29/01/2008
Finance : chronique d’un système fou
L'économie casino n'est pas le monopole de la Société Générale :
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Selon Jean Arthuis (France Inter ce matin), Jérôme Kerviel était "un installateur de radars routiers à qui on aurait confié le volant d’une Ferrari ". La Société Générale est donc gravement responsable. Pourquoi a-t-elle laissé Kerviel agir en flambeur ? Parce qu’elle avait laissé d’autres traders le faire avant lui – y compris celui qui s’est suicidé l’an dernier… Kerviel y est simplement allé trop fort, pour gagner la prime de 300 000 euros (voir les informations ci-dessous). Or la Société Générale n’est pas seule à être prise dans cette spirale de folie. C’est le système financier d’aujourd’hui qui repose tout entier sur le casino. Le délire spéculatif, le "découplage entre l'économie financière et l'économie réelle" (J. Arthuis) devient une menace pour le monde. Les experts en conviennent de plus en plus. Un certain nombre de politiques aussi. Mais aucune reprise en main n’est en vue, malgré l’urgence. On entend parler de la création éventuelle d'un "supergendarme bancaire européen" ; on n'entend personne dire que la finance ne doit pas se gouverner seule elle-même (1). C'était pourtant une évidence reconnue, jusqu'aux toutes dernières années du XXe siècle...
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Agences :
lus.
Le trader Jérôme Kerviel, accusé par la Société Générale d'une perte record de 4,9 milliards d'euros, est en examen pour "abus de confiance, faux et usage de faux, introduction dans un système de traitement automatisé de données". L'abus de confiance vise les dépassements d'autorisation d'engagements. Les "faux" sont les faux documents utilisés pour masquer l'absence de couverture de risque. Le reste concerne l'usage de codes informatiques qu'il n'avait pas le droit de détenir.
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Une prime de 300 000 euros !
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En marge de l'audition, les avocats de Kerviel ont critiqué devant les journalistes la plainte de la banque, car selon eux les pratiques d'engagement des traders au-delà des autorisations théoriques étaient connues et tolérées de la direction. Jérôme Kerviel souligne qu'il devait toucher une prime de 300.000 euros au titre de ses gains au profit de la banque pour 2007. Les avocats vont maintenant demander l'audition de tous les responsables de la banque.
L'action Société générale a encore perdu 3,82% à 71,05 euros à la Bourse de Paris, portant ses pertes à 28,5% depuis le début de l'année et à 56% depuis son plus haut du 20 avril 2007.
Le procureur a révélé que le marché des dérivés Eurex, sur lequel Kerviel avait pris d'importantes positions, avait alerté la Société générale en novembre dernier des agissements du trader, qui aurait alors produit un faux document censer attester de la couverture du risque.
Selon le magistrat, le jeune homme a dit aux policiers avoir agi seul depuis deux ans, investissant au-delà des autorisations et dissimulant ses actions. Il a assuré avoir été animé par un souci strictement professionnel et affirmé que d'autres traders faisaient la même chose à la Société générale.
"Il espérait apparaître comme un trader d'exception, un anticipateur de marchés", a ajouté Jean-Claude Marin.
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Kerviel avait presque gagné son pari
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Le magistrat a confirmé que Jérôme Kerviel avait opéré sur des contrats à terme liés à des indices boursiers européens et qu'il avait failli gagner son pari. De fait, ses positions astronomiques de 50 milliards d'euros - l'équivalent du PIB du Maroc - avaient virtuellement fait gagner 1,4 milliard d'euros à la banque au 31 décembre 2007, et elles étaient encore créditrices trois jours avant sa liquidation.
Me Christian Charrière-Bournazel fait ainsi valoir que c'est la Société générale qui a matérialisé la perte en décidant de liquider les positions en début de semaine dernière, alors que les marchés étaient en train de chuter.
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(1) La planète financière laissée à elle-même ne se "gouverne" pas : elle agit comme Jérôme Kerviel.
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08:40 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : Jérôme Kerviel, Société Générale, capitalisme financier
Commentaires
MAGMA
> Le libéralisme est le totalitarisme suprême puisqu'il prétend que l'homme est libre. Il organise en fait la collision de tous les mimétismes en un gigantesque magma qui n'a plus aucun sens, à l'exception de celui d'asservir parfaitement. Le processus est très concrètement satanique.
Le retour de bâton on le pressent sera terrible, je pense que le XXIe sera en proportion le plus dévastateur pour l'humanité depuis ses débuts. Il va en falloir, des bouc-émissaires, lorsque les gigantesques crises subviendront...
Quand les hommes comprendront-ils que le Christ a déjà clôt l'Histoire?
Écrit par : Aquinus | 29/01/2008
ARENDT
> Toute cette histoire me fait penser au "Système totalitaire" d'Annah Harendt. Selon sa thèse, le mal qui procède de l'hypothèse que "tout est possible", y compris l'idée que les hommes sont superflus, est un mal "radical".
Dilution des responsabilités, médiocrité de ceux par qui le mal arrive... en sommes-nous là dans le système capitaliste actuel?
Écrit par : matinalière | 29/01/2008
TEMPETE
> Les experts et les politiques conviennent d'une reprise en main du système financier. Bien, mais en auront-ils le courage? rien n'est moins sur. Il nous faudrait un Churchill et nous n'avons que des histrions sans talents. Alors préparons-nous à la tempête et que Dieu nous aide.
Écrit par : vf | 29/01/2008
SMIC
> Le montant des salaires de la finance est bien étonnant, à quelles responsabilités cela correspond-il ? Ces personnes ont-elles encore le sens de la réalité ? De ce que c'est que 100 € pour un travailleur au SMIC ?
