26/07/2007
Réponse à Paul Thibaud, sur Benoît XVI et nous tous
Pourquoi être conformiste sur le plan religieux, quand vous ne l'êtes pas sur les autres plans ?
Paul Thibaud, vous nous aviez habitués à mieux. Votre article sur le pape (Le Monde du 22-23 juillet) est conformiste.
Titre : « Benoit XVI organise le repli sur la doctrine ». Argument : le Motu proprio du 7 juillet et le document du 10 juillet sur les Eglises manifesteraient le « conservatisme » du pape, son désir de « rassurer et récupérer » un public au « chantage » duquel l’Eglise serait « vulnérable »… Tout le mal viendrait de ce que cette Eglise « s’accrocherait » à une fausse conception de la foi, une « complaisance dogmatique », une « conscience de soi anhistorique », au lieu d’avoir une « foi espérante » qui se « reformule dans le temps, à l’épreuve du temps ». Bref : Benoît XVI a une « conception magique de la foi » qui « dévalorise le monde ».
C’est ce qu’écrirait un chroniqueur lambda. On est déconcerté de le lire sous votre nom.
UN ARTICLE NAVRANT
Si je me permets de trouver navrant cet article, c’est qu’on n’y retrouve ni les nuances, ni la justesse, ni le courage conceptuel qui caractérisent en général les textes signés de vous, Paul Thibaud. Tout est inexact dans celui-là. On a l’impression que son auteur n’a lu ni le Motu proprio, ni la lettre du pape aux évêques, ni le document sur les Eglises, ni le discours de Benoît XVI au Brésil (dont votre article dit pis que pendre, mais à côté de la plaque). On a aussi l’impression que vous ne connaissez pas la pensée ratzingérienne, et que vous regardez tout ça avec les mauvaises lunettes de la presse commerciale (ce qui nous surprend de votre part).
On a même le sentiment que l’article se situe hors du domaine du débat, qui est l’univers catholique…
Autrement dit : hors sujet ! (*)
Qualifier de « magique » la conception théologique de l’Eglise, c’est léger.
Lui opposer l’idée d’une foi qui se reformulerait « à l’épreuve du temps », qu’est-ce que ça veut dire ?
Que la foi au Christ produit des fruits différents selon les périodes historiques ? C’est une évidence, et on ne peut pas l’opposer à la pensée du pape…
Que la foi change selon les époques ? Ca, le pape ne le pense pas : on ne peut pas penser le nébuleux et l’indéfinissable.
CEUX QUI VEULENT FERMER LA PORTE
Prétendre qu’il y aurait, d’un côté, le canonique, le liturgique et le théologique (le spirituel « hors du monde »), et, de l’autre côté, « le monde », « l’histoire », c’est insoutenable d’un point de vue catholique.
Le théologien Louis Bouyer – irréprochablement conciliaire – expliquait : « Le monde spirituel n’est pas un autre monde que le nôtre, mais bien celui-ci, saisi dans toute son épaisseur… Le monde visible n’est que la partie, émergente pour nous, d’un univers unique dont les profondeurs se perdent au-delà de ce que notre regard obscurci peut atteindre. » La liturgie eucharistique est un lien (dans le Christ) entre le visible et l’invisible ; c’est parce que nos pratiques paroissiales ont souvent perdu cette dimension, que la Rome de Benoît XVI ouvre un chantier liturgique et ecclésiologique. D’où par exemple le Motu proprio, qui n’est qu’un élément de ce chantier - et certes pas l'élément principal.
Plaignons ceux d’entre nous qui n’ont pas encore compris ça.
Protestons contre les intellectuels, voire les « théologiens », qui refusent de le comprendre, et qui tentent de nous fermer la porte spirituelle rouverte par Benoît XVI !
Ce sont des scribes et des pharisiens d’aujourd’hui, pleins d’incompréhension et de mépris envers les simples gens.
Pourquoi réagissent-ils ainsi ? Par conformisme et mondanité. Derrière les phrases creuses sur une foi changeant de contenu et d’objet selon les époques, on devine une sorte de postchristianisme : un simple alignement sur le prêt-à-penser occidental, une espèce de dérégulation libérale appliquée à la religion. (Et c’est pourquoi on s’étonne de voir le nom de Paul Thibaud apparaître en pareille compagnie).
LE CŒUR DU DEBAT EST LÀ
D’une part, il y a ceux qui refusent à l’Eglise le droit d’avoir ses propres mobiles, son propre message.
D’autre part, il y a la nouvelle génération catholique et son vieux pape théologien : un penseur étonnamment moderne, si la modernité consiste à répondre aux besoins profonds d’une époque.
Cette époque demande des repères, des réponses substantielles, des témoins authentiques. Ses critères d’exigence sont ceux de l’équité : elle veut du direct, du transparent et du sens.
C’est donc le grand midi du pape Ratzinger, quoi qu’on en dise.
Et c’est le crépuscule des marchands de fumée.
Vous n’en faites pas partie, Paul Thibaud, dans ce que vous écrivez sur les sujets de société ; le sujet religieux ne devrait pas faire exception.
P.P.
