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11/03/2007

Hypocrisie et christianisme : les apparences et la sincérité

Extraits de la première méditation de carême du P. Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale :


(à propos de l’allusion à feu Jean Baudrillard, voir aussi sur ce blog la note du 07.03.07) :

 

 

<<      La révolution de Jésus

 

… Quiconque lit ou entend proclamer aujourd’hui : « Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu », pense instinctivement à la vertu de pureté, comme si la béatitude était l’équivalent positif et intériorisé du sixième commandement : Tu ne commettras pas d’actes impurs. Cette interprétation, avancée sporadiquement  dans  le courant  de l’histoire  de la spiritualité chrétienne, est devenue prédominante à partir du XIXe siècle.  En réalité, dans la pensée de Jésus, avoir le cœur pur n’est pas une vertu particulière, mais une qualité qui doit accompagner toutes les vertus, afin que celles-ci soient vraiment des vertus et non de « splendides vices ». Son contraire le plus direct n’est pas l’impureté mais l’hypocrisie. […]

 

Ce que Jésus entend par « cœur pur », se déduit clairement à partir du contexte du sermon sur la montagne. Selon l’Evangile, ce qui décide de la pureté ou de l’impureté d’une action – qu’il s’agisse de l’aumône, du jeûne ou de la prière – c’est l’intention, c’est-à-dire si cette action est faite pour être vue par les hommes, ou pour plaire à Dieu :  « Quand donc tu fais l’aumône, ne va pas le claironner devant toi ; ainsi font les hypocrites, dans les synagogues et les rues, afin d’être glorifiés par les hommes ; en vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit secrète ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 2-6).

 

L’hypocrisie est le péché que Dieu dénonce avec le plus de force tout au long de la Bible, et la raison de cela est claire. En faisant acte d’hypocrisie l’homme déclasse Dieu, le relègue au second plan, et place devant les créatures, le public. « Il ne s’agit pas de ce que voient les hommes, car ils ne voient que les yeux, mais Yahvé voit le coeur » (1 S 16, 7) : cultiver l’apparence plus que le cœur, signifie donner plus d’importance à l’homme qu’à Dieu.

L’hypocrisie est donc essentiellement un manque de foi ; mais c’est aussi un manque de charité envers le prochain, dans ce sens qu’elle tend à réduire les personnes à des admirateurs. Elle ne leur reconnaît pas une dignité propre mais les voit uniquement en fonction de leur image.

[…]  Les paroles violentes que Jésus prononce contre les scribes et les pharisiens, qui sont toutes centrées sur l’opposition entre le « dedans » et le « dehors », l’intérieur et l’extérieur de l’homme, aident également à comprendre le sens de la béatitude des cœurs purs. « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et de toute pourriture ; vous de même, au-dehors vous offrez aux yeux des hommes l’apparence de justes, mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité » (Mt 23, 27-28).  

 

La révolution que Jésus réalise dans ce domaine est d’une portée incalculable. Avant lui, mises à part quelques rares allusions chez les prophètes et dans les psaumes […], la pureté était présentée dans le sens de rite et de culte ; elle consistait à se tenir à l’écart des choses, des animaux, des personnes ou des lieux censés contaminer l’homme ou l’éloigner de la sainteté de Dieu. La naissance, la mort, l’alimentation, la sexualité, surtout, entrent dans ce cadre-là. C’était le cas aussi dans d’autres religions, en dehors de la Bible, sous d’autres formes et avec des présupposés différents.  Jésus fait table rase de tous ces tabous. Par les gestes qu’il accomplit tout d’abord : il mange avec les pécheurs, touche les lépreux, fréquente les païens : tout ce que l’on considérait comme potentiellement contaminant pour l’homme ; puis par les enseignements qu’il donne […] :  «Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme… Car c’est du dedans, du cœur des hommes, que sortent les desseins pervers : débauches, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, déraison. Toutes ces mauvaises choses sortent du dedans et souillent l’homme » (Mc 7, 14-15. 21-23).

[…]  En réalité, dans le Nouveau Testament, les mots « pur » et « pureté » (katharos, katharotes) ne servent jamais à indiquer ce que nous entendons nous aujourd’hui par ces mots, c’est-à-dire l’absence des péchés de la chair. C’est la raison pour laquelle on utilise d’autres mots : maîtrise de soi (enkrateia), tempérance (sophrosyne), chasteté (hagneia)...


 

L'imposture des "séparés"

 

Dans l’exégèse des Pères nous voyons se profiler très vite les trois directions fondamentales vers lesquelles la béatitude des cœurs purs tendra  et  auxquelles  l’histoire de la spiritualité chrétienne donnera son interprétation : morale, mystique et ascétique. L’interprétation morale met l’accent sur la rectitude d’intention, l’interprétation mystique sur la vision de Dieu, l’interprétation ascétique sur la lutte contre les passions de la chair. Ces trois exemples sont expliqués, respectivement, par Augustin, Grégoire de Nysse et Jean Chrysostome.  […]  Avec des niveaux de bonheur différents, toutes ces interprétations orthodoxes restent dans le cadre de l’horizon nouveau de la révolution opérée par Jésus qui reconduit tout discours moral au cœur.

