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03/03/2008

Le Pr Dembinski : "Les marchés ont supplanté l'économie"

Décidément la presse valaisane est riche en articles de choc. Témoin cet entretien :


Le Nouvelliste, 3 mars :

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<<  Professeur en sciences économiques à l’université de Fribourg, Paul H. Dembinski s’est spécialisé dans les questions liées au rôle et à l’éthique de la finance, notamment à travers l’Observatoire de la finance qu’il a fondé et qu’il dirige à Genève. Son prochain livre sort dans 10 jours à Paris aux éditions Desclée de Brouwer. Il est intitulé: Finance servante ou finance trompeuse?

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> Un trader qui fait perdre près de 8 milliards de francs à sa banque, comme on l’a vu récemment, est-ce une dérive programmée dans le système financier mondial ou une exception?

Paul Dembinski - Cette dérive me semble programmée dans la grande salle de marché financier qu’est devenu le monde. Le trader est sous pression constante. Il doit faire mieux que le copain, chasser les bonus et se faire un nom. Dans ce monde impitoyable, il est essentiel de se faire remarquer pour survivre. La question de savoir si le trader de la Société générale a respecté ou non les procédures est presque secondaire. Dans cet univers un peu déconnecté du monde réel, les contrôleurs de gestion des risques sont quasiment perçus comme des empêcheurs de tourner en rond et de faire de bonnes affaires, surtout quand tout va bien. Le système, à cause de ses excès, est en effet programmé pour déraper. Lorsque le trader français de la Société générale en aura fini avec la justice, il trouvera sans doute des employeurs prêts à se disputer ses services...

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> Une part majeure de l’économie mondialisée est devenue spéculative car les opérateurs en bourse cherchent avant tout à acheter et à vendre au moment opportun. N’a-t-on pas quitté l’économie réelle?

La finance est traditionnellement basée sur la relation entre l’investisseur qui contribue au développement et l’entreprise. Ils sont en quelque sorte collés l’un à l’autre pour des années du fait du crédit. Le risque est alors géré par les compétences du financier et du manager de l’entreprise. Mais dans la finance moderne, ce paradigme a changé. Il n’y a plus de contact direct. Les transactions se font de manière plus lointaine à travers le magma qu’est le marché. Il ne s’agit souvent plus de relations bilatérales et actives, mais de relations asymétriques et passives, entrecoupées par des transactions. Or, lorsque l'on n'est pas en contact avec quelqu’un on ne va pas s’investir de la même manière dans la relation. Cela se traduit par la spirale des entrées et des sorties du marché... On vit à l’ère des actionnaires sortants ou plutôt «nomades».

 

> Quel est le poids de l’économie boursière, à connotation plutôt spéculative, par rapport à l’économie produisant des biens et des échanges commerciaux réels ?

En dix ans, les transactions sur les papiers valeurs (actions, instruments dérivés, options, etc.) ont été multipliées par sept ou huit. Les actifs boursiers que sont les actions, les obligations et les produits dérivés représentent quatre fois le produit mondial brut. En 1995, c’était «seulement » deux fois... Aujourd'hui l'activité financière mondiale c'est environ 1200000 milliards de dollars en valeur de transactions par année, soit vingt-cinq fois le produit brut mondial et près de quarante fois celui des pays de l’OCDE!  Le volume des échanges financiers en Bourse (en unités de PIB) est 26 fois plus important que celui des transactions commerciales courantes (produits, services, etc.) dans l'économie dite «réelle». La conséquence: si la finance va durablement mal, l’économie s'en ressent elle aussi. Le monde quelque peu virtuel des marchés financiers n'est donc pas aussi déconnecté que cela du réel de l’économie, n'en déplaise à ceux qui prétendent - serait-ce pour se disculper? - que les marchés financiers finissent toujours par refléter l’économie réelle.

 

> Quelles sont les conséquences pour les sociétés productrices de biens et de services de cette nouvelle économie financiarisée ?

Le financement des géants de l'économie mondiale que sont les entreprises cotées est de plus en plus lié à des produits financiers non traditionnels. L’on se retrouve ainsi avec des entreprises cotées qui investissent de moins en moins dans la production. Elles rachètent en effet leurs actions ou investissent beaucoup de leurs liquidités sur les marchés financiers. Ce n’est pas vraiment bien pour la création de valeur au sens du produit intérieur brut... D’autant plus que les entreprises cotées en Bourse pèsent à elles seules un quart des PIB nationaux. De toute façon, les marchés financiers exercent des pressions en cascade sur l’économie réelle à commencer par les actionnaires nomades qui exigent des rendements élevés sur des titres et donc sur des entreprises. Et pourtant, dire que chaque année la productivité augmente et donc que les gains continueront à progresser indéfiniment relève de l’illusion collective. Il existe bien un risque qu’à un moment donné ce système économique financiarisé à outrance implose en butant sur une limite interne ou externe.

 

> Comment éviter que le système économique mondialisé ne dérape ?

La sophistication du système rend déjà sa surveillance difficile et il faudrait aussi contrôler les contrôleurs... Cela coûterait trop cher. De plus, quelque chose tourne de moins en moins rond: l’inégalité des revenus n’arrête pas d’augmenter aussi bien à l’intérieur des pays du tiers monde qu’entre les pays pauvres et développés. Le plus gros problème du système vient sans doute de son aliénation éthique. De plus en plus d’opérateurs ne comprennent pas très bien dans quel dessein d’ensemble s’inscrit ce qu’ils font. Tout est découpé en procédures et les acteurs n’ont plus, et ne cherchent pas non plus à avoir, une vue d’ensemble.  

 

> Etes-vous en train de dire que l’économie planétaire n’a pas de finalité ?

Exactement. Alors que l’économie traditionnelle vise - et encore pour longtemps - un service et une qualité de vie, la finance tourne exclusivement autour de sa croissance sans définition qualitative. L’arithmétique remplace l’éthique et le souci du bien-être collectif.  >>

 

 

Commentaires

Excellente analyse.

Écrit par : Girolamo | 04/03/2008

À LA CATHO

> Le Pr Dembinski enseigne aussi à l'Institut catholique de Paris. Il est né en Pologne; Réjouissons-nous que des économistes catholiques jouent leur rôle dans la mise en cause de l'inqualifiable système qui s'est emparé de la planète. On ne peut servir Dieu et Mammon ! A méditer dans les Business schools, "école de la technofinance prédatrice" comme disait un gourou anglo-indien du management il y a quelques années !

Écrit par : musican | 04/03/2008

PAUL DEMBINSKI

> Je reconnais bien là la pertinence de mon ami Paul Dembinski qui devient une des références aujourd'hui sur ces questions d'éthique et de finance. Paul, ce n'est pas précisé dans ce document, est aussi le Président de l'Association internationale pour l'enseignement social chrétien (AIESC) et tous ceux qui sont intéressés peuvent retrouver ses articles et bien d'autres sur le blog de l'AIESC : http://dse.over-blog.org
Bonne lecture.

Écrit par : Pierre COLLIGNON | 05/03/2008

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