalité sans en modifier l'évolution", précise Jean-Claude Petit, responsable de la gestion actions chez Barclays AM.

Sur les matières premières, la plupart ont détecté la martingale il y a deux ans. La croissance explosive des pays émergents, notamment de l'Inde et de la Chine, très consommatrices d'hydrocarbures, de céréales ou de minerais, a gonflé la demande que la production peine à satisfaire.

La crise a ensuite attiré de nouveaux fonds, ceux qui désertent les autres titres financiers, devenus trop risqués. Entre janvier et février, le volume des contrats sur les produits à terme concernant les matières premières à Londres a bondi de 65 % à 70 % par rapport à la même période en 2007. Soja, colza ou maïs sont ainsi devenus des produits financiers presque au même titre qu'une action ou une obligation. Au grand dam des industriels et des consommateurs, qui souffrent des niveaux de prix dopés par cette spéculation."

Écrit par : mARTIN gALL | 29/03/2008

SIGNER

> Peut-on signer ce manifeste et le faire signer ?

Écrit par : Kaliman | 29/03/2008

BAD TRIP

> Merci de nous faire partager ce manifeste particulièrement intéressant.
Ainsi donc j'ai appris qu'après avoir grandi sous les 'trente glorieuses', j'ai fondé tout ce qui m'est cher sous les 'trente euphoriques'.
J'espère que mes enfants ne grandiront pas sous les 'trente angoissantes' provoquées par un bad trip financier.

Écrit par : Sombre héros | 31/03/2008

DE PAUL DEMBINSKI

> Bonjour,
merci d'avoir mis en ligne le manifeste de l'Observatoire de la Finance et merci pour les réactions, la discussion se poursuivra sur le site de l'Observatoire (www.obsfin.ch)

A bientôt

p. dembinski


[ De PP à PD - C'est nous tous qui vous remercions de vos analyses et de votre action ! ]

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Écrit par : dembinski | 05/04/2008

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