 

Paradoxalement, ceux qui ont trahi la béatitude évangélique des purs (katharoi) de cœur sont précisément ceux qui en ont tiré leur nom : les cathares avec tous les mouvements semblables qui les ont précédés et suivis dans l’histoire du christianisme […],  ceux qui font consister la pureté dans le fait d’être séparés, sur le plan rituel et social, de personnes et de choses jugées impures en soi, dans une pureté plus extérieure qu’intérieure. Ce sont les héritiers du radicalisme sectaire des pharisiens et des esséniens plus que de l’évangile du Christ.


 

Une société du simulacre

 

 

On met souvent en relief la portée sociale et culturelle de certaines béatitudes. Il n’est pas rare de trouver écrit sur les banderoles de cortèges pacifistes « Heureux les artisans de paix ». […] Mais on ne parle jamais de l’importance sociale de la béatitude des cœurs purs, apparemment reléguée au domaine strictement personnel. Je suis convaincu au contraire que cette béatitude peut exercer aujourd’hui une fonction critique dans notre société.

[…]  L’homme – écrit Pascal – a deux vies : sa vraie vie et une vie imaginaire, qui vit dans l’opinion, la sienne ou celle des autres. Nous travaillons sans cesse à embellir et conserver notre être imaginaire  et  nous négligeons le véritable. Si nous possédons une vertu ou un mérite, nous nous empressons de le faire savoir, d’une manière ou d’une autre, pour enrichir notre être imaginaire de cette vertu ou de ce mérite, quitte même à nous en passer, pour lui ajouter quelque chose, jusqu’à accepter parfois d’être lâche pour sembler courageux et de donner même sa vie pourvu que les gens en parlent .

Cette tendance à donner plus d’importance à l’image qu’à la réalité – mise en lumière par Pascal –, est fortement accentuée par notre culture actuelle, dominée par les mass media (film, télévision et monde du spectacle en général). Descartes dit : Cogito ergo sum, je pense donc je suis ; mais aujourd’hui on tend plutôt à remplacer cela par « je parais, donc je suis ».  […]  Saint Augustin le rappelle dans son commentaire sur la béatitude des cœurs purs : « Les hypocrites – écrit-il – sont des auteurs de fictions comme des présentateurs d’autres caractères dans les représentations théâtrales ».

[…]  Mais la fiction théâtrale est une hypocrisie innocente car, malgré tout, elle fait toujours la distinction entre la scène et la vie. Ce n’est pas parce qu’Agamemnon est sur scène (l’exemple cité par Augustin) que les spectateurs pensent que la personne qui joue est vraiment Agamemnon. Or aujourd’hui on assiste à un fait nouveau et inquiétant qui consiste à vouloir annuler ce décalage, et transformer la vie même en spectacle. C’est ce que prétendent les reality shows  qui envahissent désormais les chaînes de télévision dans le monde entier.  Selon le philosophe français Jean Baudrillard, décédé il y a trois jours, il est désormais devenu difficile de distinguer les événements réels (11 septembre, guerre du Golfe) de leur représentation médiatique. On confond ce qui est réel et ce qui est virtuel.

Le rappel à l’intériorité qui caractérise notre béatitude et tout le sermon sur la montagne est une invitation à ne pas se laisser emporter par cette tendance qui cherche à vider la personne, la réduisant à une image, ou pire (selon un terme cher à Baudrillard) à un simulacre. […]

 
 

Mieux  vaut  être  chrétien  sans  le  dire, que  le  dire  sans  l'être  !

 

 

Ce que l’on peut faire de pire, en parlant d’hypocrisie, c’est de s’en servir uniquement pour juger les autres, la société, la culture, le monde. C’est précisément ceux-là que Jésus qualifie d’hypocrites : « Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton oeil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l'oeil de ton frère ! » (Mt 7, 5).   […]  Le martyr saint Ignace d’Antioche sentait déjà le besoin de réprimander ses frères dans la foi en écrivant : « Il vaut mieux être chrétiens sans le dire que le dire sans l’être ».

 […]  L’hypocrisie la plus pernicieuse serait de cacher… sa propre hypocrisie. Dans aucun schéma d’examen de conscience je ne me souviens avoir trouvé la question : « Ai-je été hypocrite ? Me suis-je préoccupé davantage du regard des hommes sur moi que de celui de Dieu ? »  A un moment donné de ma vie, j’ai dû introduire moi-même ces questions dans mon examen de conscience et j’ai rarement pu passer indemne à la question suivante…

 

[…] Jésus nous a laissé un moyen simple et exceptionnel pour rectifier nos intentions plusieurs fois par jour, les trois premières demandes du Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne. Que ta volonté soit faite ». Elles peuvent être récitées comme des prières mais également comme des déclarations d’intention : tout ce que je fais, je veux le faire afin que ton nom soit sanctifié, afin que ton règne vienne et que ta volonté soit faite.

 

Ce serait une contribution précieuse pour la société et pour la communauté chrétienne si la béatitude des cœurs purs nous aidait à garder vivante en nous la nostalgie d’un monde propre, vrai, sincère, sans hypocrisie, ni religieuse ni laïque ; un monde dans lequel les actions correspondent aux paroles, les paroles aux pensées et les pensées de l’homme à celles de Dieu... >>

 

Source : ZENIT.

 

 

 

 

Commentaires

À LA FRANCAISE

> Magnifique ! Pour ma part j'ai résumé depuis longtemps l'hypocrisie à la française : "en France, il n'y a que fumer qui tue !"

Écrit par : Gérald | 11/03/2007

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