Écrit par : Ludovic | 29/01/2008
Parquet ciré : attention au dérapage
> "Il espérait apparaître comme un trader d'exception, un anticipateur de marchés", a ajouté Jean-Claude Marin." Le procureur doit demeurer impartial parce qu'il est un magistrat. Une telle déclaration est précipitée et elle préjudicie à Jérôme Kerviel en laissant entendre une mythomanie chez le jeune homme. C'est favoriser la banque et lui trouver une excuse dans son dysfonctionnement par le comportement de son employé. C'est d'autant prématuré que l'enquête ne fait que commencer et qu'il apparaît déjà que toutes les banques emploient et encouragent les agissements qu'on veut reprocher à Jérôme Kerviel.
Il est douteux que la Société Générale ignore ces procédés risqués quand elle y incite ses salariés par des primes de rendement de 300 000 euros (équivalent à 25 ans de smic)
Cette actualité ne met pas seulement en cause le système bancaire mais risque de remettre l'institution judiciaire sur le devant de la scène.
Les propos de Monsieur Marin sont contredit par les prinicpes du droit enseignés à l'intérieur même de l'institution judiciaire. Jean Claude Berlioz rappelait à l'école nationale de la magistrature que "l'accusation ne peut que reposer sur des charges sérieuses, précises, concordantes... On n'accuse pas au bénéfice du doute." (1)
La violation, le mépris et les atteintes régulières aux principes si souvent évoqués et si peu respectés désespèrent ceux qui les enseignent. La Doctrine s'émeut du caractère théorique du droit et s'interroge publiquement sur l'utilité de l'enseigner(2) ou appelle à la mise en cause personnelle des hauts fonctionnaires qui viole le droit qu'ils sont censés faire respecter (3).
Cette dernière solution n'est malheureusement pas à la portée de la France.
(1) M. Berlioz était avocat général à la cour d'appel de Chambéry. Son intervention est intitulée "Ethique du magistrat du parquet lors de l'audience" in "Réflexions sur la responsabilité du juge" (Annexe ç9)- Centre de ressources de l'école nationale de la magistrature
(2) "La France est un pays étrange, qui invente des notions juridiques très élaborées, dont les principes qui les régissent sont régulièrement démentis par le fonctionnement concret des institutions. (...) Le service public est une merveilleuse invention dont on peut penser qu'elle devrait être de nature à faciliter la vie des peuples. les contradictions, voire la schizophrénie, font peut-être partie de l'identité nationale française. Il arrive cependant un moment où l'écart entre les principes enseignés et la réalité vécue est tel que l'on se prend à douter de l'utilité d'enseigner des principes si peu appliqués."
Jean Marie Pontier - professeur à l'université Paris I - Panthéon Sorbonne "Les étrangetés du service public" AJDA 2008 p.65
(3) (...)"le commissaire du gouvernement Terry Olson, dans des conclusions d'une sévérité justifiée, (pose) une question essentielle : " est ici en cause rien moins que le principe de la soumission de l'action administrative au droit et à la justice " (...) "Une solution existe peut-être, les justiciables ne devant pas craindre de la solliciter et les juges ne devant pas hésiter à la mettre en oeuvre. C'est celle de la mise en oeuvre de la responsabilité personnelle de l'agent public ayant ouvertement violé la chose ordonnée en référé : " un administrateur qui refuse ou néglige d'exécuter un arrêt de justice ayant annulé un de ses actes ou condamné son administration n'est plus du tout dans la ligne de la fonction administrative. Il commet un fait personnel, parce qu'il est inadmissible que son fait soit administratif " affirmait Hauriou.)
Fabrice Melleray, professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV (CERCCLE) Petites affiches, 26 novembre 2007 n° 236, P. 10 "Qui viole la chose ordonnée en référé ne peut pas en plus la contester" a/s CE, 17 janvier 2007 : Ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire
Écrit par : Qwyzyx | 29/01/2008
AHURISSANT
> Le récit de Kerviel publié aujourd'hui par Le Monde est ahurissant!
au delà de l'appat du gain qui est à peu près aussi ancien que l'argent existe, et la fascination de l'argent qui en découle, certaines citations font froid dans le dos:
"Même pendant mes vacances, mon manager m'appelait pour me demander quelle position prendre". Kerviel n'a pris que 4 jours de vacances en 2007 et encore, il est pendu au telephone avec son boss!
"Lorsque je suis en positif ma hiérarchie ferme les yeux sur les modalités et les volumes engagés"
Ben ouais, tant que ça rentre, ya pas de mal à se faire du bien quoi?
Et la fin en apothéose, de l'article:
"...Car je générais du cash, donc les signaux ne sont pas si inquiétants que cela. Tant que nous gagnons et que cela ne se voit pas trop, que ça arrange, on ne dit rien."
Ceci expliquerai t-il cela?
Écrit par : Lennob | 29/01/2008
INCITATION
> Offrir une prime de 300.000 euros pour récompenser des gains spéculatifs est une incitation à la débauche.
Écrit par : Michel de Guibert | 30/01/2008
PAS D'ANALYSE DE RISQUE
> Un financier me l'avait avoué à propos des subprimes: Le monde de la finance marche ainsi que Lennob le rappelle: tant qu'on gagne de l'argent, on fait. Il n'y a pas d'analyse de risque, ce n'est pas leur culture. C'est une sorte de court terme.
A noter que le monde de l'assurance ne raisonne pas ainsi en général, question de culture. Or les financiers essaient d'engloutir l'assurance...
Écrit par : Ludovic | 30/01/2008
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