30/09/2007
"Le roi Lear" sur Arte : perplexités
D'où vient l'enthousiasme de la critique ?
La presse annonçait comme un chef d’œuvre la mise en scène du Roi Lear par André Engel avec Michel Piccoli, diffusée hier soir sur Arte. Bon public par nature, je dois dire que, là, je ne partage pas l’enthousiasme de mes confrères, et que je m’interroge sur son moteur. Affubler les allégories shakespeariennes en caricatures d’exploiteurs industriels 1880-1930, mi-bourgeois mi-gangsters, c’est usé à force d’avoir servi sur toutes les scènes (théâtre + opéra) depuis 1950. En 2007, ça ne prouve vraiment plus rien. A se demander si Engel voulait prouver quelque chose, ou si cette sempiternelle transposition est juste un tic hérité des Trente Glorieuses. Qu’il faille toujours tout transformer en mise en cause du pouvoir (défunt) des maîtres de forges, qu’il n’y ait pas de différence de nature entre les rois de théâtre et les capitaines d’industrie, que le dramaturge soit forcément le porte-plume d’une vision économique : c’était déjà faux naguère. C’est sénile aujourd’hui.
Appliquée au Roi Lear, c’est encore plus factice. Rien dans la pièce ne permet ce vieux sous-brechtisme pour maison de la culture au temps des missiles des Cuba, époque jurassique. Cela même si Engel et son adaptateur ont fait des ajouts et modifications : nommer le bouffon « Funiculi » (est-ce drôle ?), faire jouer un gramophone, ajouter (acte IV, scène 5) deux mots de passe militaires : « Shakespeare » et « Lamartine » (ça c’est de la distanciation). Les spectateurs de mon âge se sentaient rajeunir. Sans parler du mort supplémentaire (Kent) ajouté à la dernière scène, qui en comptait déjà trop dans la version originelle…
Car Lear n’est pas du meilleur Shakespeare, comme le constatait Bradley il y a cent ans*. Il pensait même que cette pièce, œuvre de « pure imagination », n’était pas faite pour être jouée. Est-ce son climat qui a plu aux bobos ? Un univers féroce, noir, arbitraire, parfois proche de celui des sagas islandaises : grandiose et asphyxiant, rien que des volontés entremêlées, enferrées, sans horizon… On parle des dieux mais ils sont impuissants. On mélange Jupiter, les « diables » de la campagne anglaise et la déesse Nature, dans un scepticisme généralisé, avec une curieuse allusion aux possibles causes physiologiques de la méchanceté (qui a dû plaire au conseiller de Sarkozy auteur de la phrase sur l’origine génétique de la pédophilie)… Si c’est ça qu’on aime aujourd’hui dans Le roi Lear, dommage : parce que le génie de Shakespeare est dans sa langue, non dans le bric-à-brac de ses sources.
m
Reste la présence de Piccoli. Mais était-ce Lear ? Ou seulement Piccoli dans un de ses grands numéros d’ambiguité ? Peut-être cela suffit-il encore, en 2007, à mobiliser la critique parisienne.
____
(*) The Shakespearean Tragedy.
09:15 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : "Le roi Lear", Shakespeare, Michel Piccoli, André Engel, Arte, théâtre
Commentaires
ACADEMISME
> La soi-disant "distanciation" est l'académisme d'aujourd'hui. Les néobourgeois ont le conformisme de la dérision. Stérilité.
Écrit par : girolamo | 01/10/2007
Les commentaires sont fermés.