(*) Il est trop facile d’opposer « l’espérance » au « dogme ». Comme si ces deux notions se combattaient ! C’est avec cette dialectique factice que la génération de 1960-1970 a créé le chaos dont le catholicisme français peine aujourd’hui à s’extraire : une certaine façon de disloquer la foi chrétienne en prétendant « l’ouvrir ». Comme si la haine de soi était une condition du dialogue avec l’autre… Et comme si le « soi » du catholicisme n’était pas le fruit de la révélation reçue du Christ, mais seulement une fabrication de l’homme, qu’il conviendrait de renier par humilité.
15:55 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
DECONVENUE ?
> Votre déconvenue à la lecture de l’article de Paul Thibaud m’étonne un peu.
Cet ancien directeur de la revue Esprit n’a-t-il pas donné, il y a douze ans, en 1995, un entretien au journal Infomatin au sujet de l’Encyclique de Jean-Paul II Evangelium Vitae ?
Vous devriez trouver la teneur de cet entretien assez facilement en consultant Internet. Vous constaterez que, déjà, à cette époque, ce philosophe se réclamait de ce qu’il appelait « notre » morale « moderne », épousant ainsi en matière de morale tous les poncifs du siècle.
Sophrone
[De PP à S. - Le conformisme de PT en matière religieuse contraste avec sa lucidité fréquente dans les autres matières !]
Cette réponse s'adresse au commentaire
Écrit par : Sophrone | 26/07/2007
ANCIEN TESTAMENT
Merci pour le travail de cette analyse en période estivale.
Un point de détail, à propos de l'article de Paul Thibaud, sur l'utilisation de l'Ancien Testament dans la liturgie de Jean XXIII. Cette liturgie est bien sûr moins riche que celle de Paul VI à ce point de vue. Mais il semble que l'auteur, dans son élan, ait oublié les psaumes, chants d'entrée, graduels, alleluia, chants de communion. Le commun des saints contient également bon nombre de lectures de l'Ancien Testament et n’oublions pas les lectures du temps de Carême et de l'Avent. Le traitement est injuste.
La formule utilisée aujourd’hui dans la prière pour les juifs, le Vendredi Saint, est bien meilleure ("conduis à la plénitude de la rédemption le premier peuple de l'Alliance"), mais il s’agit bien d’une prière. Prier pour quelqu'un, c'est vouloir son plus grand bien.
Voici le passage incriminé, dans l'article :
"les messalisants de l'espèce extraordinaire ne pourront pas prier le Vendredi saint pour la conversion des juifs, ils pourront ignorer toute l'année les nombreux textes de l'Ancien Testament qu'on lit à la messe depuis Vatican II."
Écrit par : Dominique | 27/07/2007
THIBAUD ET L'EGLISE
> Je ne suis pas exactement d'accord avec votre jugement sur les opinions de M. Paul Thibaud. Il est vrai qu'il est souvent nuancé sur toutes les questions de société.
Mais, sans vouloir développer de paranoïa sur une prétendue persécution intellectuelle et moralisante contre le catholicisme, il faut bien avouer que Paul Thibaud aime critiquer radicalement l'Eglise et ses positions.
J'ai souvenir de différents textes et interviews écrits par M. Paul Thibaud lors de la parution de 'Evangelium vitae'. Tous les poncifs et autres idées reçues étaient présents dans ces textes, sans une nuance montrant une réflexion de qualité. La condamnation précédait la compréhension.
Et, plus généralement, c'est à une TRIBUNALISATION de l'opinion que nous assistons... Tribunalisation dont M. Paul Thibaud est acteur et qui concerne aussi bien :
- l'Histoire : qui est intéressé pour comprendre l'attitude de Pie XII ? Personne.
- la littérature : combien d'auteurs sont jugés avant même d'avir été lus pour cause de nationalisme, d'antisémitisme, de racisme (même Tintin n'est pas épargné)...
- les idées : les textes et discours du pape, comme au Brésil, comme pour le Motu proprio, etc., en sont la preuve.
- la morale : un exemple parmi d'autres, l'inauguration de la place Jean-Paul II sur le Parvis Notre-Dame à laquelle j'ai assisté et que les médias ont considérablement déformée.
Evidemment, les exemples sont multipliables. La tribunalisation de l'Histoire participe à ce "politiquement correct" - expression maladroite me semble-t-il - dont nous entendons parler quotidiennement.
Et c'est bien en étant rigoureux historiquement, scientifiquement, intellectuellement, etc., que cette tribunalisation pourra prendre en fin. Alain Besançon se posait il y a quelques années la question suivante : "Peut-on encore débattre en France ?" La question est toujours d'actualisation...
Écrit par : Pierre G. | 27/07/2007
PRETENTION
> Il faudrait que les chroniqueurs cessent de dogmatiser ou plutôt d'idéologiser Vatican II.
N'y a-t-il pas un léger péché d'orgueil chez Paul Thibaud à vouloir expliquer ce qu'est la foi et critiquer ce que dit le pape ?
La prétention française. Un pléonasme ?
Écrit par : Qwyzyx | 27/07/2007
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